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Date: 19980409

Dossier: 96-2063-IT-I

ENTRE :

ALLAN MAKOWETSKI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

[1] Il s'agit de savoir si l'appelant a droit à une déduction d'impôt à l'égard de la pension alimentaire et des allocations indemnitaires qu'il a versées dans ses années d'imposition 1992, 1993 et 1994.

LES FAITS :

[2] Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994, l'appelant a déduit des montants de 6 000 $, de 6 985 $ et de 7 371 $ respectivement à l'égard de la pension alimentaire et des allocations indemnitaires qu'il avait versées. En établissant une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a refusé ces déductions.

[3] L'appelant et son ancienne conjointe ont deux enfants, Janelle, née en juillet 1976, et Stacey, née en novembre 1978. Les conjoints se sont séparés en juin 1986. Le 28 novembre 1986, ils ont conclu un accord de séparation écrit qui portait notamment sur les biens matrimoniaux et qui prévoyait le versement de sommes forfaitaires à la conjointe sur la moitié du produit net de la vente de la maison et

[TRADUCTION]

CENT CINQUANTE DOLLARS (150 $) par mois pour chaque enfant issu du mariage, pour subvenir à ses besoins, ce montant étant payable le premier jour de chaque mois à compter du 1er décembre 1986, jusqu’à épuisement des fonds susmentionnés.

[4] Un autre paragraphe de cet accord se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Il est en outre convenu que lorsque les fonds affectés au paiement de l'allocation indemnitaire accordée aux enfants seront épuisés, les conjoints s'entendront sur le montant de l'allocation indemnitaire que le mari devra payer à son épouse pour subvenir aux besoins des enfants. À défaut d'entente, les parties demanderont à un tribunal compétent de déterminer le montant de cette allocation.

[5] L'appelant a témoigné qu'il était clair à ses yeux qu'une fois les fonds épuisés, il devait verser chaque mois une somme de 150 $ en vue de subvenir aux besoins des enfants. Il a également affirmé que son ancienne conjointe et lui s’étaient toujours entendus sur le montant qui devait être versé chaque mois, ce montant augmentant avec le temps. L'appelant a dit que, compte tenu de cette entente, il n'était pas nécessaire de s'adresser aux tribunaux. Il a déclaré que, dans le calcul de son impôt sur le revenu, il avait déduit les sommes versées. L'avocat de l'intimée a informé la Cour que l'ancienne conjointe n'incluait pas ces montants dans son revenu.

[6] L'appelant a ensuite témoigné que le ministère du Revenu national l'avait avisé qu'il devait de 8 000 à 9 000 $ parce que les déductions réclamées n'étaient pas admises. À la suite d'une conversation téléphonique avec son ancienne conjointe, il a cessé de verser les sommes en question. Il a été sommé à comparaître devant le tribunal; il a alors payé deux mois d'arriérés en vue de montrer sa bonne foi, et il a de nouveau comparu devant le tribunal en juillet 1996. Une partie de l'accord était incorporée dans l'ordonnance judiciaire initiale se rapportant à la demande qui avait été présentée le 18 novembre 1986 à l'égard de la garde et de l'allocation indemnitaire; l'ordonnance prévoyait qu'une partie du produit net de la vente serait payé comme suit :

[TRADUCTION]

150 $ par mois pour chaque enfant issu du mariage, pour subvenir à ses besoins, ce montant étant payable le premier jour de chaque mois à compter du 1er décembre 1986, jusqu’à épuisement des fonds;

L'ordonnance renferme ensuite une disposition qui est ainsi libellée :

[TRADUCTION]

L'allocation versée pour subvenir aux besoins des enfants issus du mariage fera l'objet d'une entente entre les parties ou sera examinée par la Cour lorsque les fonds susmentionnés seront épuisés;

Cette ordonnance était datée du 18 novembre 1986.

[7] L'ordonnance du 10 juillet 1996 prévoyait que l'appelant verserait une allocation indemnitaire mensuelle de 500 $ pour subvenir aux besoins de Stacey à compter du 1er août 1996, et continuerait à la verser tant que l'enfant y avait droit en vertu de la Loi sur le divorce ou de toute autre loi. Elle prévoyait également que l'appelant verserait à son ancienne conjointe une somme de 1 000 $, en versements mensuels de 50 $, le premier jour de chaque mois à compter du 1er août 1996, jusqu’à parfait paiement. L'appelant a témoigné que l'arriéré était de 1 000 $.

[8] L'appelant a également témoigné qu'il n'avait pas conclu d’autre accord écrit après que les fonds mentionnés dans l'accord initial eurent été épuisés.

[9] Pour les années en question, l'alinéa 60b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) se lit comme suit :

60. Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées :

[...]

b) un montant payé par le contribuable au cours de l'année, en vertu d'un arrêt, d'une ordonnance ou d'un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le contribuable, pour cause d'échec de son mariage, vivait séparé de son conjoint ou ancien conjoint à qui il était tenu d'effectuer le paiement, au moment où le paiement a été effectué et durant le reste de l'année.

[10] L'avocat de l'appelant a soutenu que l'accord de séparation écrit incorporé dans l'ordonnance judiciaire du 18 novembre 1996 constituait un contrat exécutoire dans la mesure où les parties s'entendaient sur le montant de l'allocation indemnitaire et qu'en raison de cet accord, il n'était pas nécessaire que les tribunaux examinent l'affaire une fois les fonds épuisés. Il a déclaré que l'appelant s'était conformé à l'alinéa 60b) tant aux termes d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent qu'aux termes d'un accord écrit.

[11] L'avocat de l'appelant a cité le jugement Courtney and Fairbairn Ltd. v. Tolaini Brothers(Hotels) Ltd. and another, [1975] 1 All E.R., à la page 716. Dans cette affaire-là, qui se rapportait à la question de savoir s'il existait un contrat, l’entrepreneur avait envoyé une lettre au promoteur au sujet de l'aménagement immobilier envisagé. La lettre se lisait en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Par conséquent, j'aimerais savoir si, dans le cas où les discussions et les ententes avec les intéressés mèneraient à [...] un accord financier qui convient aux deux parties, vous êtes prêt à demander à votre économiste en construction de négocier le paiement de sommes justes et raisonnables aux termes des contrats, à l'égard de chacun des trois projets, au fur et à mesure qu'ils se réaliseront.

[12] En réponse, le promoteur a envoyé une lettre qui mentionnait ceci :

[TRADUCTION]

En réponse à votre lettre du 10 avril, j'accepte les conditions qui y sont énoncées, et j'espère rencontrer l'intéressé pour discuter de la question du financement.

[13] Le promoteur avait demandé à l'économiste en construction de négocier avec l'entrepreneur le prix des travaux de construction, mais il a été impossible de s'entendre sur les prix et les négociations ont pris fin. L’entrepreneur initial a intenté une action dans laquelle il demandait un jugement déclaratoire portant d’une part qu'il existait un contrat exécutoire stipulant que leurs services seraient retenus à titre d'entrepreneurs en construction et d’autre part que la compagnie du promoteur violait le contrat en retenant les services d'autres entrepreneurs. Il a été statué que les lettres ne donnaient pas lieu à un contrat exécutoire parce qu'il ne pouvait exister un contrat obligatoire que s'il avait été convenu du prix et, en outre, parce qu'un contrat en vue de la tenue de négociations n'est pas reconnu en droit étant donné qu'il est trop incertain pour avoir force exécutoire et qu'aucun tribunal ne pourrait estimer le montant des dommages-intérêts en cas de rupture de contrat. Voici ce que lord Denning a déclaré, à la page 719 :

[TRADUCTION]

Malheureusement, je ne souscris pas à l'avis du juge, parce qu'il m'est impossible de constater l'existence d'une entente sur le prix ou sur la méthode à employer pour calculer le prix. [...] Les parties elles-mêmes devaient s'entendre sur ce point. Si elles s'en étaient remises à un tiers, par exemple à un arbitre, pour fixer le prix, la situation aurait été différente. Cependant, dans ce cas-ci, c'étaient les parties elles-mêmes qui devaient s'entendre sur le prix.

L'avocat de l'appelant a soutenu que l'accord écrit était incorporé dans l'ordonnance du tribunal et il a affirmé qu'un contrat exécutoire avait été conclu en ce sens qu'en l'absence d'une entente entre les parties, un tribunal devait déterminer le montant de l'allocation indemnitaire.

[14] L'avocat de l'appelant a ensuite cité l'arrêt Tadman's Limited v. Avenue Hotel Prince Albert Limited (1956), 21 WWR 381 (B.R. Sask.). Dans cette affaire-là, le bail en question accordait au locataire une option de renouvellement pour une autre période de cinq ans et stipulait qu'en ce qui concerne le loyer à payer durant la période de renouvellement, les parties convenaient de négocier et de fixer un “ montant juste et raisonnable ”. Une autre clause du bail appelée la clause d'arbitrage prévoyait le renvoi de la question à l'arbitrage au besoin. Il a été statué que cette clause constituait une entente exécutoire visant à permettre de fixer par arbitrage le montant du loyer à payer si l'option de renouvellement était levée et si les parties n'arrivaient pas à s'entendre sur le montant du loyer; il a en outre été statué que, lorsque les arbitres auraient fixé ce montant, le locataire aurait le droit de faire renouveler le bail tel qu'il avait été prévu. En résumé, à la page 384, voici ce que le juge Graham a dit en concluant à l'existence d'un contrat :

[TRADUCTION]

Je statue en outre que, lorsque le comité d'arbitrage aura fixé le montant du loyer, le demandeur aura le droit de faire renouveler le bail pour une période de cinq ans à compter du 1er janvier 1957, aux conditions prévues dans le bail; toutefois, le loyer sera celui que le comité d'arbitrage aura jugé juste et raisonnable.

[15] Cela étant, l'avocat de l'appelant a également soutenu qu'il existait un contrat écrit obligatoire.

[16] L'avocat de l'appelant a ensuite cité le jugement Stanley Wright v. Minister of National Revenue, 64 DTC 758, dans lequel il était fait mention de plusieurs jugements citant le passage suivant :

[TRADUCTION]

Ordonnance : 1. “ Directive ou ordre d'un tribunal judiciaire ” (The Dictionary of English Law, Earl Jowitt, 1959); 2. “ Il est possible de dire que le mot “ ordonnance ” dans son sens le plus large comprend toute décision rendue par un tribunal sur une question ou sur des questions en litige entre les parties dans une affaire dont le tribunal est à juste titre saisi ” (Halsbury's Laws of England, 3e éd., vol. 22, page 740).

L'avocat a soutenu que le mot “ ordonnance ” doit être interprété dans son sens large et il a répété que si les parties ne s'étaient pas entendues, elles auraient porté l'affaire en justice.

[17] L'avocat a ensuite cité l'ordonnance du 10 juillet 1996 à l'égard du paiement de la somme de 1 000 $, en versements mensuels de 50 $, et il a affirmé que la preuve montrait qu'il s'agissait de l'arriéré que l'appelant n'avait pas payé. Il a ensuite soutenu que la Cour doit avoir reconnu l'existence d'un contrat, car autrement elle n'aurait pas ordonné le paiement de cette somme. Il a en outre soutenu que la Cour avait peut-être fondé sa décision sur une obligation contractuelle existante ou sur l'obligation découlant d’une ordonnance judiciaire antérieure et que, dans les deux cas, l'appelant devrait avoir gain de cause.

[18] L'avocat de l'appelant a ensuite cité l'affaire Jim Lay v. Her Majesty the Queen, 95 DTC 272, dans laquelle, conformément aux conditions de deux accords manuscrits, l'appelant avait permis à sa conjointe d'émettre des chèques, jusqu’à concurrence du montant stipulé, sur leur compte conjoint. L'appelant avait déduit les montants ainsi retirés, mais le ministre a refusé la déduction. L'appel qu'il avait interjeté contre la décision du ministre a été admis.

[19] Le représentant de l’intimée a cité l'affaire J. Ross MacLachlan v. Her Majesty the Queen, 92 DTC 1024 (C.C.I.), en ce qui concerne des paiements qui, de l'avis de la Cour, n'étaient pas visés par un accord de séparation provisoire. À la page 1027, voici ce que la Cour a déclaré :

Il ressort de la jurisprudence qu'un accord de séparation est un document formel sur lequel un conjoint pourrait fonder une action en non paiement devant un tribunal compétent sans qu'il soit nécessaire de présenter une preuve extrinsèque (Keith Norman Fryer v. M.N.R., 63 DTC 176, à la page 177). Un tel document doit renfermer les conditions essentielles d'un accord et doit être signé par les deux conjoints (No. 345 v. M.N.R., 56 D.T.C. 327, à la page 329).

[20] Le représentant de l’intimée a ensuite cité le jugement Stanley P. Jaskot v. M.N.R., 92 DTC 1102, en ce qui concerne les remarques que le juge Strayer avait faites dans l'arrêt Hodson v. The Queen, 87 DTC 5113 (C.F. 1re inst.) et 88 DTC 6001 (C.A.F.), à savoir :

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

L'intention du Parlement exprimée à l'alinéa 60b) est tout à fait claire : il doit y avoir soit une ordonnance d'un tribunal, soit un accord écrit de séparation obligeant le contribuable à faire ces paiements. Si le Parlement avait eu l'intention d'autoriser ce genre de déductions sur la base d'accords verbaux ou implicites ou encore sur la base de paiements purement volontaires, il l'aurait dit clairement. Comme il a utilisé les mots “ accord écrit ”, il a clairement exclu toute autre forme d'arrangement moins formel.

(C'est moi qui souligne.)

[21] En fait, le représentant de l'intimée soutenait simplement qu'il n'existait pas d'accord écrit aux termes duquel l'appelant effectuait les paiements.

ANALYSE ET CONCLUSION :

[22] L'appelant et son ancienne conjointe ont respecté toutes les conditions de l'accord du 28 novembre 1986. Les parties ont reçu précisément ce dont elles avaient convenu. Lorsque les fonds ont été épuisés, elles se sont entendues, conformément à l'accord écrit, sur le montant de l'allocation qui serait versé pour subvenir aux besoins des enfants. Cela comprenait des paiements croissants fixés de gré à gré. La preuve que l'appelant a présentée à cet égard n'a pas été contestée et je la retiens. Si tel n'avait pas été le cas, le montant de l'allocation indemnitaire aurait été fixé par la Cour, sur demande, à la suite de l'examen de l'affaire. Dans ces conditions, j'applique les principes énoncés dans les jugements que l'appelant a cités et je conclus qu’il a été satisfait aux conditions énoncées à l'alinéa 60b)[1].

[23] Par conséquent, l'appel est admis.

Signé à Toronto, Canada, ce 9e jour d'avril 1998.

R. D. Bell

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de décembre 1998.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]               Les autres conditions ne sont pas en litige.

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