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Date: 20000922

Dossier: 1999-1909-EI

ENTRE :

VENDOR SURVEILLANCE CORPORATION,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

(Jugement rendu oralement le 4 août 2000 à Montréal (Québec) et subséquemment révisé à Ottawa (Ontario) le 22 septembre 2000)

La juge Lamarre, C.C.I.

[1] Il s’agit d’un appel interjeté à l'encontre d'une décision rendue par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) en vertu du paragraphe 93(3) de la Loi sur l'assurance-emploi (la “ Loi ”) et de l'alinéa 6g) du Règlement sur l'assurance-emploi (le “ Règlement ”).

[2] Dans cette décision, le ministre a déterminé que Denis Budgen a exercé un emploi assurable chez l'appelante du 8 septembre 1997 au 13 janvier 1999. L'appelante n'est pas d'accord.

[3] Il a été reconnu par l'avocat de l'intimé que Denis Budgen avait cessé de travailler pour l'appelante le 20 décembre 1998 et que la décision faisant l'objet de l'appel devrait être modifiée en conséquence en ce qui concerne la période de travail. Il a également été reconnu par l'intimé que si ce n'était l'application de l'alinéa 6g) du Règlement, Denis Budgen n'aurait pas été considéré comme détenant un emploi assurable chez l'appelante, puisqu'il travaillait en qualité d'entrepreneur indépendant.

[4] L'alinéa 6g) du Règlement est ainsi formulé :

6. Sont inclus dans les emplois assurables, s'ils ne sont pas des emplois exclus conformément aux dispositions du présent règlement, les emplois suivants :

[...]

g) l'emploi exercé par une personne appelée par une agence de placement à fournir des services à un client de l'agence, sous la direction et le contrôle de ce client, en étant rétribuée par l'agence.

[5] Le ministre soutient que l'appelante est une agence de placement qui a placé M. Budgen dans un emploi chez l'un de ses clients, Northrop Grumman (“ Northrop ”), pour fournir des services pour ce client et sous la direction et le contrôle de celui-ci. L'appelante soutient qu'elle n'est pas une agence de placement et que M. Budgen ne travaillait pas sous la direction et le contrôle de Northrop.

Faits

[6] J'ai entendu les témoignages de Mme Françoise Bienvenue, agente des appels à Revenu Canada, de M. Bernard Fallon, président de l'appelante, et de M. Budgen.

[7] L'appelante exploite une entreprise qui consiste à fournir à ses clients une liste de candidats qualifiés capables de satisfaire aux besoins en matière de fabrication et en matière de livraison de produits de clients dans l'industrie aérospatiale. Comme la preuve l'a révélé, ces candidats sont des consultants chevronnés qui sont capables de fournir aux clients de l'appelante des renseignements, des suggestions, des recommandations et un soutien pour assurer l'exécution en temps opportun des obligations contractuelles entre un client et les tiers fournisseurs et pour assurer le contrôle de la qualité des produits.

[8] Au cours de la période en question, M. Budgen a été embauché par l'appelante en qualité de consultant pour remplir les fonctions susmentionnées. Un accord d'entrepreneur indépendant entre l'appelante et M. Budgen a été rédigé le 2 octobre 1997. Selon l'accord, l'appelante voulait que M. Budgen soit disponible pour fournir des services de contrôle de la qualité des approvisionnements à des moments et selon des modalités convenues entre les parties. Dans ce document, M. Budgen et l'appelante convenaient que l'entreprise de M. Budgen était indépendante de celle de l'appelante et de celle des clients de celle-ci et que tout travail effectué dans les installations du client était simplement fonction de la nature du contrôle de la qualité. M. Budgen n'a pas signé cet accord mais a signé l'annexe qui y était jointe et qui énonçait les modalités de paiement et précisait les services devant être rendus aux fins du projet pour lequel M. Budgen avait été engagé. Selon cette annexe, M. Budgen devait être payé 17 $ l'heure. Les heures supplémentaires devaient être autorisées préalablement par le client. Il était stipulé dans l'annexe que les heures travaillées et les dépenses faites devaient être présentées à l'appelante dans un délai déterminé pour que celle-ci puisse les facturer au client. Sans les feuilles de temps, l'appelante ne pouvait pas être payée par le client et M. Budgen n’aurait pas été payé par l’appelante.

[9] Par contre, il existait un bon de commande signé par l'appelante et par Northrop. Ce bon de commande autorisait l'appelante à aller de l'avant avec la fourniture d'expertise et à désigner quelqu'un pour accomplir un travail particulier à un prix déterminé. En outre, le bon de commande reconnaissait que Northrop paierait l'appelante pour les services qu'elle fournirait.

[10] Northrop est une société américaine et un sous-traitant important dans le domaine des cellules d'avions. Northrop avait sous-traité du travail, le confiant à, entre autres, deux fournisseurs (Cercast et Héroux) et avait besoin des services de M. Budgen (fournis par l'entremise de l'appelante) dans les établissements des fournisseurs à Montréal pour surveiller, examiner et analyser les différents éléments du processus de fabrication et les modalités de livraison pour les pièces commandées à ces fournisseurs. M. Budgen agissait en qualité d'inspecteur en matière de contrôle de la qualité.

[11] Selon le témoignage de M. Budgen, son principal contact avec Northrop était Louis Alfano, à New York. Cependant, il parlait quotidiennement au téléphone avec le gestionnaire de projet de Northrop à Dallas concernant Cercast et envoyait un rapport écrit complet une fois par semaine. En ce qui concerne Héroux, il communiquait avec le gestionnaire de projet en Floride de façon hebdomadaire.

[12] Le rôle de M. Budgen consistait à tenir le client au courant de ses suggestions et de ses instructions concernant toute modification ou tout ajustement à apporter aux opérations des fournisseurs. Des représentants de Northrop ne sont venus à Montréal que trois fois pour visiter les installations des fournisseurs. M. Budgen a témoigné qu'il avait accueilli ces personnes à l'aéroport et s'est occupé d'elles pendant la durée de leur visite. Il n'a pas été remboursé de ses dépenses pour ces services. On demandait à M. Budgen d'être présent aux établissements des fournisseurs pendant les heures de travail de leurs employés. Bien que la journée de travail des employés ait débuté à 6 h 30, M. Budgen ne se présentait pas au travail avant 7 h ou 8 h et il terminait sa journée entre 16 h et 17 h. Il travaillait 40 heures par semaine du lundi au vendredi. Bien qu'un bureau lui ait été fourni dans les établissements des fournisseurs, il réalisait 25 p. 100 de son travail (tout le travail d'écriture) chez lui. Personne ne vérifiait vraiment ses heures travaillées et il les signalait sur une feuille de temps; on lui faisait confiance à cet égard.

[13] M. Budgen a été mis à pied par Northrop lorsqu'elle a décidé d'avoir son propre inspecteur sur place dans les établissements des fournisseurs. Cette décision a été prise lorsqu'un concurrent de Northrop a augmenté le nombre de ses inspecteurs dans les établissements des fournisseurs.

Analyse

[14] Je dois décider en l'espèce si l'alinéa 6g) du Règlement est applicable.

[15] Je dois déterminer en premier lieu si l'appelante peut être qualifiée d'agence de placement et, en second lieu, si M. Budgen travaillait sous la direction et le contrôle du client de l'appelante pour lequel il travaillait (Northrop).

[16] La Loi ne définit pas “ agence de placement ”. Suivant l'article 34 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada, une agence de placement comprend :

[...] toute personne ou organisme s'occupant de placer des personnes dans des emplois, de fournir les services de personnes ou de trouver des emplois pour des personnes moyennant des honoraires, récompenses ou autres formes de rémunération.

[17] Dans l'affaire Sheridan c. Canada, [1985] A.C.F. no 230, la Cour d'appel fédérale a traité du cas d'une agence de placement d'infirmières qui était titulaire du permis nécessaire pour exercer cette activité conformément à la loi ontarienne applicable. L'agence tenait un répertoire des infirmières disponibles pour des affectations auprès de particuliers et des affectations temporaires et pour faire du remplacement. L'agence prenait des dispositions pour que des services de soins infirmiers appropriés soient fournis à divers hôpitaux qui en faisaient la demande, et les infirmières étaient soumises au contrôle de l'hôpital dans lequel elles étaient envoyées. La Cour a conclu que les infirmières exerçaient des emplois assurables en raison de la vaste portée de l'ancien alinéa 12g) (l'actuel alinéa 6g)) du Règlement.

[18] La Loi ne contient aucune exigence selon laquelle une agence de placement doit être inscrite en vertu d'une loi provinciale. Cela étant, et à la lumière des preuves qui m'ont été fournies, je conclus que l'appelante peut être définie comme une agence de placement même si son entreprise comporte diverses autres activités. L'appelante tenait un répertoire des experts-conseils disponibles, comme en témoigne le curriculum vitæ de M. Budgen, déposé sous la cote A-4, qui a été rédigé par l'appelante et non par M. Budgen. C'est également l'appelante qui avait pris les dispositions pour que des services d’expert-conseil appropriés soient fournis à Northrop, qui les avait demandés. Cela est démontré par le fait que c'est l'appelante qui a appelé M. Budgen pour lui offrir du travail chez Northrop. C'est ce que tendent à démontrer également le témoignage de M. Fallon et le bon de commande (pièce A-5) indiquant que l'appelante était rétribuée pour la prestation de ces services.

[19] La prochaine question sur laquelle je dois me pencher est celle de savoir si M. Budgen travaillait sous la direction et le contrôle du client de l'appelante, Northrop. Il n'est pas contesté ici que M. Budgen recevait sa rémunération de l'appelante.

[20] L'avocat de l'intimé a renvoyé à l'affaire Hennick c. Canada, [1995] A.C.F. no 294, dans laquelle la juge Desjardins de la Cour d'appel fédérale a souligné que ce qui est pertinent ce n'est pas tant l'exercice effectif du contrôle que le droit d'exercer le contrôle. Dans le cas de Mme Hennick, la juge Desjardins a déclaré que, bien que le contrat de Mme Hennick avec le payeur n'ait pas précisé la façon dont elle devait enseigner, elle devait respecter certains paramètres en ce qui concerne le temps, ce qui constituait de toute évidence un contrôle.

[21] L'avocat de l'appelante a renvoyé à l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025), dans laquelle le juge McGuigan de la Cour d'appel fédérale s'est étendu sur le critère du contrôle et a reconnu que le droit de préciser comment le travail doit être effectué et de donner des instructions à l'employé concernant la façon d'accomplir le travail est un élément fondamental de l'exercice d'un contrôle sur le travail de l'employé.

[22] Cependant, le juge McGuigan a reconnu que le critère du contrôle s'est révélé tout à fait inapplicable pour ce qui est des professionnels et des travailleurs hautement qualifiés, qui possèdent des aptitudes bien supérieures à la capacité de leur employeur à les diriger.

[23] Dans une décision plus récente de la Cour d'appel fédérale, soit Vulcain Alarme Inc. c. Canada, [1999] A.C.F. no 749, le juge Létourneau a de nouveau énoncé le principe selon lequel le contrôle est fondé sur le fait de donner des instructions concernant la façon dont le travail de l'employé doit être effectué. Dans l’affaire Vulcain Alarme Inc., le travailleur exerçait ses activités sous la raison sociale d'une entité enregistrée et avait effectué, pour le compte de Vulcain Alarme Inc., des travaux de vérification et d’étalonnage de détecteurs de substances toxiques pour les clients de cette dernière. Les services devaient être fournis dans un certain délai. En ce qui concerne le fait que l'employé devait présenter des feuilles de temps et des états de frais pour être rémunéré au taux horaire déterminé par le payeur, Vulcain Alarme Inc., le juge Létourneau s'est référé à la décision Canada v. Rousselle et al. (1990), 124 N.R. 339, dans laquelle le juge Hugessen, alors juge de la Cour d'appel fédérale, avait déclaré ce qui suit à la page 344 :

Ce n'est pas de contrôler un travail que de fixer la valeur de la rémunération ou de définir le but recherché. Le contrat d'entreprise comporte ces éléments aussi bien que le contrat de louage de services. A plus forte raison, le contrôle ne réside pas dans l'acte de paiement, que ce soit par chèque où autrement.

[24] Le juge Létourneau a poursuivi, dans l’affaire Vulcain Alarme Inc., en disant :

¶ 6 Il en va de même bien entendu du remboursement des dépenses et du système inévitable de facturation qui s'y greffe.

¶ 7 Dans le cas présent, la preuve ne révèle pas que la demanderesse contrôlait M. Blouin en lui donnant des ordres et des instructions quant à la manière d'accomplir son travail. Au contraire, ce dernier était totalement maître de la façon dont il pouvait fournir ses services, sauf qu'il devait les rendre dans les 30 jours. Personne ne lui imposait de contrôle ou n'exerçait de supervision sur sa prestation de services et M. Blouin fixait son propre horaire.

[25] Le juge Létourneau s'est ensuite référé à un passage de la décision Charbonneau c. M.N.R., [1996] A.C.F. no 1337, dans laquelle le juge Décary déclarait :

[...] Rares sont les donneurs d'ouvrage qui ne s'assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur.

[26] En l'espèce, je dois déterminer si M. Budgen se trouvait sous la direction et le contrôle de Northrop. Les faits sur lesquels Mme Bienvenue de Revenu Canada s'est fondée pour conclure que M. Budgen était soumis à un tel contrôle sont les suivants : M. Budgen devait présenter des feuilles de temps; il faisait des rapports quotidiens; les heures supplémentaires devaient être approuvées; il recevait des instructions d'un superviseur se trouvant à New York; il devait accompagner les gens de chez Northrop lors de leurs visites à Montréal.

[27] La preuve a révélé que M. Budgen ne recevait pas d'instructions d'un superviseur se trouvant à New York, mais il appelait quotidiennement quelqu'un chez Northrop à Dallas pour l'informer des différents problèmes auxquels les fournisseurs étaient confrontés. Northrop n'a pas indiqué à M. Budgen chaque jour le travail à accomplir. C'était plutôt M. Budgen qui informait Northrop de ses propositions et instructions concernant les changements ou les ajustements à apporter aux opérations des fournisseurs. M. Budgen ne faisait l'objet d'aucun contrôle concernant ses heures de travail. Il présentait une feuille de temps sans le moindre contrôle de ses inscriptions, car on lui faisait confiance, et il était rémunéré sur la base de cette feuille de temps. Le fait que les heures supplémentaires devaient être approuvées faisait partie des conditions du contrat. M. Budgen avait accepté d'être rémunéré sur la base de 40 heures par semaine pour le travail à effectuer. Cela n'indique pas nécessairement, à mon avis, l'existence d'une relation employeur-employé, car il pouvait travailler, et a effectivement travaillé, plus de 40 heures par semaine sans rémunération supplémentaire. Qui plus est, M. Budgen pouvait travailler à la maison quand cela l'arrangeait sans en informer Northrop. Il est évident qu'il n'était pas obligé de travailler pendant les heures d'ouverture de Northrop, qui se trouvait à Dallas et en Floride. Bien qu'on lui ait dit qu'il était préférable qu'il soit présent chez les fournisseurs pendant les heures de travail des employés de ceux-ci, personne ne vérifiait s'il y était. En un sens, il était libre d'organiser son temps selon ce qui l'arrangeait le mieux.

[28] Pour toutes ces raisons, je pense que l'appelante a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu'en l'espèce M. Budgen ne se trouvait pas sous la direction et le contrôle de Northrop au cours de la période en question.

[29] Les deux avocats ont présenté des arguments concernant la charge de la preuve. L'avocat de l'appelante a soutenu que le fardeau de la preuve n'incombe pas à celle-ci en ce qui concerne les allégations formulées dans la réponse à l'avis d'appel qui n'avaient pas été prises en compte par Mme Bienvenue lorsqu'elle a pris sa décision. L'avocat de l'intimé pense que le fardeau de la preuve incombe à l'appelante en ce qui concerne l'ensemble des hypothèses présentées dans la réponse. Ce point est maintenant sans intérêt sur le plan pratique puisque je suis convaincue que l'appelante a démontré que M. Budgen n'était pas, au sens de l'alinéa 6g) du Règlement, sous le contrôle et la direction du client de l'appelante. L'intimé a déjà reconnu que M. Budgen était un entrepreneur indépendant. En l'espèce tout tient uniquement à l'applicabilité de l'alinéa 6g) du Règlement et je conclus qu'il n'est pas applicable.

[30] J'admettrai donc l'appel et infirmerai la décision du ministre au motif que l'emploi de Denis Budgen n'était pas assurable au sens de la Loi et du Règlement au cours de la période en question.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de septembre 2000.

“ Lucie Lamarre ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 21e jour de décembre 2000.

Erich Klein, réviseur

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