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Date: 19980609

Dossier: 98-47-IT-I

ENTRE :

CHRISTIAN ROUX,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Guy Tremblay, C.C.I.

Point en litige

[1] Selon l’avis d’appel et la réponse à l’avis d’appel, il s’agit de savoir si l’appelant est bien fondé de réclamer, dans le calcul de son revenu de l’année d’imposition 1996, la somme de 6 089 $ versée à dame Denise Brosseau pour le bénéfice des trois enfants mineurs.

[2] L’intimée refuse la déduction parce que l’entente écrite, lors de procédure judiciaire, prévoyait que les sommes versées par l’appelant à dame Denise Brosseau n’étaient pas déductibles par lui ni imposables dans les mains de dame Denise Brosseau. L’appelant soutient qu’il s’agissait de paiements pour le bénéfice de ses trois enfants mineurs.

[3] L’intimée soutient qu’il n’y a pas eu entente à ce sujet. Pour que les sommes soient déductibles, il faut une entente écrite.

Fardeau de la preuve

[4] L'appelant a le fardeau de démontrer que la cotisation de l'intimée est mal fondée. Ce fardeau de la preuve découle de plusieurs décisions judiciaires dont un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l'affaire Johnston c. Le ministre du Revenu national[1].

[5] Dans le même jugement, la Cour a décidé que les faits assumés par l'intimé pour appuyer les cotisations ou nouvelles cotisations sont également présumés vrais jusqu'à preuve du contraire. Dans la présente cause, les faits présumés par l'intimée sont décrits aux alinéas a) à g) du paragraphe 8 de la réponse à l'avis d'appel. Ce paragraphe se lit comme suit :

8. Pour établir la nouvelle cotisation datée du 28 juillet 1997, le ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants :

a) l’appelant a convolé en justes noces avec madame Denise Brosseau le 8 août 1987, à Saint-Lambert, province de Québec; [admis]

b) de l’union de l’appelant et de dame Denise Brosseau sont issus trois enfants mineurs :

i) Geneviève, née le 24 mars 1990,

ii) Alexandra, née le 24 mars 1990,

iii) Charles-Olivier, né le 22 mars 1993; [admis]

c) l’appelant et dame Denise Brosseau ont cessé de faire vie commune depuis le 28 décembre 1995; [admis]

d) conformément à une convention sur mesures provisoires et accessoires datée du 25 septembre 1996, les parties ont convenu, entre autres, des mesures suivantes :

i) dame Denise Brosseau obtient la garde des trois enfants mineurs, [admis]

ii) l’appelant s’oblige à verser à dame Denise Brosseau une somme de 11 220 $ par année, au titre de contribution financière, payable par 24 versements égaux et consécutifs de 467,50 $, le quinzième et le trentième jour de chaque mois, [admis]

iii) la contribution financière sera payable à compter du 30 septembre 1996, et selon la volonté des parties les sommes versées par l’appelant ne seront pas déductibles par celui-ci, ni imposables dans les mains de dame Denise Brosseau; [admis]

e) une somme totale de 6 089 $ fut versée à dame Denise Brosseau par l’appelant pour le bénéfice des trois enfants mineurs, au cours de la période s’échelonnant du 7 janvier 1996 au 23 septembre 1996 selon les preuves de paiement soumises; [admis]

f) un jugement de divorce entre l’appelant et dame Denise Brosseau fut prononcé le 26 février 1997, par le juge Gilles Mercure, C.C.S.Q. de la Cour supérieure, dans lequel fut rendue exécutoire la convention sur mesures provisoires et accessoires datée du 25 septembre 1996; [admis]

g) les versements effectués par l’appelant à dame Denise Brosseau pour le bénéfice des enfants mineurs, à l’égard de la période s’échelonnant du 7 janvier 1996 au 23 septembre 1996, ne sont pas déductibles, au titre de pension alimentai-re ou autre allocation payable périodiquement parce que l’entente entre les parties, signée le 25 septembre 1996 ne le prévoyait pas. [nié]

Preuve des faits

[6] Suite aux admissions ci-dessus, l’appelant a déposé, sous la pièce A-1, 20 chèques faits à l’ordre de Denise Brosseau, s’échelonnant du 7 janvier 1996 au 24 mai 1996 et totalisant 6 089 $ :

1- le premier chèque du 7 janvier 1996 est de 50 $, sans autre mention;

2- celui du 14 janvier 1996 de 839 $ avec mention “ pension alimentaire (225 $) enfants & ajustements maison (614$) ”;

3- celui du 21 janvier 1996 de $300 $ avec mention “ pension (225 $) + électricité (exception) ”.

Les six autres chèques datés du 28 janvier 1996 au 2 mars 1996 sont tous de 150 $ avec mention “ pension alimentaire - enfants ” ou “ pension enfants ”. Les 11 autres chèques datés du 10 mars 1996 au 24 mai 1996 sont également tous de 150 $ mais ne portent pas de mention relative à la pension alimentaire.

[7] À l’endos des chèques, on peut lire la signature de Denise Brosseau. De plus, à partir du troisième chèque, on peut lire “ sans préjudice ”.

[8] L’appelant admet ne pas avoir eu un accord écrit tel que prévu aux dispositions 56(1)b) et 60.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) qui se lisent comme suit :

56(1)b) Pension alimentaire. — toute somme reçue dans l’année par le contribuable, en vertu d’un arrêt, d’une ordonnance ou d’un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d’un accord écrit, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, des enfants issus du mariage ou à la fois du bénéficiaire et des enfants issus du mariage, si le bénéficiaire vivait séparé en vertu d’un divorce, d’une séparation judiciaire ou d’un accord écrit de séparation du conjoint ou de l’ex-conjoint tenu de faire le paiement, à la date où le paiement a été reçu et durant le reste de l’année;

...

60.1(3) Paiements antérieurs. Aux fins du présent article et de l’article 60, lorsqu’un arrêt, une ordonnance ou un jugement d’un tribunal compétent ou un accord écrit, établi à une date quelconque d’une année d’imposition, prévoit que tout montant payé avant cette période et au cours de l’année en question ou de l’année d’imposition précédente doit être considéré comme ayant été payé et reçu en vertu de l’arrêt, de l’ordonnance, du jugement ou de l’accord les règles suivantes s’appliquent :

a) ce montant est réputé avoir été payé en vertu de l’arrêt, de l’ordonnance, du jugement ou de l’accord; et

b) le payeur est réputé avoir vécu séparé en vertu d’un divorce, d’une séparation judiciaire ou d’un accord écrit de séparation de son conjoint ou de son ex-conjoint, à la date où le paiement a été fait et durant le reste de l’année.

[9] L’appelant soutient que lorsqu’il a passé devant la Cour supérieure du Québec pour le jugement de divorce le 26 février 1997, il était représenté par avocat. Ce dernier lui avait promis que les montants payés antérieurement seraient déductibles, mais il n’a pas agi en conséquence.

[10] L’appelant s’est référé à deux décisions de la Cour d’appel du Québec : l’affaire Langis Bilodeau c. Sous-ministre du Revenu du Québec, jugement rendu en juin 1985, [1985] R.D.F.Q. 209-217, et l’affaire Sous-ministre du Revenu du Québec c. Louise Letarte, jugement rendu le 9 juin 1997, J.E. 97-1323, D.F.Q.E. 97F-79.

[11] Dans l’affaire Letarte, il s’agissait de savoir si la somme totale de 8 660 $ réclamée par la contribuable comme services rendus par une dame Caron l’a été à titre de frais de garde d’enfants. La somme de 4 000 $ avait été reconnue par Revenu Québec, le solde étant refusé parce que la dame Caron refusait d’émettre un reçu d’un montant supérieur. En plus de la garde d’enfants, en effet, elle rendait des services d’entretien ménager. Revenu Québec lui avait dit qu’elle n’avait pas d’affaire à émettre de reçu pour l’entretien ménager.

La preuve devant la Cour de première instance avait été que l’entretien ménager se faisait en même temps qu’elle gardait les enfants :

Devant la Cour du Québec, le Ministère s’est basé sur l’exigence de produire un reçu selon l’article 353 de la Loi sur les impôts (1) (la Loi) dont voici un extrait :

Art. 353. Un particulier peut déduire dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition l’ensemble de chaque montant payé dans l’année à titre de frais de garde d’enfants concernant un enfant admissible du particulier pour l’année, si ce montant est payé :

a) ...

b) ...

Toutefois, un particulier ne peut déduire un montant en vertu du premier alinéa que si la preuve du paiement de ce montant est faite par la production au ministre d’un ou de plusieurs reçus émis par le bénéficiaire du paiement et contenant, lorsque celui-ci est un particulier, le numéro d’assurance sociale de ce particulier. (m.a. 6-7)

... Retenant que la preuve de paiement était faite autrement qu’au moyen de reçus, il souligne qu’en l’espèce et pour la même année d’imposition, le Ministère a accepté comme preuve de paiement un chèque endossé à la place d’un reçu. Expressément, ce moyen alternatif de preuve est reconnu deux fois à la défense du Ministre :

13.- Par la cotisation du 15 juin 1990, l’intimé a pris pour avéré que :

a) ...

b) l’intimé a accepté une déduction supplémentaire de 206,00 $ puisque la preuve de paiement par chèque avec endossement équivaut à la production de reçus;

c) l’intimé a refusé la déduction additionnelle de 4 660,00 $ faute de preuve par reçus ou chèques endossés. (m.a. 94-95)

De plus, le juge relate ce qui suit :

Ajoutons que, à la fin de l’audition, le juge a demandé à madame Caron si elle accepterait alors de remettre un reçu de 4 660 $ à la requérante dans les circonstances, reconnaissant tout simplement avoir reçu cette somme sans avoir à la qualifier : Madame Caron a répondu oui. Aucune partie ne s’est empressée de la requérir : ce qui par ailleurs ne change rien à notre décision.

Ce qui est en cause ici c’est la portée de l’article 353. La question en litige est formulée comme suit au mémoire de l’appelant : Il s’agit de déterminer si l’intimée a droit, aux termes de la Loi sur les impôts (L.R.Q., c. I-3) à la déduction des sommes versées à Dame Carmelle Pelletier Caron, pour lesquelles aucun reçu n’a été émis, à titre de frais de garde d’enfants pour l’année d’imposition 1988. (m.a. 4)

Selon l’appelant [Revenu Québec], l’exigence du reçu est claire et n’admet aucune substitution. Il reconnaît toute sa valeur à l’arrêt de cette Cour Langis Bilodeau c. Sous-ministre du Revenu du Québec (2) mais affirme que, malgré cet arrêt, le reçu est nécessaire et rien d’autre, le législateur ayant imposé par cet article 353, un moyen de vérification simple dans le cas des frais de garde, le seul cas, mis à part certains travaux de construction, où ce type de reçu est exigé.

Je respecte le point de vue de l’appelant mais je ne le partage pas.

...

Les principes de l’arrêt Bilodeau sont toujours valables et supportent le rejet de cet appel. Dans cette affaire, Bilodeau, pharmacien, n’avait pas tenu comme l’exigeait la Loi et les règlements applicables, le registre d’ordonnances médicales et de renouvellements. Devant la Cour, en appel d’une contestation d’opposition rejetée, il avait soumis une preuve d’expertise comptable de même que son témoignage et celui de ses préposés. À la majorité, cette Cour a considéré que cette preuve était de nature à repousser la présomption de validité de la cotisation et qu’elle était convaincante. La juge L’Heureux-Dubé, alors de cette Cour, dissidente parce que la preuve offerte ne l’a pas convaincue, était néanmoins d’avis qu’en l’absence de tenue de livre conforme, le contribuable n’est pas privé de son droit d’opposer une défense valable à la cotisation. Je renvoie par ailleurs aux propos des juges Nichols et Vallerand sur la possibi-lité de faire une preuve en l’absence de pièces justificatives conformes aux exigences légales ou réglementaires.

La Cour a rejeté le pourvoi de Revenu Québec avec dépens.

[12] Cette Cour est d’avis que le problème soulevé ici est différent. La disposition 56(1)b) précitée a son correspondant dans la Loi de l’impôt du Québec, soit la disposition 312. Elle se lit comme suit :

312. Le contribuable doit aussi inclure :

a) un montant reçu en vertu d’une ordonnance ou d’un jugement d’un tribunal compétent ou en vertu d’une entente écrite, à titre d’aliments ou autre allocation payable périodiquement pour l’entretien du bénéficiaire, d’un enfant du bénéficiaire ou des deux à la fois, si le bénéficiaire est, en raison de l’échec de son mariage qui survient avant le 1er janvier 1993, séparé à la suite d’un divorce, d’une séparation judiciaire ou d’une entente écrite de séparation et vit séparé de son conjoint ou ex-conjoint tenu de faire ce paiement au moment où le paiement est reçu et durant le reste de l’année;

Il est est de même de la disposition 60.1(3) qui a comme correspondant l’article 336.4 qui se lit comme suit :

336.4 Aux fins du présent chapitre, lorsqu’une ordonnance ou un jugement d’un tribunal compétent ou une entente écrite intervient à un moment quelconque d’une année d’imposition et prévoit qu’un montant, payé avant ce moment dans l’année ou dans l’année d’imposition précédente, doit être considéré payé et reçu en vertu de l’ordonnance ou du jugement ou en vertu de l’entente écrite :

a) le montant est réputé avoir été payé en vertu de l’ordonnance ou du jugement ou en vertu de l’entente écrite; et

b) le particulier qui effectue le paiement est réputé avoir été séparé à la suite d’un divorce, d’une séparation judiciaire ou d’une entente écrite de séparation de son conjoint ou ex-conjoint à qui il est tenu de faire le paiement au moment où le paiement a été fait et durant le reste de l’année.

[13] Dans les deux Lois, une ordonnance, un jugement d’un tribunal compétent ou une entente écrite sont requis pour permettre la déduction d’une pension alimentaire versée.

[14] Les dispositions 60.1(3) et 336.4 ont été ajoutées par les législateurs dans le but de permettre que les versements effectués antérieurement puissent être admis en déduction mais toujours à condition qu’il y ait ordonnance, etc. à cet effet. C’est une condition sine qua non.

Conclusion

[15] L’appel est rejeté.

Signé à Québec (Québec) ce 9e jour de juin 1998.

“ Guy Tremblay ”

J.C.C.I.



[1][1948] R.C.S. 486, 3 DTC 1182, [1948] C.T.C. 195.

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