Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19980116

Dossier : 96-1345-UI

ENTRE :

TAMILLA SEREBRYANY,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

BORIS SEREBRYANY,

intervenant.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Le présent appel a été entendu à Toronto (Ontario), le 8 décembre 1997.

[2] L'appelante interjette appel du règlement par lequel le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a déterminé, le 9 mai 1996, que l'emploi qu'elle avait exercé chez Boris Serebryany, faisant affaire sous le nom de Dabor Fuels Management (également connue sous le nom de Rascal Gas Bar), le payeur, du 15 février au 8 juillet 1995, n'était pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (ci-après appelée la “ Loi ”). À l'appui du règlement, le ministre a fait valoir que l'emploi en question était exclu des emplois assurables parce que l'appelante et le payeur avaient entre eux un lien de dépendance et qu'ils n'étaient pas réputés ne pas avoir de lien de dépendance.

[3] Les faits établis révèlent que, pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelante était mariée avec Boris Serebryany. Donc, aux termes de l'article 3 de la Loi et du paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, en tant que personnes liées, ils sont en droit réputés avoir entre eux un lien de dépendance. Par conséquent, l'emploi en question est, sous réserve des motifs énoncés plus loin, considéré par la Loi comme un “ emploi exclu ”, c'est-à-dire qu'il n'est pas un emploi ouvrant droit au paiement de prestations d'assurance-chômage lorsqu'il prend fin. Dans le régime établi par la Loi, le législateur a prescrit que certains emplois étaient assurables et ouvraient droit au paiement de prestations lorsqu'ils prenaient fin, et que certains emplois étaient “ exclus ” et qu'ils n'ouvraient donc pas droit au paiement de prestations lorsqu'ils prenaient fin. Les emplois mettant en cause des personnes qui ont entre elles un lien de dépendance entrent dans la catégorie des “ emplois exclus ”. Les personnes mariées entre elles sont réputées avoir un lien de dépendance aux termes de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui prévoit cette situation. Très clairement, l'objectif de cette loi est d'éviter qu'une multitude de prestations soient versées sur la foi d'arrangements pouvant être factices ou fictifs entre des personnes qui ont un lien de dépendance.

[4] La sévérité de cette règle a cependant été atténuée par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, qui prévoit que l'emploi mettant en cause des personnes liées qui sont réputées ne pas avoir de lien de dépendance est traité comme un emploi assurable s'il satisfait à toutes les autres conditions, à savoir que le ministre est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances (dont celles qui sont énumérées au sous-alinéa en question) que les parties concernées auraient conclu un contrat à peu près semblable si elles n'avaient pas eu (en fait) entre elles un lien de dépendance. Il pourrait être utile de reformuler le sens que je donne à cette disposition. La Loi refuse les prestations aux personnes qui sont liées entre elles, à moins que le ministre soit convaincu que, dans les faits, le contrat de travail est identique à celui que des personnes non liées entre elles, c'est-à-dire des personnes qui, de toute évidence, n'ont pas de lien de dépendance, auraient conclu. S'il est question d'un contrat de travail à peu près semblable, le législateur a de toute évidence jugé juste qu'il soit visé par le régime. Cependant, le ministre est le gardien du régime. S'il n'est pas convaincu, la barrière reste fermée, l'emploi demeure exclu et l'employé n'est pas admissible à des prestations.

[5] L'article 61 de la Loi porte sur les appels et les règlements de questions par le ministre. Le paragraphe 61(6) prescrit que :

[...] le ministre doit, avec toute la diligence voulue, soit régler la question soulevée par la demande [...]

[6] Donc, le ministre n'a pas le pouvoir discrétionnaire de régler ou non la question, il est tenu en droit de la régler. S'il n'est pas convaincu, la barrière reste fermée et l'employé n'est pas admissible. Si, cependant, le ministre est convaincu, sans plus de cérémonies et sans autre action de sa part (autre qu'une notification de la décision), l'employé devient admissible à des prestations, en autant qu'il y soit par ailleurs admissible. Il ne s'agit pas d'un pouvoir discrétionnaire car, si le ministre est convaincu, il peut déterminer que l'emploi est réputé assurable. Il doit prendre une décision et, selon cette décision, l'emploi sera réputé mettre en cause des personnes ayant un lien de dépendance ou des personnes n'ayant pas de lien de dépendance. En ce sens, le ministre n'a pas de pouvoir discrétionnaire dans le véritable sens de l’expression car, pour rendre sa décision, il doit agir de façon quasi-judiciaire et il n'est pas libre d'agir à son gré. Les diverses décisions de la Cour d'appel fédérale sur cette question indiquent que le même critère s'applique à la myriade d'autres agents publics qui rendent des décisions quasi-judiciaires dans différents domaines : voir Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361, Procureur général du Canada et Jencan Ltd., C.A.F. A-599-96, et Sa Majesté la Reine et Bayside Drive-in Ltd., C.A.F. A-626-96.

[7] En appel, la fonction de la Cour est donc d'examiner la décision du ministre et de déterminer s'il y est arrivé légalement, à savoir conformément à la Loi et aux principes de justice naturelle. Dans l'affaire Bayside, précitée, la Cour d'appel fédérale a énoncé des questions que la Cour de l'impôt doit se poser lorsqu'elle entend les appels de cette nature. Elles sont les suivantes : (i) Le ministre a-t-il agi de mauvaise foi ou en s'appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié? (ii) Le ministre a-t-il omis de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, comme il est expressément tenu de le faire aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii)? (iii) Le ministre a-t-il tenu compte d'un facteur non pertinent? Dans sa décision, la Cour d'appel fédérale a déclaré ceci à la page 8 :

Ce n'est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l'on peut dire qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon contraire à la loi, et donc, que le juge de la Cour de l'impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre eux de lien de dépendance.

[8] Rien devant moi n'indique que le ministre a agi de mauvaise foi ou en s'appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié. À aucun endroit le ministre n'a-t-il tenu compte de faits non pertinents, ni n'a-t-il omis de prendre en considération tous les facteurs pertinents. Au nombre des autres éléments énoncés comme étant des faits sur lesquels le ministre a prétendu fonder sa décision, il y a la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli. D'un point de vue objectif, il pouvait raisonnablement conclure que les parties concernées n'auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre elles de lien de dépendance. Il est vrai qu'au cours de la présentation de la preuve, il a été établi que, lorsque l'appelante a commencé à travailler, le payeur ne prévoyait pas fermer l'entreprise à la fin du mois de juin. Le ministre a paru arriver à une hypothèse contraire. À part cela, il y avait devant lui amplement d'éléments de preuve sur la foi desquels il pouvait raisonnablement et légalement arriver au règlement auquel il est arrivé. Compte tenu de tous les témoignages que j'ai entendus, des admissions et de la preuve documentaire, je suis convaincu que l'appelante n'a pas réussi à démontrer le contraire et, donc, qu'elle ne s'est pas acquittée de la charge qui lui incombait en droit.

[9] L'appel est par conséquent rejeté et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Calgary (Alberta), ce 16e jour de janvier 1998.

« M. H. Porter »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 2e jour de juillet 1998.

Philippe Ducharme, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.