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Date: 19981229

Dossier: 96-4034-IT-G; 96-4035-IT-G

ENTRE :

JACOB ERLICH, 649476 ONTARIO LIMITED,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Jacob Erlich (“ M. Erlich ”) et 649476 Ontario Limited (la “ société ”) interjettent appel contre des cotisations d'impôt pour leurs années d'imposition 1992 et 1993; de plus, la société en appelle de la cotisation pour son année d'imposition 1994. Par consentement des parties, ces appels ont été entendus ensemble sur preuve commune.

[2] Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi à l'égard de M. Erlich une cotisation fondée sur l'avoir net pour les années 1992 et 1993. Cette cotisation révélait un écart entre le revenu déclaré par M. Erlich et l'avoir net de ce dernier selon les calculs du ministre. Plus précisément, dans sa déclaration de revenus pour ces deux années-là, M. Erlich n'a pas indiqué comme avantage conféré à un actionnaire ou comme autre revenu tiré de la société les montants de 400 932 $ et de 38 701 $ respectivement.

[3] En établissant cette cotisation à l'égard de M. Erlich, le ministre s'est fondé notamment sur les hypothèses suivantes :

[TRADUCTION]

a)                    durant toute la période pertinente, l'appelant était à la fois actionnaire et employé de la société;

b)                    dans une série d'opérations effectuées en avril 1992, la somme totale de 366 950 $ a été déposée dans la société et portée au crédit du compte de l'actionnaire de l'appelant;

c)                    l'explication de l'appelant quant à la source des fonds déposés dans la société n'est pas étayée par la preuve disponible;

d)                    la société a déclaré au ministre pour les années 1988 à 1991 des chiffres des ventes minorés de 378 044 $;

e)                    l'appelant a détruit les bandes de caisse enregistreuse et les documents relatifs aux ventes de la société qui auraient fait état des ventes de la société antérieures à 1992;

f)                     les fonds déposés par l'appelant dans la société en avril 1992 correspondent au montant des ventes de la société qui n'ont pas été déclarées pour les années 1988 à 1991, montant que l'appelant s'était approprié;

g)                    l'appelant s'était précédemment, soit durant les années d'imposition 1981 à 1985, approprié le montant des ventes non déclarées d'une compagnie absorbée, fonds qu'il avait en partie déposé au crédit du compte de l'actionnaire qu'il avait dans la compagnie absorbée;

h)                    les appropriations de ventes faites par l'appelant représentent une partie importante de l'écart entre le revenu déclaré et l'avoir net mentionné au paragraphe 5 ci-dessus;

i)                      le reste de l'écart est attribuable aux éléments suivants inclus dans l'avoir net de l'appelant :

(i) des frais pour droit d'usage et un avantage relatifs à l’utilisation par l'appelant d'une automobile appartenant à la société, éléments prévus aux alinéas 6(1)a), 6(1)e) et 6(1)k) et au paragraphe 6(2.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”);

(ii)                  des frais personnels ou de subsistance de l'appelant et de membres de sa famille payés par la société;

(iii)                 des revenus de la société que l'appelant s'est appropriés dans les années d'imposition 1992 et 1993 et qui ont été portés au crédit de son compte de l'actionnaire en 1993;

j) tout au long des années d'imposition 1992 et 1993, la société mettait à la disposition de l'appelant deux véhicules d'un coût total de 13 226 $ pour les deux, véhicules à l’égard desquels des frais raisonnables pour droit d'usage seraient de 3 174 $ pour chacune de ses années;

k) la société a payé tous les frais de fonctionnement engagés relativement à l'utilisation par l'appelant des véhicules fournis par la société;

1) un avantage a été conféré à l'appelant par la société en ce qui concerne les frais de fonctionnement des véhicules fournis à l'appelant par la société dans la mesure où ces frais se rapportaient à l’utilisation personnelle des véhicules par l'appelant en 1992 et en 1993, lequel avantage représentait 1 587 $ pour chacune de ces années;

m)                   la société a payé des frais personnels engagés par l'appelant, par Susan Lynch, par Roma Erlich et par Chana Erlich, et s’élevant à 5 471,86 $ pour 1992 et à 16 950,40 $ pour 1993;

n)                    à l'époque où la société a payé les frais personnels engagés par Susan Lynch et par Roma et Chana Erlich, Susan Lynch était la conjointe de l'appelant, Roma Erlich était la soeur de l'appelant et Chana Erlich était la mère de l'appelant;

o) les sommes payées par la société au titre de frais personnels engagés par l'appelant, par Susan Lynch, par Roma Erlich et par Chana Erlich représentaient un avantage conféré à l'appelant par la société;

p) en tant qu'actionnaire, l'appelant s'est vu conférer par la société un avantage d'un montant de 400 932 $ pour l'année d'imposition 1992 et d'un montant de 38 701 $ pour l'année d'imposition 1993;

q)                    dans ses déclarations de revenus pour les années d'imposition en question l'appelant n'a pas indiqué ou inclus dans son revenu quelque somme que ce soit relative aux avantages mentionnés aux présentes;

r)                     subsidiairement, il est allégué que c'est en tant qu'employé que l'appelant s'est vu conférer par la société un avantage de 400 932 $ pour l'année d'imposition 1992 et de 38 701 $ pour l'année d'imposition 1993.

[4] Dans la nouvelle cotisation qu'il a établie à l'égard de la société pour l'année d'imposition 1992, le ministre a ajouté au revenu de la société le montant de 390 699 $ comme revenu non déclaré provenant d'une entreprise et il a refusé les déductions de 660 $ relativement à certains droits d'adhésion à un club et de 5 472 $[1] relativement aux frais personnels de M. Erlich

[5] Dans la nouvelle cotisation qu'il a établie à l'égard de la société pour l'année d'imposition 1993, le ministre a ajouté au revenu de la société le montant de 16 990 $ comme revenu non déclaré provenant d'une entreprise, a réduit la déduction pour amortissement d'un montant correspondant à l'excédent et a refusé à la société les déductions de 390 $[2] relativement à des frais d'adhésion à un club, de 16 950 $ relativement à des frais personnels de M. Erlich, et de 3 500 $ relativement à une dépense en capital. Le ministre a en outre augmenté de 5 172 $ le coût de ventes de manière à corriger une erreur comptable.

[6] Dans la nouvelle cotisation qu'il a établie à l'égard de la société pour l'année d'imposition 1994, le ministre lui a refusé la déduction d’une prétendue perte autre qu'en capital de 68 587 $ subie en 1991[3].

[7] En établissant ces cotisations à l'égard de la société, le ministre s’est fondé notamment sur les hypothèses suivantes :

[TRADUCTION]

a) dans une série d'opérations effectuées en avril 1992, la somme totale de 366 950 $ a été déposée dans le compte de l'actionnaire de M. Erlich;

b) l'explication de M. Erlich quant à la source des fonds ainsi déposés n'est pas étayée par la preuve disponible;

c) l’appelante a déclaré au ministre pour les années d'imposition 1988 à 1991 des chiffres des ventes minorés de 378 044 $;

d) M. Erlich a détruit les bandes de caisse enregistreuse et les documents relatifs aux ventes de l'appelante qui auraient fait état des ventes effectives de l'appelante antérieures à 1992;

e) les fonds déposés et portés au crédit du compte de l'actionnaire de M. Erlich en avril 1992 correspondent au montant des ventes de l’appelante qui n'ont pas été déclarées, montant que M. Erlich s'était approprié;

f)                     M. Erlich s'était précédemment approprié le montant des ventes non déclarées d'une compagnie absorbée et avait déposé une partie de ces fonds au crédit du compte de l'actionnaire qu'il avait dans la compagnie absorbée;

g) une partie des fonds déposés dans le compte de l'actionnaire de M. Erlich en juin 1993 représente également des ventes non déclarées de l'appelante;

h) l'appelante a payé certains frais personnels ou de subsistance engagés par M. Erlich, par sa conjointe, Susan Lynch, et par sa mère et sa soeur, Chana et Roma Erlich, en 1992 et en 1993, frais dont une partie n’a pas été déduite du compte d'actionnaire portant le nom du particulier concerné, cette partie constituant plutôt des frais imputés sur le compte général de la compagnie et déclarés comme dépenses engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise;

i) l'appelante a payé sur son compte de frais généraux les droits d'adhésion au club de santé de M. Erlich pour 1992 et 1993, et lesdits frais ont été assimilés par l'appelante, aux fins de l'impôt sur le revenu, à des dépenses engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise;

j) le coût des ventes de l'appelante pour 1993 a été déclaré en moins, ayant en effet été minoré de 5 172,06 $, et ce, en raison d'un crédit reporté à tort par l'appelante sur le poste du coût des marchandises vendues;

k) le coût du terrain et du bâtiment au 726, rue Queen, Kincardine (Ontario) était de 68 974 $ et de 188 233 $ respectivement et non de 30 000 $ et de 227 197 $ comme l'avait déclaré l'appelante pour l'année d'imposition 1993;

1) une somme passée en charges par l'appelante à l'égard de l'achat de nouvelles enseignes représentait l'acquisition d'un bien en immobilisation (de la catégorie 8);

m) en ce qui concerne l'année d'imposition 1994, il n'y a eu en 1991 aucune “ perte autre qu'une perte en capital ” au sens de la définition figurant au paragraphe 111(8) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) que l'appelante pouvait reporter de façon prospective et déduire de son revenu imposable pour 1994;

n) dans ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1992 et 1993, l'appelante n'a pas indiqué ou inclus dans son revenu quelque somme que ce soit au titre du revenu d'entreprise mentionné aux présentes.

[8] Les principales questions à trancher sont les suivantes :

dans le cas de M. Erlich, celle de savoir s'il a reçu de la société, en tant qu'actionnaire ou, encore, en tant qu'employé, un avantage de 400 932 $ dans l'année d'imposition 1992 et de 38 701 $ dans l'année d'imposition 1993;

dans le cas de la société, celle de savoir si le montant de 390 699 $ pour l'année d'imposition 1992 et le montant de 16 990 $ pour l'année d'imposition 1993 représentent son revenu non déclaré.

[9] Le père de M. Erlich avait exploité une entreprise d’habillement à divers endroits en Ontario pendant un certain nombre d'années avant 1972. Cette année-là, M. Erlich, par suite de la maladie de son père, a pris en main toutes les affaires commerciales de son père. À l'automne 1973, il a ouvert le magasin de Hanover et a eu depuis lors [TRADUCTION] “ de nombreux magasins différents dans des petites villes du sud-ouest de l'Ontario, soit jusqu’à 12, 13 ou 14 magasins à un moment donné ”. Durant toute la période pertinente, M. Erlich était le président et le seul actionnaire de la société. La société et les compagnies qui l’ont précédée exploitaient une entreprise de vente de vêtements et de chaussures au détail et faisaient en outre la location de propriétés commerciales et résidentielles. Pendant les années d'imposition en cause, l'entreprise d’habillement de la société était surtout exploitée à Kincardine et à Hanover.

[10] En 1994, la Direction des enquêtes spéciales de Revenu Canada (la “ Direction des enquêtes spéciales ”) a reçu des renseignements selon lesquels certains revenus de la société n'avaient pas été déclarés. Ce dossier a été confié à la Division de la vérification, qui l’a assigné à John Douglas Bain (“ M. Bain ”). En septembre 1994, M. Bain s'est entretenu avec Barry Reid, qui était alors le comptable des appelants, et a examiné la manière dont les états financiers et les déclarations de revenus de la société pour 1992 et 1993 avaient été établis. Il a ensuite rencontré M. Erlich au magasin de Kincardine et, après une brève discussion, a entrepris sa vérification. Il a passé environ une semaine à examiner les livres et documents disponibles de la société, semaine durant laquelle il a découvert qu'il n'y avait aucune pièce justificative concernant les revenus et les dépenses pour l'année d'imposition 1991. Pour 1992, [TRADUCTION] “ il y avait une boîte de documents contenant des factures correspondant aux dépenses ”, mais, a-t-il dit, “ il n'y avait aucune bande de caisse enregistreuse ou autre chose de cette nature qui aurait permis de vérifier quoi que ce soit d'autre ”. En ce qui concerne l'année d'imposition 1993, certains documents, dont trois grands livres généraux, ont été fournis, mais son examen a révélé que [TRADUCTION] “ du côté des revenus, il n'y avait rien à examiner; je ne pouvais vérifier les ventes ”. Des factures correspondant aux dépenses étaient disponibles, mais les bandes de caisse enregistreuse avaient été détruites, et aucun registre de stocks pour l'une quelconque de ces années-là n’a pu être retrouvé. M. Bain a donc demandé aux appelants plus d'information et de documentation mais n'en a reçu que très peu, incomplètes d’ailleurs.

[11] M. Bain avait à sa disposition, outre les documents obtenus de la société et de M. Erlich, une copie de trois pages de renseignements issus de l’ordinateur (les “ comptes des ventes ”) qui en avaient été communiqués à la Direction des enquêtes spéciales par John Michael O'Malley (“ M. O'Malley ”), un ancien employé de la société[4]. D'après M. O'Malley, M. Erlich était la source de ce document, et l'information qu’il contenait concernait les ventes hebdomadaires des magasins de Kincardine et de Hanover pour la période allant de 1987 à 1992. Subséquemment, au cours de sa vérification, M. Bain a comparé les ventes consignées dans ces documents avec celles indiquées dans les états financiers. Son analyse l'avait amené à conclure que les chiffres des ventes déclarés par la société pour les années 1988 à 1991 avaient été minorés de 378 044 $.

[12] Comme il n'y avait aucun document permettant de vérifier les ventes et que quelqu'un avait dit qu’il y avait eu des ventes que la société n'avait pas déclarées et qu’on en retirait de l’argent, M. Bain a procédé à une vérification de l'avoir net de l'actionnaire, M. Erlich, pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993. La vérification a révélé un écart de plus de 400 000 $. Étaient inclus dans les calculs de l'avoir net d'importants prêts de l'actionnaire à rembourser par la société à M. Erlich. M. Bain avait notamment remarqué que la somme de 366 950 $ avait été déposée dans la société par M. Erlich en avril 1992 et que cette somme avait été portée au crédit du compte de l'actionnaire de M. Erlich.

[13] Une fois la vérification terminée, en mars 1995, M. Bain a téléphoné à M. Erlich et l'a informé des écarts constatés. M. Erlich [TRADUCTION] “ voulait qu'une lettre concernant l'avoir net lui soit envoyée ”, et M. Bain lui a expédié un projet de lettre pour qu'il l'examine. M. Bain n'a reçu aucune réponse. Ultérieurement, des observations ont été présentées pour les deux appelants par leurs avocats, observations basées en partie sur l'assertion que la mère de M. Erlich avait trouvé la somme de 366 950 $ dans deux boîtes dans une garde-robe de sa résidence et que cet argent a été remis à M. Erlich en 1989. M. Erlich a fait valoir que telle était la source des fonds qu'il avait déposés dans la société en avril 1992.

[14] Par suite de ces observations, M. Bain a examiné toute l'information contenue dans les déclarations de revenus personnelles des parents de M. Erlich, prénommés Chana et Leon, pour la période allant de 1972 à 1986[5]. L'examen de l'information disponible avait amené M. Bain à conclure qu'ils ne semblaient pas avoir une [TRADUCTION] “ source dont aurait pu provenir une somme d'argent aussi importante ”.

[15] Des éléments de preuve ont également été présentés pour l'intimée par M. O'Malley. Ce dernier a pour la première fois rencontré M. Erlich lorsque celui-ci l’a embauché comme consultant pour la société relativement à une promotion des ventes. Peu après, soit au cours de l'été 1992, M. O’Malley a été engagé pour gérer les magasins de Kincardine et de Hanover. La relation a cependant vite tourné au vinaigre et, le 5 novembre 1993, on a mis fin à son emploi[6].

[16] Peu après qu'il eut été engagé, les deux magasins ont fermé, le vieux stock a été liquidé, et les locaux ont été remis à neuf. Vers le début de 1993, les magasins ont rouvert sous un nouveau nom : Brands Central. Le pouvoir de signer les chèques a été conféré à M. O’Malley, mais il s’agissait de chèques tirés non pas sur le compte de la société dans lequel le produit des ventes était déposé, mais plutôt sur un compte distinct qui avait été ouvert et dans lequel M. Erlich déposait tous les fonds nécessaires pour payer les dépenses courantes de l'entreprise. M. O'Malley devait gérer les magasins mais ne participait pas à la gestion financière de la société, n'avait pas accès au principal compte bancaire de la société, n'était pas responsable des livres et registres de la société et ne participait pas à l'établissement des états financiers de la société. M. O'Malley soutenait qu'il n’avait pas de rapports directs avec le comptable, M. Barry Reid, mis à part le fait qu'il répondait occasionnellement à des demandes téléphoniques de renseignements particuliers. D'autres renseignements concernant par exemple les ventes, les comptes fournisseurs, la paye et les rapprochements de comptes étaient donnés à M. Erlich, qui — du moins c'est ce que croyait M. O'Malley — les transmettait au comptable.

[17] M. O'Malley a décrit les comptes des ventes fournis à la Direction des enquêtes spéciales comme faisant [TRADUCTION] “ l'historique des ventes de son magasin pour la période de 1987 à 1992, année où je me suis joint à lui ”[7]. M. Erlich avait donné ces documents à M. O'Malley pour que ce dernier puisse établir un plan de ventes annuel. M. O'Malley a témoigné que les comptes des ventes étaient utilisés dans leurs discussions quant au moment où les soldes et les promotions devaient avoir lieu et servaient de fondement aux prévisions relatives aux ventes. Certaines notes figurant sur la première page sont de la main de M. O'Malley, tandis que d'autres sont de M. Erlich. En ce qui a trait particulièrement à la colonne “ 93 ”, les chiffres manuscrits y avaient été portés par M. O'Malley et représentaient les ventes effectives qu’il consignait à la fin de chaque semaine pour fins de comparaison avec la période correspondante des années antérieures.

[18] D'après M. O'Malley, tous les documents précédents de M. Erlich, [TRADUCTION] “ tous les registres de l'entreprise, toutes les boîtes de bandes de caisse enregistreuse, les grands livres, tout ” était remisé au sous-sol du magasin de Kincardine. Durant la rénovation des locaux, en janvier et février 1993, on a eu besoin de cet espace, et M. Erlich avait dit qu'il apporterait ces documents chez lui. M. O'Malley a témoigné qu'il avait aidé à les charger dans la voiture de M. Erlich mais a dit qu'à part cela il ne savait pas personnellement ce qui était arrivé aux documents par la suite.

[19] Des éléments de preuve ont également été présentés pour l'intimée par David Wesley Glazer (“ M. Glazer ”), qui avait effectué une vérification pour Revenu Canada au sujet des années d'imposition 1981 à 1985 des deux appelants[8]. Cette vérification avait commencé par une analyse détaillée de la croissance des prêts de l'actionnaire à la société et a mené à une vérification de l'avoir net de M. Erlich. L'importante augmentation du solde du compte de l'actionnaire avait initialement été expliquée par M. Erlich comme correspondant à des “ prêts de ses parents ”. M. Glazer a continué sa vérification mais n'a rien trouvé qui étayait l’assertion de M. Erlich. M. Erlich avait également dit à M. Glazer qu'il lui avait fallu injecter l'argent pour que ses sociétés ne coulent pas financièrement. Toutefois, l'analyse des livres et registres de la société effectuée par M. Glazer a révélé un nombre important d'inscriptions incorrectes et, comme l’a fait remarquer M. Glazer, le problème c'était que ces fonds ne provenaient pas de M. Erlich, mais étaient plutôt le produit de ventes de la société et auraient dû être consignés comme tels et non portés au crédit du compte de l'actionnaire. [TRADUCTION] “ Donc, c'était vraiment des ventes sous-évaluées et des prêts de l'actionnaire surévalués ”. Des redressements ont été proposés par Revenu Canada à l'égard d'un certain nombre de ces éléments et M. Erlich et la société les ont acceptés.

Preuve présentée pour les appelants

[20] L'appelant Erlich concède qu'il a déposé dans la société des sommes d'argent totalisant 366 950 $, mais il dit que ces fonds provenaient de sa mère. Plus précisément, il dit que, lors d'une réunion familiale en 1989 sa mère a révélé qu'elle avait trouvé deux boîtes contenant en tout 366 950 $ en monnaie canadienne. D'après M. Erlich, sa mère n'avait aucune idée de la source de cet argent. L’argent a été remis à M. Erlich, qui l’a gardé chez lui, caché à divers endroits, jusqu'en 1992 à peu près, quand il a été déposé à la banque (de façon plutôt graduelle), puis transféré à la société.

[21] Lorsque son avocat lui a demandé de répondre à l'hypothèse du ministre selon laquelle la source de ces fonds était la société, il a dit :

[TRADUCTION]

Je le nie catégoriquement. À mon avis, les systèmes dont j'ai laborieusement essayé de montrer qu'ils étaient en place indiquent très clairement que tout était vérifié verticalement et horizontalement, et je ne sais pas comment cela aurait pu arriver. Je crois en outre que le rapport utilisé ici pour donner les chiffres plus élevés fait état de chiffres hybrides composés des ventes brutes et des ventes nettes et qu'il y a des chiffres incorrects qui ont été introduits dans le système[9].

Concernant les comptes des ventes, M. Erlich soutient que ce n'est pas lui qui a établi ces documents et laisse entendre que la personne responsable était M. O'Malley ou son fils, Robert. Il a dit également que l'information contenue dans les comptes des ventes était [TRADUCTION] “ absolument ” inexacte en ce qu'elle [TRADUCTION] “ ne correspondait pas à l'information qu'on avait fourni aux comptables ”[10]. D'après M. Erlich, les états financiers de la société ont été établis par les comptables en fonction de cette information et reflétaient fidèlement la situation financière de la société et, plus particulièrement, ses ventes et ses dépenses effectives pour les années 1986 à 1993. Il en était ainsi, disait-il, parce que, en 1984, un programme a été mis au point qui lui permettait de contrôler les stocks et de mesurer les ventes brutes, les ventes nettes, le coût des marchandises vendues et [TRADUCTION] “ plusieurs éléments semblables qui sont d'importants outils pour la vente au détail et qui m'aideront à mesurer la performance actuelle et, partant, la performance future ou potentielle ”. Il a exposé en détail la manière dont les registres de l'entreprise étaient tenus et a dit :

[TRADUCTION]

Malgré la lourdeur du système que j'avais, c’est-à-dire le système mécanique et le peu d’informatique que nous avions, nous tenions des comptes aussi exacts qu'il était humainement possible de le faire; ils comportaient des renvois et des rappels et étaient contre-vérifiés, de manière à pouvoir établir ces chiffres des ventes figurant en haut. Donc, tout devait balancer veticalement et horizontalement et résister à une vérification et contre-vérification.

Il affirme que, durant toute la période pertinente, les livres de la société étaient tenus de cette manière et que toute l'information nécessaire était régulièrement transmise aux comptables par lui.

[22] M. Erlich a témoigné que les registres pour l’année courante, clairement étiquetés et marqués, étaient gardés dans un classeur, tandis que ceux d'exercices antérieurs étaient conservés dans un endroit réservé à cette fin au magasin de Kincardine. En ce qui a trait aux documents manquants, M. Erlich a dit qu’il croyait que les registres pour les années d'imposition en cause avaient été détruits, mais n'avait aucune idée comment cela s'était produit, si ce n'est qu'il s'était fait dire qu'ils avaient été détruits par plusieurs personnes, et que, pour autant qu'il s'en souvienne, ils avaient été détruits durant la période où M. O'Malley était employé comme gérant.

[23] Il avait été mis fin en novembre 1993 à l'arrangement conclu avec M. O'Malley parce que, selon M. Erlich, à certains égards ce dernier n'avait pas un bon rendement. M. Erlich prétendait en effet que les ventes avaient diminué et que, bien qu'ayant demandé à maintes reprises à M. O'Malley d'assurer une tenue des livres appropriée, il était insatisfait des progrès réalisés. À l'automne 1993, lorsque M. Erlich a congédié M. O'Malley, ils étaient en très mauvais termes. M. O'Malley a poursuivi la société et M. Erlich pour renvoi injustifié. Les services d'avocats ont été retenus, de nouvelles poursuites ont été engagées de part et d’autre, et plusieurs années se sont écoulées avant que les questions ne se règlent.

Le témoignage de M. Glazer

[24] L'avocat des appelants s'est opposé à la présentation d'une preuve relative à une vérification précédente effectuée par M. Glazer, pour le motif qu'il s'agissait d'une preuve de faits similaires et que cette preuve était, dans le contexte de l'espèce, irrecevable. Le point de vue avancé était que, logiquement, les faits similaires en question n'étaient pas pertinents pour trancher la question litigieuse dans les présents appels et qu'il n'y avait non plus aucun lien important entre les actes des appelants durant la période ayant fait l'objet de la vérification précédente et les circonstances dont il s’agit en l’occurrence[11].

[25] Il est généralement reconnu que la preuve de faits similaires est considérée comme accessoire et qu'elle est généralement irrecevable, sauf si, comme le faisait remarquer le juge d’appel Bull dans l'arrêt MacDonald v. Canada Kelp Co. Ltd.[12], il y a :

[TRADUCTION]

[...] un lien ou rapport réel et important entre l'acte ou l'allégation — qu'il s'agisse d'un crime ou d'une fraude (mais pas seulement de cela, évidemment) —et que l’on cherche à présenter en preuve des faits relatifs à des événements antérieurs ou subséquents, et alors ces faits sont pertinents et sont recevables non seulement pour réfuter une défense comme l'absence d'intention, l’accident, la mens rea ou autre défense semblable, mais aussi pour prouver le fait de l'acte ou de l'allégation. [...]

Le juge Bull poursuivait en disant à la page 627 :

[TRADUCTION]

[...] Comme je l'ai dit, le critère est la pertinence, et celle-ci dépend en grande partie du lien ou rapport des autres événements avec ceux qui sont en cause — et un lien étroit peut bien être recevable comme élément pertinent relativement au fait de l'actus reus. [...]

[26] La question de la recevabilité de la preuve de faits similaires a également été examinée par le juge McIntyre dans l'arrêt Sweitzer c. La Reine[13]. Après avoir traité du principe général énoncé par lord Herschell dans l'affaire Makin v. The Attorney-General for New South Wales[14], le juge McIntyre disait :

Au cours des années, en cherchant à appliquer ce principe, les juges ont eu tendance à créer une liste de catégories ou de types de cas où la preuve d'actes similaires peut être recevable, en se référant généralement à l'objet de la preuve. La preuve d'actes similaires a été produite pour prouver l'intention, pour prouver l'existence d'un système ou d'un dessein, pour démontrer la malice, pour repousser la défense d'accident ou d'erreur, pour prouver l'identité, pour repousser la défense de rapports innocents et à d'autres fins semblables et connexes. Cette liste n'est pas exhaustive.

Cette façon d'aborder le problème s'est révélée utile parce que la preuve d'actes similaires est, de par sa nature, souvent apportée en raison de sa pertinence relativement à une seule question de l'affaire en litige. J'estime toutefois qu'elle comporte une tendance à négliger le véritable fondement de la recevabilité de la preuve d'actes similaires. Le principe général énoncé par lord Herschell peut et doit être appliqué chaque fois qu'on présente une preuve d'actes similaires et la recevabilité de cette preuve sera fonction de sa valeur probante par rapport au préjudice causé à l'accusé par suite de son acceptation à quelque fin que ce soit. [...]

[27] Avec ces principes présents à l'esprit, j'ai conclu que la preuve produite par l'intimée avait une valeur probante importante qui l'emportait sur tout préjudice pouvant être causé aux appelants, et que cette preuve était recevable. Il y a, selon moi, un lien clair entre les événements antérieurs et les questions soumises à notre cour. Dans les deux cas, c'est-à-dire dans le cas de la vérification précédente et dans le cas de celle dont il s’agit en l’espèce, la même société et le même actionnaire sont en cause et, dans chaque cas, il est question du détournement de fonds de la société. Chaque fois, des observations ont été présentées à des fonctionnaires de Revenu Canada concernant les augmentations des prêts de l'actionnaire. Le témoignage de M. Glazer est pertinent et recevable pour réfuter les assertions des appelants quant à la source des fonds et se rapporte directement à la question de la crédibilité de M. Erlich.

Conclusion

[28] En l'absence de registres fiables — qu'ils soient inexistants, qu'ils aient été détruits ou qu'ils n'aient pas été produits pour une autre raison —, le ministre peut établir une cotisation fondée sur l'avoir net pour déterminer correctement l'obligation fiscale d'un contribuable. On établit la cotisation fondée sur l'avoir net en déterminant quels étaient les actifs et les passifs du contribuable à la fin de l'année d'imposition en cause et à la fin de la dernière année pour laquelle de l'impôt pouvait être fixé et en présumant que le revenu du contribuable pendant l’intervalle était égal à l'augmentation de son avoir net au cours de la période, plus les sommes estimées dépensées au titre des frais personnels ou de subsistance. C'est au contribuable qu'il incombe de convaincre la Cour que la cotisation est erronée.

[29] En bref, la position des appelants est que, dans la cotisation qu'il a établie, le ministre s'est trompé en concluant que les fonds déposés dans la société par M. Erlich en 1992 correspondaient aux ventes qui n'ont pas été déclarées par la société pour les années 1988 à 1991 et que M. Erlich s'était appropriées. Les appelants soutiennent que la conclusion du ministre est erronée parce qu'elle ne tient pas compte de la source effective des fonds, soit, disent-ils, l'argent trouvé par la mère de M. Erlich. Les appelants affirment que le témoignage de M. Erlich concernant le système de tenue de livres établissait l'exactitude des états financiers de la société ainsi que l'exactitude des ventes déclarées et que le système empêchait dans les faits le type d'appropriation qui avait eu lieu d’après le ministre. Il était en outre soutenu que les comptes des ventes servant de base aux hypothèses du ministre avaient été établis par quelqu’un d’autre que M. Erlich et qu'il a été prouvé qu'ils étaient inexacts et trompeurs.

[30] Je me propose de traiter d'abord du témoignage présenté pour les appelants quant à la source des fonds avancés par M. Erlich à la société en avril 1992. Le témoignage de M. Erlich — ainsi que celui de sa mère — visait manifestement à suggérer que, comme la mère de M. Erlich avait trouvé l'argent dans une boîte contenant également certains des papiers de Leon Erlich, ce dernier doit être la source première des fonds. M. Erlich, lorsque son avocat lui a demandé de faire des conjectures sur la façon dont cela pouvait être arrivé, a concédé que l'entreprise d’habillement de son père n'aurait pu générer une telle somme, mais il a dit que son père achetait et vendait des immeubles et qu'il était possible qu’il en ait acheté et vendu plus que ne le savait M. Erlich. M. Erlich a également affirmé (sans autre explication) que son père était un [TRADUCTION] “ graveur de monnaies ” et que, plusieurs fois, il était allé en Europe, à New York, à Los Angeles et au Mexique[15]. Ces tentatives d’attribuer à Leon Erlich [TRADUCTION] “ l’argent trouvé ” ne sont absolument pas convaincantes. D’après la preuve, Leon Erlich a pris sa retraite en 1972 et M. Erlich a pris en charge l'entreprise familiale à cette époque. Il est également avéré que Leon Erlich a souffert de la maladie d'Alzheimer pendant la majeure partie de la période de 15 ans précédant son décès, survenu en 1987. Chana Erlich a témoigné qu'ils avaient remis tous leurs biens à M. Erlich en 1974 ou à peu près, et M. Erlich lui-même a dit qu'il payait les factures pour sa mère et son père depuis 1973 et que [TRADUCTION] “ ma mère et mon père avaient achevé de me donner tous leurs actifs en 1984 et, avant cela, le processus était en cours ”[16].

[31] Il est également avéré que M. Glazer et M. Bain ont tous les deux effectué un examen indépendant concernant les sources de revenu de Leon et Chana Erlich et qu'ils ont conclu que ces derniers n'auraient pu être la source des fonds en question. Je fais également remarquer que M. Erlich a été expressément interrogé quant à savoir s'il avait dit à M. Glazer durant la vérification précédente que des prêts de sa mère étaient la source de capitaux versés dans l'entreprise, et il a répondu : [TRADUCTION] “ Je ne peux pas me souvenir de tous ces détails, désolé ”.

[32] Le témoignage présenté pour les appelants au sujet de la source des fonds n'est simplement pas crédible selon moi.

[33] À l'appui de l'argument des appelants selon lequel des appropriations de fonds de la société n'étaient pas la source des fonds en cause, on a contesté la validité, l'exactitude et l'origine des comptes des ventes. Dans ce contexte, il est devenu bien évident que la crédibilité des témoins Erlich et O'Malley serait un facteur crucial. L'avocat des appelants exhortait la Cour à ne pas tenir compte du témoignage de M. O'Malley concernant les comptes des ventes et les documents manquants de la société puisqu’il avait été donné par [TRADUCTION] “ un homme mécontent qui avait des raisons de créer des difficultés pour M. Erlich et la compagnie ”. Comme je l'ai fait remarquer précédemment, il était évident que M. Erlich et M. O'Malley éprouvaient l'un pour l'autre une antipathie viscérale. Il serait naïf de supposer que, en remettant les comptes des ventes à Revenu Canada, M. O'Malley n'était pas animé par son antipathie pour M. Erlich, mais il serait tout aussi naïf de ne pas tenir compte de l'intérêt réel et important de M. Erlich dans l'issue de ces appels et d'accepter aveuglément l'accusation de M. Erlich selon laquelle M. O'Malley — ou son fils — a fabriqué les comptes des ventes et a délibérément présenté sous un faux jour leur importance. Les mêmes observations s'appliquent aux tentatives de M. Erlich de faire croire que M. O'Malley était impliqué dans la destruction de registres de la société.

[34] Ayant eu l'avantage d'entendre d'abord le témoignage de M. Erlich, j'ai observé M. O'Malley encore plus attentivement durant l'ensemble de son témoignage et notamment au cours du vigoureux contre-interrogatoire auquel il a été soumis. Bien que certains aspects de son témoignage, particulièrement au sujet de son congédiement et des poursuites judiciaires subséquentes, aient été douteux et assez peu convaincants, je suis persuadé que, en ce qui a trait aux comptes des ventes et aux documents manquants de la société, le témoignage de M. O'Malley doit être accepté de préférence à celui de M. Erlich.

[35] J'ai été particulièrement peu impressionné par le témoignage de M. Erlich concernant les comptes des ventes. Lorsque l'avocat lui a demandé d’expliquer comment ce document pouvait avoir vu le jour, il a dit qu’il faisait partie de l'information sur ordinateur qui avait été utilisée à l'époque pertinente, qu'il croyait que cela [TRADUCTION] “ représente une combinaison des ventes brutes et des ventes nettes et peut-être certaines minorations ” pour la période allant de 1987 jusqu'au milieu de 1993 et que [TRADUCTION] “ quelqu'un a extrapolé incorrectement ” à partir de documents informatiques. Il laissait entendre que, les O'Malley ayant eu accès à l'ordinateur, c'est eux qui devaient être la source. Comme M. Erlich savait que M. O'Malley, père, ne connaissait rien en informatique, il faisait peser le soupçon sur M. O'Malley fils.

[36] L'assertion de M. Erlich selon laquelle les comptes des ventes n'ont pas été établis par lui est dans l'ensemble peu convaincante et difficile à accepter. L'information y figurant se rapportait, on le reconnaît, à la période de 1987 à 1993, dont la majeure partie est antérieure à l'arrivée de M. O'Malley. Durant toute la période pertinente, M. Erlich avait accès aux dossiers et registres de la société grâce à un ordinateur qu'il gardait au bureau qu'il avait chez lui. En outre, bien qu'il ait carrément rejeté l'assertion de M. O'Malley selon laquelle les comptes des ventes étaient utilisés comme documents de planification, plusieurs observations écrites par lui figurent dans ces documents. Au sujet de celles-ci, il a équivoqué à plusieurs reprises, disant, par exemple :

[TRADUCTION]

donc, lorsque j'examine les chiffres que M. O'Malley a écrits dans son écriture foncée, si vous regardez ce qui est indiqué pour la semaine no 36, il est possible que j'aie inscrit cette information à ce moment-là, mais, encore une fois, je ne sais pas. Je pourrais l'avoir fait avant qu'aucune partie de cette information n’ait été écrite. Je ne sais pas.

L'avocat de l'intimée a laissé entendre que les comptes des ventes avaient en fait été utilisés au cours de discussions avec M. O'Malley et il a posé la question suivante à M. Erlich :

[TRADUCTION]

Q. Cela a peut-être, et même dans les faits, l’air d’un document de planification quelconque, n’est-ce pas? Vous discutiez peut-être avec M. O'Malley des objectifs que vous lui aviez fixés pour la période à venir ou de quelque chose de ce genre?

R. Je prétends que M. O'Malley a lui-même ajouté ici des choses dans son écriture plus foncée. Je ne peux faire de commentaires, car je ne sais pas pourquoi ces choses sont là. Je peux simplement vous dire et réaffirmer que, d'après ce que j'ai écrit de ma propre écriture, qui est pâle, il me semble clair qu’il s’agit strictement de périodes précises que j'ai indiquées pour les meilleures activités de promotion, soit essentiellement la fin de semaine du 24 mai et les semaines suivantes, et pendant la période de Noël; voilà tout ce dont je conviendrai.

Au sujet de l'exactitude de l'information figurant dans les comptes des ventes, l'échange suivant a eu lieu :

[TRADUCTION]

Q.                   Donc, non pas au cours de la planification mais peut-être au cours d'une planification très vague, M. O'Malley et vous avez examiné ce document. Ne lui auriez-vous pas alors demandé — si ces chiffres n'étaient pas à peu près exacts — à quoi rimait cette absurdité. Ne lui auriez-vous pas dit que vous ne pouviez planifier sur cette base, que tout était surestimé et que vous n'alliez pas connaître autant de succès?

R. Je me rappelle avoir eu une conversation avec M. O'Malley relativement à cette planification; il parlait de minorations d'environ 20 p. 100. Quand on pense au prix de détail, le prix que paie le consommateur reflète une minoration de 20 p. 100. Ce que je veux dire, c'est que le prix courant était de 89,99 $, comme dans le cas de ce Nike, par exemple, vendu à 79,99 $; ce serait un exemple du jeu qu'il y a entre le prix courant et le prix de vente dont M. O'Malley devait tenir compte dans sa planification. C'est tout ce que je pourrais voir là-dedans.

Les réponses de M. Erlich étaient, à mon avis, délibérément vagues et élusives.

[37] En ce qui a trait aux registres manquants de la société, M. Erlich niait être au courant des circonstances dans lesquelles ces registres avaient disparu ou avaient été détruits, et il laissait entendre que M. O'Malley en était responsable. En ce qui concerne son assertion selon laquelle il avait reçu d'un certain nombre de personnes certains renseignements au sujet de la destruction desdits registres, je fais simplement observer qu'aucune de ces personnes n'a été appelée à témoigner. M. Erlich a dit également qu'il n'avait jamais remarqué que les registres étaient manquants, car il n'avait [TRADUCTION] “ jamais rien à voir avec les registres, à part le fait de savoir qu'ils étaient là ”. Comme la preuve dans son ensemble indique fortement que M. Erlich était un dirigeant qui mettait beaucoup la main à la pâte, cette affirmation n'est pas plausible selon moi.

[38] Je fais ici une dernière observation. Si M. Erlich prétend que les comptes des ventes sont inexacts c’est parce qu'ils ne cadrent pas avec les états financiers de la société. La preuve de M. Erlich quant à savoir qui fournissait en fait l'information aux comptables est incohérente : M. Erlich a dit à un moment donné qu'il s'en occupait lui-même, alors que, à d'autres occasions, il a indiqué que cette tâche était remplie par son aide-comptable et par M. O'Malley, pendant le temps que ce dernier était là. Les deux comptables dont les services étaient retenus par la société et par M. Erlich au cours des années 1987 à 1993, soit M. Schmidt et M. Reid, n'ont pas été appelés à témoigner. On peut donc à juste titre conclure de leur absence que leur témoignage n'aurait pas aidé les appelants.

[39] J'ai précédemment mentionné le fait que, dans un appel interjeté contre une cotisation d'impôt fondée sur l'avoir net, c'est à la partie appelante qu'il incombe d'établir selon la prépondérance des probabilités que le revenu imposable ne correspondait pas à celui fixé dans la cotisation. L'appelant Erlich ne s'est pas acquitté de cette charge. De plus, d’après la preuve présentée, ni l’un ni l’autre appelant n'est parvenu à établir que les écarts en cause ne sont pas le résultat d'un détournement de fonds de la société.

Questions accessoires

[40] L'écart concernant l'avoir net de l'appelant Erlich a été attribué non seulement aux appropriations de ventes, mais aussi, entre autres, à des éléments comme les frais pour droit d’usage et les avantages relatifs à l'utilisation par M. Erlich d'une automobile appartenant à la société, et les frais personnels ou de subsistance de M. Erlich et de membres de sa famille. Dans la cotisation qu'il a établie en même temps à l'égard de la société, le ministre a refusé en totalité les frais personnels payés par la société. On s'est entendu sur certains de ces éléments, soit :

a) Huron Ridge — résidence personnelle — Les appelants soutiennent que M. Erlich avait un bureau chez lui et que les frais engagés y relatifs étaient déductibles pour la société. Les parties ont convenu que les sommes devant être admises comme frais de bureau sont de 1 100 $ pour 1993 et de 1 250 $ pour 1992. Le fait d’admettre la déductibilité de ces frais pour la société aura aussi pour effet de réduire d'autant l'avantage conféré à M. Erlich en tant qu'actionnaire.

b) Frais de placement — M. Erlich a emprunté 100 000 $ au moyen d’une ligne de crédit personnelle. Cet argent a été prêté à la société, qui l'a investi dans des fonds communs de placement. Durant la période pertinente, six paiements de 600 $ chacun ont été faits sur la ligne de crédit de M. Erlich. Quatre paiements totalisant 2 400 $ ont été indiqués dans le compte de l'actionnaire, tandis que deux paiements totalisant 1 200 $ ont été passés en charges par la société. Il est convenu que le montant de 1 200 $, qui, dans la déclaration T1, a été ajouté à l'avantage conféré à M. Erlich, devrait être redressé en sa faveur pour l'année d'imposition 1993. En ce qui a trait au même placement, les parties ont convenu que la société a droit à une déduction d'intérêts de 2 170,79 $.

c) Également en ce qui a trait à l'année d'imposition 1993, l'appelant Erlich doit en outre se voir accorder une déduction de 1 744 $ à l'égard de frais d'intérêt engagés pour le refinancement de sa maison, l’argent emprunté ayant été utilisé à des fins de placement.

d)                    Résidence de Thornhill (parfois appelée résidence de McMorran ou de Vaughn) — Il s'agit d'un immeuble qui appartenait à M. Erlich et dans lequel habitaient la mère et la soeur de M. Erlich. M. Erlich soutenait que son entreprise l'amenait à Toronto plusieurs fois par mois et qu'il faisait des affaires à cette résidence au moins une ou deux fois par mois. Il ne se trouvait aucun bureau proprement dit à cette résidence, mais il y avait [TRADUCTION] “ un coin tranquille et très privé en bas ” qui était utilisé à cette fin. Des dépenses importantes ont été déduites aussi bien pour 1992 que pour 1993, y compris 100 p. 100 de l'impôt foncier et des factures d'eau, de gaz, de téléphone et de câblodistribution. Au cours de son interrogatoire principal, M. Erlich a concédé que bon nombre de ces éléments n'auraient pas dû être déduits comme dépenses d'entreprise[17]. Les parties conviennent que, si la société appelante était en droit de considérer certains éléments comme des frais de bureau déductibles, le montant de 2 000 $ pour chacune des années 1992 et 1993 serait acceptable. J'ai pris en considération le témoignage de M. Erlich sur ce point et je ne suis nullement convaincu que ce témoignage appuie la déductibilité des montants en question. Donc, la société appelante n'a droit à aucune déduction sous cette rubrique.

e) Frais d'automobile — La société était propriétaire de deux véhicules. On ne conteste pas le fait que l'un des véhicules était conduit par l'épouse de M. Erlich et que l'autre était conduit par M. Erlich, les deux véhicules étant toutefois interchangeables à cet égard. Dans la cotisation qu'il a établie à l'égard de M. Erlich, le ministre a inclus dans le revenu de ce dernier des frais pour droit d'usage d'une automobile de 4 761 $ pour chacune des années d'imposition 1992 et 1993. M. Erlich a initialement témoigné qu'une proportion de 99 p. 100 de l'utilisation du véhicule était liée à l'entreprise, mais, lorsque son avocat a fait remarquer que son utilisation pour aller au travail et en revenir ne devrait pas être incluse, M. Erlich a ramené à 70 p. 100 l’utilisation liée à l’entreprise. Aucun registre n'était tenu, et le témoignage de M. Erlich n'appuie guère son estimation. Il incombe à la partie appelante de tenir des registres concernant l'utilisation d'un véhicule d’une société qui soient suffisants pour permettre à la Cour de déterminer si c'est à juste titre que le ministre a inclus les frais pour droit d'usage d'une automobile. Cela n'a pas été fait. La preuve présentée ne justifie aucune intervention dans la cotisation établie par le ministre à cet égard.

f) Enseignes — Au cours de sa vérification, M. Bain a examiné une facture de Classic Sign & Design qui semblait correspondre à l'acquisition de trois enseignes par la société. Le montant passé en charges était de 3 500 $. M. Bain a conclu que ces éléments auraient dû être capitalisés en tant que biens de la catégorie 8. C'est ce que le ministre a fait dans sa cotisation, et une déduction pour amortissement a été accordée à l'égard des éléments en question. Il s’agit de déterminer si ces éléments ont à juste titre été capitalisés. M. Erlich a témoigné qu'il s'agissait d'enseignes qui avaient été enlevées de magasins dont il avait été propriétaire. Elles ont ensuite été sorties d’entrepôt et remises à neuf. Les appelants font valoir que le coût de remise à neuf était une dépense appropriée et ne devrait pas être considéré comme une dépense en immobilisation. Un doute suffisant a été soulevé au sujet de la validité de la conclusion du ministre. Ainsi, la société sera autorisée à déduire le montant en cause comme dépense courante pour 1993.

[41] Un certain nombre d'autres points avaient été soulevés dans l'avis d'appel initial, y compris la question du paiement, par la société, de frais personnels engagés par l'appelant, par sa conjointe, Susan Lynch, par Roma Erlich et par Chana Erlich. Ces points ont été abandonnés.

[42] Les appels sont admis de manière à permettre au ministre d'établir une nouvelle cotisation relativement aux redressements mineurs énumérés aux alinéas 40a), b), c) et f). Les appelants n'ont droit à aucune autre mesure de redressement. L'intimée a droit à ses frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de décembre 1998.

“ A. A. Sarchuk ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de septembre 1999.

Erich Klein, réviseur



[1]               Au procès, l'appelant a laissé tomber la question des droits d'adhésion à un club.

[2]               Voir la note de bas de page no 1.

[3]               L'avocat de l'appelant a informé la Cour que cela résulte des cotisations relatives aux années précédentes et ne soulève pas une question distincte.

[4]               Pièce R-2, onglet 70. Une copie plus lisible du même document figure dans la pièce R-2, onglet 57, pages 2 à 4.

[5]               Pièce R-2, onglet 58 — analyse des revenus et des placements et sommaire des conclusions.

[6]               S'ensuivirent plusieurs poursuites judiciaires auxquelles étaient mêlés M. O'Malley, le fils de M. O'Malley, M. Erlich et la société, et compte tenu du témoignage de M. Erlich et de M. O'Malley, il est bien évident qu'une grande animosité avait été engendrée.

[7]              La première page et la deuxième sont des imprimés d'ordinateur indiquant les ventes des magasins de Kincardine et de Hanover respectivement, tandis que la troisième page, d'après M. O'Malley, était [TRADUCTION] “ une ventilation hebdomadaire relative au magasin de Hanover ” à partir de [TRADUCTION] “ la 33e semaine de 1991 jusqu'en 1993, année où je travaillais pour lui ”. Les mots “ son ” et “ lui ” employés par M. O'Malley renvoient à M. Erlich.

[8]               L'avocat des appelants a contesté la recevabilité de cette preuve. J'ai statué qu’elle était recevable. Mes motifs figurent à la page 14, paragraphe 27.

[9]               Le “ rapport ” auquel fait allusion M. Erlich, c’est les comptes des ventes.

[10]             Quand M. Erlich parle des comptables, il veut dire le cabinet Watson, Schmidt pour la période antérieure à novembre 1992 et M. Barry Reid pour la période postérieure.

[11]             Harris v. Director of Public Prosecutions, [1952] 1 All E.R. 1044 (H.L.); MacDonald v. Canada Kelp Co. Ltd. (1973), 39 D.L.R. (3d) 617 (C.A.C.-B.); Sweitzer c. La Reine, [1982] 1 R.C.S. 949; La succession de feu William Tatarchuk c. Le ministre du Revenu national, [1993] A.C.I. no 42 (C.C.I.); La Reine c. McKay, [1975] C.F. 127 (C.F.); Esson v. A.M.S. Forest Products Ltd. (1993), 18 C.P.C. (3d) 320 (C. Ont. (Div. gén.)).

[12]             Précité, à la page 626.

[13]             Précité, aux pages 952 à 954.

[14]              [1894] A.C. 57, à la page 65.

[15]             Chana Erlich a témoigné que son mari avait exploité des magasins de vêtements et de chaussures dans différentes villes de l'Ontario, ce qui leur permettait de [TRADUCTION] “ gagner bien leur vie ”. Son mari touchait aussi à l'immobilier, mais ils ne pouvaient économiser beaucoup. Elle n'avait aucune idée de la source des fonds, mais a dit que son mari [TRADUCTION] “ se souciait toujours des gens; il les aidait; il les aidait à prendre des décisions et il faisait ce qu'il pouvait pour eux. Il avait une foule d'amis. Par exemple, il comptait parmi ses amis des gens très riches à Hong Kong. Il a un ami qui est, dirais-je, milliardaire, qui est très, très riche. Il n'est jamais venu nous voir; je ne sais même pas son nom, car c'était avant que je rencontre Leon ”.

[16]             La preuve semblerait indiquer que, en 1984, M. Erlich avait une procuration relativement aux affaires de ses parents.

17                    Voir pièce R-2, onglet 35 — Ce document indique aussi que la société a passé en charges pour 1992 des dépenses comme des frais de câblodistribution, l’assurance, l’électricité, etc. pour la résidence personnelle de M. Erlich.

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