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Date: 19990705

Dossiers: 96-2006-IT-G; 96-2010-IT-G; 96-2013-IT-G

ENTRE :

ADOLF WOESSNER, HELENA WOESSNER, WOESSNER CONSTRUCTION COMPANY LTD.,

Appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

Intimée.

Motifs du jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance, interjetés sous le régime de la procédure générale, ont été entendus ensemble sur preuve commune à Calgary (Alberta) le 10 juin 1999. Les appelants ont appelé Ralph Woessner, le fils de Adolf et Helena, à témoigner, ainsi que Adolf Woessner. L'intimée n'a fait témoigner personne.

[2] La question est de savoir si, en 1986 et 1987, A. Woessner Construction Company Ltd. (la “ société ”) exploitait une entreprise de placement désignée au sens de l'alinéa 125(7)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu parce qu'elle avait pour but principal de tirer un revenu de biens et qu'elle n'était pas visée par les exceptions énoncées aux sous-alinéas 125(7)e)(i) et (ii), du fait :

que la corporation n'emploie dans l'entreprise tout au long de l'année plus de cinq employés à plein temps, ou

que, au cours de l'exploitation active de l'entreprise, toute autre corporation qui lui est associée ne [...] fournisse [à l'appelante] [...] des services [...] et que l'on puisse raisonnablement s'attendre à ce que [l'appelante] aurait besoin de plus de cinq employés à plein temps si ces services n'étaient pas fournis;

Compte tenu de la preuve, la seule question à trancher est celle de savoir si l'appelante employait plus de cinq employés pendant les années 1986 et 1987.

[3] Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits partiel (l'“ exposé des faits ”), reproduit ci-après :

[TRADUCTION]

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS PARTIEL

Aux fins des présents appels seulement et sans exclure la preuve de faits additionnels, les appelants et l'intimée dans les affaires susmentionnées conviennent des faits suivants :

A. Woessner Construction Company Ltd. (ci-après la “ société ”) est une personne morale enregistrée sous le régime des lois de l'Alberta, dont le siège social est à Calgary (Alberta);

L'exercice de la société prend fin le 30 novembre;

Au cours des années d'imposition 1986 et 1987, la société était propriétaire de biens de location à usage commercial et résidentiel dont les adresses et la description suivent :

1830-18A Rue S.-O., Calgary (Alberta); un immeuble d'habitation de 12 logements;

1005, avenue Cameron S.-O., Calgary (Alberta); un immeuble d'habitation de 20 logements;

1212-14e Avenue S.-O., Calgary (Alberta); un immeuble d'habitation de 30 logements;

d. 4202-17e Avenue S.-E., Calgary (Alberta); un immeuble à bureaux de 18 000 pieds carrés abritant aussi des commerces de détail;

e. 2525-16e Rue S.-E., Calgary (Alberta); un immeuble à bureaux pour l'industrie légère et entrepôt de 13 440 pieds carrés;

f. 2530, route Alyth S.-E., Calgary (Alberta); immeuble à bureaux pour l'industrie légère et entrepôt de 11 480 pieds carrés;

g. 3530-11A Rue N.-E., Calgary (Alberta); un immeuble à bureaux de 27 000 pieds carrés abritant un entrepôt;

h. 1904-13e Avenue Nord, Lethbridge (Alberta); un immeuble à bureaux en construction fermée de 28 000 pieds carrés abritant des commerces;

1820-14e Avenue N.-E., Calgary (Alberta); un complexe de 65 maisons en rangée.

La société a acheté le bien à usage commercial situé au 3530-11A Rue N.-E., Calgary (Alberta), dans l'année d'imposition 1987.

Au cours de l'année d'imposition 1986, la société a employé Ralph Woessner et a versé à ce dernier un revenu d'emploi total de 33 000 $.

Au cours de l'année d'imposition 1986, la société a employé Adolf Woessner et a versé à ce dernier un revenu d'emploi total de 29 340 $. Au cours de la même année d'imposition, Adolf Woessner a également été employé par Blue Horizon Properties Ltd. et Cedar Court Gardens Ltd., qui lui ont versé un revenu d'emploi de 18 656 $ et de 41 996 $ respectivement.

Au cours de l'année d'imposition 1986, la société a employé Helena Woessner et a versé à cette dernière un revenu d'emploi total de 29 341 $. Au cours de la même année d'imposition, Helena Woessner a aussi été employée par Blue Horizon Properties Ltd. et Cedar Court Gardens Ltd., qui lui ont versé un revenu d'emploi de 18 656 $ et de 41 996 $ respectivement.

Au cours de l'année d'imposition 1987, la société a employé Ralph Woessner et a versé à ce dernier un revenu d'emploi total de 36 000 $.

Au cours de l'année d'imposition 1987, la société a employé Adolf Woessner et a versé à ce dernier un revenu d'emploi total de 12 700,50 $. Au cours de la même année d'imposition, Adolf Woessner a aussi été employé par Blue Horizon Properties Ltd. et Cedar Court Gardens Ltd., qui lui ont versé un revenu d'emploi de 24 681 $ et de 42 652 $ respectivement.

Au cours de l'année d'imposition 1987, la société a employé Helena Woessner et a versé à cette dernière un revenu d'emploi total de 12 700,50 $. Au cours de la même année d'imposition, Helena Woessner a aussi été employée par Blue Horizon Properties Ltd. et Cedar Court Gardens Ltd., qui lui ont versé un revenu d'emploi de 24 681 $ et de 42 652 $ respectivement.

Tout au long de la période au cours de laquelle il a travaillé pour la société dans les années d'imposition 1986 et 1987, Ralph Woessner était chargé, notamment, des tâches suivantes :

effectuer la comptabilité générale;

effectuer l'achat de fournitures, d'équipement, de matériel et conclure des contrats de vente en gros et des contrats avec des entreprises spécialisées;

s'occuper de la gestion générale des biens, dont la négociation de baux, la publicité et la promotion, les analyses de marché, les réparations mineures et l'entretien, pour ce qui est des biens à usage commercial et résidentiel dont la société était propriétaire;

s'occuper des questions bancaires.

Tout au long de la période au cours de laquelle il a travaillé pour la société dans les années d'imposition 1986 et 1987, Adolf Woessner était chargé, notamment, des tâches suivantes :

planifier les activités de la société et diriger celle-ci;

effectuer l'analyse du marché et des investissements en vue de l'acquisition possible de propriétés;

superviser et gérer de façon générale les activités administratives et opérationnelles;

s'occuper de la construction et superviser l'attribution des contrats;

s'occuper des questions bancaires;

effectuer les réparations et l'entretien général.

Tout au long de la période au cours de laquelle elle a travaillé pour la société dans les années d'imposition 1986 et 1987, Helena Woessner était chargé, notamment, des tâches suivantes :

exécuter les tâches générales de secrétariat, notamment envoyer les comptes et recouvrer les comptes clients, dactylographier et classer tous les documents, préparer la documentation relative aux baux, rédiger la correspondance, traiter le courrier reçu et répondre au téléphone;

planifier les activités de la société et diriger celle-ci;

fournir des services de décoration intérieure et d'aménagement extérieur des biens dont la société était propriétaire.

Le 1er décembre 1987, Adolf Woessner a transféré 6 900 actions de catégorie A de la société à ses trois enfants pour une juste valeur marchande de 243 777 $, ce qui a donné lieu à un gain en capital de 199 962 $.

Le 20 juillet 1988, Adolf Woessner a produit une formule T2211, datée du 31 mai 1988, conformément au paragraphe 73(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu, en vue de reporter le gain en capital mentionné au paragraphe 14 ci-dessus.

Le 11 octobre 1989, le ministre du Revenu national (ci-après le “ ministre ”) a établi à l'égard d'Adolf Woessner une nouvelle cotisation dans laquelle il a refusé le report du gain en capital mentionné au paragraphe 14 ci-dessus, et inclus dans le revenu un gain en capital imposable de 99 981 $ pour l'année d'imposition 1987.

Dans un avis d'opposition daté du 7 novembre 1989, Adolf Woessner s'est opposé à la nouvelle cotisation mentionnée au paragraphe 16 ci-dessus.

Dans un avis de ratification daté du 29 février 1996, le ministre a ratifié la nouvelle cotisation mentionnée au paragraphe 16 ci-dessus pour le motif qu'il n'avait pas été démontré que les actions de la société transférées ainsi qu'il a été mentionné précédemment n'étaient pas des actions d'une “ entreprise de placement désignée ” au sens de l'alinéa 125(7)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Le 1er décembre 1987, Helena Woessner a transféré 6 900 actions de catégorie A de la société à ses trois enfants pour une juste valeur marchande de 243 777 $, ce qui a donné lieu à un gain en capital de 199 962 $.

Le 20 juillet 1988, Helena Woessner a produit une formule T2211 datée du 31 mai 1988, conformément au paragraphe 73(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu, en vue de reporter le gain en capital mentionné au paragraphe 19 ci-dessus.

Le 11 octobre 1989, le ministre a établi à l'égard de Helena Woessner une nouvelle cotisation dans laquelle il a refusé le report du gain en capital mentionné au paragraphe 19 ci-dessus, et inclus dans le revenu un gain en capital imposable de 99 981 $ pour l'année d'imposition 1987.

Dans un avis d'opposition daté du 7 novembre 1989, Helena Woessner s'est opposée à la nouvelle cotisation mentionnée au paragraphe 21 ci-dessus.

Dans un avis de ratification daté du 1er mars 1996, le ministre a ratifié la nouvelle cotisation mentionnée au paragraphe 21 ci-dessus pour le motif qu'il n'avait pas été démontré que les actions de la société transférées ainsi qu'il a été mentionné précédemment n'étaient pas des actions d'une “ entreprise de placement désignée ” au sens de l'alinéa 125(7)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

La société a demandé des déductions accordées aux petites entreprise de 21 000 $ et de 42 000 $ pour les années d'imposition 1986 et 1987 respectivement.

Le 24 novembre 1989, le ministre a établi à l'égard de la société une nouvelle cotisation dans laquelle il a refusé les déductions accordées aux petites entreprise, mentionnées au paragraphe 24 ci-dessus, pour le motif que la société exploitait une “ entreprise de placement désignée ” au sens de l'alinéa 125(7)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

La société s'est opposée à la nouvelle cotisation mentionnée au paragraphe 25 ci-dessus dans un avis d'opposition daté du 15 janvier 1990. Dans un avis de ratification daté du 29 février 1996, l'intimée a confirmé la nouvelle cotisation.

[4] Ralph a témoigné que Cedar Court Gardens Ltd. (“ Cedar Court ”) et Blue Horizon Properties Ltd. (“ Blue Horizon ”) avaient payé Adolf et Helena simplement en leur remettant chaque année des primes à même les sommes excédentaires et que ces salaires n'étaient pas basés sur le travail effectué. Ils étaient plutôt fonction de la situation financière. Les biens de Blue Horizon étaient tous situés à Vernon (Colombie-Britannique). Cedar Court était pour sa part propriétaire de 65 immeubles résidentiels à Calgary. Adolf et Helena détenaient chacun la moitié de la société et de Cedar Court. Adolf détenait 60 p. 100 de Blue Horizon et Helena et leurs trois enfants, 10 p. 100 chacun.

[5] À un moment donné au cours de son témoignage, Ralph a mentionné qu'il estimait que, en 1986 et 1987, ses parents avaient travaillé chaque semaine le nombre d'heures suivant :

Adolf Helena

La société 40 40

Cedar Court 15 15

Blue Horizon 15 15

Cette estimation concorde avec l'emplacement et la nature (usage commercial et résidentiel) des propriétés de la société. Ralph paraît avoir travaillé le même nombre d'heures par semaine (entre 60 et 70), pour la société principalement.

[6] Le bureau de la société était situé au domicile d'Adolf et de Helena. Cette dernière répondait au téléphone et exécutait les tâches décrites. La société trouvait elle-même ses locataires, rédigeait ses propres baux, effectuait elle-même les réparations, les rénovations et l'entretien, percevait les loyers et les arriérés. Les Woessner s'occupaient activement de l'exploitation de la société. Adolf paraît avoir dans les 60 ou les 70 ans et Ralph paraît être dans la trentaine avancée. Ralph a laissé son emploi en comptabilité dans une compagnie de téléphone nationale pour se joindre à la société en 1985, lorsque Adolf et Helena ont réalisé qu'ils ne suffisaient plus à la tâche. Adolf avait construit la plupart des propriétés décrites au paragraphe 3 de l'exposé des faits, et il en effectuait les réparations et les améliorations locatives lui-même. Ralph en a fait autant à compter du moment où il a été employé par la société. Ils effectuaient également les inspections périodiques et l'entretien des immeubles autres que les immeubles d'habitation. Si les gérants des immeubles d'habitation étaient dans l'impossibilité d'effectuer l'entretien et les réparations, Ralph et Adolf s'en occupaient. De façon générale, la société n'engageait que des poseurs de tapis et des peintres en bâtiments pour faire ce travail.

[7] Le taux de roulement annuel dans les immeubles d'habitation était de 100 p. 100. En 1986 et 1987, le taux d'appartements libres dans les immeubles d'habitation et de locaux libres dans les centres commerciaux linéaires de Calgary a atteint les 40 p. 100 et la concurrence sur le marché de la location était très féroce. Essentiellement, les immeubles à usage non résidentiel de la société à Calgary peuvent être décrits comme des centres commerciaux linéaires de différents types. L'immeuble situé à Lethbridge était un complexe abritant un centre commercial.

[8] Comme les trois Woessner participaient activement à l'exploitation de la société, et qu'il fallait qu'Adolph et Ralph se chargent des ventes, de l'administration et des réparations au quotidien et que quelqu'un bien informé comme Helena soit au bureau pour répondre au téléphone et pour effectuer le travail administratif courant tous les jours, la Cour conclut en fait que, au cours des années 1986 et 1987, Ralph, Adolf et Helena étaient des employés à plein temps de la société.

[9] La question qui reste à trancher est de savoir si la société employait en 1986 et 1987 plus de deux autres employés à plein temps. La réponse à cette question dépend de la nature de l'emploi qu'exerçaient les gérants des immeubles à usage résidentiel de la société.

[10] La société engageait comme gérant d'immeuble, pour chaque immeuble d'habitation, l'un des membres d'un même couple. Pour être engagé, le gérant ou la gérante devait :

être disponible 24 heures sur 24.

être une personne à tout faire.

être présentable.

Les gérants étaient payés approximativement 20 $ par mois pour chaque appartement de l'immeuble géré, ce qui correspondait au taux en vigueur à l'époque à Calgary. C'est le couple qui décidait qui, de l'homme ou de la femme, allait recevoir le feuillet T-4 et les chèques mensuels de la société.

[11] La société engageait un couple pour gérer chaque immeuble d'habitation de façon qu'il y ait toujours l'un des deux membres dans l'immeuble 24 heures sur 24, quand l'autre était occupé à autre chose. En 1986 et 1987, les personnes qui, pour chaque immeuble d'habitation, ont touché les chèques, ainsi que les périodes d'emploi et le salaire versé pour chaque année, sont les suivants :

1986

Nom Mois Payé

3.a) 1830-18A Rue S.-O. - 12 appartements

Sue Neault 12 mois 3 600 $

3.b) 1005, ave. Cameron S.-O. - 12 appartements

Daisy Lee 12 mois 3 180 $

3.c) 1212-14e Ave. S-.O. - 30 appartements

Doug Foster 1er janv. au 30 nov. 3 500,40 $

Teresa Paca 1er déc. au 31 déc. 416 $

D'après le témoignage de Ralph et la pièce A-1, onglets 2 et 6.

1987

Nom Mois Payé

3.a) 1830-18A Rue S.-O. - 12 appartements

Sue Neault Janvier 300 $

Gertrude McMahon 1er mars au 30 août 1 500 $

Jason Nicholas 1er sept. au 31 déc. 1 079 $

3.b) 1005, ave. Cameron S.-O. - 12 appartements

Daisy Lee 1er janv. au 30 juin 1 590 $

Dennis Folstrom 1er août au 21 sept. 779 $

April Molander 21 sept. au 15 nov. 808 $

Cam Shields 15 nov. au 31 déc. 708,25 $

3.c) 1212-14e Ave. S.-O. - 30 appartements

Teresa Paca 1er janv. au 30 juin 2 624,50 $

Avis Michalovsky 1er juillet au 31 déc. 3 445 $

3.i) 1820-14e Ave. N.-E. - 65 maisons en rangée

Audrey Atkinson 27 août au 31 déc. 1 300 $

D'après le témoignage de Ralph et la pièce A-1, onglets 3 et 6.

[12] Contrairement à la preuve qui a été produite dans l'affaire Ben Raedarc Holdings Limited et al v. The Queen, 98 DTC 1218, il n'y a en l'espèce aucune preuve qui indique l'horaire de travail normal des gérants d'immeubles dans la région de Calgary au cours des périodes en question. Rien n'indique non plus si les travailleurs ont travaillé la totalité ou la quasi-totalité des heures en question (voir page 1224). La preuve révèle plutôt que le taux de paie mensuel de 20 $ par appartement correspondait à la norme dans l'industrie, que les gérants faisaient le ménage et l'entretien, qu'ils faisaient visiter les appartements à des locataires potentiels, qu'ils étaient en disponibilité 24 heures sur 24 et qu'un plus grand nombre d'appartements dans un immeuble signifiait plus de travail pour un gérant.

[13] L'expression “ employés à plein temps ” (“ full-time employees ”) utilisée au sous-alinéa 125(7)e)(i) n'est pas définie dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Le terme “ plein temps ” (“ full-time ”) est utilisé comme adjectif. Le Canadian Oxford Dictionary définit le terme “ full-time ” — avec un trait d'union — (“ plein temps ”), dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

full-time (“ plein temps ”) adj., adv. & n.adj. occuper ou utiliser la totalité du temps de travail disponible (un emploi à plein temps). • adv. à plein temps (travailler à plein temps). • n. full time (“ plein temps ”) 1 durée normale totale du travail, etc. 2 fin d'un match de soccer, etc.

Les témoignages de Ralph et Adolf étaient clairs : la société n'avait pas l'intention de verser aux gérants un salaire minimum vital. Le montant de 20 $ par appartement venait arrondir le revenu de la plupart des gérants et permettait à ces derniers d'économiser pour acheter une maison. Aussi, des couples étaient engagés pour que, pendant que l'un s'affairait à autre chose, l'autre soit en disponibilité dans l'immeuble. En d'autres termes, gérer l'immeuble n'occupait ni n'utilisait la totalité du temps de travail dont disposait le gérant (ou le couple), à moins qu'un immeuble compte un très grand nombre d'appartements. L'immeuble le plus important de l'appelante comptait 30 appartements, et il était situé au 1212-14e Ave. S.-O.; le gérant était payé approximativement 600 $ par mois.

[14] Dans l'affaire The Queen v. Hughes & Co. Holdings Limited [1994] 2 C.T.C. 170, à la page 178, le juge Muldoon a fait la comparaison entre les termes “ full-time ” (temps plein) et “ part-time ” (temps partiel). Voici ce qu'il a dit :

Au cours de la période pertinente, M. Hughes travaillait de longues heures comme avocat; il est indéniable qu'il travaillait à plein temps, peut-être plus qu'à plein temps, en qualité d'avocat en exercice. Les autres services qu'il rendait à la contribuable n'étaient pas des services semblables à ceux qu'une personne rend dans le cadre d'un emploi à plein temps, que ce soit en termes de temps consacré ou de rémunération reçue.

La demanderesse cite également la définition de l'expression “full time” (“temps plein”) qui figure dans trois autres dictionnaires importants :

[TRADUCTION]

The Oxford English Dictionary, 2e édition 1989, Clarendon :

full time (temps plein) : le nombre total d'heures habituellement consacrées au travail chaque jour ou chaque semaine, etc. Principalement attribut (avec un trait d'union) et locution adverbiale, notamment au sens d'une personne qui consacre tout son temps à un type d'activités à l'exclusion des autres activités.

Webster's Ninth New Collegiate Dictionary :

full time (temps plein) : employé ou exercé pendant la totalité du temps (--employé) (--travail)

temps plein : nombre d'heures considéré comme la durée normale de travail pendant une période déterminée.

Dictionary of Canadian Law, Dukelow & Nurse, Carswell :

FULL TIME BASIS (À PLEIN TEMPS) : dans le cas d'un employé appartenant à une catégorie donnée, l'expression désigne un employé engagé pour travailler tout au long de l'année pendant la totalité ou la quasi-totalité des heures de travail normalement prévues pour les personnes appartenant à cette catégorie.

FULL TIME EMPLOYEE (EMPLOYÉ À PLEIN TEMPS) : employé dont la semaine régulière de travail dépasse trente heures.

FULL TIME EMPLOYMENT (EMPLOI À PLEIN TEMPS) : 1. Emploi qui nécessite un service continu à une fonction ou à un poste et dans le cadre duquel l'employé est normalement tenu de travailler le nombre minimal d'heures prescrit par la personne autorisée à fixer ce nombre. 2. * * * [fonction publique] * * *.

De l'avis de la Cour, l'emploi que M. Hughes a exercé auprès de la contribuable n'était pas un emploi à plein temps au sens indiqué dans les sources fort valables qui sont citées plus haut. Le sens que la défenderesse veut donner à l'expression “temps plein” correspond davantage au sens des mots “temps partiel”. Dans leur ouvrage précité, Dukelow & Nuse expliquent le sens de l'expression “employé à temps partiel” :

[TRADUCTION] 1. Personne employée pour des heures irrégulières de travail ou pour certaines périodes intermittentes au cours d'une journée, d'une semaine, d'un mois ou d'une année et dont les services ne sont pas requis pour le jour, la semaine, le mois ou l'année normal de travail, selon le cas. 2. Personne employée sur une base régulière pour travailler un nombre inférieur au nombre total d'heures de travail de chaque journée de travail ou un nombre inférieur au nombre total de jours de travail réguliers de chaque mois.

Cette description correspond parfaitement à l'emploi que M. Hughes a exercé auprès de la défenderesse. Il a travaillé “à des heures irrégulières” et ses services n'étaient pas requis pour le jour, la semaine, le mois ou l'année normal de travail; il était employé sur une base régulière pour travailler un nombre inférieur aux heures régulières de travail de chaque jour de travail, dans la mesure où il a rendu des services chaque jour. Le Parlement a utilisé l'expression “employé à plein temps” dans le sens habituel de ces mots.

[15] C'est le cas en l'espèce. Les gérants travaillaient des heures irrégulières. Leurs services n'étaient pas requis pour le jour, la semaine ou le mois normal de travail. Ils étaient employés sur une base régulière pour travailler un nombre inférieur aux heures de travail comprises dans une journée de travail. Les conjoints des gérants pouvaient travailler et travaillaient effectivement à l'occasion ou fréquemment. Si on exclut le fait qu'ils devaient être en disponibilité, les gérants pouvaient certains jours n'avoir rien à faire. Ils n'étaient peut-être même pas des employés puisque, dans certains cas, leurs conjoints effectuaient le travail, étaient payés pour le travail effectué et recevaient les feuillets T-4 à des fins d'impôt sur le revenu. Cependant, cette question n'a pas été soulevée dans les hypothèses énoncées dans la réponse modifiée à l'avis d'appel de la société. Il y était cependant expressément nié que la société employait plus de cinq employés à plein temps en 1986 ou 1987.

[16] Pour les motifs qui précèdent, la Cour conclut que les gérants des immeubles d'habitation n'étaient pas des employés à plein temps de la société en 1986 et 1987. La société n'avait pas plus de cinq employés à plein temps en 1986 ou en 1987.

[17] Les appels sont rejetés.

[18] L'intimée a droit aux frais entre parties dans chaque appel, mais un seul mémoire de frais est accordé pour l'audition elle-même.

Signé à Vancouver, Canada, ce 5e jour de juillet 1999.

“ D. W. Beaubier ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de mai 2000.

Benoît Charron, réviseur

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