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Date: 20000928

Dossier: 1999-2643-IT-I

ENTRE :

ALBERT POIRIER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1] Le présent appel porte sur une cotisation visant l'année d'imposition 1995, cotisation par laquelle le ministre du Revenu national n'a pas admis les 19 310,35 $ et 1 548,53 $ indiqués par l'appelant comme pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise en vertu de l'alinéa 39(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2] L'avis d'appel et la réponse à l'avis d'appel étaient en français, tout comme l'argumentation verbale. Les arguments écrits présentés après l'audience étaient en anglais. Les avocats ont dit qu'ils n'avaient pas de préférence pour ce qui est de la langue dans laquelle les motifs du jugement seraient rédigés. Comme les présents motifs renvoient beaucoup aux arguments écrits des avocats, ils ont été rédigés en anglais dans leur version originale. La version française sera évidemment fournie aux parties si elles le désirent.

[3] L'avocate de l'intimée affirme que les faits sont énoncés avec exactitude dans les arguments écrits de l'appelant. Ces faits sont les suivants :

[TRADUCTION]

1. Durant toute la période pertinente aux fins de la présente cause, l'appelant, Albert Poirier, était actionnaire et administrateur de Chez Lucille (1993) Ltd., qui exploitait un restaurant à Bouctouche (Nouveau-Brunswick).

2. Après avoir subi des pertes importantes, Chez Lucille (1993) Ltd. a cessé ses activités, en mai 1995. À cette époque, Chez Lucille (1993) Ltd. était insolvable et devait énormément d'argent à de nombreux créanciers, dont un montant de 19 310 $ au ministre des Finances du Nouveau-Brunswick au titre de la taxe de vente provinciale et un montant de 1 548,53 $ à la Commission de la santé, de la sécurité et de l'indemnisation des accidents au travail (CSSIAT) au titre de versements à effectuer conformément à la Loi sur les accidents du travail.

3. Pour garantir le paiement de ces montants non réglés, le ministre des Finances et la CSSIAT ont, en vertu du paragraphe 26(1) de la Loi sur l'administration du revenu et de l'article 72 de la Loi sur les accidents du travail respectivement, enregistré des privilèges à l'égard d'un bien appartenant à l'appelant.

4. Le bien de l'appelant a été vendu le 10 mai 1995 et, pour que les privilèges soient supprimés, l'appelant a été obligé de payer personnellement les montants dus au ministre des Finances et à la CSSIAT.

5. Pour l'année d'imposition 1995, l'appelant a, en vertu de l'alinéa 39(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, déclaré comme pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise les 19 310 $ payés au ministre des Finances et les 1 548,53 $ payés à la CSSIAT, au motif qu'il était tenu par la loi de payer les dettes de Chez Lucille (1993) Ltd.

6. Le présent appel est interjeté contre un avis de nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1995 de l'appelant dans lequel le ministre du Revenu national n'a pas admis les montants de 19 310 $ et de 1 548 $ personnellement payés par l'appelant et déclarés comme pertes déductibles au titre d'un placement d'entreprise en vertu de l'alinéa 39(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[4] En général, une perte en capital peut uniquement être déduite d'un gain en capital. Une exception existe dans le cas d'une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise (“ PDTPE ”), qui peut être déduite d'autres revenus en vertu de l'alinéa 3d). L'alinéa 38c) définit la PDTPE comme l’équivalent des trois quarts d'une perte au titre d'un placement d'entreprise d'un contribuable.

[5] La perte au titre d'un placement d'entreprise est définie comme suit à l'alinéa 39(1)c) :

c) une perte au titre d'un placement d'entreprise subie par un contribuable, pour une année d'imposition, résultant de la disposition d'un bien quelconque s'entend de l'excédent éventuel de la perte en capital que le contribuable a subie pour l'année résultant d'une disposition, après 1977 :

(i) soit à laquelle le paragraphe 50(1) s'applique,

(ii) soit en faveur d'une personne avec laquelle il n'avait aucun lien de dépendance,

d'un bien qui est :

(iii) soit une action du capital-actions d'une société exploitant une petite entreprise,

(iv) soit une créance du contribuable sur une société privée sous contrôle canadien (sauf une créance, si le contribuable est une société, sur une société avec laquelle il a un lien de dépendance) qui est :

(A) une société exploitant une petite entreprise,

(B) un failli, au sens du paragraphe 128(3), qui était une société exploitant une petite entreprise au moment où il est devenu un failli pour la dernière fois,

(C) une personne morale visée à l'article 6 de la Loi sur les liquidations qui était insolvable, au sens de cette loi, et qui était une société exploitant une petite entreprise au moment où une ordonnance de mise en liquidation a été rendue à son égard aux termes de cette loi,

sur le total des montants suivants :

[...]

Le reste de la définition n'est pas pertinent aux fins du présent appel.

[6] Le paragraphe 50(1) se lit comme suit :

Pour l'application de la présente sous-section, lorsque, selon le cas :

a) un contribuable établit qu'une créance qui lui est due à la fin d'une année d'imposition (autre qu'une créance qui lui serait due du fait de la disposition d'un bien à usage personnel) s'est révélée être au cours de l'année une créance irrécouvrable;

b) une action du capital-actions d'une société (autre qu'une action reçue par un contribuable en contrepartie de la disposition d'un bien à usage personnel) appartient au contribuable à la fin d'une année d'imposition et :

(i) soit la société est devenue au cours de l'année un failli au sens du paragraphe 128(3),

(ii) soit elle est une personne morale visée à l'article 6 de la Loi sur les liquidations, insolvable au sens de cette loi et au sujet de laquelle une ordonnance de mise en liquidation en vertu de cette loi a été rendue au cours de l'année,

(iii) soit les conditions suivantes sont réunies à la fin de l'année :

(A) la société est insolvable,

(B) ni la société ni une société qu'elle contrôle n'exploite d'entreprise,

(C) la juste valeur marchande de l'action est nulle,

(D) il est raisonnable de s'attendre à ce que la société soit dissoute ou liquidée et ne commence pas à exploiter une entreprise,

le contribuable est réputé avoir disposé de la créance ou de l'action à la fin de l'année pour un produit nul et l'avoir acquise de nouveau immédiatement après la fin de l'année à un coût nul, à condition qu'il fasse un choix, dans sa déclaration de revenu pour l'année, pour que le présent paragraphe s'applique à la créance ou à l'action.

[7] Suivant le sous-alinéa 40(2)g)(ii), la perte subie par un contribuable par suite de la disposition d'une créance ou d'un droit de recevoir une somme est nulle, sauf si la créance ou le droit a été acquis en vue de tirer un revenu d'une entreprise.

[8] Il ressort de ce qui précède que les conditions suivantes doivent être réunies pour que l'appelant ait gain de cause :

a) L'appelant doit avoir une créance sur Chez Lucille (1993) Ltd.

b) Chez Lucille (1993) Ltd. doit être une société exploitant une petite entreprise au sens de la division 39(1)c)(iv)(A), (B) ou (C).

Je présume qu'il est satisfait à cette condition. La question n'est pas soulevée comme point en litige par l'intimée.

c) La créance doit avoir été acquise en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

d) La créance doit être établie comme étant devenue irrécouvrable au cours de l'année.

[9] Dans l'affaire The Cadillac-Fairview Corporation Limited c. La Reine, C.C.I., no 92-2529(IT)G, 6 mars 1996 (97 DTC 405), conf. par C.A.F., no A-282-96, 25 janvier 1999 (99 DTC 5121), j'avais résumé aux pages 5 à 8 (DTC : aux pages 406 à 408) les principes qui s'appliquaient d'après moi lorsqu'un garant est obligé de faire un paiement aux termes d'une garantie, et j'avais résumé la manière dont cela peut avoir un effet suivant les termes de l'alinéa 39(1)c) :

Pour bien établir le contexte factuel dans lequel s'inscrit la question de la perte en capital, il semblerait utile que je résume brièvement les principes qui, je pense, s'appliquent dans une affaire de ce genre. La demande de déduction d'une perte en capital admissible que l'appelante a présentée se fonde sur l'allégation voulant que l'appelante ait garanti les dettes de ses sous-filiales américaines de quatrième niveau, qu'elle ait payé les prêteurs en règlement de ces garanties, qu'elle soit devenue subrogée dans les droits des prêteurs, qu'elle ait disposé de ces droits pour un produit nul et qu'elle ait ainsi subi une perte en capital.

Pour qu'il soit conclu qu'une perte en capital a été subie aux fins de la Loi, il ressort clairement des articles 3, 38 et 39 qu'il doit y avoir eu une disposition de bien réelle ou réputée. Le simple fait d'effectuer un paiement de capital ne donne pas lieu en soi à une perte en capital. Lorsqu'une garantie au titre d'une obligation d'un débiteur initial est donnée et qu'en vertu de la garantie, le garant est tenu de payer et paie effectivement le créancier en règlement de l'obligation du débiteur initial, le garant devient normalement subrogé dans la position du créancier, à moins qu'il ait explicitement ou implicitement renoncé à ces droits de subrogation ou que d'autres circonstances empêchent l'apparition de tels droits. S'il n'y a pas d'empêchement factuel ou juridique semblable, est créée par l'effet du droit une relation débiteur-créancier entre le débiteur initial et le garant. Pour ce dernier, le coût de la créance acquise serait normalement le montant qu'il a payé en vertu de la garantie.

Si, comme c'est souvent le cas, le débiteur initial ne peut payer, la créance peut être considérée comme étant devenue irrécouvrable. En vertu de l'article 50 de la Loi, le garant est réputé avoir disposé de la créance à la fin de l'année d'imposition dans laquelle elle s'est révélée irrécouvrable et l'avoir acquise de nouveau immédiatement après à un coût nul. Ainsi, par l'effet combiné du droit en matière de subrogation et de l'article 50 de la Loi, est réalisée la disposition nécessaire pour appuyer la demande de déduction d'une perte en capital.

Le sous-alinéa 40(2)g)(ii) se lit comme suit :

est nulle la perte subie par un contribuable et résultant de la disposition d'un bien, dans la mesure où elle est :

[...]

(ii) une perte résultant de la disposition d'une créance ou d'un autre droit de recevoir une somme, sauf si la créance ou le droit a été acquis par le contribuable en vue de tirer un revenu (qui n'est pas un revenu exonéré) d'une entreprise ou d'un bien, ou en contrepartie de la disposition d'une immobilisation en faveur d'une personne avec qui le contribua­ble n'avait aucun lien de dépendance.

[...]

Dans de nombreux cas, si un garant doit suppléer un manque en vertu d'une garantie, c'est parce que le débiteur initial est incapable d'honorer l'obligation. Il s'ensuit que le droit de subrogation du garant contre le débiteur initial est, au moment de l'acquisition, susceptible d'être sans valeur ou pratiquement sans valeur dans bien des cas. Une interprétation mécanique étroite du sous-alinéa 40(2)g)(ii) amènerait à conclure qu'au moment du paiement de la somme garantie, la créance sans valeur que le garant a acquise par subrogation ne saurait avoir été acquise en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Une telle interprétation manque à mon avis de bon sens commercial. Une interprétation fonctionnelle plus réaliste d'un point de vue commercial subsumerait l'objet de l'acquisition de la créance par voie de subrogation sous l'objet pour lequel la garantie avait initialement été donnée.

L'analyse des faits exige une réponse aux questions suivantes :

a) Les obligations des filiales envers les banques étaient-elles garanties par l'appelante?

b) Le paiement des montants en question, par l'appelante, a-t-il été fait en vertu de l'obligation prévue dans les garanties?

c) L'appelante a-t-elle acquis par subrogation une créance correspondant à une dette de la filiale envers les prêteurs?

d) L'appelante a-t-elle disposé de cette créance dans l'année? Outre sa thèse selon laquelle la créance s'est révélée irrécouvrable, ce qui donnait lieu à une disposition réputée en vertu de l'article 50 de la Loi de l'impôt sur le revenu, l'appelante soutient que, dans le cas de quatre des cinq filiales en cause ici, elle a disposé des créances en renonçant à ses droits de subrogation. L'effet de la renonciation est à mon avis crucial, pour des raisons que je préciserai ultérieurement.

e) Cette créance a-t-elle été acquise en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien de l'appelante? Plus précisément, à partir de l'analyse présentée précédemment, si les paiements ont été faits en vertu des garanties, celles-ci ont-elles été données en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien de l'appelante?

Si la réponse aux cinq questions est affirmative, l'appelante doit nécessairement avoir gain de cause. Si la réponse à l'une quelconque des questions est négative, l'appelante doit être déboutée, quelles que soient les considérations commerciales qui ont pu motiver les paiements. En un sens commercial large, l'appelante a perdu de l'argent, mais la question du droit au redressement demandé se fonde sur des concepts juridiques d'une certaine spécificité. Pour parvenir au résultat qu'elle souhaite, l'appelante doit s'être conformée à ces concepts. Elle doit notamment démontrer qu'elle a acquis une créance en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien et que la créance s'est révélée irrécouvrable en 1984 ou qu'elle en a disposé à perte.

[10] Appliquons donc cette analyse à la situation de M. Poirier.

[11] Je suis disposé à présumer que l'enregistrement des privilèges portant sur le bien de l'appelant en vertu de l'article 26 de la Loi sur l'administration du revenu (Nouveau-Brunswick) et de l'article 72 de la Loi sur les accidents du travail (Nouveau-Brunswick) était légal. Je ne formule toutefois aucune conclusion à cet égard. L'article 26 de la Loi sur l'administration du revenu se lit comme suit :

26(1) Tout percepteur qui perçoit une taxe est réputé la détenir en fiducie pour le compte de Sa Majesté du chef de la province, dans le but de lui remettre cette taxe de la manière et à l'époque prévues en vertu de la présente loi et, par dérogation au paragraphe 72(2) de la Loi sur les accidents du travail le montant de cette taxe constitue, tant qu'il n'a pas été payé, un privilège spécial sur tout son avoir, sur tous les actifs de celui-ci qui sont confiés à un fiduciaire et sur tous ses biens utilisés directement ou indirectement dans ses affaires ou qui y sont produits, en priorité sur toute réclamation, droit, privilège ou charge quelle que soit l'époque de leur création, sous la seule réserve des impôts levés en vertu de la Loi sur l'impôt foncier.

26(2) Le privilège visé au paragraphe (1)

a) s'applique à compter de la date de perception de la taxe par le percepteur, sans qu'il soit nécessaire pour le créer ou le conserver, d'enregistrer ou de déposer un quelconque document ou d'aviser qui que ce soit,

b) grève tous les biens entrant par la suite dans la catégorie de biens décrite au paragraphe (1) jusqu'au paiement total de la somme due et payable, y compris les intérêts et pénalités le cas échéant, et

c) sous réserve du paragraphe (3), suit tout bien qu'il grève en quelques mains qu'il se trouve.

26(3) Lorsqu'un privilège grève un bien faisant partie du stock du percepteur et que ce bien est aliéné dans le cours normal des affaires de ce dernier, la vente de bonne foi de ce bien dans le cours normal des affaires entraîne l'extinction de ce privilège.

26(4) Lorsqu'un bien visé au paragraphe (3) est vendu ou autrement aliéné, la somme due et payable, y compris les intérêts et pénalités le cas échéant, constitue une charge de premier rang sur le produit de la vente ou de l'aliénation de ce bien.

26(5) Tout créancier hypothécaire ou sur jugement ou tout autre titulaire d'une réclamation, d'un privilège, d'un droit de rétention ou de toute autre charge sur des biens grevés d'un privilège en vertu du paragraphe (1)

a) peut acquitter le montant du privilège,

b) peut ajouter cette somme au montant de son hypothèque, jugement ou autre sûreté, et

c) possède, à l'égard de cette somme, les mêmes droits et recours que ceux que comporte sa sûreté.

[12] J'ai quelque difficulté à voir comment au juste les obligations de la société sont devenues les obligations de l'appelant de manière à permettre au ministre des Finances et à la CSSIAT d'enregistrer des privilèges à l'égard du bien de l'appelant. Ce point n'a pas été soulevé, et je présumerai qu'il s'agissait de privilèges légaux. Lorsque le bien a été vendu, l'appelant a dû payer le montant correspondant aux privilèges.

[13] L'avocat de l'appelant soutient que, étant tenu par la loi d'acquitter la dette de la société, l'appelant a un droit de recouvrement. Je cite intégralement l'argumentation de l'avocat de l'appelant sur ce point :

[TRADUCTION]

10. Les tribunaux ont généralement statué que, si quelqu'un est tenu par la loi d'acquitter la dette d'une autre personne, les règles de droit en matière de restitution prévoient un droit de recouvrement. Ce principe a été reconnu dans l'affaire Brook's Wharf and Bull Wharf Limited v. Goodman Brothers, [1937] 1 B.R. 534. Dans cette cause-là, les parties demanderesses étaient propriétaires d'un entrepôt où les parties défenderesses avaient consigné 10 paquets de fourrures d'écureuil. Suivant la loi intitulée Customs Consolidation Act, les parties demanderesses étaient tenues de payer des droits sur les paquets déposés dans l'entrepôt. Elles ont intenté une action pour être indemnisées par les parties défenderesses. La Cour a statué que, étant tenues par la loi de payer ces droits, les parties demanderesses étaient en droit d'en recouvrer le montant auprès des parties défenderesses. La Cour a conclu que le paiement avait libéré les parties défenderesses de leur obligation et que la responsabilité première de payer des droits incombait aux parties défenderesses. À la page 544, lord Wright déclarait ceci :

[TRADUCTION]

“ Pour l'essentiel, la règle est la suivante : une responsabilité à l'égard de la même dette incombe au demandeur et au défendeur, et le demandeur a été légalement tenu de payer, mais le défendeur tire profit du paiement, car sa dette est acquittée entièrement ou proportionnellement, alors qu'il est principalement responsable du paiement envers le demandeur. Ce cas est analogue à celui d'un paiement par une caution ayant pour effet d'acquitter la dette du débiteur principal et donnant ainsi un droit d'indemnisation à l'égard du débiteur principal. ”

11. Plus récemment, un raisonnement semblable a été tenu par la Cour dans l'affaire Steele Excavating Ltd. v. British Columbia Forest Products Ltd., [1987] A.C.-B. no 2214. Dans cette cause-là, la demanderesse (BCFP) avait passé des contrats avec deux sociétés, Steele et Clayjim, pour acheter du bois récolté en vertu de permis de vente de bois (PVB). Les PVB avaient été accordés par la Couronne à un dénommé Shaw, qui était administrateur des deux sociétés. Au cours de l'exécution des contrats, BCFP avait reçu des factures de la Couronne au titre de droits de coupe et de redevances concernant le bois, factures que M. Shaw avait refusé de payer quand on les lui avait présentées. Il soutenait qu’une convention expresse conclue avec BCFP établissait que BCFP devait payer les droits de coupe à la Couronne et que le prix convenu dans chacun des contrats était un prix “ net pour lui ”, c'est-à-dire net des droits de coupe. Au procès, le témoignage de M. Shaw sur cette convention expresse n'a pas été accepté par le juge. BCFP avait retenu la somme de 72 657,30 $ sur le compte de la Steele, avisant M. Shaw que cette somme serait retenue jusqu'à ce que les droits de coupe soient payés. M. Shaw n'a pas à ce moment-là, ni à un autre, payé de droits de coupe à la Couronne à l'égard du bois vendu par Steele ou Clayjim à BCFP, et Steele et Clayjim ne l'ont pas fait non plus. La Couronne exigeait que les droits de coupe soient payés par M. Shaw en tant que détenteur des PVB et par BCFP en conformité avec l'article 142 de la loi intitulée Forest Act. BCFP a fini par payer les droits de coupe relatifs au bois de Clayjim et de Steele. La Cour a conclu que M. Shaw ainsi que Clayjim et Steele étaient principalement redevables des droits de coupe et que le paiement de ces droits par BCFP avait libéré les parties défenderesses de leur obligation de les payer aux termes des PVB. La Cour a donc ordonné que M. Shaw ainsi que Clayjim et Steele indemnisent BCFP dans la mesure dans laquelle chacun avait été libéré de son obligation envers la Couronne.

[14] L'avocate de l'intimée reconnaît que l'appelant avait une obligation légale de payer les sommes, et je ne suis pas disposé à me lancer dans des recherches pour déterminer si c'est exact en droit.

[15] L'avocate de l'intimée reconnaît en outre — et je suis prêt à le reconnaître également — que l'acquittement, par l'appelant, des obligations de la société a donné lieu à une créance sur la société. Encore là, j'accepte ce point de vue simplement parce qu'il n'est pas contesté par l'intimée et que, à la lumière de la conclusion à laquelle je suis parvenu, cela ne fait au bout du compte pas de différence. Je ne voudrais toutefois pas que ce soit considéré comme une acceptation indépendante. Si l’on admet qu’une créance a été acquise, l'a-t-elle été en vue de gagner un revenu? À mon avis, lorsqu'un paiement est effectué par un actionnaire aux termes d'une garantie qu'il avait donnée à l'égard d'une dette d'une société, il s'agit d'une créance acquise par subrogation en vue de gagner un revenu. Dans l'affaire The Cadillac-Fairview Corporation, j'ai traité comme suit de ce point à la page 16 (DTC : à la page 412) :

Étant donné cette conclusion, je n'ai pas à traiter à fond de l'argument de Me Van Der Hout selon lequel les garanties n'ont pas été données en vue de gagner un revenu. Si les garanties n'ont pas été données en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien de l'appelante, j'ai de la difficulté à concevoir quelque autre motif pour lequel elles auraient pu être données. L'argument de l'intimée semble être que l'appelante aurait satisfait au critère de l'objectif consistant à “ tirer un revenu ” si elle avait demandé une commission pour les garanties, mais qu'elle ne visait pas un tel objectif puisqu'elle n'a pas demandé de commission pour les garanties. Le but ultime d'une compagnie mère d'une corporation est de tirer un revenu de ses filiales, généralement sous forme de dividendes. Assujettir à l'existence de d'intérêts (sic) ou de commission de garantie le traitement de pertes en capital subies à l'égard d'actions ou de dettes des filiales est, dans le monde moderne des affaires, simplement inacceptable comme critère à appliquer. Cette théorie a été enterrée dans des jugements comme Charles A. Brown c. La Reine (C.F., 1re inst.), no de greffe T-2712-91, 15 janvier 1996, Byram v. The Queen, 95 DTC 5069, Business Art Inc. v. M.N.R., 86 DTC 1842, et National Developments Ltd. v. The Queen, 94 DTC 1061. L'intimée s'appuyait fortement sur l'affaire Canada Safeway Ltd. v. M.N.R., 57 DTC 1239. Pour les motifs énoncés dans l'affaire Mark Resources Inc. v. The Queen, 93 DTC 1004, à la p. 1011, le jugement Canada Safeway n'est nullement applicable dans les circonstances de l'espèce.

[16] Telle n'est pas la situation en l’espèce. Je conviens avec l'avocate de l'intimée que, lorsque l'appelant a effectué les paiements en question, la société n'était plus exploitée. Elle avait cessé ses activités et était insolvable. Il y a toute une différence entre effectuer des paiements aux termes d'une garantie donnée lorsqu'une société est exploitée — en vue d'augmenter la possibilité de celle-ci de gagner des revenus — et acquitter une obligation imposée par la loi ou faire supprimer un privilège après qu'il n'est plus possible de tirer un revenu de la société. Je comparerais cela à une situation où une entreprise a cessé ses activités mais où une obligation résultant de l'entreprise précédemment exploitée a alors pris naissance et devait être acquittée. L'acquittement de cette obligation me semblerait avoir été fait en vue de tirer un revenu d'une entreprise. En l’espèce, toutefois, l'obligation de payer la dette de la société a pris naissance après que la société eut cessé ses activités.

[17] Conséquemment, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de septembre 2000.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.A.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de février 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

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