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Date: 19990707

Dossier: 95-2216-IT-G

ENTRE :

GORTON DE MOND FILS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre, C.C.I.

[1] L'appel est interjeté à l'encontre d'une cotisation établie à l'égard de l'appelant en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) pour l'année d'imposition 1990. Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) y a refusé la déduction d'une perte d'entreprise de 426 655,86 $ subie par la société en commandite Gorton's Emporium for Children (la “ société ”). Dans ses observations écrites, l'avocate de l'appelant admet maintenant que le chiffre de 426 655,86 $ était erroné et soutient que le montant exact de la perte subie par l'appelant est de 358 703 $. L'intimée continue de refuser la déduction de cette perte, faisant valoir que l'appelant n'a pas le droit de déduire une perte d'entreprise subie par la société.

Faits

[2] La société a été créée le 1er août 1989 dans le but d'exploiter un grand magasin de vente au détail de vêtements pour enfants à Richmond (Colombie-Britannique). Le commandité était Kemixis Enterprises Ltd., une compagnie canadienne contrôlée par l'appelant et son épouse. L'unique commanditaire, d'après le contrat de société en commandite (le “ contrat de société ”) et le témoignage de l'appelant, était la fiducie familiale de Gorton et Joyce De Mond (la “ fiducie familiale ”). Conformément au contrat de société et aux fins de l'impôt sur le revenu, 89,99 p. 100 des bénéfices et des pertes de la société étaient attribués à la fiducie familiale et le reste, au commandité. Toujours d'après le contrat, le commandité avait pleins pouvoirs pour gérer et exploiter l'entreprise de la société (y compris celui de s'occuper des biens de la société à l'usage et au profit de celle-ci). Le contrat de société prévoyait expressément que le commanditaire n'avait ni le droit de prendre part au contrôle et à la gestion d'une entreprise de la société ou de signer des documents pour le compte de la société, ni le pouvoir de lier celle-ci.

[3] La fiducie familiale a été créée par l'appelant et son épouse le 7 mars 1985 au moyen d'un document intitulé [TRADUCTION] “ Déclaration de fiducie familiale de Gorton et Joyce De Mond ” (la “ déclaration de fiducie ”) sous le régime des lois des États-Unis (annexe B de la déclaration de fiducie). L'objet de la déclaration de fiducie est énoncé au paragraphe 1.01.1, dont voici le libellé :

[TRADUCTION]

ARTICLE 1

DÉCLARATION D'INTENTION; NATURE DES BIENS

DÉCLARATION D'INTENTION

Création d'une fiducie

La présente déclaration de fiducie a pour but d'établir les fiducies existantes relativement à l'apport de biens et de prévoir la création d'autres fiducies distinctes à la réalisation de certains événements. En outre, d'autres biens peuvent y être ajoutés de la manière décrite au paragraphe B.21.1 de l'annexe B.

[4] L'appelant a témoigné qu'il avait créé une fiducie aux États-Unis à des fins de succession. Il vit aujourd'hui aux États-Unis, et il n'a résidé au Canada que de 1987 à 1991. Il a expliqué que, à son décès ou au décès de son épouse, la fiducie permettra de transférer facilement les biens dans des fiducies distinctes pour le bénéfice de tiers sans qu'il soit nécessaire d'obtenir de lettres d'homologation.

[5] Trois fiducies distinctes ont été créées par l'appelant et son épouse aux termes de la déclaration de fiducie : une fiducie des biens distincts de l'époux (la “ fiducie de l'époux ”), une fiducie des biens distincts de l'épouse (la “ fiducie de l'épouse ”) et une fiducie des biens conjoints (la “ fiducie conjointe ”). La déclaration de fiducie permettait que les biens qui devaient être énumérés dans les “ états ” joints à la déclaration de fiducie soient distribués aux différentes fiducies. Les états joints à la déclaration de fiducie produite en preuve n'énumèrent aucun bien. L'appelant a expliqué que, au moment où la déclaration de fiducie a été signée, lui et son épouse n'avaient encore rien transféré dans les fiducies. Par la suite, ils n'ont jamais dressé d'état énumérant les biens détenus dans chaque fiducie, mais, en tant que constituant, l'appelant sait ce qu'il a transféré dans sa fiducie. Le paragraphe 1.02.4 de la déclaration de fiducie prévoit que l'omission de décrire ces biens (dans les états) n'invalide pas le transfert.

[6] D'après l'appelant, la fiducie familiale ne détient aucun bien et elle n'a été créée que pour maintenir les trois fiducies sous-jacentes. Les seuls apports ont été faits par l'appelant et son épouse dans leurs propres fiducies.

[7] L'appelant a déclaré qu'il avait transféré ses propres biens dans la fiducie de l'époux, dont un bien locatif situé à Laguna Nigel en Californie, qu'il avait acheté personnellement en 1983 et transféré dans sa fiducie en 1985. Selon la preuve produite, l'appelant a déclaré le revenu de location brut tiré de ce bien dans sa déclaration de revenus personnelle, ce qui n'a eu aucune conséquence en 1987 car le revenu de location net était nul. En 1988 et 1989, l'appelant a déclaré une perte locative sur ce bien et il l'a déduite de son revenu provenant d'une autre source. Le bien locatif a été vendu en 1992 et l'appelant a témoigné qu'il avait touché le produit de cette vente personnellement à titre de bénéficiaire de sa fiducie.

[8] L'appelant a également transféré certaines actions à la fiducie de l'époux. Il a encaissé certaines de ces actions en 1993 et 1994, mais il a déclaré que le reste des actions du portefeuille y dormaient simplement, et qu'aucune opération n'était effectuée à leur égard.

[9] L'article 3.01 de la déclaration de fiducie porte sur les règles qui s'appliquent aux biens détenus dans les différentes fiducies du vivant de l'appelant et de son épouse. Le paragraphe 3.01.1, qui concerne les biens distincts de l'époux, stipule ceci :

[TRADUCTION]

ARTICLE 3

FIDUCIES CRÉÉES DANS LES PRÉSENTES

3.01 AVANT LE DÉCÈS OU LORS DU DÉCÈS D'UN CONSTITUANT

3.01.1 Biens distincts de l'époux

Du vivant de l'époux et de l'épouse, les biens distincts de l'époux sont détenus dans une fiducie distincte, qui peut être appelée et qui est parfois appelée dans les présentes “ fiducie des biens distincts de l'époux ”. L'époux agit comme seul fiduciaire de la fiducie des biens distincts de l'époux. Le fiduciaire effectue la séparation matérielle des biens et des revenus de la fiducie, y compris l'argent comptant (cet argent est déposé dans des comptes bancaires, des comptes d'épargne et des comptes de prêts distincts de tout autre compte contenant de l'argent appartenant au fiduciaire, ou en est retiré), et le fiduciaire administre la fiducie indépendamment de toute autre fiducie détenue aux termes des présentes. Le fiduciaire détient, administre, investit et réinvestit les biens de la fiducie, et le revenu net et le principal sont accumulés ou distribués par le fiduciaire suivant les directives que l'époux donne à l'occasion, à la condition, toutefois, que, si l'époux est ou devient incapable, non disponible ou à ce point invalide qu'il ne peut donner de directives au fiduciaire, le revenu net et le principal en question soient distribués à l'époux ou pour le bénéfice de celui-ci conformément à ce que le fiduciaire seul estime être raisonnablement nécessaire pour lui prodiguer des soins et pour assurer sa subsistance, son soutien et son bonheur.

[10] Il existe des dispositions semblables relativement à la fiducie de l'épouse (l'épouse de l'appelant ayant les mêmes droits aux termes de sa propre fiducie), et à la fiducie conjointe (l'appelant et son épouse ayant tous deux les mêmes droits aux termes de cette fiducie).

[11] Le paragraphe 8.01.1 de la déclaration de fiducie limite le pouvoir de révoquer la fiducie de l'époux à l'appelant. En voici le texte :

[TRADUCTION]

ARTICLE 8

RÉVOCATION ET MODIFICATION

8.01 RÉVOCATION

8.01.1 Du vivant des deux constituants, l'un ou l'autre constituant a le pouvoir de révoquer la présente déclaration de fiducie en tout ou en partie quant à la FIDUCIE DES BIENS CONJOINTS, mais seul l'époux a le pouvoir de révoquer en tout ou en partie la FIDUCIE DES BIENS DISTINCTS DE L'ÉPOUX, et seule l'épouse a le pouvoir de révoquer en tout ou en partie la FIDUCIE DES BIENS DISTINCTS DE L'ÉPOUSE. En cas de révocation, le fiduciaire paie et remet à l'époux et à l'épouse tout bien conjoint décrit dans l'avis de révocation (lequel, après le paiement et la remise, est et continue d'être le bien conjoint des constituants ainsi qu'il est décrit à l'article B.25 de l'annexe B jointe aux présentes), ou à l'époux ou l'épouse tout bien distinct de l'un ou l'autre constituant décrit dans l'avis de révocation (lequel bien, après le paiement et la remise, est le bien distinct du constituant qui le reçoit).

[12] L'article 3.02 de la déclaration de fiducie porte sur le décès de l'un ou l'autre constituant ou des deux (c'est-à-dire l'appelant et son épouse). Au décès de l'appelant ou de son épouse, trois nouvelles fiducies distinctes seront créées et un fiduciaire indépendant sera nommé. Suivant le transfert des biens à ces nouvelles fiducies, la fiducie de l'époux, la fiducie de l'épouse et la fiducie conjointe cesseront d'exister. L'article 5.01 prévoit la nomination d'un fiduciaire substitut.

[13] Les bénéficiaires d'une fiducie détenue aux termes de la déclaration de fiducie sont nommés à l'annexe B de celle-ci. Du vivant des deux constituants et à condition que ceux-ci soient capables, ils en sont tous deux les bénéficiaires.

[14] Les pouvoirs des fiduciaires du vivant des constituants et suivant leur décès sont énoncés à l'article 6 et à l'annexe A de la déclaration de fiducie. Les fiduciaires ont notamment le pouvoir d'effectuer des opérations touchant les biens de la fiducie, d'avancer des fonds à l'une ou l'autre des fiducies créées, d'emprunter de l'argent pour toute fin concernant la fiducie, de faire le commerce des titres et d'établir le budget annuel des dépenses et des revenus. Les fiduciaires ont également le pouvoir de se joindre à des sociétés en nom collectif, à des sociétés en commandite ou à des coentreprises.

[15] C'est en vertu de ce dernier pouvoir que la fiducie familiale s'est jointe à la société. Celle-ci a été créée le 1er août 1989 et, le même jour, les fiduciaires de la fiducie familiale (l'appelant et son épouse) ont signé une déclaration de fiducie distincte par laquelle ils ont déclaré que la fiducie familiale détenait la participation dans la société en fiducie pour la fiducie de l'époux et celle de l'épouse. Cette déclaration est libellée dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

La fiducie familiale DeMond déclare par les présentes que la totalité de la participation (la “ participation ”) dans la société en commandite Gorton's Emporium for Children (la “ société ”) enregistrée en son nom est détenue par elle en fiducie pour la fiducie des biens distincts de l'époux aux termes de la fiducie familiale de Gorton et Joyce DeMond (la “ fiducie de l'époux ”) dans une proportion de 90 p. 100 et pour la fiducie des biens distincts de l'épouse aux termes de la fiducie familiale de Gorton et Joyce DeMond (la “ fiducie de l'épouse ”) dans une proportion de 10 p. 100, ou leur(s) mandataire(s) désigné(s) par écrit, qu'elle n'a pas le moindre intérêt dans la participation, si ce n'est à titre de simple fiduciaire, et que toute distribution, que ce soit des revenus ou du capital, en argent comptant ou autrement, et tout droit sur la participation en question, ainsi que le produit découlant de la vente de celle-ci, ne lui appartiennent d'aucune façon et appartiennent à la fiducie de l'époux dans une proportion de 90 p. 100 et à celle de l'épouse dans une proportion de 10 p. 100; elle renonce par les présentes à tout droit de préemption en faveur des bénéficiaires en question.

En ce qui concerne la participation, la fiducie familiale de Gorton et Joyce DeMond ordonne, par les présentes, irrévocablement à la société d'effectuer toute distribution des revenus ou du capital, en argent comptant ou autrement, directement aux bénéficiaires en question, selon leur part respective.

La fiducie familiale de Gorton et Joyce DeMond ordonne, par les présentes, irrévocablement à la société de transférer la participation aux bénéficiaires en question suivant leurs directives, à la date de leur choix.

EN FOI DE QUOI la fiducie familiale de Gorton et Joyce DeMond a signé la présente déclaration de fiducie ce 1er jour d'août 1989.

Les fiduciaires de

la fiducie familiale de Gorton et Joyce DeMond

[16] L'appelant a témoigné qu'il n'avait jamais exercé le moindre pouvoir à titre de fiduciaire pour effectuer des opérations visant les biens de la fiducie. Il a déclaré qu'il avait essentiellement agi comme un administrateur et que, en cette qualité, il n'avait jamais avancé de fonds aux fiducies ni emprunté d'argent sur les biens appartenant à la fiducie. Il a indiqué qu'il avait consenti une hypothèque sur une maison dont il était personnellement propriétaire à Hollywood pour emprunter le montant de 300 000 $, qu'il avait investi dans l'entreprise exploitée par la société. Il a déclaré qu'il avait subséquemment transféré la maison à sa fiducie, et qu'il avait investi approximativement 600 000 $ dans la société.

[17] L'appelant, qui est aujourd'hui un spécialiste des services de banque d'investissement, a affirmé que, à l'époque de la société, il avait consacré tout son temps à cette entreprise. Il avait de l'expérience dans le domaine puisque ses parents avaient exploité une chaîne de magasins de vêtements en Californie du Sud. Il a mis l'entreprise sur pied à l'été de 1989, et le magasin a ouvert ses portes à Richmond (C.-B.) au mois de novembre 1989. Son épouse travaillait à temps partiel dans l'entreprise, qui a été exploitée jusqu'au mois de janvier 1991, date à laquelle un séquestre a été nommé et l'entreprise, fermée. L'appelant a expliqué que l'échec de l'entreprise était en grande partie attribuable à un ralentissement économique dans la région et au fait que le magasin était trop gros.

[18] L'appelant a suivi les conseils de son comptable et, dans sa déclaration de revenus canadienne de 1990, il a déclaré la perte de la société comme étant sa perte personnelle. Il a traité la fiducie familiale et la fiducie de l'époux comme de simples fiducies à l'égard de la société aux fins de l'impôt canadien et de l'impôt américain. En contre-interrogatoire, l'appelant a déclaré qu'il n'était pas nécessaire de préciser par écrit que le revenu ou la perte lui était effectivement attribuable ou était attribuable à son épouse personnellement par l'intermédiaire de la fiducie de l'époux ou de la fiducie de l'épouse. Il a déclaré que l'ensemble de la fiducie servait uniquement au transfert de l'argent aux fins de l'impôt sur les successions. En fait, lui et son épouse ne faisaient aucune distinction entre les rôles de chacun d'eux à titre de constituant, de fiduciaire ou de bénéficiaire de la fiducie de chacun puisqu'ils jouaient tous deux tous les rôles dans le cadre de leurs fiducies respectives. Ils ont toujours considéré les biens de leurs fiducies respectives comme leurs propres biens et ont effectué des opérations à leur égard comme s'ils en étaient les propriétaires.

[19] Les états financiers de la société pour l'exercice qui s'est terminé le 31 août 1990 indiquent que la fiducie familiale a injecté 742 016 $ dans la société jusqu'à la fin de l'exercice de 1990 de celle-ci. L'appelant a personnellement contribué 80,99 p. 100 de ce montant, ou 601 039,74 $, à même ses propres biens. La perte nette de la société pour l'exercice financier qui s'est terminé le 31 août 1990 s'élevait à 442 892 $. La perte de la fiducie familiale pour le même exercice était de 398 559 $, ou 89,99 p. 100 de la perte nette de la société. Conformément à la déclaration de fiducie distincte du 1er août 1989, la perte est transférée à la fiducie de l'époux et à celle de l'épouse dans des proportions de 90 p. 100 et de 10 p. 100 respectivement. La perte qui est par conséquent attribuable à la fiducie de l'époux s'élève à 358 703 $, lequel montant est en litige dans le présent appel.

Observations de l'appelant

[20] L'avocate de l'appelant a fait valoir en premier lieu que la fiducie familiale était une simple fiducie à l'égard de la société. Elle s'appuie sur le fait que la fiducie familiale ne détient aucun bien. En fait, l'avocate a-t-elle indiqué, cette fiducie s'est limitée à établir trois fiducies distinctes, à se joindre à une société et à détenir la participation dans la société en fiducie pour la fiducie de l'époux dans une proportion de 90 p. 100 et en fiducie pour la fiducie de l'épouse dans une proportion de 10 p. 100. La déclaration de fiducie distincte indique clairement que la fiducie familiale n'avait aucun intérêt dans la société, si ce n'est à titre de simple fiduciaire.

[21] L'avocate a fait valoir également que la fiducie de l'époux était aussi une simple fiducie dont il ne fallait pas tenir compte aux fins de l'impôt canadien, et que la perte de 358 703 $ subie par la fiducie de l'époux dans l'année d'imposition 1990 est donc une perte subie par l'appelant aux fins de l'impôt. L'avocate a souligné que le terme “ simple fiducie ” n'est pas défini dans la Loi. Cependant, selon la politique de Revenu Canada sur les simples fiducies, dans les cas où des biens sont détenus par une telle fiducie, Revenu Canada ne tient pas compte de la fiducie aux fins de l'impôt sur le revenu et considère le constituant comme le propriétaire des biens pour l'application de la Loi. Selon la politique de Revenu Canada, il y a simple fiducie dans les cas suivants :

le fiduciaire n'a pas de responsabilités ni de pouvoirs importants et ne peut agir que suivant les instructions du constituant;

la seule fonction du fiduciaire est de détenir le titre légal du bien;

le constituant est le seul bénéficiaire et peut à tout moment demander que les biens lui soient retournés (voir Revenu Canada, Impôt sur le revenu, Nouvelles techniques, no 7, 21 février 1996).

[22] L'avocate de l'appelant a également mentionné les définitions de “ simple fiducie ” formulées par deux auteurs. Le professeur Waters définit la simple fiducie dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

On entend généralement par “ simple fiducie ” la fiducie où le ou les fiduciaires détiennent des biens sans aucune autre obligation d'agir, sauf celle de remettre les biens au bénéficiaire sur demande44. Il est vrai, évidemment, que le fiduciaire qui détient des biens en fiducie doit continuer de s'acquitter de ses obligations légales, comme celle d'exercer une diligence raisonnable à l'égard des biens en les conservant ou en les investissant; il ne peut se départir de ces obligations. On parle cependant ici des obligations que le constituant a énumérées. Par exemple, le constituant peut avoir exigé qu'il soit subvenu aux besoins du bénéficiaire jusqu'à l'âge de la majorité, quand il pourra demander qu'on lui verse le capital ou les revenus. Le fiduciaire est alors libéré de ces obligations actives, déterminées par le constituant. Si les obligations légales du fiduciaire ne consistent qu'à protéger les biens jusqu'à leur transfert au bénéficiaire, elles sont dites passives.

44 Ou ainsi que le précisent les bénéficiaires, c'est-à-dire en faveur d'un tiers. Tout fiduciaire, y compris le mandataire qui détient le titre du bien pour un mandant, est un simple fiduciaire du bien qu'il détient pour une autre personne.

Waters, Law of Trusts in Canada (1984), à la page 27.

[23] Dans la même veine, le professeur Oosterhoff définit le concept de simple fiducie dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

La simple fiducie : Il y a fiducie lorsque le titre d'un bien est dévolu à une personne qui doit le détenir pour le bénéfice d'une autre personne. Le fiduciaire est tenu de s'acquitter de diverses obligations, certaines en equity, comme celles de faire profiter le bien et d'exercer une diligence raisonnable à son égard, et d'autres, imposées par le constituant de la fiducie, comme l'obligation d'utiliser le revenu pour subvenir aux besoins des personnes mineures. Lorsque le fiduciaire n'a plus d'obligations actives (c'est-à-dire celles qui sont imposées par le constituant de la fiducie), si ce n'est de remettre les biens de la fiducie au bénéficiaire sur demande, la fiducie est dite simple. Dans ce cas, les obligations imposées au fiduciaire en equity sont considérées comme des obligations passives.

A. H. Oosterhoff, Text, Commentary and Cases on Trusts (1992), à la page 13.

[24] L'avocate a déclaré que l'appelant, à titre de bénéficiaire, pouvait n'importe quand assumer son rôle de fiduciaire pour que les biens lui soient transférés, et, par conséquent, elle a conclu que la fiducie de celui-ci était une simple fiducie. En outre, la déclaration de fiducie ne prévoyait pas que le fiduciaire de la fiducie de l'époux avait des pouvoirs ou des obligations excédant les obligations légales normales d'un fiduciaire. L'unique fonction de l'appelant en tant que fiduciaire était de détenir le titre légal des biens pour lui-même en tant que bénéficiaire. Enfin, il ressort clairement de la déclaration de fiducie que l'appelant est l'unique bénéficiaire de la fiducie de l'époux et qu'il a le pouvoir de la révoquer en tout temps.

Observations de l'intimée

[25] L'avocate de l'intimée a fait valoir qu'aucune des fiducies n'était une simple fiducie ou, à tout le moins, que la fiducie familiale ou la fiducie de l'époux ne sont pas de simples fiducies. Elle s'est reportée aux trois conditions énoncées dans les Nouvelles techniques de Revenu Canada, susmentionnées, pour qu'une fiducie soit considérée comme une simple fiducie.

[26] L'avocate a prétendu qu'il n'était pas satisfait à la première condition puisque les fiduciaires détiennent des responsabilités et des pouvoirs très importants aux termes de la déclaration de fiducie.

[27] L'avocate a fait valoir qu'il n'était pas satisfait au deuxième critère non plus car la fiducie familiale s'est jointe à une société pour exploiter une entreprise de vêtements et de jouets pour enfants. D'après l'avocate, cela excède clairement le simple fait de détenir le titre légal des biens.

[28] Concernant la troisième condition, l'avocate a déclaré que le constituant n'était pas l'unique bénéficiaire car, aux termes de la fiducie de l'époux, le fiduciaire avait le pouvoir d'effectuer une distribution en faveur de n'importe qui. La déclaration de fiducie prévoit que [TRADUCTION] “ le revenu net et le principal sont accumulés ou distribués par le fiduciaire suivant les directives que l'époux donne à l'occasion ... ”. L'avocate a également indiqué que l'appelant ne pouvait pas demander que la participation dans la société lui soit transférée car il n'avait pas transféré cette participation à la fiducie familiale. C'est la fiducie familiale elle-même qui a déclaré que la participation dans la société était détenue en fiducie pour la fiducie de l'époux et celle de l'épouse. Il n'y a aucune preuve écrite que le revenu tiré de la société devait être transféré à l'époux et à l'épouse en tant que particuliers; à tout le moins, l'avocate a-t-elle soutenu, rien n'indique une telle intention.

[29] L'avocate a également fait valoir qu'il était faux de dire que la fiducie familiale ne détenait aucun bien. Elle détenait la participation dans la société. Rien n'indique que cette participation était détenue par la fiducie de l'époux et celle de l'épouse; il était seulement précisé que le revenu devait leur être transféré.

Analyse

[30] Il s'agit uniquement de déterminer si la fiducie familiale et la fiducie de l'époux sont de simples fiducies relativement à la société. Si les fiducies ne sont pas de simples fiducies, les parties ne contestent pas que les pertes de la société doivent être celles des fiducies et ne peuvent être transférées à l'appelant (cette affirmation est fondée sur une interprétation de l'article 104 de la Loi adoptée par la Section de première instance de la Cour fédérale dans Fraser v. The Queen, 91 DTC 5123). Si les fiducies sont de simples fiducies, la politique de Revenu Canada consiste à ne pas tenir compte de leur existence aux fins de l'impôt sur le revenu et à considérer le constituant comme le propriétaire des biens de la fiducie (voir Impôt sur le revenu, Nouvelles techniques, no 7, 21 février 1996). Dans ce cas, l'appelant aura le droit de déduire sa part des pertes subies par la société.

[31] C'est aussi l'optique retenue par les tribunaux puisqu'il a été statué que les pertes subies dans le cadre d'une opération immobilière effectuée au nom d'une société à titre de simple fiduciaire devaient être déduites par la personne ayant un droit absolu aux bénéfices. Dans l'affaire Brookview Investments Ltd. et al. v. M.N.R., 63 DTC 1205 (C. de l'É.), des dispositions avaient été prises pour qu'une fiducie soit établie dans le but d'acheter un bien-fonds à titre de simple fiducie. Le juge Cattanach a conclu que l'unique rôle de la fiducie était de transférer les biens suivant les directives du groupe d'investisseurs. Il a par conséquent conclu que les investisseurs pouvaient déduire les pertes subies dans le cadre de l'opération immobilière, qui s'était révélée un échec. Le juge Cattanach a affirmé que, si des bénéfices avaient été réalisés, ces bénéfices n'auraient pas été imposés entre les mains de la fiducie, mais plutôt entre les mains de la personne qui avait un droit absolu aux bénéfices. M. W. D. Goodman, dans “ The Character of the Bare Trust in Canadian Tax Legislation ”, dans l'ouvrage de D. W. Waters, ed., Equity, Fiduciaries and Trusts (Toronto: Carswell, 1993), page 219, a fait la remarque suivante sur l'affaire Brookview Investments, à la page 233 :

[TRADUCTION]

[...] Malheureusement, les motifs du jugement n'indiquent pas clairement le fondement juridique de la décision, mais on peut supposer que celle-ci repose sur l'opinion selon laquelle on peut faire totalement abstraction d'une simple fiducie à des fins fiscales, de façon que les biens détenus par le simple fiduciaire et tout revenu ou perte en découlant dussent être considérés comme appartenant aux bénéficiaires de la simple fiducie.

[32] Dans l'affaire Pan-American Trust Co. v. M.N.R., 49 DTC 672 (C. de l'É.), le président Thorson a déclaré ceci à la page 676 :

[TRADUCTION]

[...] Il me semble également que l'expression [TRADUCTION] “ revenu reçu ou tiré d'une succession ou fiducie canadienne ” doit signifier autre chose que le revenu tiré d'un bien qu'un constituant a transféré à un fiduciaire pour lui-même et dont il n'a jamais cessé d'avoir la propriété effective.

[33] Dans cette affaire, une compagnie avait été constituée au Canada pour détenir en fiducie les actions d'une société de placement non résidente pour des actionnaires suisses. La Cour devait déterminer si les dividendes reçus par la compagnie canadienne sur ces actions et payés à ses actionnaires étaient des dividendes ou un revenu tiré d'une fiducie. La Cour a statué que les dividendes payés sur les actions n'avaient pas perdu leur caractère entre les mains des actionnaires suisses, bien qu'ils eussent été payés aux actionnaires par l'intermédiaire d'une compagnie de fiducie canadienne. Le président Thorson a conclu que, bien que la compagnie de fiducie canadienne fût devenue propriétaire en common law des actions, les actionnaires suisses étaient les personnes ayant la propriété effective des dividendes. Par conséquent, les dividendes ne devaient pas être considérés, en ce qui les concerne, comme un revenu reçu ou tiré d'une fiducie canadienne. Il n'a effectivement pas été tenu compte de l'existence de la fiducie.

[34] Dans “ The Character of the Bare Trust in Canadian Tax Legislation ”, op. cit., M. Goodman a mentionné à la page 222 un article du professeur Hayton dans lequel ce dernier a affirmé qu'une simple fiducie n'est pas une véritable fiducie. Le professeur Hayton a écrit ceci :

[TRADUCTION]

Si, en dépit de la forme de l'acte de fiducie, la fiducie est un trompe-l'oeil ayant apparemment des effets sur le plan juridique, mais ne visant pas réellement à avoir de tels effets puisque c'est le constituant qui détient le pouvoir réel de disposition du capital et des revenus, elle n'est alors pas une véritable fiducie, mais une simple fiducie dans le cadre de laquelle le constituant reste le propriétaire en equity.

Cependant, M. Goodman a pris soin d'indiquer que la déclaration du professeur Hayton ne devait pas être interprétée comme laissant entendre que les dispositions de la Loi relatives aux fiducies ne s'appliquent pas aux simples fiducies.

[35] Dans Corporate Management Tax Conference 1989: "Creative Tax Planning for Real Estate Transactions --- Beyond Tax Reform and into the 1990s", l'opinion de Revenu Canada sur le concept de la simple fiducie est formulée dans les termes suivants à la page 8:1 :

[TRADUCTION]

Du point de vue de Revenu Canada, l'utilisation de simples fiducies à des fins commerciales soulève des questions complexes en matière d'impôt sur le revenu. Ces questions sont complexes parce que, pour arriver à des résultats en apparence équitables en matière d'impôt, l'existence d'une fiducie, qui est exécutoire à des fins commerciales, doit être laissée de côté à des fins fiscales.

Bien que la simple fiducie ne soit pas définie dans la Loi de l'impôt sur le revenu, Revenu Canada la considère de façon générale comme une fiducie en common law lorsque le fiduciaire ne détient aucune responsabilité ni aucun pouvoir important et ne peut agir à l'égard des biens détenus en fiducie que suivant les instructions du constituant. Normalement, l'unique rôle du fiduciaire consiste à détenir le titre légal des biens. En outre, le constituant est l'unique bénéficiaire et peut demander que les biens lui soient retournés en tout temps. Donc, une simple fiducie n'inclut pas la fiducie sans droit de regard ni les autres fiducies dans le cadre desquelles le fiduciaire a des pouvoirs et des responsabilités établis.

[36] Outre les définitions de “ simple fiducie ” que l'avocate de l'appelant a mentionnées, on a également déclaré que le simple fiduciaire détient des biens en fiducie au profit absolu des bénéficiaires qui peuvent en disposer sans condition (voir Halsbury's Laws of England, 4e éd., volume 48, paragraphe 641, et The Queen v. Robinson et al., 98 DTC 6232 (C.A.F.)).

[37] Le simple fiduciaire a également été comparé au mandataire. Il ne sera pas tenu compte de l'existence d'une simple fiducie à des fins fiscales dans les cas où le simple fiduciaire détient des biens en tant que simple mandataire ou pour la personne en ayant la propriété effective. Dans l'arrêt Trident Holdings Ltd. v. Danand Investments Ltd., 64 O.R. (2d) 65 (C.A. Ont.), le juge Morden, s'exprimant pour la Cour d'appel de l'Ontario, a établi une distinction entre la fiducie ordinaire et la simple fiducie. Il a reproduit les passages suivants tirés de Scott, The Law of Trusts, 4e éd. (1987) :

[TRADUCTION]

Le mandataire agit pour son mandant et en son nom, et il est assujetti à son contrôle; le fiduciaire en tant que tel n'est pas assujetti au contrôle de son bénéficiaire, quoi qu'il soit tenu d'agir à l'égard des biens en fiducie pour le bénéfice de ce dernier et en conformité avec les termes de la fiducie, et qu'il puisse être contraint par le bénéficiaire de s'acquitter de cette obligation. Le mandataire a une obligation d'obéissance envers son mandant; le fiduciaire est tenu de se conformer aux termes de la fiducie [vol. 1, p. 88].

             ...............

Une personne peut être à la fois mandataire et fiduciaire d'une autre personne. Si elle entreprend d'agir pour le compte de l'autre personne et sous réserve de son contrôle, elle est un mandataire, mais si elle détient le titre des biens pour son mandant, elle est également un fiduciaire. Dans un tel cas, cependant, c'est la relation de mandataire qui prédomine, et les principes du mandat, et non ceux de la fiducie, s'appliquent [vol. 1, p. 95].

[38] Le juge Morden a également cité avec approbation un article de M. C. Cullity, “ Liability of Beneficiaries - A Rejoinder ”, (1985-86), 7 Estates & Trusts Quarterly 35, à la page 36 :

[TRADUCTION]

Il est manifeste que, dans nombre de situations, les fiduciaires sont également des mandataires. C'est ce qui se produit, par exemple, dans le cas bien connu des investissements que le courtier en valeurs mobilières détient en tant que fondé de pouvoir ou dans le cas du bien-fonds détenu par une société désignée. Dans de tels cas, la relation fiduciaire qui naît de la séparation de la propriété en common law et de la propriété en equity est souvent qualifiée de simple fiducie et, naturellement, à des fins fiscales et à certaines autres fins, il n'en est pas tenu compte.

La simple fiducie se distingue des autres fiducies en ce que le fiduciaire n'a aucune discrétion ou responsabilité ni aucun pouvoir indépendants. Son unique responsabilité consiste à donner suite aux instructions de ses mandants, les bénéficiaires. S'il n'est pas tenu d'accepter les instructions, s'il détient des pouvoirs ou des responsabilités indépendants importants, il n'est pas un simple fiduciaire.

[39] Dans la présente affaire, l'appelant et son épouse ont rempli une déclaration de fiducie, dont l'objet était d'établir différentes fiducies concernant l'apport de biens de leur vivant et de prévoir la création d'autres fiducies distinctes en cas de décès de l'un d'eux. Dans la déclaration de fiducie, l'appelant et son épouse sont appelés l'époux et l'épouse, ou les constituants.

[40] Aux termes de la déclaration de fiducie, l'appelant et son épouse se sont transférés à eux-mêmes, en tant que fiduciaires, tous les droits, titres et intérêts qu'ils détenaient sur leurs biens. Les biens appartenant à l'appelant ont été attribués à la fiducie de l'époux, les biens appartenant à l'épouse de l'appelant, à celle de l'épouse, et les biens appartenant à l'appelant et à son épouse, à la fiducie conjointe. Au décès de l'appelant ou de son épouse, tous les biens seront répartis entre des fiducies distinctes, et il sera mis fin à la fiducie de l'époux, à la fiducie de l'épouse et à la fiducie conjointe.

[41] La déclaration de fiducie prévoit expressément que l'appelant doit agir seul en tant que fiduciaire de la fiducie de l'époux, que son épouse doit agir seule en tant que fiduciaire de la fiducie de l'épouse, et que l'appelant et son épouse agissent en tant que fiduciaires de la fiducie conjointe. Tant que les deux constituants (l'appelant et son épouse) sont vivants et capables, les bénéficiaires sont les constituants. Si les constituants deviennent tous deux incapables ou si tous deux décèdent, la déclaration de fiducie prévoit la nomination d'autres bénéficiaires possibles.

[42] La déclaration de fiducie précise également que, en tant que fiduciaire, l'appelant doit administrer la fiducie de l'époux indépendamment de toute autre fiducie créée aux termes de la déclaration et accumuler ou distribuer le revenu net et le principal de celui-ci suivant les directives que l'“ époux ” (l'appelant) donne à l'occasion.

[43] La preuve a révélé que la fiducie familiale détenait la participation dans la société à titre de simple fiduciaire seulement pour la fiducie de l'époux et celle de l'épouse. La déclaration de fiducie distincte précise clairement que la fiducie familiale ne détient aucune participation dans la société, si ce n'est à titre de simple fiduciaire. Elle prévoit aussi clairement que, pour ce qui est de la participation dans la société, tous les revenus ou le capital distribués sont la propriété de la fiducie de l'époux et de celle de l'épouse. Dans cette déclaration de fiducie distincte, la fiducie familiale ordonne aussi à la société de transférer la participation dans la société aux bénéficiaires suivant leurs instructions, à la date de leur choix.

[44] Il est par conséquent clair, à mon avis, que la fiducie familiale détenait la participation dans la société au profit absolu de la fiducie de l'époux et de celle de l'épouse, qui pouvaient en disposer sans condition. La fiducie familiale agissait clairement à titre de simple fiduciaire relativement à la participation dans la société. Pour cette raison, et conformément à la politique de Revenu Canada et à la jurisprudence, les pertes subies par la société ne devraient pas être déclarées par la fiducie familiale aux fins de l'impôt.

[45] Il reste donc à déterminer si ces pertes devraient être déclarées par la fiducie de l'époux et celle de l'épouse ou si ces fiducies devraient être considérées comme de simples fiducies pour ce qui est de la participation dans la société, ce qui permettrait à l'appelant et à son épouse personnellement de déduire les pertes en question. À mon avis, l'appelant et son épouse ont le véritable pouvoir de disposition à l'égard du capital et des revenus que la participation dans la société permet d'accumuler, et l'on peut donc dire que les constituants restent les propriétaires en equity.

[46] La preuve a révélé que l'appelant avait personnellement injecté approximativement 600 000 $ à même ses propres biens. D'après la déclaration de fiducie, à titre de fiduciaire de la fiducie de l'époux, l'appelant doit accumuler ou distribuer le revenu net et le principal suivant les instructions que l'époux donne de temps en temps. Aux termes de la même déclaration de fiducie, de leur vivant, les constituants sont les bénéficiaires.

[47] En outre, du vivant des deux constituants, seul l'époux a le pouvoir de révoquer la fiducie de l'époux et, s'il exerce ce pouvoir, le fiduciaire doit remettre à l'époux tout bien distinct qui se trouve dans la fiducie de l'époux (cela vaut aussi pour la fiducie de l'épouse). Il me semble par conséquent que l'appelant peut demander en tout temps que lui soit retournée la part de la participation dans la société que détient la fiducie de l'époux. Il peut exercer son pouvoir de révoquer sa fiducie n'importe quand, et le fiduciaire n'a alors d'autre choix que de transférer les biens (la participation dans la société) à l'appelant sur demande. C'est ce que prévoit la déclaration de fiducie et ce que permet la règle de common law énoncée dans l'affaire Saunders v. Vauthier, (1841) 4 Beav. 115, 49 E.R. 282, par lord Langdale, M.R. (confirmé Cr. and Ph. 240, 41 E.R. 482, par lord Cottenham, C.L.), que le professeur Waters explique dans les termes suivants à la page 963 de l'ouvrage intitulé Law of Trusts in Canada, op. cit. :

[TRADUCTION]

[...] s'il n'y a qu'un seul bénéficiaire, ou s'il y en a plusieurs (qu'ils soient concurrents ou successifs) et qu'ils sont tous du même avis, et que le ou les bénéficiaires ne sont frappés d'aucune incapacité, l'exécution spécifique de la fiducie peut être interrompue et la fiducie peut être modifiée ou éteinte par le ou les bénéficiaires sans tenir compte des souhaits du constituant ou des fiduciaires.

[48] Il est donc difficile de dire que le fiduciaire a des responsabilités ou des pouvoirs importants et qu'il peut passer outre aux instructions du constituant, ou qu'il n'est assujetti à aucun contrôle de son bénéficiaire puisque l'appelant joue en fait les rôles des trois parties constituantes de la fiducie : il est le constituant, le fiduciaire et le bénéficiaire de sa propre fiducie.

[49] En résumé, l'existence de la fiducie de l'époux n'empêche pas l'appelant en l'espèce de jouir de la propriété effective et de la propriété en common law de la participation dans la société. À cet égard, je conclus que l'appelant est le véritable propriétaire de la participation dans la société, bien que celle-ci paraisse avoir été transférée légalement à une fiducie. Dans ce sens, il est juste de dire que l'appelant conserve un droit absolu sur les biens de la fiducie de l'époux. Par conséquent, ainsi que le juge Cattanach l'a indiqué dans Brookview Investments, si la société avait réalisé des bénéfices, ceux-ci auraient été imposés dans les mains de l'appelant. Il s'ensuit que les pertes subies par la société peuvent être déduites du revenu de l'appelant.

[50] L'appel est par conséquent admis avec frais et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a le droit de déduire, dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1990, une perte d'entreprise de 358 703 $ subie par la société.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de juillet 1999.

“ Lucie Lamarre ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 25e jour d'avril 2000.

Benoît Charron, réviseur

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