Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980505

Dossiers: 97-111-UI; 97-112-UI; 97-267-UI

ENTRE :

JITENDRA LAKHANI, ARUN LAKHANI, SUNIL LAKHANI,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus sur preuve commune à Toronto (Ontario) les 24 février et 25 février 1998 avec le consentement des parties.

[2] Chaque appelant fait appel de la décision distincte du ministre du Revenu national (le « ministre » ) en date du 31 octobre 1996 le concernant, décision selon laquelle son emploi chez Microbest Computers Inc., le payeur, du 1er avril 1988 au 30 avril 1993, n’était pas un emploi assurable selon la Loi sur l’assurance-chômage (ci-après appelée la « Loi » ). Le motif invoqué pour ces décisions était le suivant :

[TRADUCTION]

Votre emploi était exclu des emplois assurables parce que vous aviez un lien de dépendance ou vous étiez réputé avoir un lien de dépendance avec le payeur, Microbest Computers Inc.

Les décisions étaient fondées, était-il expliqué, sur l’alinéa 3(2)c) de la Loi.

[3] Selon les faits établis, les trois appelants sont frères et chacun, à l’époque pertinente, était propriétaire d’un tiers des actions en circulation de l’entreprise. Ainsi, selon l’article 3 de la Loi et le paragraphe 251(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, à titre de personnes liées, ils sont réputés en droit avoir un lien de dépendance l’un avec l’autre. Par conséquent, sous réserve de l’exception énoncée au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, les emplois en question relèvent de la catégorie des « emplois exclus » , c'est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’emplois donnant droit à des prestations d’assurance-chômage lorsqu’ils cessent. Le ministre a déterminé que les emplois en cause ne sont pas visés par l’exception et les appelants en ont chacun appelé de cette décision.

Le droit

[4] Dans le cadre du régime établi par la Loi, le Parlement a prévu que certains emplois sont assurables et donnent droit à des prestations s’ils cessent, et que d’autres emplois, qui sont « exclus » , ne donnent droit à aucune prestation s’ils cessent. Lorsque des personnes qui ont un lien de dépendance concluent une convention d’emploi, il s’agit d’un « emploi exclu » . Des frères qui contrôlent une entreprise sont réputés avoir un lien de dépendance avec l’entreprise conformément au paragraphe 251(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui régit cette situation. Cette disposition législative a manifestement pour but d’éviter au régime d’avoir à payer une multitude de prestations fondées sur des conventions d’emploi factices ou fictives.

[5] La rigueur de cette disposition a toutefois été atténuée par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, lequel prévoit qu’un emploi dans un cas où l’employeur et l’employé sont des personnes liées est réputé être exercé sans lien de dépendance et peut donc être considéré comme un emploi assurable, s’il remplit toutes les autres conditions, c’est-à-dire, si le ministre est convaincu, compte tenu de toutes les circonstances (y compris les points qui sont mentionnés) qu’il est raisonnable de conclure qu’ils auraient conclu entre eux un contrat à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu (en fait)un lien de dépendance. Il pourrait être utile que je reformule la façon dont je comprends ce sous-alinéa. Pour les personnes qui sont liées, la Loi exclut tout droit à des prestations d’assurance, à moins qu’on ne puisse convaincre le ministre que la convention d’emploi est bel et bien la même qu’auraient conclue des personnes non liées, c'est-à-dire des personnes qui n’ont manifestement aucun lien de dépendance. Le Parlement a jugé que, s’il s’agit d’un contrat de travail à peu près semblable, il devrait en toute équité être inclus dans le régime. Toutefois, c’est le ministre qui décide. Sauf s’il est convaincu qu’il y a lieu de l’inclure, l’emploi reste exclu et l’employé n’a pas droit à des prestations.

[6] L’article 61 de la Loi porte sur les appels au ministre et sur le règlement de questions par celui-ci. On lit au paragraphe 61(6) que :

[...] le ministre doit, avec toute la diligence voulue [...] régler la question soulevée par la demande [...]

[7] Le ministre est donc tenu de régler la question. La Loi l’exige. Si le ministre n’est pas convaincu, l’emploi reste exclu et l’employé n’a pas droit aux prestations. Si toutefois il est convaincu, sans plus de cérémonie et sans prise d’aucune mesure par le ministre (sauf la communication de la décision), l’employé a droit à des prestations, pourvu qu’il remplisse les autres exigences. Il ne s’agit pas d’un pouvoir discrétionnaire au sens que, si le ministre est convaincu, il peut alors juger que l’emploi est assurable. Il doit « régler la question » et, selon ce qu’il décide, aux termes de la Loi l’emploi est réputé soit comporter un lien de dépendance, soit ne pas en comporter. En ce sens, le ministre n’a pas à proprement parler de pouvoir discrétionnaire à exercer car, en prenant sa décision, il doit agir de façon quasi judiciaire et il n’a pas le droit de faire le choix qui lui plaît. Il ressort des décisions de la Cour d’appel fédérale sur cette question que le même critère s’applique à une multitude d’autres fonctionnaires qui prennent des décisions quasi judiciaires dans de nombreux domaines différents. Voir Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361, Attorney General of Canada v. Jencan Ltd. (1997), 215 N.R. 352 et Her Majesty the Queen v. Bayside Drive-In Ltd. (1997), 218 N.R. 150.

[8] Le rôle de ce tribunal est alors, en cas d’appel, de réviser la décision du ministre et de décider s’il l’a prise légalement, c'est-à-dire conformément à la Loi et aux principes de la justice naturelle. Dans l’affaire Her Majesty the Queen v. Bayside et al. (précitée), la Cour d’appel fédérale a relevé certains points à considérer par le présent tribunal lorsqu’il entend de tels appels : (i) le ministre a-t-il agi de mauvaise foi ou en s’appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié? (ii) le ministre a-t-il omis de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes comme il est expressément tenu de le faire aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii)? ou (iii) le ministre a-t-il tenu compte d’un facteur non pertinent?

[9] La Cour d’appel fédérale a ensuite ajouté :

Ce n’est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l’on peut dire qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une façon contraire à la loi, et [...] que le juge de la Cour de l’impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s’il n’y avait pas eu entre eux de lien de dépendance.

[10] L’avocat des appelants a soutenu que les décisions du ministre dans les affaires dont je suis saisi étaient partiales, et en outre que les faits mentionnés dans ses réponses à ces appels avaient l’apparence de partialité. L’avocat a également allégué que les faits énoncés sur lesquels s’est fondé le ministre étaient dans bien des cas inexacts ou mal interprétés. Encore une fois, ce que je ne dois pas oublier, à l’examen de ces arguments, c’est qu’il n’appartient pas à ce tribunal de substituer son opinion concernant la preuve à celle du ministre. Toutefois, si la façon dont ce dernier en est arrivé à la décision était illégale à la lumière des jugements mentionnés ci-dessus, je pourrais ne pas tenir compte des parties concernées des faits énoncés et je devrais alors me demander s’il se dégage des faits qui restent des motifs justifiant les décisions. Si ces motifs sont en soi suffisants pour que le ministre prenne une décision, même si le tribunal pourrait ne pas l’agréer, la décision doit être maintenue. Si par ailleurs, d’un point de vue objectif et raisonnable, il ne reste plus rien sur lequel le ministre pourrait légalement fonder une telle décision, celle-ci peut alors être infirmée, et le tribunal peut examiner la preuve qui lui a été présentée en appel et rendre sa propre décision. Bref, si le ministre dispose de suffisamment de faits pour prendre sa décision, c’est à lui qu’il appartient de régler la question et, s’il « n’est pas convaincu » , il n’appartient pas au présent tribunal de substituer à celle du ministre sa propre opinion au sujet de ces faits et de dire que le ministre aurait dû être convaincu. De même, si le ministre était convaincu, il n’appartient pas au présent tribunal de substituer à celle du ministre sa propre opinion selon laquelle il n’aurait pas dû être convaincu (scénario peu probable de toute façon). C’est seulement si la décision est prise d’une manière inappropriée et qu’elle est déraisonnable d’un point de vue objectif, compte tenu des faits qui ont été légitimement présentés au ministre, que le tribunal peut intervenir.

[11] Je puis m’appuyer à ce sujet sur un certain nombre de décisions de diverses cours d’appel canadiennes et de la Cour suprême du Canada dans des affaires connexes concernant diverses procédures relevant du Code criminel, décisions qui ont été examinées par la suite par les tribunaux et qui sont à mon avis analogues à la présente espèce. La norme de contrôle en ce qui concerne la validité d’un mandat de perquisition a été établie par le juge Cory (alors juge d’appel) dans l’affaire Times Square Book Store, Re (1985), 21 C.C.C. (3d) 503 (C.A.), où il a dit qu’il n’appartient pas au juge qui fait le contrôle d’examiner ou considérer de novo l’autorisation relative à un mandat de perquisition et que ledit juge ne saurait substituer sa propre opinion à celle du juge qui a accordé le mandat. Il s’agit plutôt, au stade du contrôle, de déterminer d’abord s’il existait ou non une preuve sur la foi de laquelle un juge de paix, agissant judiciairement, pouvait conclure qu’un mandat de perquisition devait être délivré.

[12] La Cour d’appel de l’Ontario a repris et développé ce point de vue dans l’affaire R. v. Church of Scientology of Toronto and Zaharia (1987), 31 C.C.C. (3d) 449 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée. En suggérant que le tribunal faisant le contrôle examine « l’ensemble des circonstances » , la Cour d’appel a affirmé à la page 492 :

[TRADUCTION]

Manifestement, s’il n’y a pas de preuve sur laquelle appuyer une telle conviction (c’est-à-dire qu’une infraction criminelle a été commise), on ne peut dire que dans ces circonstances le juge de paix doit être convaincu. Il y aura cependant des cas où une telle preuve (établissant des motifs raisonnables) existera bel et bien et où le juge de paix pourrait être convaincu, mais où il ne le sera pas et n’exercera pas sa discrétion en délivrant un mandat de perquisition. Dans de telles circonstances, le juge qui fait le contrôle ne doit pas dire que le juge de paix aurait dû être convaincu et qu’il aurait dû délivrer le mandat. De même, si le juge de paix dit dans de telles circonstances qu’il est convaincu, et s’il délivre le mandat, le juge qui fait le contrôle ne doit pas dire que le juge de paix n’aurait pas dû être ainsi convaincu.

[13] La Cour suprême du Canada a entériné ce point de vue dans R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421. Le défunt juge Sopinka, traitant de la question de la révision de la délivrance d’une autorisation d’écoute électronique, a affirmé :

Bien que le juge qui exerce ce pouvoir relativement nouveau ne soit pas tenu de se conformer au critère de l’arrêt Wilson, il ne devrait pas réviser l’autorisation de novo. La façon appropriée est établie dans les motifs du juge Martin en l’espèce. Il affirme [...]

[TRADUCTION] Si le juge du procès conclut, d’après les documents dont disposait le juge ayant accordé l’autorisation, qu’il n’existait aucun élément susceptible de le convaincre que les conditions préalables pour accorder l’autorisation existaient, il me semble alors que le juge du procès doit conclure que la fouille, la perquisition ou la saisie contrevient à l’art. 8 de la Charte.

Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l’autorisation. Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l’autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision, conclut que le juge qui a accordé l’autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir. Dans ce processus, la fraude, la non-divulgation, la déclaration trompeuse et les nouveaux éléments de preuve sont tous des aspects pertinents, mais au lieu d’être nécessaires à la révision leur seul effet est d’aider à décider s’il existe encore un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l’autorisation.

[14] Cette approche semble avoir été adoptée par à peu près toutes les cours d’appel au pays. (Voir R. v. Jackson (1983), 9 C.C.C. (3d) 125 (C.A. C.-B.); R. v. Conrad et al. (1989), 99 A.R. 197; 79 Alta. L.R. (2d) 307; 51 C.C.C. (3d) 311 (C.A.); Hudon v. R. (1989), 74 Sask. R. 204 (C.A.); R. v. Turcotte (1988), 60 Sask. R. 289; 39 C.C.C. (3d) 193 (C.A.); R. v. Borowski (1990), 66 Man. R. (2d) 49; 57 C.C.C. (3d) 87 (C.A.); Bâtiments Fafard Inc. et autres c. Canada et autres (1991), 41 QAC 254 (C.A.); Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général) et autres (1991), 104 R.N.-B. (2e) 1; 261 A.P.R. 1; 55 C.C.C. (3d) 133 (C.A.); R. v. Carroll and Barker (1989), 88 N.S.R. (2d) 165; 225 A.P.R. 165; 47 C.C.C. (3d) 263 (C.A.); R. v. MacFarlane (K.R.) (1993), 100 Nfld. & P.E.I.R. 302; 318 A.P.R. 302; 76 C.C.C. (3d) 54 (C.A. Î.-P.-É.). Il me semble s’agir d’une approche qui s’applique très bien au contrôle de la décision du ministre, laquelle est une décision quasi judiciaire.

Première étape - Analyse de la décision du ministre

[15] Je passe maintenant à l’examen détaillé de la façon dont chacun des appelants, par l’entremise de leur avocat, conteste la décision du ministre. Il est manifeste que les faits sur lesquels le ministre s’est fondé pour régler la question ont été rassemblés à partir d’un questionnaire rempli par chaque appelant et déposé sous les cotes A-2, A-8 et A-10.

[16] Les faits énoncés sur lesquels se fonde le ministre sont exposés dans les réponses aux avis d’appel. Ils sont en réalité les mêmes dans chaque cas, sauf que le poste occupé dans l’entreprise, les fonctions exercées et le nom de l’épouse diffèrent en fonction du contexte de chaque appel. Les faits énoncés sont les suivants :

[TRADUCTION]

7a) l’appelant est marié à Shobha Lakhani;

b) Jitendra Lakhani (frère de l’appelant) est marié à Jayshree Lakhani (belle-soeur de l’appelant);

c) Sunil Lakhani (frère de l’appelant) est marié à Maria Candida Lakhani (belle-soeur de l’appelant);

d) le 3 mars 1988, le payeur a été constitué en personne morale par l’appelant et ses deux frères;

e) l’appelant et ses deux frères étaient propriétaires chacun d’un tiers des actions en circulation du payeur, pendant la période en question;

f) le payeur exploitait une entreprise de vente au détail et d’entretien d’ordinateurs personnels et de logiciels;

g) l’entreprise du payeur a cessé toutes ses activités le ou vers le 5 mai 1993;

h) le 1er octobre 1993, l’appelant, les deux frères mentionnés précédemment et un troisième frère, Praful Lakhani, ont constitué en personne morale Atrium Impex International Ltd. ( « Atrium » );

i) l’appelant et ses frères ont été propriétaires de toutes les actions en circulation d’Atrium jusqu’en novembre 1993, date à laquelle ils ont cédé toutes leurs actions à leurs épouses respectives;

j) Atrium exploitait une entreprise d’exportation de produits de santé et de beauté — selon les documents de l’entreprise, tous ces produits étaient expédiés à Atrium Impex (UK) Ltd.;

k) toutes les activités commerciales d’Atrium devaient avoir cessé le ou vers le 31 août 1995;

l) le payeur et Atrium étaient tous deux contrôlés par un groupe lié, dont l’appelant était membre;

m) les deux entreprises étaient des entreprises familiales où l’appelant, son épouse, ses frères et ses belles-soeurs travaillaient;

n) peu importe la nature et l’importance du travail accompli, l’appelant et ses deux frères ont reçu chacun du payeur le même salaire, soit 27 738 $ pour 12 mois en 1991, 25 500 $ pour 12 mois en 1992, et 11 116 $ pour 4 mois en 1993;

o) peu importe la nature et l’importance du travail accompli, l’épouse et les deux belles-soeurs de l’appelant ont reçu chacune du payeur le même salaire, soit 18 500 $ pour 12 mois en 1992 et 6 855 $ pour 4 mois en 1993;

p) l’appelant et ses frères avaient tous le pouvoir de signature pour ce qui est du compte bancaire du payeur;

q) l’appelant et ses frères, individuellement ou ensemble, dirigeaient l’exploitation courante de l’entreprise du payeur;

r) l’appelant et ses frères, individuellement ou ensemble, contrôlaient l’actif du payeur;

s) à l’époque pertinente, toutes les grandes décisions d’affaires, y compris les conditions de leur propre emploi et de l’emploi de leur épouse, étaient prises par l’appelant et ses frères;

t) pendant la période en question, l’entreprise du payeur était en fait exploitée comme une société de personnes ou une coentreprise de l’appelant et de ses deux frères;

u) les ententes entre le payeur et l’appelant étaient verbales et le payeur n’avait aucun contrat écrit avec l’appelant;

v) pendant la période en question, l’appelant et ses frères ont été censément engagés par le payeur pour remplir diverses tâches, comme suit :

l’appelant - président, administrateur, chargé des achats, de l’administration et des affaires bancaires;

Jitendra Lakhani - secrétaire-trésorier, administrateur, chargé de l’expédition, de la réception, et de la gestion des employés du service d’entretien;

Sunil Lakhani - vice-président, administrateur, chargé de la création d’un réseau des ventes et de la gestion du personnel de vente;

w) pendant la période en question, l’appelant et ses frères devaient toucher, par chèque, un salaire mensuel fixe pour leurs services;

x) pendant la période en question, le payeur n’a pas inscrit ni fixé les heures de travail de l’appelant;

y) contrairement aux employés non liés au payeur, l’appelant et ses frères avaient des heures variables de travail et, selon le travail effectué, étaient libres de déterminer leur propre horaire de travail;

z) contrairement aux employés non liés au payeur, l’appelant et ses frères n’étaient ni supervisés par le payeur pour ce qui est de l’exécution courante de leurs tâches, ni contrôlés par le payeur pour ce qui est de la façon dont ils travaillaient;

aa) pendant la période en question, l’appelant n’était pas tenu de rendre compte au payeur;

bb) l’appelant avait le contrôle entier relativement aux conditions de l’emploi qu’il occupait censément chez le payeur;

cc) l’appelant est membre du groupe connexe qui possède la totalité des actions en circulation du payeur et il est par conséquent lié au payeur au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu;

[...]

8. L’appelant n’était pas employé conformément à un contrat de louage de services. »

[17] L’avocat du ministre a concédé que les alinéas h) à m), dans la mesure où ils se rapportent à une entreprise différente, soit Atrium, ne sont pas pertinents. Les appelants reconnaissent l’exactitude des points a) à g), l), p) à s), u), w), x) et cc). Ils contestent en totalité ou en partie les points h) à m) qui, a-t-on convenu, ne sont pas pertinents, ainsi que les points n), o), t), v), y), z), aa) et bb).

[18] Il est allégué subsidiairement au paragraphe 12 de la réponse à l’avis d’appel qu’il n’y avait aucun contrat de service entre les différents appelants et l’entreprise. Le ministre, par l’intermédiaire de son avocat, a laissé tomber ce moyen à l’audition de l’appel. On peut toutefois se demander dans quelle mesure il a influé sur la décision du ministre sur les autres questions, même si les lettres communiquant les résultats du règlement de la question n’en font pas mention.

[19] Je ferai une observation générale, soit que la manière dont les faits énoncés ont été rassemblés et présentés au ministre est quelque peu étrange. Les appelants n’ont pas eu l’occasion de les contester avant que les décisions ne soient prises et la première fois en fait qu’ils ont été portés à leur connaissance, c’était après qu’ils eurent déposé leurs avis d’appel et reçu une réponse à ces avis de la part du sous-procureur général du Canada. On ignore toujours qui a rassemblé l’ensemble original de faits et sous quelle forme ils ont été présentés au ministre. Il est clair toutefois que l’appelant n’a pas eu l’occasion de contester ou de commenter ces faits avant que le ministre ne prenne sa décision. Voilà qui semble peu conforme aux règles de la justice naturelle. De toute façon, c’est ainsi que les choses se sont passées. Or il s’avère que la preuve qui m’a été présentée indique clairement que beaucoup des faits énoncés sont erronés, ne sont pas pertinents ou ne comprennent pas d’autres éléments importants, et sont exprimés de façon tendancieuse de manière à dénaturer la réalité de ce qui se passait dans l’entreprise. J’aborderai ces faits un à un :

- Points h) à m) : L’avocat du ministre concède que ces faits ne sont pas pertinents. Ils n’auraient pas dû être considérés par le ministre. Il est difficile de savoir quel effet, préjudiciable ou non, ils ont pu avoir sur le règlement de la question.

- Point n) : Ce que laissent entendre les termes « peu importe la nature ou l’importance du travail » , c’est que les appelants étaient rémunérés même s’ils ne faisaient rien. C’est plutôt l’inverse qui était vrai. Il est manifeste selon la preuve que chacun d’entre eux était très travailleur et, peut-être bien, sous-rémunéré pour son travail. Le ministre dans cet appel semble se laisser obnubiler par les salaires plutôt que de s’arrêter au taux horaire de rémunération, ce qui est un peu difficile à comprendre. Il y a de nombreux employés dans toutes les sphères de la vie, y compris l’administration publique, qui travaillent contre un salaire et qui ne compte pas leurs heures. Ils sont rémunérés pour faire leur travail et ils y consacrent les heures nécessaires et font tout ce qu’il faut pour accomplir ce travail. Il est à noter que les questionnaires révèlent que les autres employés touchaient également un salaire, de sorte que ce fait énoncé n’a en soi vraiment aucune pertinence.

- Point o) : Les mêmes commentaires valent pour les salaires versés aux épouses, même si la preuve dans leur cas est loin d’être claire sur ce qu’elles faisaient réellement pour gagner leur salaire.

- Point t) : Les appelants nient que l’entreprise était effectivement exploitée en tant que société de personnes ou coentreprise des frères personnellement.

- Point v) : Les fonctions des appelants sont énoncées à peu près de la même façon que les appelants eux-mêmes l’ont fait dans leurs questionnaires respectifs. L’emploi du terme « censément » par la personne qui a rassemblé les faits est malheureux. Cela indique que cette personne ne croyait pas ce que les appelants disaient à cet égard. Il ne s’agit pas là d’un fait mais d’un jugement, et il n’appartient pas à cette personne mais plutôt au ministre de former une telle opinion. Cette observation est par conséquent quelque peu préjudiciable. L’avocat des appelants voudrait que j’aille plus loin et que je la considère comme laissant entendre que les appelants ont commis une fraude, ce qui serait très préjudiciable. Je n’irai pas aussi loin, mais il est difficile de savoir quel effet cette observation a eu sur le règlement de la question par le ministre. Elle pourrait même avoir conduit à la conclusion erronée aux paragraphes 8 et 12, soit celle selon laquelle il n’y avait aucun contrat de louage de services alors que la preuve indique clairement qu’il y en avait.

- Points y) et z) : Il est vrai que les appelants travaillaient moyennant un salaire. Toutefois, il n’a pas été indiqué au ministre que la preuve révélait qu’ils travaillaient extrêmement fort et durant de longues heures. L’insinuation ou la suggestion au point y), c’est que les appelants pouvaient s’absenter à leur gré. En fait la preuve indique qu’ils se rendaient les uns les autres et rendaient aussi les autres employés pleinement comptables de l’accomplissement du travail. Ils tenaient à cette fin des réunions hebdomadaires, tant du personnel administratif que du personnel vendeur. Ces faits très pertinents n’ont pas été présentés au ministre de sorte qu’il n’a pu en tenir compte.

- Point bb) : Encore une fois, le terme « censément » est employé. Voilà encore qui sent l’incrédulité de la part de la personne qui a rassemblé les faits, et cela laisse une impression très erronée de la situation véritable. Je pense que cela est très préjudiciable.

- Points dd) et ee) : Ce sont là précisément les décisions que le ministre devait prendre. Il ne s’agit pas de faits, mais plutôt de l’expression de l’opinion de la personne qui a rassemblé les faits.

[20] Finalement, à cette étape de la procédure, l’avocat des appelants a soutenu que le ministre n’a pas tenu compte de faits pertinents en ce sens qu’il n’a pas communiqué avec le syndic de faillite pour obtenir de ce dernier de plus amples renseignements. Je ne suis pas d’accord. Les appelants étaient mieux en mesure de communiquer tous les renseignements nécessaires au ministre et je ne considère pas comme pertinent le manquement du ministre à cet égard.

[21] À mon avis, compte tenu de tous les faits non pertinents que le ministre a pris en considération et des opinions tendancieuses qui lui ont été présentées, et vu le défaut de lui dépeindre fidèlement la situation en exposant la totalité des faits pertinents révélés par la preuve, le règlement de la question par le ministre ne saurait être entériné. Ce sont là des erreurs susceptibles de contrôle. J’en viens à la conclusion que, si on éliminait tous les faits non pertinents et qu’on supprimait les opinions tendancieuses et préjudiciables, il ne resterait pas suffisamment de faits pour que le ministre ait pu prendre, de façon objective et raisonnable, la décision qu’il a prise. Je dois maintenant passer à la deuxième étape de la procédure d’appel et décider si, à la lumière de l’ensemble de la preuve, l’employeur et l’employé, s’ils n’avaient eu entre eux aucun lien de dépendance, auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui sont expressément mentionnées à l’alinéa 3(2)c) de la Loi.

Deuxième étape - Examen de la preuve

[22] J’ai été très impressionné par la preuve présentée par les trois appelants. Ils étaient manifestement des gens travailleurs pendant toutes les périodes en question. J’ai aussi trouvé qu’ils ont été francs lorsqu’ils ont témoigné devant la Cour.

[23] Ils avaient formé une société de capitaux et ils ont travaillé véritablement et très dur pour que l’entreprise marche. Ils se sont réparti entre eux les secteurs de responsabilité, depuis les achats, en passant par les finances, l’assemblage et l’administration, jusqu’aux ventes. Chacun devait rendre des comptes à l’occasion des réunions hebdomadaires. Tous ces faits témoignent de relations sans lien de dépendance. Les appelants ont eu de la malchance du fait que, après avoir accumulé d’énormes stocks, le prix de ces marchandises a baissé d’environ la moitié, ce qui a sérieusement touché leurs ventes et les a forcés à la faillite. J’ai beaucoup de sympathie pour eux à cet égard. Il ne s’agissait pas d’une entreprise saisonnière. Ils avaient l’intention de maintenir l’entreprise en activité pendant longtemps. Lorsque l’entreprise a échoué, ils n’avaient plus de ressources. Ils ont donc demandé pour la première fois des prestations d’assurance-chômage. Ce que je veux faire comprendre, c’est que je suis tout à fait convaincu qu’ils n’ont pas organisé leurs affaires de manière à pouvoir toucher des prestations d’assurance-chômage, comme c’est souvent le cas. Je suis certain que tel n’était pas du tout leur intention.

[24] Il n’y a pas de doute qu’ils occupaient des emplois véritables. La question qui se pose toutefois, c’est de savoir s’ils auraient conclu des contrats de travail à peu près semblables s’ils n’avaient pas eu en fait un lien de dépendance avec l’employeur. Le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi exige expressément qu’il soit tenu compte de la rétribution versée ainsi que de la nature et de l’importance du travail, entre autres facteurs. Il est clair pour le tribunal que les appelants travaillaient chacun contre une rémunération inférieure à celle de la plupart des autres employés de l’entreprise. Il a été indiqué dans la preuve que les appelants voulaient ainsi réduire les coûts de l’entreprise de manière à pouvoir s’assurer des emplois à long terme. Tel n’était pas toutefois un facteur chez les autres employés. De plus, le tribunal ne sait pas trop quel rôle ont joué les salaires versés aux épouses ni quel travail elles faisaient en réalité pour l’entreprise. Elles travaillaient peut-être très fort pour l’entreprise, mais cela n’a pas été démontré par la preuve. L’arrangement avait toutes les apparences d’un fractionnement du revenu, ce qui peut avoir été parfaitement légitime, à condition que les épouses aient travaillé réellement. Le tribunal a également remarqué que d’autres employés étaient rémunérés pour des heures supplémentaires, tandis que les appelants, qui travaillaient de très longues heures, ne l’étaient pas.

Conclusion

[25] Je ne pense pas que des personnes qui n’ont aucun lien de dépendance avec un employeur seraient portées à assumer un poste de cadre dans une société où elles font souvent le même travail que des employés qu’elles supervisent, et à accepter en même temps un salaire beaucoup plus bas que celui de ces autres employés. Je ne suis pas sûr non plus que de telles personnes soient en mesure de faire en sorte qu’un salaire, équivalant à 75 % du leur, soit versé à leur épouse respective pour un travail indéterminé. Bref, bien que reconnaissant que le travail exécuté par les appelants était réel, je ne suis pas convaincu que les dispositions financières qu’ils ont prises avec l’entreprise étaient à peu près semblables à celles qui auraient été prises s’il n’y avait pas en fait eu de lien de dépendance entre eux et l’entreprise. Le fardeau de la preuve à cet égard incombe bien entendu aux appelants et ils n’ont pas réussi à mon avis à présenter la preuve voulue.

[26] Les trois appels sont par conséquent rejetés et les décisions du ministre sont confirmées.

Signé à Calgary (Alberta), le 5 mai 1998.

« M. H. Porter »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 2e jour de septembre 1998.

Erich Klein, réviseur

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