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Date: 19980409

Dossier: 94-604-IT-G; 94-605-IT-G

ENTRE :

LUCILLE B. CRIBB-McKEOWN, 560233 ONTARIO LIMITED,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Lucille B. Cribb-McKeown (l' « appelante » ) interjette appel à l'encontre de cotisations d'impôt concernant ses années d'imposition 1988, 1989, 1990 et 1991, et la 560233 Ontario Limited (la « 560233 » ) interjette appel à l'encontre d'une cotisation d'impôt pour son année d'imposition se terminant le 30 juin 1991. Par consentement de toutes les parties, les appels ont été entendus ensemble, sur preuve commune.

[2] L'appelante soulevait dans son avis d'appel un certain nombre de questions qui ont toutes été réglées, sauf une. La question restante découle de la cotisation pour l'année d'imposition 1990 de l'appelante par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a ajouté au revenu de l'appelante un montant de 232 500 $ comme avantage conféré à un actionnaire en raison du transfert à l'appelante, par la 560233, d'une résidence décrite comme étant le 44, avenue Elgin, Toronto (Ontario) (la « résidence » ). Le ministre a en outre établi à l'égard de la 560233 une cotisation ajoutant un gain en capital de 232 500 $ au revenu de placements au Canada de la 560233 en raison du transfert de la résidence. Dans les deux cas, le ministre est parti de l'hypothèse selon laquelle la juste valeur marchande de la résidence le 12 octobre 1990 était de 657 500 $.

Éléments de preuve

[3] Les faits suivants ont été admis par les parties :

[TRADUCTION]

1. Mme Cribb-McKeown a acheté le 44, avenue Elgin (la « résidence » ) le 24 octobre 1978 ou vers cette date.

2. Mme Cribb-McKeown a acheté la résidence en vue de l'utiliser comme résidence principale pour elle-même et M. Cribb.

3. De 1978 à 1983, Mme Cribb-McKeown a utilisé la résidence comme résidence principale pour elle-même et M. Cribb.

4. De 1978 à 1983, M. Cribb et Mme Cribb-McKeown avaient l'usage exclusif de la résidence.

5. La 560233 Ontario Limited (la « 560233 » ) a été constituée le 17 août 1983 ou vers cette date.

6. M. Cribb et Mme Cribb-McKeown détenaient 50 p. 100 chacun des actions de la 560233.

7. De temps à autre, Mme Cribb-McKeown consentait en tant qu'actionnaire des avances à la 560233.

8. La 560233 a émis des actions en faveur de Mme Cribb-McKeown à l'égard du transfert de la résidence par Mme Cribb-McKeown à la 560233 (le fait que le titre légal sur la résidence seulement ait été transféré n'est pas admis).

9. La 560233 n'a indiqué aucune déduction pour amortissement à l'égard de la résidence à quelque moment que ce soit.

10. Après que la résidence eut été transférée par Mme Cribb-McKeown à la 560233 (le fait que le titre légal sur la résidence seulement ait été transféré n'est pas admis), Mme Cribb-McKeown a continué d'y vivre.

11. M. Cribb est décédé le 12 mai 1984 ou vers cette date.

12. Le 20 juin 1984 ou vers cette date, la Banque Midland (Canada) a intenté une action devant la Cour suprême de l'Ontario à l'encontre, notamment, de Mme Cribb-McKeown comme exécutrice testamentaire et fiduciaire en vertu du testament de Peter Cribb, soit l'action no 19054/84 (l' « action de la Banque Midland » ).

13. L'action de la Banque Midland avait trait à une réclamation de la Banque Midland à la succession de M. Cribb concernant un engagement écrit que M. Cribb avait pris le 23 juin 1982 ou vers cette date de payer à la Banque Midland toutes sommes dues par la Sheelan Investments Limited à la Banque Midland après le 30 juin 1982.

14. La Banque Midland, qui alléguait que, au 31 mars 1984, la Sheelan Investments Limited lui devait 4 994 262,07 $, réclamait le paiement de cette somme à la succession de M. Cribb.

15. L'action de la Banque Midland a été l'objet d'un règlement amiable en date du 3 mars 1988.

16. Le règlement amiable prévoyait que Mme Cribb-McKeown paierait à la Banque Midland la somme de 375 000 $, garantie par une hypothèque de 375 000 $ devant être enregistrée sur la résidence et accordée par la 560233.

Il est en outre convenu que la résidence a été rétrocédée à Mme Cribb-McKeown par la 560233 le 12 octobre 1990 ou vers cette date et que, au moment de ce transfert, la 560233, Mme Cribb-McKeown ou les conseillers de cette dernière n'ont nullement cherché à déterminer la juste valeur marchande de la résidence.

[4] La résidence : En octobre 1978, l'appelante avait acheté le bien en question, qui est situé près de l'Université de Toronto. Son époux, Peter G. Cribb ( « M. Cribb » ) a rénové cette ancienne maison de chambres pour en faire leur résidence personnelle. L'appelante y a habité d'août 1979 jusqu'en 1990, soit jusqu'à la vente de la résidence.

[5] Le transfert : Plusieurs années avant le décès de M. Cribb, ce dernier et un certain nombre d'autres investisseurs avaient formé un consortium aux fins d'un projet de centre commercial. La Banque Midland (Canada) (la « Midland » ) jouait un rôle dans le financement du projet. Le projet avait connu des difficultés financières et, en juin 1982, M. Cribb avait signé en faveur de la Midland un engagement en vertu duquel il consentait à prendre en charge et à payer à la Midland toutes les sommes encore dues ou payables à la Midland au titre du capital et des intérêts après le 30 juin 1982. Le 17 août 1983, la 560233 avait été constituée. L'appelante et M. Cribb en étaient les seuls administrateurs et dirigeants et en étaient les principaux actionnaires1. En même temps, M. Cribb avait créé la fiducie familiale de Peter G. Cribb, les fiduciaires étant l'appelante, Dennis Bodley et Susan Kelly. Le 25 août 1983, l'appelante avait transféré la résidence à la 560233 et avait reçu en contrepartie la somme de 435 000 $, garantie par l'émission de 43 500 autres actions spéciales2. Concurremment, la 560233 avait accepté d'acheter à la G. Cribb Limited certains biens détenus en fiducie pour elle par l'appelante et M. Cribb. Les deux étaient administrateurs, dirigeants et actionnaires du vendeur. L'appelante a témoigné que ces mesures avaient été prises par suite du fait que M. Cribb avait des difficultés avec certains créanciers, notamment la Midland, et craignait que leurs actifs ne soient saisis. D'après ce qu'elle se rappelait, M. Cribb avait reçu des conseils professionnels concernant ces opérations et elle aussi en avait « probablement » reçu, mais la décision d'aller de l'avant était principalement la décision de son époux3.

[6] La poursuite judiciaire et le règlement : Peu après le décès de l'époux de l'appelante, en 1984, la Midland avait intenté une action contre l'appelante comme exécutrice testamentaire et fiduciaire en vertu du testament de feu Peter Cribb et contre d'autres membres du consortium. L'appelante a déclaré que la 560233 n'était pas partie à ce litige et que le montant d'environ 5 000 000 $ réclamé par la Midland se rapportait à une dette personnelle de M. Cribb. L'appelante avait déposé une défense et demande reconventionnelle4. Le litige s'étirait en longueur depuis plusieurs années lorsque l'appelante avait appris qu'un autre défendeur était en voie de conclure un règlement avec la Midland. On lui avait dit que passer en jugement serait excessivement coûteux, ce qui fait qu'elle avait remercié son avocat et avait personnellement entrepris de négocier un règlement. En temps opportun, elle avait accepté que la succession paie à la Midland le montant de 375 000 $. Le règlement prenait effet au 3 mars 1988, le montant devant être payé au plus tard le 3 septembre 19885. En garantie du paiement, on avait exigé de l'appelante qu'elle fasse en sorte que la 560233 accorde à la Midland une hypothèque de premier rang sur la résidence6.

[7] En février 1988, comme les discussions relatives au règlement touchaient à leur fin, la résidence avait été mise en vente, à 825 000 $. Aucune offre n'avait été reçue. En juin de cette année-là, la résidence avait été mise en location, à 3 500 $ par mois. Par la suite, le loyer avait été réduit, mais aucun acheteur ne s'était montré intéressé, et la résidence avait été retirée du marché. L'appelante ne se rappelait pas précisément comment la Midland avait été payée au bout du compte, mais elle a bel et bien dit que, au cours de la période allant de 1985 à 1989, elle avait acheté un certain nombre de biens locatifs et que :

[TRADUCTION]

« Je ne me rappelle pas [...] quand les immeubles ont été vendus, car il n'y en avait pas qu'un seul, il y en avait quelques-uns, et je me suis lassée de me lever la nuit pour faire entrer des personnes ayant oublié leur clé, ce qui fait que j'ai vendu. Donc, quelle que soit la somme d'argent que j'avais, c'est probablement ce que je payais, je ne sais pas » 7.

[8] La rétrocession : En octobre 1990, l'appelante a fait en sorte que la 560233 lui transfère la résidence pour une contrepartie totale de 425 000 $8. Elle a dit qu'on ne craignait plus une saisie de la part des créanciers. Suivant la recommandation de son comptable, soit M. Bodley, elle avait consulté un « expert en fiscalité » , M. Val Hack, concernant le transfert et la contrepartie proposée, et on lui avait conseillé d'aller de l'avant9.

[9] Un courtier d'assurance, soit Mme Olga Scinocco, a également témoigné. Mme Scinocco était une employée de Chris Steer Insurance Brokers ( « Steer » ), entreprise qui avait assuré tous les biens appartenant à l'appelante et à la 560233 pendant un certain nombre d'années. Mme Scinocco a déclaré que, du 31 décembre 1988 au 31 décembre 1990, la résidence était couverte par une assurance habitation, les assurés nommément désignés étant l'appelante, Erwin McKeown et la 560233. Il y avait une assurance sur la résidence proprement dite, y compris les biens personnels et le contenu, une assurance responsabilité civile et une assurance responsabilité civile complémentaire. Une nouvelle police d'assurance sur la résidence, entrant en vigueur le 31 décembre 1990, avait été émise par la Zurich Compagnie d'Assurances, soit une police couvrant les mêmes pertes que celles qui ont été mentionnées pour les années précédentes. Concernant cette police, seule l'appelante était l'assurée nommément désignée. Mme Scinocco avait en outre pris les dispositions nécessaires pour que soient émises ce qu'elle appelait des polices d'assurances commerciales; trois couvraient des biens de la 560233, et la quatrième, dont le titulaire inscrit était une tierce partie non liée, incluait une protection contre la perte payable à l'appelante.

[10] Un vendeur d'immeubles, soit Mme Vivi Roy, a déclaré dans son témoignage que, en 1988, la résidence a été en vente de février à juillet, à 825 000 $. L'information contenue dans la convention d'inscription avait été obtenue de l'appelante et découlait aussi de l'inspection de la résidence faite par Mme Roy. Mme Roy était également l'agent inscripteur relativement au projet de location de la résidence et, comme dans le cas précédent, les renseignements, y compris le loyer demandé, avaient été obtenus par Mme Roy de l'appelante et étaient également issus de l'inspection du bien faite par Mme Roy. Dans les deux cas, l'inscription indiquait que l'appelante était soit le vendeur, soit le locateur.

[11] La vidéocassette de M. Bodley : Au cours de cet appel, l'avocat de l'appelante a avancé comme preuve une déclaration de Dennis W. A. Bodley ( « M. Bodley » ) enregistrée sur vidéocassette. M. Bodley était comptable agréé et agissait à ce titre pour M. Cribb, la 560233 et l'appelante. Après le décès de M. Cribb, en 1984, il avait continué à fournir à l'appelante et à la 560233 des services en matière de comptabilité, de finances et d'impôt sur le revenu et avait, après l’établissement des cotisations, négocié pour elles avec Revenu Canada. Un voir-dire a été tenu pour déterminer la recevabilité de cette déclaration. Dans le cadre du voir-dire, la Cour a examiné la vidéocassette10.

[12] Voici les circonstances dans lesquelles s'inscrit l'enregistrement sur vidéocassette de la déclaration de M. Bodley. Cet appel devait initialement être entendu le 24 juin 1996. Ce jour-là, j'ai entendu une requête par laquelle l'appelante demandait une ordonnance ajournant l'audience pour le motif que, environ cinq jours avant, M. Bodley avait eu une crise cardiaque et était encore hospitalisé. Il avait été fait droit à la requête de l'appelante. En outre, vu l'état de M. Bodley et comme le pronostic était défavorable, la Cour, sur consentement de toutes les parties, avait ordonné que la déposition orale de M. Bodley puisse être prise avant l'audition de l'appel de manière que son témoignage puisse être présenté en preuve. La Cour avait en outre ordonné que la déposition soit consignée par un sténographe judiciaire agréé, qui établirait une transcription complète de la déposition enregistrée à l'aide de matériel magnétoscopique, de sorte que l'on puisse à la fois voir et entendre la personne faisant la déposition. M. Bodley est décédé le 28 juillet 1996, alors que la déposition devant être prise en vertu de cette ordonnance n'avait pas encore été faite. Toutefois, le 22 juin 1996, l'avocat de l'appelante était allé à l'hôpital et avait enregistré une séance de questions et de réponses tenue avec M. Bodley au sujet des points en litige dans cet appel11.

[13] La déclaration de M. Bodley est présentée en preuve comme exception à la règle à l'encontre du ouï-dire. La règle de base peut être énoncée comme suit :

[TRADUCTION]

« Les déclarations écrites ou verbales ou autres formes de communication hors du cadre d'un témoignage à l'audience dans laquelle elles sont présentées sont irrecevables si elles sont présentées comme preuve de leur véracité ou comme preuve d'une assertion qui y est implicite » 12.

Les déclarations de M. Bodley correspondent nettement au ouï-dire prévu dans cette règle et sont donc de prime abord irrecevables.

[14] Le critère de la nécessité a donné lieu à un certain nombre d'exceptions à la règle du ouï-dire. L'exigence selon laquelle le témoignage doit être mis à l'épreuve par voie de contre-interrogatoire est assouplie dans les cas où la personne ayant fait la déclaration en question n'est pas disponible et que la déclaration a été faite dans des circonstances qui, peut-on présumer, lui confèrent un caractère véritablement fiable. Dans bien des cas, de telles déclarations représentant la seule preuve forte qui soit disponible, et le fait de les exclure comporterait un inconvénient majeur13. Des exceptions à la règle du ouï-dire sont donc faites lorsque, comme le disait sir Jessel, maître du rôle, dans l'affaire Sugden, les quatre caractéristiques suivantes étaient réunies :

[TRADUCTION]

1) Il était impossible ou difficile d'obtenir d’autres preuves.

2) L'auteur de la déclaration n'était pas une partie intéressée en ce sens que la déclaration n'était pas en sa faveur.

3) La déclaration a été faite avant que naisse le différend.

4) L'auteur de la déclaration était mieux renseigné que ne le sont les témoins dans des affaires ordinaires14.

[15] Dans les arrêts R. c. Khan15 et R. c. Smith16,la Cour suprême a davantage défini les circonstances dans lesquelles la preuve par ouï-dire peut être admise. Au lieu de tenter de faire entrer le ouï-dire dans une des exceptions énoncées en common law au fil des ans ou d'étendre davantage ces exceptions, la Cour a adopté le double critère de la nécessité et de la fiabilité17. Dans son règlement de la question, le juge en chef Lamer disait, dans l'arrêt Smith :

L'arrêt Khan de notre Cour a donc annoncé la fin de l'ancienne conception, fondée sur des catégories d'exceptions, de l'admission de la preuve par ouï-dire. L'admission de la preuve par ouï-dire est désormais fondée sur des principes, dont les principaux sont la fiabilité de la preuve et sa nécessité. Quelques précisions sur ces critères s'imposent.

D'après le juge Lamer :

Le critère de la « fiabilité » — ou, suivant la terminologie employée par Wigmore, la garantie circonstancielle de fiabilité — dépend des circonstances dans lesquelles la déclaration en question a été faite. Si une déclaration qu'on veut présenter par voie de preuve par ouï-dire a été faite dans des circonstances qui écartent considérablement la possibilité que le déclarant ait menti ou commis une erreur, on peut dire que la preuve est « fiable » , c'est-à-dire qu'il y a une garantie circonstancielle de fiabilité. [...]

Puis le juge Lamer disait :

Le critère connexe de la « nécessité » renvoie à la nécessité de la preuve par ouï-dire pour établir un fait litigieux. [...]

et :

[...] il faut donner au critère de la nécessité une définition souple, susceptible d'englober différentes situations. Ces situations auront comme point commun que, pour différentes raisons, la preuve directe pertinente n'est pas disponible. Un certain nombre de situations peuvent engendrer pareille nécessité. Sans tenter de faire une énumération exhaustive, Wigmore propose les catégories suivantes au § 1421:

[TRADUCTION] (1) Il se peut que l'auteur de la déclaration présentée soit maintenant décédé, hors du ressort, aliéné ou, pour quelque autre motif, non disponible aux fins de la vérification [par contre-interrogatoire]. C'est la raison la plus courante et la plus évidente...

(2) La déclaration peut être telle qu'on ne peut pas, de nouveau ou à ce moment-ci, obtenir des mêmes ou d'autres sources une preuve de même valeur. [...] La nécessité n'est pas aussi grande; il s'agit peut-être à peine d'une nécessité; on peut supposer qu'il s'agit d'une simple commodité. Mais le principe demeure le même.

Il est évident que les catégories de nécessité ne sont pas limitées. Dans l'arrêt Khan, par exemple, notre Cour a reconnu la nécessité de recevoir la preuve par ouï-dire des déclarations d'une enfant qui n'était pas elle-même habile à témoigner. Nous avons également dit que cette preuve par ouï-dire pourrait devenir nécessaire lorsque l'obligation de témoigner de vive voix causerait un traumatisme important à l'enfant. La question de savoir s'il y a une nécessité de ce genre est une question de droit qui doit être tranchée par le juge du procès[18] .

Le juge Lamer a conclu en disant :

[...] Lorsque les critères de nécessité et de fiabilité sont respectés, l'absence de vérification par contre-interrogatoire touche à la valeur probante et non à l'admissibilité, et un jury ayant reçu une mise en garde appropriée devrait être en mesure d'apprécier la preuve sur ce fondement[19].

[16] C'est avec ces principes à l'esprit que j'examinerai maintenant la déclaration elle-même. Cette déclaration, d'une durée d'environ une heure et trois quarts, contient une quantité importante de renseignements superflus qui ne sont pas pertinents aux fins de l'espèce. Le reste de la déclaration peut être divisé en cinq parties, qui se chevauchent quelque peu. La première traite des affaires financières de M. Cribb vers la fin des années 70 et le début des années 80, l'accent étant mis sur sa participation au projet de centre commercial et sur les problèmes financiers connexes. La deuxième fait état du transfert d'actifs par l'appelante et M. Cribb à la 560233. La troisième, qui se rapporte à la période postérieure au décès de M. Cribb, concerne les diverses mesures prises par l'appelante et ses conseillers juridiques aux fins d'un règlement dans la poursuite judiciaire intentée par la Midland. La quatrième concerne la manière dont la 560233 a pris en compte la résidence dans ses livres durant les périodes pertinentes, relativement à la rétrocession. Dans la dernière partie, M. Bodley parle des négociations qu'il a menées pour l'appelante avec Revenu Canada après l’établissement de la cotisation.

[17] L'avocat des appelants soutenait que l'élément de nécessité requis existe en ce que le déclarant n'est plus disponible pour témoigner. Cela ne met toutefois pas un terme à la question, puisqu'il reste à savoir si une preuve de même valeur ou d'une valeur supérieure n'aurait pu être obtenue d'autres sources.

[18] Il n’est pas contesté que M. Cribb était en difficulté financière par suite de sa participation au projet. Le témoignage de l'appelante ainsi que de nombreux documents établissent amplement ce fait. Bien qu'intéressantes, les réflexions de M. Bodley concernant l'origine des problèmes de M. Cribb, la conduite d'autres investisseurs et la conduite des établissements de prêt (réflexions qui se fondent en grande partie sur des renseignements fournis par d'autres particuliers) sont d'une manière générale irrecevables, n'ont qu'une valeur probante minime et sont à mon avis inutiles.

[19] M. Cribb craignait que des actifs soient menacés à cause de ses difficultés financières. Comme l'a fait remarquer l'appelante, ce problème était l'objet d'un examen constant, et un avocat, Me Arnold, avait été consulté. M. Bodley a assisté à certaines des réunions. Il dit que Me Arnold avait suggéré que tous les actifs appartenant à l'appelante et à M. Cribb soient vendus à une société nouvellement constituée et que soit en même temps établie une fiducie familiale. Il est impossible de déterminer à partir de ses déclarations s'il était présent lorsque les recommandations ont été formulées et que la décision a été prise ou si ces renseignements lui ont été communiqués par M. Cribb. Dans sa déclaration, M. Bodley parle aussi de la raison d'être et de l'efficacité du plan proposé par l'avocat. Il est impossible à partir de la déclaration de M. Bodley de déterminer le fondement de ses opinions. L'appelante ne dit pas qu'elle ne pouvait à cette époque s'attendre à obtenir d'autres sources un témoignage de même valeur (ou d'une valeur supérieure), notamment de Me Arnold.

[20] Les mêmes questions se posent concernant les déclarations de M. Bodley au sujet du règlement intervenu dans l'action intentée par la Midland. Premièrement, l'appelante dit qu'elle a personnellement mené les négociations finales ayant conduit à un règlement. Deuxièmement, les documents relatifs au règlement indiquent que l'appelante et la 560233 avaient toutes deux convenu des modalités y afférentes suivant l'avis de leurs conseillers juridiques respectifs. Aucun des éléments de preuve qui m'ont été présentés n'indique que les avocats qui les ont conseillées ne sont pas disponibles et que des éléments de preuve jugés nécessaires aux fins de ces appels n'auraient pu être obtenus de ces sources. Bien que M. Bodley dise qu'il a assisté à certaines des réunions tenues avec la Banque Midland (fait que l'appelante ne confirme pas), sa déclaration n'ajoute rien au témoignage de l'appelante ni aux documents de règlement déposés en preuve.

[21] En ce qui concerne la rétrocession de la résidence, M. Val Hack, le consultant en fiscalité, avait fourni des conseils portant sur l’impôt sur le revenu et la valeur du transfert. L'appelante a témoigné qu'elle s'était fiée entièrement aux conseils de M. Hack, ajoutant simplement que « Dennis (Bodley) n'avait absolument pas dit de ne pas aller de l'avant » . Elle a en outre déclaré que, au sujet de la rétrocession effective, elle était allée aux bureaux de son conseiller juridique, Me Clapp, et qu'elle ne se souvient toutefois pas de la nature de leurs discussions. Aucun des éléments de preuve présentés à la Cour n'indique que M. Hack et/ou Me Clapp n'étaient pas disponibles pour témoigner à cet égard.

[22] Au sujet de ce qui précède, il pourrait être, du point de vue de l'appelante, efficace ou commode que la déclaration de M. Bodley soit admise en preuve, mais, dans les circonstances de l'espèce, cela n'est pas un fondement valable. D'autres personnes dont le témoignage aurait pu avoir une valeur égale semblent avoir été disponibles, et aucun des éléments de preuve qui m'ont été présentés n'indique qu'on a eu des problèmes à les retrouver ou qu'il aurait pu être difficile de prendre les dispositions nécessaires pour qu'elles comparaissent.

[23] Le second critère, soit le critère de fiabilité ou de garantie circonstancielle de fiabilité, exige un examen attentif des circonstances dans lesquelles la déclaration en cause a été faite. Il incombe à l'appelante de démontrer que cette preuve par ouï-dire est fiable ou que la déclaration a été faite dans des circonstances qui écartent considérablement la possibilité que le déclarant ait menti ou ait commis une erreur, pour reprendre les termes employés dans l'arrêt Smith20.

[24] Dans les appels en instance, cette exigence pose un problème particulièrement difficile. Dans les jugements cités par l'avocat et examinés par notre cour, les déclarations en cause étaient des déclarations à la fois spontanées et contemporaines de l'événement21. Aucun principe n'indique que l'omission d'établir le caractère contemporain des déclarations rend celles-ci automatiquement irrecevables, mais on ne peut ne pas tenir compte du fait que les événements en cause se sont produits entre 1982 et 1990. Il est également évident que la déclaration n'a pas été faite avant la naissance du différend en cause. De plus, la déclaration n'était nullement spontanée, ayant été faite principalement en réponse à des questions précises qui étaient parfois tendancieuses. Je reconnais que l'entretien visait à préparer M. Bodley à témoigner et qu'il n'y a donc rien d'inapproprié dans la manière dont l'entretien a été mené. Cependant, cette déclaration est maintenant avancée comme preuve, ce qui fait que, relativement à la question de la fiabilité, la manière dont les réponses ont été données doit être prise en considération.

[25] M. Bodley est-il une partie désintéressée? En réalité, il n'est pas partie à l'affaire en litige, et sa déclaration ne visait pas expressément à faire valoir le bien-fondé de sa cause. Néanmoins, il est loin d'être un témoin désintéressé. Durant toute la période pertinente, il agissait comme comptable pour l'appelante, M. Cribb et la 560233. Il affirme qu'il a pris part au processus décisionnel concernant la constitution de la 560233 et le transfert des divers biens à celle-ci. Il avait ensuite passé dans les livres de la compagnie toutes les écritures qu'il estimait nécessaires pour « protéger les actifs contre les créanciers » . Il a également concédé que les livres contenaient des erreurs sur des points pertinents par rapport à la question soumise à notre cour (dont on ne peut explorer l'étendue). À mon avis, il s'agissait d'un témoin directement intéressé à l'issue de l'espèce, ce qui fait que les risques de reconstitution sont grands, et il n'y a évidemment aucune mise en doute possible par voie de contre-interrogatoire. De plus, au cours de sa déclaration, M. Bodley faisait preuve d'une condescendance considérable envers l'appelante et laissait entendre qu'il a joué un rôle important dans les décisions de l'appelante et qu'il ne s'est pas simplement contenté de la conseiller. Il dit qu'il avait pris sur lui de l' « orienter » dans la conduite de ses affaires après le décès de son époux, car il estimait qu' « elle était incapable de le faire elle-même » . La question de savoir si tel était effectivement le cas n'est pas en cause. Si M. Bodley estime qu'une grande partie de ce qui est arrivé est le résultat des conseils qu'il avait donnés, on peut sérieusement s'interroger quant à savoir si un désir de justifier ces conseils a influé sur ses réponses.

[26] M. Bodley avait établi et produit les déclarations de revenu pertinentes et avait, après les cotisations en cause, représenté les deux appelants et fait des observations en leur nom à Revenu Canada. Dans sa déclaration, il faisait preuve d'une grande hostilité envers Revenu Canada (le fait que cela ait été justifié ou non n'est absolument pas pertinent), au point de laisser entendre qu'un vérificateur avait délibérément égaré un document que M. Bodley dit qu'il avait fourni, de sorte que des éléments de preuve importants pour l'appelante n'étaient plus disponibles. J'ajouterai seulement que l'appelante elle-même ne fait aucunement mention de l'existence d'un tel document et que Me Arnold, qui, dit-on, a rédigé ce document, n'a pas témoigné.

[27] La conduite de M. Bodley laisse planer un doute sur la fiabilité ou la garantie circonstancielle de fiabilité de son témoignage. Cela vient du fait qu'il a adhéré et participé à fond à ce qui peut avoir été une opération illégale, soit une série de cessions frauduleuses visant à placer certains biens à l'abri de créanciers. Quoiqu'aucun créancier n'en ait subi les conséquences et que l'on puisse bien soutenir que ces cessions douteuses n'auraient pas empêché les créanciers de mettre la main sur les biens de toute manière, là n'est pas la question. Si les opérations avaient effectivement pour but ce que dit M. Bodley, il est évident que ce dernier était disposé à faire tout ce qui était nécessaire pour atteindre ce but. Le fait que cela ait pu vouloir dire tenir de « faux » registres pour donner l'illusion que ces biens étaient des actifs de la 560233 et faire en sorte que d'autres personnes agissent sur la foi de tels registres (peut-être à leur détriment) ne semblait pas le préoccuper22.

[28] On dit qu'une présomption générale veut qu'un témoin dise la vérité jusqu'à preuve du contraire. En l'espèce, toutefois, M. Bodley a, par ses paroles et ses actes, montré qu'il n'hésitait pas à dissimuler des choses pour en faire accroire à des créanciers. Bien que l'on puisse soutenir que les préoccupations que j'ai exprimées ne devraient influer que sur le poids à accorder aux déclarations de M. Bodley, leur effet cumulatif est tel que je ne puis que conclure que l'appelante n'est pas parvenue à établir une garantie circonstancielle de fiabilité et d’exactitude à cet égard. En conséquence, la déclaration n'est pas recevable.

Thèse des appelantes

[29] Les appelantes soutiennent que transférer le legal ownership (la propriété légale) dans un bien sans transférer le beneficial ownership (la propriété effective) du bien ne représente pas une disposition de biens au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu23. En l'espèce, l'appelante dit qu'il existait une fiducie par déduction puisqu'il y avait entre elle et la 560233 une intention commune de créer une fiducie en sa faveur. Donc, la 560233 n'a pas réalisé un gain en capital, l'appelante n'a pas reçu un avantage comme actionnaire au moment du transfert du titre légal sur la résidence, par la 560233 à l'appelante, et l'appelante n'a pas reçu non plus d'avantage comme actionnaire du fait qu'elle vivait à cet endroit.

[30] L'avocat des appelants a avancé plusieurs propositions à l'appui de ce qui précède. Premièrement, il a fait valoir qu'une fiducie par déduction se fonde sur la présomption selon laquelle la personne ayant fourni l'argent nécessaire pour l'achat entendait que l'achat lui soit profitable à elle plutôt qu'à une autre personne, et la cession au nom de l'autre personne est simplement un arrangement commode conclu entre les parties pour d'autres fins24. L'avocat soutient que, dans les appels en instance, la preuve établit que l'appelante a acheté la résidence et que la cession à la 560233 était un arrangement conclu à des fins subsidiaires, soit la protection d'actifs contre des créanciers. Deuxièmement, l'existence d'une fiducie par déduction est étayée par le fait que l'appelante entendait conserver la propriété effective pour maintenir son droit à l'exonération relative à la résidence principale au moment de la disposition ultime de la résidence. Enfin, l'avocat soutenait qu'en l'absence d'une convention de fiducie écrite, une fiducie par déduction peut être établie par voie de preuve verbale, malgré la Loi relative aux preuves littérales.25

[31] Dans l'arrêt Pettkus c. Becker26, le juge Dickson (titre qu'il portait alors) faisait remarquer ceci :

[...] la fiducie par déduction [...] ne s'applique pas, comme le fait remarquer le professeur Waters, (à la p. 374): [TRADUCTION] « lorsqu'il est impossible ou déraisonnable de supposer une intention » . [...]

Sur la foi de la preuve qui m'a été présentée, il n'est pas possible ni raisonnable de conclure qu'une fiducie par déduction existait.

[32] Pour accepter la proposition des appelants, il est nécessaire de conclure que la 560233 et l'appelante étaient toutes deux d'accord sur l'existence d'une fiducie. Cette proposition repose principalement sur le témoignage de l'appelante elle-même. Cette dernière a dit que, en 1984, au moment du transfert, les dispositions nécessaires avaient été prises par son époux suivant les conseils de Me Arnold et avec l'aide de celui-ci. Bien qu'on l'ait tenue au courant et qu'elle ait signé tous les documents requis, elle affirme n'avoir qu'une connaissance générale de l'objet sous-jacent aux opérations. Par ailleurs, elle maintient qu'elle et la 560233 entendaient toutes deux que, malgré les documents, seul le titre légal soit transféré. Ce témoignage doit également être examiné en fonction du fait que la disposition n'était qu'une partie d'un « ensemble » incluant la constitution de la 560233 et la création d'une fiducie familiale.

[33] En ce qui a trait à l'argument selon lequel la conduite la plus pertinente des parties se rapporte aux arrangements financiers conclus dans l'acquisition du bien, il est à noter qu'une longue période, une période de six ans en fait, s'est écoulée entre l'acquisition et la disposition. Ainsi, la conduite qu'il convient surtout d'examiner se rapporte aux arrangements conclus pour la disposition de la résidence. La cession de la résidence à la 560233 était une cession à titre onéreux, soit un facteur totalement incompatible avec la proposition avancée par les appelants.

[34] Il est incontestable que, durant toute la période pertinente, les registres de la société faisaient état de la résidence (et de tous les autres biens transférés à la société à cette époque) comme faisant partie des actifs de la 560233 et que, durant toutes les années ultérieures allant jusqu'en 1990, la résidence a été traitée comme telle à toutes fins, soit un autre fait nettement incompatible avec l'existence d'une intention commune de créer une fiducie. Il a été argué qu'un tel traitement n'était qu'une façade nécessaire, car il fallait que la 560233 donne l’apparence d’être propriétaire de ces biens pour protéger les actifs contre des créanciers. Ainsi, la forme du transfert et la contrepartie versée devraient être considérées comme non pertinentes. Cette proposition est cependant incompatible avec le témoignage de l'appelante selon lequel il s'agissait d'un actif lui appartenant et les dettes étaient uniquement des dettes de M. Cribb. L'appelante n'était pas poursuivie à titre personnel par la Midland, et aucun élément de preuve n'indique qu'un bien appartenant en propre à l'appelante était menacé.

[35] Aucun élément de preuve acceptable n'étaye la proposition voulant que, au moment de la disposition, l'appelante ait eu l'intention de conserver la propriété effective afin de maintenir un droit à une exonération au titre d'une résidence principale. À mon avis, l'argument de l'avocat selon lequel un tel motif sous-jacent existait depuis le début est discutable.

[36] Enfin, on ne peut dire que l'appelante est un témoin désintéressé, soit un témoin n'ayant aucun intérêt relativement à la question en cause. Son témoignage a été la seule preuve verbale qui ait été présentée à l'appui de la thèse avancée. Par contraste avec l'affaire Chrustie27, le fait qu'on n'ait pas appelé à témoigner l'avocat qui avait conseillé M. Cribb et « probablement » l'appelante concernant le transfert, la constitution de la 560233 et la fiducie familiale Cribb est un facteur pertinent. Qui était mieux placé pour présenter un témoignage désintéressé en ce qui a trait à la nature et à l'objet des opérations? Comme on l'a fait remarquer dans l'affaire Bouchard v. The Queen28 :

Le document a été rédigé par un cabinet de procureurs de bonne réputation. Il serait contraire au sens moral et à l'intégrité d'un membre de la profession d'indiquer inexactement un fait important dans un but ultérieur ou malhonnête. [...]

[37] La prépondérance des probabilités s'oppose à la prétention de l'appelante selon laquelle la 560233 a acquis la résidence en tant que fiduciaire, et les faits invoqués ne sont pas incontestables. Comme le faisait observer le juge Dickson (titre qu'il portait alors) :

[...] L' « intention commune » recherchée n'est pour ainsi dire jamais expresse; les cours doivent glaner l' « intention fantôme » dans la conduite des parties[29]. [...]

Il y a beaucoup trop d'ambiguïté dans la preuve présentée pour les appelants pour « glaner » une telle intention en l'espèce.

Arguments subsidiaires

[38] Ayant conclu qu'il n'existait pas de fiducie par déduction, il est maintenant nécessaire d'examiner plusieurs arguments subsidiaires présentés pour l'appelante.

[39] Tout d'abord, on a fait valoir que, pour qu'un avantage comme actionnaire soit inclus dans le calcul du revenu de l'appelante en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi, il faut que l'avantage ait été accordé au vu et au su de l'appelante ou avec son consentement ou encore dans des circonstances dans lesquelles il est raisonnable de conclure que l'appelante aurait dû savoir que l'avantage était conféré. Ainsi, dans des cas où un actionnaire n'entend pas qu'un bien ou un avantage lui soit accordé et qu'il en est bénéficiaire sans l'avoir voulu et sans en avoir été informé, il n'a pas reçu un avantage en tant qu'actionnaire30. L'appelante allègue que, bien qu'elle ait été l’âme dirigeante de la 560233, elle n'avait nettement pas l'intention de s'accorder un avantage. Si ses conseillers professionnels se trompaient concernant l'existence d'une fiducie et le traitement comptable utilisé, ils étaient de bonne foi, mais étaient partis d'un principe erroné. L'avocat soutenait que le libellé du paragraphe 15(1) de la Loi renvoie à une mesure comportant un fort élément d'intention et ne devrait pas inclure un événement résultant d'une erreur commune entre les parties, soit l'appelante et la 560233 en l'espèce, lorsque l'erreur résultait d'un acte ou d'une omission d'un tiers agissant de bonne foi, mais à partir d'un principe erroné31.

[40] Dans l'affaire Chopp, l'appelant était le principal actionnaire de la compagnie. Son épouse et lui avaient acheté une maison neuve et, alors qu'ils étaient en vacances, la compagnie avait avancé une somme importante à l'avocat de l'appelant au titre de l'argent comptant nécessaire à la conclusion de l'achat de la maison. En enregistrant cette avance de fonds, un employé de la compagnie avait par erreur porté cette avance au débit du compte de frais généraux d'ordre juridique de la société, alors que cette avance aurait dû être portée au débit du compte de l'actionnaire. Durant toute la période pertinente, ce compte de l'actionnaire avait un solde créditeur d'au moins 150 000 $, ce qui était bien supérieur au montant en cause. Lorsque les états financiers et les déclarations de revenu de la société pour 1989 avaient été établis et produits, ni l'appelant ni le teneur de livres de la société ou le comptable n'avaient découvert l'erreur. Sur la foi de ces faits et du témoignage de M. Chopp selon lequel il voulait utiliser son compte de l'actionnaire pour compléter la somme nécessaire à l'achat de sa maison, la Cour avait conclu qu'aucun avantage n'avait été conféré.

[41] Les appelants soutiennent qu'une situation semblable existe en l'espèce en ce qu'il n'y avait aucune intention de s'approprier des fonds de la société et aucune intention de commettre une fraude. Tout ce qui est arrivé, c'est que les conseillers professionnels ont, honnêtement, commis une erreur quant à l'existence d'une fiducie.

[42] À mon avis, dans les affaires Chopp, Robinson et Simons, les faits étaient différents. Dans l'appel en instance, ce n'est pas par inadvertance qu'une erreur comptable a été commise, et l' « appropriation » n'était pas le résultat d'une erreur commune entre des parties agissant de bonne foi comme dans l'affaire Robinson. Les mesures prises par le comptable, soit M. Bodley, ne se fondaient pas sur une erreur et ont été approuvées par l'appelante. On ne peut ne pas tenir compte du fait que les registres de la société, ses états financiers, ses déclarations de revenu, etc., pour la période allant de 1983 à 1990 traduisent exactement ce qui était visé, soit la propriété de tous les biens, y compris la résidence. De plus, pour ce qui est de l'avantage effectif, la valeur attribuée à la résidence en 1990 avait été déterminée après consultation d'un « expert en fiscalité » , soit M. Hack, et après une réunion avec le propre conseiller juridique de l'appelante32. L'incapacité de l'appelante à se souvenir des détails de leurs discussions et du conseil donné ne change rien à ce fait. Comme le juge Bonner, de la C.C.I., le faisait remarquer dans l'affaire Stafford v. The Queen33 :

[...] Les personnes qui cherchent à obtenir un certain résultat et qui, à cette fin, établissent leurs relations juridiques d'une certaine manière ont un lourd fardeau à assumer lorsqu'elles affirment qu'il ne doit pas être tenu compte de ces relations à d'autres fins. Il ne suffit pas de dire : « Je ne faisais que plaisanter. »

Cette observation est des plus pertinente dans les circonstances de l'espèce.

[43] À titre d’argument subsidiaire supplémentaire, l'avocat soutenait également que, si notre cour conclut qu'il n'y avait pas de fiducie :

a) soit une correction en faveur de l'appelante devrait être autorisée concernant la valeur de la résidence au moment du transfert de manière qu'il soit tenu compte de la juste valeur marchande de celle-ci, et une correction correspondante devrait être apportée au compte de l'actionnaire détenu dans la 560233;

b) soit la juste valeur marchande de la résidence et la valeur des actions rachetables au mois d'octobre 1990 représentent un dividende imposable et non un avantage conféré à un actionnaire, car le transfert de la résidence faisait partie de la contrepartie du remboursement des actions rachetables que l'appelante détenait dans la 560233. Donc, l'appelante ne devrait avoir à payer d'impôt que sur la partie de la valeur de la résidence excédant le capital versé correspondant aux actions rachetées. L'avocat soutient en outre que cet excédent devrait être considéré comme un dividende réputé avoir été distribué par la compagnie à l'appelante.

[44] Le redressement demandé déborde la compétence de notre cour. La seule question dont je sois saisi est de savoir s'il y a eu une appropriation de fonds par l'actionnaire et si l'avantage en résultant a à juste titre été inclus par le ministre dans le calcul du revenu de l'appelante en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi. En ce qui a trait à la 560233, la question est de savoir si le ministre a commis une erreur en ajoutant un gain en capital au revenu de placements au Canada de la compagnie en raison du transfert de la résidence. Ce que demande l'appelante équivaut à un jugement déclaratoire ordonnant au ministre d'établir une nouvelle cotisation selon un fondement complètement différent, qui n'avait pas préalablement été avancé et qui n'a pas été pris en considération par le ministre. Je ne crois pas que notre cour ait le pouvoir nécessaire à cette fin.

[45] À titre de dernier argument subsidiaire, il était également allégué pour l'appelante que, si la Cour conclut qu'il n'y avait pas de fiducie, le montant de l'avantage locatif attribué à l'appelante dans la cotisation est excessif. Le ministre avait présumé que, sur le marché, la résidence commandait en 1988, en 1989 et en 1990 des loyers mensuels de 2 500 $, de 2 615 $ et de 2 735 $, respectivement. L'avocat de l'appelante dit que la preuve présentée à la Cour indique que, lorsque des tentatives ont été faites pour louer le bien en 1988, personne n'a manifesté d'intérêt, même lorsque le loyer a été ramené à 2 200 $. Donc, vu les conditions du marché alors existantes et vu la nature de la résidence, tout avantage locatif à attribuer à l'appelante dans une cotisation au titre de l'utilisation de la résidence ne devrait pas dépasser 2 200 $ par mois.

Conclusion

[46] Comme je l'ai mentionné précédemment, certaines questions ont été réglées, comme suit :

a) Les appelantes, soit Mme Cribb et la 560233, soutenaient toutes deux que la juste valeur marchande de la résidence était, le 12 octobre 1990 ou vers cette date, beaucoup moins élevée que le montant de 657 500 $ présumé par le ministre dans l'établissement de la cotisation.

Les appelants ne contestent plus l'évaluation du ministre.

b) L'appelante Cribb a déclaré pour 1991 un gain en capital imposable de 150 000 $ résultant de la disposition de 250 actions ordinaires du capital social de la 491323 Ontario Limited et a indiqué une déduction pour gains en capital de 150 000 $ dans sa déclaration de revenu. Le ministre a refusé la déduction demandée.

L'appelante a renoncé à cette demande.

c) Deux questions distinctes se posent en raison de l'acquisition en 1988 du club de golf Hamilton Heights, par l'appelante Cribb et Erwin Henry McKeown, son époux.

(i) La première question est de savoir si des pertes d'entreprise de 36 970 $ relatives à l'exploitation du club de golf pour l'année d'imposition 1988 sont déductibles.

L'appelante s'est désistée de son appel concernant cette question.

(ii) La deuxième question est de savoir si l'appelante Cribb était en droit d'indiquer certaines déductions au titre d'intérêts payés dans les années d'imposition 1988 à 1991.

Les parties conviennent que l'appelante est en droit d'indiquer des déductions au titre d'intérêts payés, soit :

1988 — 2 944 $;

1989 — 6 226 $;

1990 — 5 820 $;

1991 — 5 383 $.

d) L'avantage locatif à attribuer à l'appelante dans la cotisation pour les années d'imposition 1988, 1989 et 1990 est de 2 200 $ par mois.

[47] Les appels de Lucille B. Cribb-McKeown sont admis dans cette mesure seulement, et Mme Cribb-McKeown n'a droit à aucune autre mesure de redressement. L'appel de la 560233 est rejeté. Dans ces appels, un seul mémoire de frais sera adjugé à l'intimée, soit des frais devant être taxés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'avril 1998.

« A. A. Sarchuk »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17e jour d’août 1998.

Mario Lagacé, réviseur



1            Pièce A-2, onglet 2. L'avocat de l'appelante était constant dans son affirmation selon laquelle l'appelante et M. Cribb détenaient chacun 50 p. 100 des actions de la 560233, mais cela est en fait inexact. En vertu de ses statuts, la 560233 était en droit d'émettre 200 000 actions spéciales et 1 000 actions ordinaires, soit dans les deux cas des actions avec droit de vote. Les actions détenues dans la 560233 se répartissaient comme suit : fiducie familiale de Peter G. Cribb — 100 actions ordinaires; M. Cribb — 36 380 actions spéciales; l'appelante — 36 180 actions spéciales. Par voie de résolution, la somme de 725 600 $ avait été fixée comme contrepartie globale de l'émission de ces actions spéciales. Aucune autre action n'a été émise à quelque moment que ce soit (pièce A-2, onglets 4 et 5).

2            Pièce A-2, onglets 3, 4 et 5.

3            Pièce A-2, onglets 2, 3, 4 et 5. Les documents relatifs aux opérations susmentionnées indiquent que le cabinet d'avocats Rose, Persiko, Arnold, Gleiberman représentait la 560233 et que Marvin Selwyn Arnold ( « Me Arnold » ) a agi comme avocat de M. Cribb et de l'appelante dans la constitution de la compagnie et relativement aux transferts en cause.

4            Pièce A-3, onglet 28 — 5. Il est indiqué que Me Robert S. Hart, c.r., représentait le conseiller juridique de l'appelante, Me Donald W. Kerr. Il semble en outre que l'appelante ait obtenu des avis dans cette affaire de Mes John S. McKeown et William J. Burden, de Cassels, Brock.

5            Pièce A-3, onglet 29.

6            L'accord de règlement indique expressément que la 560233 et l'appelante ont toutes deux obtenu des avis juridiques indépendants relativement aux modalités et à l'effet de cet accord (pièce A-3, onglet 29).

7            Le témoignage de l'appelante était vague sur ce point, mais il est raisonnable de présumer que la mention de l'achat et de la vente de « ses biens locatifs » reflétait l'acquisition et la disposition de certains actifs par la 560233. La mention des états financiers de cette dernière pour les exercices se terminant le 30 juin 1987 et le 30 juin 1988 indique la disposition d'un terrain et d'immeubles évalués à 1 140 000 $ dans l'année d'imposition 1988. L'état financier pour l'exercice se terminant le 30 juin 1988 dit aussi, sous la rubrique SOMMAIRE DE LA PERTE EN CAPITAL — « Perte relative au règlement conclu avec la Banque Midland (Canada) (375 000) » .

8            Pièce A-3, section 21.

9            Concernant cette opération, il semble également que l'appelante ait consulté ses conseillers juridiques, Mes Clapp et Gibson. Elle les a décrits comme des avocats agissant pour elle dans ses opérations immobilières. Au sujet des deux consultations, l'appelante affirme ne guère se souvenir des discussions tenues ou de la nature des conseils demandés ou obtenus.

10           Pour aider la Cour et l'avocat, une transcription établie par un sténographe à qui l'appelante avait fait appel à cette fin a été présentée. La vidéocassette et la transcription ont été inscrites et déposées sous la cote A-1 — pour identification.

11           Le 24 juin 1996, dans ses observations à la Cour concernant l'ajournement du procès, l'avocat de l'appelante a mentionné qu'il avait eu des discussions préliminaires avec l'avocat de l'intimée quant à l'enregistrement sur vidéocassette de la déposition de M. Bodley en présence d'un sténographe judiciaire. Il n'avait pas mentionné à l'avocat que, le 22 juin, il avait déjà fait avec ce témoin un essai qui avait été enregistré sur vidéocassette. J'accepte l'assurance de Me Novoselac que cette rencontre visait simplement à passer en revue les documents pertinents avec un témoin éventuel et à faire un essai d'enregistrement sur vidéocassette de l'interrogatoire. Je ne tire aucune conclusion négative du fait qu'il a omis d'aviser l'avocat de l'intimée de son intention de le faire.

12           The Law of Evidence in Canada, Sopinka et Lederman, Bryant, 1992, à la p. 156.

13           The Law of Evidence in Canada, précité, note 53 en bas de la page 173; voir aussi le jugement Sugden v. Lord St. Leonards, (1876) 1 P.D. 154, [1875-80] All E.R. Rep. 21 (C.A.) à la p. 240 (P.D.).

14           The Law of Evidence in Canada, précité, à la p. 174.

15           (1990) 2 R.C.S. 531.

16           (1992) 2 R.C.S. 915.

17           Dans l'affaire Khan, la Cour suprême devait déterminer la recevabilité de déclarations faites par une enfant de quatre ans et demi à sa mère peu après l'événement — dans une affaire d'agression sexuelle dans laquelle le juge du procès avait statué que le témoignage direct de l'enfant était irrecevable.

            Dans l'affaire Smith, la Cour suprême devait déterminer la recevabilité de déclarations faites par la victime la nuit où elle a été assassinée.

18           R. c. Smith, précité, aux pages 933 et 934.

19           R. c. Smith, précité, à la page 935.

20           Précité.

21           Exemples : La nuit où elle a été assassinée, la victime avait téléphoné à sa mère — affaire Smith, précitée;

            Une enfant avait fait une déclaration à sa mère 15 minutes après l'agression alléguée — affaire Khan, précitée;

            Un témoin indépendant avait fait une déclaration sur les lieux de l'accident et était par la suite décédé — affaire Bishop (guardian ad litem of) v. Hibert, 21 B.C.L.R. (3rd) 193;

            Le demandeur, blessé, était retourné à sa voiture et avait dit à la personne qui l'attendait qu'il avait été agressé — par la suite, il ne parvenait pas à se souvenir des événements — affaire Baker v. Guilbride, 8 B.C.L.R. (3rd) 104;

            Dans une action pour renvoi injustifié, la défenderesse alléguait que le demandeur avait lancé un ultimatum au superviseur — le superviseur était décédé avant le procès — les notes prises par le superviseur peu après des entretiens avec le demandeur avaient été jugées recevables — affaire Robert Clark v. Horizon Holidays Ltd., 45 C.C.E.L. 244.

22           Dans ce contexte, je fais remarquer que, à plusieurs occasions, M. Bodley a dit que, comme comptable, il était régi par les principes comptables généralement reconnus et qu'il s'y conformait. Pour cette raison, disait-il, la résidence et, ultérieurement, l'hypothèque sur la résidence accordée en garantie à la Midland devaient figurer dans les livres et registres de la 560233, faute de quoi cela aurait été « trompeur pour le lecteur » . Il semble curieux que son souci pour le lecteur et pour les principes comptables généralement connus ne l'ait pas incité à faire état dans les registres financiers de la 560233 des biens détenus par cette dernière en fiducie pour d'autres personnes.

23           Article 54, Loi de l'impôt sur le revenu.

24           Chrustie v. M.N.R., 84 DTC 1465 (C.C.I.); Holizki v. The Queen, 95 DTC 5591 (C.F., 1re inst.).

25          Bouchard v. The Queen, 83 DTC 5193, à la p. 5202 (C.F., 1re inst.).

26           [1980] 2 R.C.S. 834, à la p. 844.

27           Affaire précitée.

28           Affaire précitée, à la p. 5204.

29           Affaire précitée, à la p. 843.

30           Chopp v. The Queen, 95 DTC 527 (C.C.I.); Robinson v. M.N.R., 93 DTC 254, à la p. 258 (C.C.I.); Simons v. M.N.R., 85 DTC 105 (C.C.I.).

31           Affaire Robinson, précitée.

32           L'appelante avait mis le bien en vente à 865 000 $, et il s'ensuit que, en 1990, elle aurait été au courant de la valeur accrue du bien.

33           93 DTC 438, à la p. 442.

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