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Date: 19980205

Dossier: 97-1139-IT-I

ENTRE :

MARTIN REESINK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1] L’appelant interjette appel, selon la procédure informelle, d’une cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (“Loi”) par le ministre du Revenu national (“Ministre”) à l’égard de l’année d’imposition 1995. L’appelant a lui-même inclus dans ses revenus pour l’année 1995 le produit de deux bourses d’études qu’il a reçues au cours de cette année, l’une au montant de 6 500 $ (laquelle a été déclarée comme “attribution au titre d’une fiducie d’employés”) et l’autre au montant de 835 $ dont 335 $ a été déclarée sous la rubrique “autres revenus”, l’appelant ayant ainsi pris avantage de l’exemption de 500 $ prévue à l’alinéa 56(1)n) de la Loi.

[2] L’appelant réclame maintenant le droit de déduire de ses revenus la totalité de ces bourses d’études, ou en d’autres termes demande la non-imposition de ces bourses d’études, au motif que celles-ci ne sont pas imposables aux termes de l’alinéa 56(1)n) de la Loi. Si je comprends bien l’argument de l’appelant, celui-ci soutient que l’alinéa 56(1)n) n’a d’application que pour les étudiants à temps plein qui n’auraient pas d’autres sources de revenu. L’appelant ayant travaillé à son propre compte au cours de l’année 1995 en obtenant des contrats du gouvernement fédéral “ministère Citoyenneté et Immigration Canada”, il soutient qu’il ne peut être visé par l’alinéa 56(1)n), et que les bourses d’études ne sont donc pas imposables pour lui. Il soutient alternativement que les bourses d’études ne lui ont pas été octroyées dans le cadre de son domaine d’activité habituel et qu’en conséquence l’alinéa 56(1)n) n’a pas d’application. Il termine en prétendant que l’imposition de ces bourses d’études est discriminatoire puisqu’une telle imposition l’oblige à s’endetter davantage qu’un autre étudiant ne travaillant pas, lui causant ainsi une perte économique ce qui selon lui est contraire à son droit à l’égalité sous l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (“Charte”).

[3] En cotisant l’appelant le Ministre s’est appuyé sur les faits suivants :

[TRADUCTION]

a) au cours de l’année d’imposition 1995, l’appelant travaillait pour le gouvernement fédéral, au ministère Citoyenneté et Immigration Canada (CIC);

b) l’appelant était employé par CIC à titre d’analyste des médias, en vertu de contrats reconductibles;

c) les revenus de l’appelant étaient des revenus d’entreprise;

d) au cours de l’année d’imposition 1995, l’appelant était aussi étudiant diplômé à plein temps à l’université Carleton à Ottawa;

e) au cours de l’année d’imposition 1995, l’appelant a reçu de l’université Carleton, à titre de bourses d’études, les sommes de 835 $ et de 6 500 $, comme il est indiqué sur le feuillet T4A de 1995 établi par l’université, ce qui représente un total de 7 335 $;

f) ladite somme de 7 335 $ constitue un revenu imposable, sauf en ce qui concerne une exemption de 500 $, en vertu de l’alinéa 56(1)n) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “ Loi ”);

g) l’appelant ne peut déduire le montant net (le “ montant ”) de 6 835 $ (7 335 $ - 500) dans le calcul de son revenu imposable;

h) le ministre a calculé avec justesse l’impôt exigible sur le revenu imposable déclaré de l’appelant pour l’année d’imposition 1995.

[4] L’appelant, qui seul a témoigné à l’audience, a admis les alinéas (a) à (e) inclusivement. Il a nié les autres alinéas.

[5] A la date pertinente au litige, l’alinéa 56(1)n) se lisait comme suit :

56: Sommes à inclure dans le revenu de l’année.

(1) Sans préjudice de la portée générale de l’article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

n) Bourses d’études, de perfectionnement, etc. ¾ l’excédent éventuel:

(i) du total des sommes (à l’exclusion des sommes visées à l’alinéa q), des sommes reçues dans le cours des activités d’une entreprise et des sommes reçues au titre, dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi) reçues au cours de l’année par le contribuable à titre de bourse d’études, de bourse de perfectionnement (fellowship) ou de récompense couronnant une oeuvre remarquable réalisée dans son domaine d’activité habituel, à l’exclusion d’une récompense visée par règlement,

sur le plus élevé de 500 $ et du total des montants dont chacun représente le moins élevé des montants suivants:

(ii) le montant visé au sous-alinéa (i) pour l’année au titre d’une bourse d’études, d’une bourse de perfectionnement (fellowship) ou d’une récompense dont le contribuable doit se servir dans la production d’une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique,

(iii) le total des montants dont chacun représente une dépense que le contribuable a engagée au cours de l’année en vue de remplir les conditions aux termes desquelles le montant visé au sous-alinéa (ii) a été reçu, à l’exception:

(A) de ses frais personnels ou de subsistance, sauf ses frais de déplacement, de repas et de logement engagés en vue de remplir ces conditions, pendant qu’il était absent de son lieu de résidence habituel pour la période visée par la bourse d’études, la bourse de perfectionnement (fellowship) ou la récompense,

(B) des dépenses qui lui ont été remboursées,

(C) des dépenses déductibles par ailleurs dans le calcul de son revenu;

[6] A la simple lecture de cet alinéa, il est très clair que quiconque reçoit une bourse d’études, peu importe qu’il ait d’autres sources de revenus ou non, doit inclure le montant de cette bourse dans ses revenus tout en bénéficiant d’une exemption de base de 500 $, dans la mesure où cette bourse n’est pas reçue dans le cours des activités d’une entreprise ou en vertu d’une charge ou d’un emploi. Dans ces derniers cas, la bourse d’études serait alors imposable comme du revenu d’entreprise ou du revenu de charge ou d’emploi, et le récipiendaire de la bourse n’aurait pas droit à l’exemption de 500 $ prévue à l’alinéa 56(1)n).

[7] Par ailleurs, aux termes de ce même alinéa 56(1)n), un contribuable qui reçoit une récompense couronnant une oeuvre remarquable devra l’inclure dans ses revenus si cette oeuvre est réalisée dans son domaine d’activité habituel.

[8] La Cour suprême du Canada a déjà interprété le sens à donner à cette notion de “récompense couronnant une oeuvre remarquable” dans l’affaire La Reine c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428, aux pages 442 et 443 :

Dans le langage courant le mot “récompense” ne désigne pas uniquement un prix pour la supériorité dans un concours avec d’autres personnes. Une “récompense” couronnant une oeuvre remarquable n’est ni plus ni moins qu’un prix décerné pour une réalisation quelconque. Il n’est pas nécessaire d’extraire le mot “récompense” de son contexte et de le soumettre à un minutieux examen philologique ni de faire un rapprochement entre une “récompense” et la médaille ou le livre qu’on a pu remporter antérieurement dans une grande occasion, à l’école ou dans un concours de musique.

Le mot “récompense” employé dans la Loi de l’impôt sur le revenu est entouré d’autres mots qui lui donnent une couleur, une signification et un contenu. Je reprends ces mots ici: “à titre ou au titre de bourse d’études, de bourse de perfectionnement (fellowship) ou de récompense couronnant une oeuvre remarquable réalisée dans son domaine d’activité habituel”.

Trois observations s’imposent. Premièrement, l’al. 56(1)n) n’a rien à voir avec l’identité de celui qui paie ni avec le rapport qui peut exister entre le donateur et le donataire. Rien dans cet alinéa ne rend une bourse d’études ou de perfectionnement (fellowship) ou une récompense imposable pour le motif que le donateur ou celui qui paie est l’employeur du contribuable.[1] Deuxièmement, les mots “bourses d’études, ... bourse de perfectionnement (fellowship)” auxquels est lié le mot “récompense” s’emploient normalement à l’égard de réussites intellectuelles, habituellement dans le domaine des études supérieures, et à l’égard des belles-lettres. Troisièmement, la récompense doit couronner un “achievement” (oeuvre remarquable), terme que le Shorter Oxford Dictionary (3e éd.) définit ainsi: [TRADUCTION] “action de réaliser, ce qui est réalisé, un exploit, une victoire”. Ce même dictionnaire donne au verbe “to achieve” (réaliser) différentes acceptions, notamment: [TRADUCTION] “mener à bonne fin”, “atteindre”. L’“oeuvre remarquable” doit être réalisée dans un domaine d’activité habituel du contribuable. Cela exclut, par exemple, les prix gagnés dans les jeux de hasard, à une réception costumée ou pour un exploit sportif.

[9] Le juge Dickson rajoute un peu plus loin, à la page 444 :

À mon avis, l’expression “récompense couronnant une oeuvre remarquable” ne connote pas nécessairement un prix pour une victoire dans une compétition ou un concours avec d’autres personnes. Ce serait là donner à ces mots un sens trop strict et trop rigide.

[10] Dans la présente instance, l’appelant a voulu laisser entendre à la toute fin de l’audience alors que les plaidoiries étaient terminées, que le montant de 6 500 $ lui avait été offert par le ministère de la Défense, comme récompense couvrant une oeuvre remarquable pour un travail qu’il aurait effectué. Il soutient que ce travail n’aurait pas été effectué dans son domaine d’activité habituel et ainsi ce montant ne serait pas visé par l’application de l’alinéa 56(1)n).

[11] En premier lieu, l’appelant avait admis que les deux sommes reçues de 835 $ et 6 500 $ respectivement étaient des bourses d’études. Il en a lui-même fait allusion dans son Avis d’appel. De plus, c’est à l’appelant que revient le fardeau de prouver que la somme reçue n’était pas une bourse d’études mais une récompense couronnant une oeuvre remarquable et que celle-ci n’aurait pas été réalisée dans son domaine d’activité habituel. Pour ce faire, il devait apporter la preuve nécessaire au moment de l’audience et ne pouvait se limiter à changer sa version des faits à la fin des plaidoiries.

[12] Je considère donc que l’appelant n’a pas démontré selon la prépondérance des probabilités que les sommes en litige n’étaient pas des bourses d’études qui ne devaient pas être incluses dans ses revenus aux termes de l’alinéa 56(1)n) de la Loi.

[13] Finalement, je ne retiens pas non plus l’argument de l’appelant voulant que l’imposition d’une bourse d’études dans le cas d’une personne qui travaille en même temps qu’il est aux études, et qui est donc imposable aussi en vertu d’une autre source de revenu, soit discriminatoire et contraire à son droit à l’égalité sous l’article 15 de la Charte.

[14] Pour réussir, l’appelant devait démontrer que l’alinéa 56(1)n) le traite différemment en lui imposant un fardeau non imposé à d’autres ou en lui refusant un avantage accordé à d’autres. Il devait démontrer en second lieu que ce traitement inégal, s’il y a lieu, est discriminatoire.

[15] D’une part, je ne crois pas que l’alinéa 56(1)n) traite différemment les étudiants qui travaillent des autres. Dans chaque cas, la bourse d’études est imposable et l’étudiant a droit à une exemption de 500 $. Le fardeau supplémentaire qui pourrait être imposé à l’étudiant qui travaille, serait un impôt plus élevé puisqu’il a plus de revenus qu’un étudiant n’ayant pas d’autres sources de revenus. Si l’on peut parler de distinction, il ne s’agit pas là d’une distinction créée par la loi qui se fonde sur un des motifs énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte ou sur un motif analogue. Il ne s’agit pas d’une distinction qui se fonde sur une caractéristique personnelle immuable d’un individu. Je suis d’avis que cet énoncé du juge Gonthier dans l’affaire Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627 à la page 696, est approprié dans les circonstances :

... D’une part, une loi doit être évaluée selon la généralité des cas auxquels elle s’adresse. Le désavantage qu’elle peut engendrer dans des cas d’exception alors qu’elle bénéficie à l’ensemble d’un groupe légitime ne justifie pas de conclure qu’elle cause préjudice. ... Les inégalités dans les résultats ici relèvent des cas particuliers, même s’ils peuvent être nombreux, sont du domaine économique ...

[16] La Charte vise principalement les droits personnels. Les intérêts dans lesquels l’appelant prétend avoir subi un préjudice sont purement de nature financière; il n’est pas question de liberté ou de droits de la personne. Dans la présente instance, l’alinéa 56(1)n) ne crée aucune distinction énumérée à l’article 15 de la Charte ou aucun motif de distinction analogue. Cet alinéa ne comporte aucune suggestion de discrimination, de préjudice ou de stéréotype. Je partage l’avis du juge Hugessen dans l’affaire Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 359, lorsqu’il énonce aux pages 367 et 368 :

Les droits que [l’article 15 de la Charte] garantit ne sont pas fondés sur le concept d’égalité numérique stricte entre tous les êtres humains. Si c’était le cas, pratiquement tous les textes législatifs, dont la fonction est, après tout, de définir, de distinguer et d’établir des catégories, à première vue porteraient atteinte à l’article 15 et devraient être justifiés aux termes de l’article premier. L’exception deviendrait la règle. Étant donné que les tribunaux seraient obligés de chercher et de trouver une justification fondée sur l’article premier pour la plupart des textes législatifs, l’autre choix étant l’anarchie, il existe un risque réel de paradoxe: plus grande sera la portée de l’article 15 plus il sera susceptible d’être privé de tout contenu réel.

[17] Le groupe d’étudiants qui travaillent ne saurait constituer un groupe au sens de l’article 15 de la Charte puisque le niveau de revenu n’est pas une caractéristique attachée à la personne (voir Thibaudeau, supra, page 699).

[18] L’appel est donc rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de février 1998.

“Lucie Lamarre”

J.C.C.I.



[1]               Il est à noter que depuis cette décision, sont exclus les montants visés à l’alinéa 56(1)n) qui peuvent par ailleurs être considérés comme revenus de charge ou d’emploi ou d’entreprise (cf. L.C. 1986, chap. 6, art. 28(1) applicable aux sommes reçues après le 23 mai 1985).

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