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Date: 19980226

Dossier: 96-2272-UI

ENTRE :

TONI GRIEVES,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Le présent appel a été entendu à Toronto (Ontario) le 19 janvier 1998. L'appelante porte en appel le règlement du ministre du Revenu national (le « ministre » ) daté du 17 septembre 1996, selon lequel l'emploi qu'elle a exercé pour la 1033563 Ontario Inc., faisant affaire sous le nom de Paws & Claws (la « compagnie » ), du 6 septembre 1994 au 14 avril 1995 n'était pas un emploi assurable en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage (ci-après appelée la « Loi » ). La raison donnée à l'égard de ce règlement était la suivante :

[TRADUCTION]

[...] Vous aviez un lien de dépendance avec la 1033563 Ontario Inc., s/n Paws & Claws, et n'étiez pas réputée ne pas avoir de lien de dépendance avec elle.

[2] Les faits établis révèlent que l'appelante est l'épouse de Richard Grieves, qui, durant toute la période pertinente, détenait toutes les actions en circulation de la compagnie. Ainsi, en vertu de l'article 3 de la Loi et du paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, elle et lui sont, en tant que personnes liées, réputés en droit avoir entre eux un lien de dépendance. Il s'ensuit que, sous réserve de l'exception prévue au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, l'emploi en cause est considéré comme un « emploi exclu » , c'est-à-dire que ce n'est pas un emploi qui, au moment de sa cessation, donne lieu au versement de prestations d'assurance-chômage. Le ministre a déterminé dans son règlement que l'emploi en cause n’était pas visé par l'exception prévue, et l'appelante conteste cette décision.

[3] L'appelante, qui n'a pas comparu personnellement, pour des raisons de santé, était représentée à l'audition de l'appel par son époux.

La Loi

[4] Dans le régime institué en vertu de la Loi, le législateur a défini ce qu'est un emploi assurable, qui donne lieu au moment de sa cessation au versement de prestations, et ce qu'est un emploi « exclu » , soit un emploi qui ne donne pas lieu au versement de prestations au moment de sa cessation. Les modalités d'emploi conclues entre des personnes ayant un lien de dépendance correspondent à la catégorie de l' « emploi exclu » . Les conjoints sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance en vertu du paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui régit la situation. Il est bien clair que l'objet de cette législation est de faire en sorte que l'on n'ait pas à verser une multitude de prestations en raison de modalités d'emploi factices ou fictives.

[5] La sévérité de cette situation est toutefois atténuée par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, qui prévoit que des personnes liées peuvent être réputées ne pas avoir de lien de dépendance et que l'emploi peut alors être considéré comme un emploi assurable, pour autant qu'il réponde à toutes les autres exigences, si le ministre est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances (y compris celles qui sont spécifiées) que ces personnes auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu (en fait) un lien de dépendance. Il peut être utile que j'explique autrement la manière dont je comprends cette disposition. En vertu de la Loi, dans le cas de personnes liées entre elles, la barrière est fermée pour ce qui est de l'admissibilité à des prestations d'assurance-chômage, à moins que le ministre ne soit convaincu que, en fait, le contrat de travail en cause est semblable à celui qu'auraient conclu des personnes non liées entre elles, c'est-à-dire des personnes n'ayant manifestement aucun lien de dépendance. Le législateur considérait qu'il n'était que juste qu'un tel emploi soit inclus dans le régime. Cependant, le ministre fait fonction de garde-barrière. À moins que le ministre ne soit convaincu, la barrière reste fermée, l'emploi reste exclu, et l'employé n'est pas admissible à des prestations.

[6] L'article 61 de la Loi traite du règlement de questions par le ministre et des demandes de révision présentées au ministre. Le paragraphe 61(6) comporte l’exigence suivante :

[...] le ministre doit, avec toute la diligence voulue, [...] régler la question soulevée par la demande [...]

[7] Donc, le ministre n'a aucun pouvoir discrétionnaire quant à savoir s'il doit ou non régler la question. Il est tenu par la loi de le faire. Si le ministre n'est pas convaincu, la barrière reste fermée, et l'employé n'est pas admissible. Toutefois, si le ministre est convaincu, sans plus de formalités ou autres mesures de la part du ministre (si ce n'est la notification de la décision), l'employé devient admissible à des prestations, pourvu qu'il y soit par ailleurs admissible. Il ne s'agit pas d'un pouvoir discrétionnaire en ce sens que, si le ministre est convaincu, le ministre peut considérer qu'il s'agit d'un emploi assurable. Il doit « régler la question » et, selon le règlement de la question, l'emploi est considéré en droit comme correspondant à une relation avec ou sans lien de dépendance. Ainsi, le ministre n'exerce pas un pouvoir discrétionnaire au sens véritable du terme, car, dans sa décision, il doit agir d'une manière quasi judiciaire et n'est pas libre de choisir comme bon lui semble. Les diverses décisions de la Cour d'appel fédérale concernant cette question révèlent que le même critère s'applique à une multitude d'autres représentants de l'État qui rendent des décisions quasi judiciaires dans de nombreux domaines différents. Voir les jugements Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. M.R.N. et al., 178 N.R. 361, Attorney General of Canada and Jencan Ltd., (1997) 215 N.R. 352, et Her Majesty the Queen and Bayside Drive-in Ltd., (1997) 218 N.R. 150.

[8] En appel, le rôle de notre cour consiste ainsi à réviser la décision du ministre et à déterminer si le ministre est parvenu à cette décision légitimement, c'est-à-dire conformément à la Loi et aux principes de justice naturelle. Dans l'arrêt Her Majesty the Queen and Bayside Drive-In Ltd., précité, la Cour d'appel fédérale a énoncé certaines questions devant être prises en considération par notre cour dans l'audition de ces appels, soit les questions de savoir : (i) si le ministre a agi de mauvaise foi ou en s'appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié; (ii) si le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes comme il est expressément tenu de le faire aux termes de l'alinéa 3(2)c)(ii); (iii) si le ministre a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[9] La Cour d'appel fédérale poursuivait en déclarant :

Ce n'est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l'on peut dire qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon contraire à la loi, et [...] que le juge de la Cour de l'impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre eux de lien de dépendance.

[10] Il a été allégué par l'appelante que la décision du ministre dans l'affaire dont je suis maintenant saisi se fondait sur des faits erronés. Dans l'examen de ces allégations, il ne faut pas oublier que la Cour ne doit pas substituer sa propre opinion sur la preuve à celle du ministre. Toutefois, si la façon dont le ministre est parvenu à sa décision n'était pas légitime dans le contexte des jugements précités, les aspects en cause des faits énoncés peuvent être écartés, et je dois alors déterminer si ce qui reste constitue des bases justifiables aux fins de la décision. Si ces bases, en soi, étaient suffisantes pour que le ministre parvienne à une décision, la décision doit être maintenue, même si la Cour peut différer d'opinion. Par contre, s'il ne reste aucune base sur laquelle le ministre pouvait légitimement fonder une telle décision, d'un point de vue raisonnable et objectif, la décision peut alors être infirmée, et la Cour peut prendre en considération la preuve qui lui est présentée en appel et rendre sa propre décision. En résumé, si les faits dont le ministre était saisi étaient suffisants aux fins de sa décision, c'est à lui qu'il incombe de régler la question et, s'il « n'est pas convaincu » , notre cour n'a pas à substituer son opinion sur ces faits à celle du ministre et à déclarer que le ministre aurait dû être convaincu. De même, si le ministre était convaincu, il n'appartient pas à notre cour de substituer son opinion à celle du ministre et à dire qu'il n'aurait pas dû être convaincu (un scénario peu probable de toute façon). La Cour ne peut intervenir que si le ministre est parvenu à la décision d'une manière inappropriée et que la décision n'est pas raisonnable, d'un point de vue objectif, sur la foi des faits dont le ministre avait adéquatement été saisi.

[11] Je suis conforté dans cette approche par un certain nombre de décisions de divers tribunaux d'appel de notre pays et par des décisions connexes rendues par la Cour suprême du Canada au sujet de différents processus prévus dans le Code criminel, processus qui ont été examinés par les tribunaux et qui s'apparentent à mon avis à la situation actuelle. La norme de révision de la validité d'un mandat de perquisition a été énoncée par le juge Cory de la Cour d’appel (titre qu'il portait alors) dans l'affaire Times Square Book Store, Re, (1985) 21 C.C.C. (3d) 503 (C.A.), dans laquelle il disait que le juge siégeant en révision n'avait pas pour rôle de considérer de novo l'autorisation relative à un mandat de perquisition et ne pouvait substituer sa propre opinion à celle du juge qui avait décerné le mandat. À l'étape de la révision, la première question à trancher était plutôt de savoir s'il y avait ou non des éléments de preuve permettant à un juge de paix agissant de façon judiciaire de déterminer qu'un mandat de perquisition devait être décerné.

[12] La Cour d'appel de l'Ontario a réitéré et élargi ce point de vue dans l'affaire R. v. Church of Scientology of Toronto and Zaharia, (1987) 31 C.C.C. (3d) 449 (C.A.) — autorisation de pourvoi refusée. Au sujet du fait que la Cour siégeant en révision devait examiner l' « ensemble des circonstances » , la Cour affirmait à la page 492 :

[TRADUCTION]

Manifestement, s'il n'y a aucun élément de preuve servant de base à une telle croyance (qu'une infraction criminelle a été commise), on ne saurait dire que, dans ces circonstances, le juge de paix devait être convaincu. Il y a toutefois des cas dans lesquels de tels éléments de preuve (faisant état de motifs raisonnables) existent bel et bien et où le juge de paix pouvait être convaincu mais dans lesquels il ne l'est pas et n'exerce pas le pouvoir discrétionnaire qu'il a de décerner un mandat de perquisition. Dans ces circonstances, le juge siégeant en révision ne doit pas dire que le juge de paix aurait dû être convaincu et aurait dû décerner le mandat. De même, si le juge de paix dit, dans de telles circonstances, qu'il est convaincu et décerne le mandat, le juge siégeant en révision ne doit pas dire que le juge de paix n'aurait pas dû être ainsi convaincu.

[13] La Cour suprême du Canada a entériné cette approche dans l'affaire R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421. Au sujet d'une autorisation d'écoute électronique, feu M. le juge Sopinka déclarait dans cette affaire :

Bien que le juge qui exerce ce pouvoir relativement nouveau ne soit pas tenu de se conformer au critère de l'arrêt Wilson, il ne devrait pas réviser l'autorisation de novo. La façon appropriée est établie dans les motifs du juge Martin en l'espèce. Il affirme [...] :

[TRADUCTION] Si le juge du procès conclut, d'après les documents dont disposait le juge ayant accordé l'autorisation, qu'il n'existait aucun élément susceptible de le convaincre que les conditions préalables pour accorder l'autorisation existaient, il me semble alors que le juge du procès doit conclure que la fouille, la perquisition ou la saisie contrevient à l'art. 8 de la Charte.

Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l'autorisation. Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l'autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision, conclut que le juge qui a accordé l'autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir. Dans ce processus, la fraude, la non-divulgation, la déclaration trompeuse et les nouveaux éléments de preuve sont tous des aspects pertinents, mais au lieu d'être nécessaires à la révision leur seul effet est d'aider à décider s'il existe encore un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l'autorisation.

[14] Cette approche semble avoir été adoptée par presque tous les tribunaux d'appel de notre pays. Elle me semble des plus appropriée à une révision du règlement du ministre, qui est en soi une décision quasi judiciaire. (Voir R. v. Jackson, (1983) 9 C.C.C. (3d) 125 (C.A. C.-B.); R. v. Conrad et al., (1989) 99 A.R. 197, 79 Alta. L.R. (2d) 307, 51 C.C.C. (3d) 311 (C.A.); Hudon v. R., (1989) 74 Sask. R. 204 (C.A.); R. v. Turcotte, (1988) 60 Sask. R. 289, 39 C.C.C. (3d) 193 (C.A.); R. v. Borowski, (1990) 66 Man. R. (2d) 49, 57 C.C.C. (3d) 87 (C.A.); Bâtiments Fafard Inc. et autres c. Canada et autres, (1991) 41 Q.A.C. 254 (C.A.); Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général) et autres, (1991) 104 R.N.-B. (2d) 1, 261 A.P.R. 1, 55 C.C.C. (3d) 133 (C.A.); R. v. Carroll and Barker, (1989) 88 N.S.R. (2d) 165, 225 A.P.R. 165, 47 C.C.C. (3d) 263 (C.A.), et R. v. MacFarlane, (K.R.) (1993) 100 Nfld. & P.E.I.R. 302, 318 A.P.R. 302, 76 C.C.C. (3d) 54 (C.A. I.-P.-É.).

Étape 1 — Analyse de la décision du ministre

[15] Je vais maintenant examiner en détail la manière dont l'appelante, par l'intermédiaire de son époux et représentant, conteste la décision du ministre. Il ressort de la preuve que les faits sur lesquels le ministre s'est basé pour régler la question ont été réunis à partir d'une brève conversation téléphonique entre l'appelante et un fonctionnaire de l'État qui n’est pas connu. Ni l'appelante ni son époux n'avaient jugé bon de remplir le questionnaire standard qui leur avait été envoyé par la division des appels de Revenu Canada, et ce, malgré des demandes répétées. La teneur de la conversation téléphonique n'a pas été révélée à la Cour.

[16] Les faits qui ont été exposés et sur lesquels le ministre s'était fondé sont énoncés dans la réponse à l'avis d'appel, soit :

[TRADUCTION]

a) les faits admis et énoncés ci-dessus;

b) le payeur a été constitué en société le 14 juin 1993 et exploitait un magasin d'aliments pour animaux;

c) durant la période en question, le seul actionnaire de la compagnie payeuse était Richard T. Grieves, soit le conjoint de l'appelante;

d) durant toute la période pertinente, le seul actionnaire de la compagnie payeuse occupait un poste permanent à plein temps auprès de la Pet Science Ltd.;

e) toutes les décisions financières ou administratives touchant l'entreprise, y compris les décisions relatives à la détermination des modalités de l'emploi exercé par l'appelante pour le payeur, étaient prises conjointement par l'appelante et son époux;

f) l'appelante et son époux contrôlaient ensemble l'exploitation quotidienne de l'entreprise du payeur;

g) durant la période en question, l'entreprise du payeur était en fait exploitée comme une société de personnes ou une coentreprise de l'appelante et de son époux;

h) durant la période en question, les responsabilités de l'appelante consistaient à diriger et à gérer l'entreprise, et les fonctions de l'appelante étaient, entre autres, les suivantes :

(i) déterminer l'horaire des employés et établir le calendrier de tous les travaux à exécuter,

(ii) commander tous les produits et articles vendus par le payeur,

(iii) veiller à l'embauchage ainsi qu'au licenciement des employés du payeur,

(iv) superviser et diriger les autres employés du payeur,

(v) traiter avec les clients du payeur,

(vi) s'occuper des activités de publicité et autres activités de promotion,

(vii) effectuer les dépôts bancaires;

i) durant la période considérée, trois personnes non liées auraient travaillé pour le payeur;

j) toutes ententes entre le payeur et l'appelante étaient des ententes verbales; le payeur n'avait pas conclu de contrat écrit avec l'appelante;

k) pour ce qui est des 34 semaines au cours desquelles elle a travaillé pour le payeur, l'appelante a reçu un salaire hebdomadaire de 416 $ pendant les 21 premières semaines et de 815 $ pendant les 13 dernières;

l) il n'y avait pas de différence importante entre les fonctions que l'appelante a exercées durant les 34 [sic] premières semaines de travail et celles qu'elle a exercées durant les 13 dernières, car il n'y a pas eu de période d'essai, et l'augmentation de salaire accordée pour les 13 dernières semaines était donc excessive;

m) le salaire de l'appelante pour les 13 dernières semaines de travail correspond exactement au maximum de la rémunération hebdomadaire assurable pour la période en question;

n) durant la période en question, les autres travailleurs, soit des personnes non liées, recevaient un salaire horaire se situant entre 7 $ et 8 $;

o) contrairement aux personnes non liées travaillant pour le payeur, dont l'horaire était fixé par celui-ci, l'appelante avait des heures de travail variables qu'elle pouvait elle-même déterminer;

p) contrairement aux personnes non liées travaillant pour le payeur, l'appelante n'était pas rétribuée pour les heures supplémentaires qu'elle pouvait faire;

q) contrairement aux personnes non liées travaillant pour le payeur, l'appelante n'était pas supervisée par le payeur concernant l'exécution quotidienne de ses tâches et n'était pas contrôlée par le payeur quant à la manière dont elle travaillait;

r) durant la période en question, l'appelante n'était pas tenue de rendre compte au payeur;

s) l'appelante exerçait un contrôle complet en ce qui a trait aux modalités de l'emploi qu'elle exerçait pour le payeur;

t) l'appelante fournissait ses services au payeur avant et après la période en question, même si elle n'était pas inscrite dans le livre de paye du payeur et qu'elle n'était pas payée pour ce faire;

u) l'appelante a travaillé en tout 34 semaines pour le payeur et a été mise à pied le 14 avril 1995, car elle attendait un enfant, qui est né le 20 avril 1995;

v) l'appelante est liée au seul actionnaire de la compagnie payeuse et est donc liée au payeur au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

w) l'appelante a un lien de dépendance avec le payeur;

x) il n'est pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que le payeur et l'appelante auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[17] L'époux de l'appelante a témoigné pour la partie appelante.

[18] L'appelante ne conteste pas les alinéas 10a) à d), f), h), j), k), m), n), p), u) et v). Par contre, elle conteste les alinéas 10e), g), i), l), o), n), q) à t), w) et x).

[19] Je tiens à formuler une observation générale, à savoir que la façon dont les faits énoncés ont été réunis et soumis au ministre est un peu curieuse. On n'a donné à l'appelante aucune occasion de contester ces faits avant que la décision ne soit rendue et, en réalité, l'appelante a été mise au courant de ces faits pour la première fois après qu'elle eut interjeté son appel et reçu une réponse à cet appel du sous-procureur général du Canada. La question de savoir qui a réuni la série initiale de faits et comment les faits ont été soumis au ministre reste un mystère. Ce qui est clair, c'est que l'appelante n'a pas eu l'occasion de contester ou de commenter les faits avant que la décision du ministre ne soit prise, ce qui, bien que l'appelante ait omis de répondre au questionnaire, cadre difficilement avec les règles de justice naturelle. Quoi qu'il en soit, telle a été la situation. Il se révèle toutefois que la preuve qui m'a été présentée indique clairement que la plupart des faits énoncés sont exacts, mais pas tous. Dans l'ensemble, les faits énoncés concordent avec la preuve. Je traiterai tour à tour de ceux qui ne sont pas conformes à la preuve.

—Alinéa e) : L'époux dit que l'appelante avait des instructions à suivre et que, si elle voulait faire quelque chose de différent, elle devait d’abord vérifier auprès de lui.

— Alinéa g) : L'époux dit que cela est inexact. Il était le seul exploitant de la compagnie, dans laquelle l'appelante n'avait aucun intérêt.

— Alinéa i) : Il n'avait que deux employés qui n'étaient pas des personnes liées.

— Alinéa l) : L'époux dit en ce qui concerne les 13 dernières semaines d'emploi que l'appelante avait fini sa période d'essai et qu'elle avait plus de responsabilités. Il soutient donc que l'augmentation de salaire n'était pas excessive.

— Alinéa o) : L'époux dit que l'horaire de travail de l'appelante n'était souple que dans la mesure où l'appelante devait travailler un minimum de quarante heures par semaine. En tant que gérante, elle avait une certaine latitude quant à savoir comment déterminer ces heures.

— Alinéa q) : L'époux dit que cela est faux, puisque l'appelante avait un certain nombre de fonctions déterminées à remplir chaque jour.

— Alinéa r) : L'époux dit que l'appelante était tenue de rendre compte verbalement.

— Alinéa s) : L'époux dit que cela n'est pas vrai.

— Alinéa t) : L'époux dit que cela n'est pas vrai.

— Alinéas w) et x) : Il s'agit d'opinions de la personne qui a réuni les faits et non de faits proprement dits.

[20] Quel est alors l'effet de tout cela. Le témoignage de l'époux révèle assurément que ce dernier avait ouvert ce magasin d'aliments pour animaux et qu'il avait engagé son épouse pour diriger le magasin. Il est clair qu'il y avait un contrat de travail et que, après un processus d'entrevues en bonne et due forme auquel avait participé le commanditaire de l'époux, l'appelante avait été choisie comme étant la meilleure parmi un certain nombre de candidats. Il est également clair que l'entreprise n'allait pas très bien et que, en septembre 1995, le magasin était fermé par suite de mesures prises par le locateur. La situation était en partie attribuable au fait que le magasin était situé dans une rue qu'on avait fermée. On ne sait pas très bien combien de ces faits, s'il en est, ont été soumis au ministre ou du moins à la personne qui a réuni les faits, l'appelante n'ayant pas rempli le questionnaire qui lui avait été envoyé.

[21] Ce qui est plus préoccupant, c'est l'allégation de la représentante du ministre. La représentante du ministre allègue que la théorie du ministre était que le couple savait que l'épouse était enceinte dès le début de l'emploi et qu'ils s'étaient organisés ensemble pour qu'elle dirige le magasin de manière qu'elle puisse obtenir des prestations d'assurance-chômage. Cet aspect n'a absolument aucun sens et ne représente pas une conclusion à laquelle le ministre pouvait raisonnablement ou objectivement parvenir. L'époux a évidemment nié cette allégation, en protestant; il a dit qu'ils ne savaient pas du tout qu'elle était enceinte à l'époque où elle a commencé à gérer l'entreprise. En fait, si elle avait su qu'elle l'était, il n'aurait été que sensé de sa part de continuer à exercer son emploi précédent, dans lequel ses avantages auraient été assurés. L'allégation de la représentante du ministre n'est pas énoncée dans l'exposé des faits, et il est difficile de savoir d'où vient cette allégation. Toutefois, le ministre est évidemment lié par cela, puisque sa représentante dit que c'était la théorie du ministre. Cette théorie est erronée et tout à fait insoutenable. Cela m'amène à l'opinion non équivoque selon laquelle le ministre a incorrectement pris en compte un facteur dépourvu de fondement, ce qui a faussé sa vision de l'exposé des faits. Les faits sont un peu équivoques. L'appelante n'a pas aidé sa cause en omettant de répondre au questionnaire. Néanmoins, il n'y a pas une grande différence entre les faits qui avaient été énoncés et ceux qui ont été présentés en preuve. Sans cette erreur importante, je me sentirais obligé de maintenir la décision du ministre. Toutefois, il est clair que le ministre a pris en compte quelque chose qui est complètement erroné et que cela était au coeur de sa décision. Dans de telles circonstances, la décision est insoutenable en droit, et je dois maintenant passer à la seconde étape du processus d'appel et déterminer si, sur la foi de l'ensemble de la preuve, les parties auraient, si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance, conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable — compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui sont spécifiées à l'alinéa 3(2)c) de la Loi.

Étape 2 — Examen de la preuve

[22] Après avoir entendu le témoignage sous serment de l'époux de l'appelante, je suis bien convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le contrat de travail, lorsqu'il a été initialement établi, était authentique. On avait fait en sorte d'interviewer un certain nombre de candidats au poste de gérant de ce nouveau magasin d'aliments pour animaux. Les entrevues ont été menées non pas simplement par l'époux, mais aussi par Corey Samuel, soit le franchiseur, le fournisseur et une espèce de commanditaire de la nouvelle entreprise. M. Samuel était assurément un conseiller et, dans sa lettre déposée auprès de la Cour sous la cote A-5, il maintenait que le contrat était juste et raisonnable. L'appelante avait suivi sa formation auprès de la même personne. Pour les 21 premières semaines, il n'y a aucun doute dans mon esprit que, si la compagnie et l'appelante n'avaient pas eu un lien de dépendance, elles auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable. La rétribution versée tout au long de cette période correspondait à ce qui était la norme dans ce domaine, ce qui est étayé par les diverses lettres déposées en preuve et par le témoignage de l'époux. L'appelante avait accepté une baisse de salaire, mais elle estimait sans aucun doute que, si l'entreprise connaissait du succès, elle pourrait avoir une augmentation avec le temps. Ce serait assurément une attente normale pour un employé occupant un poste de gestion. Je suis tout à fait convaincu que le fait qu'elle était enceinte n'était pas connu lorsqu'elle a été engagée et qu'elle prévoyait qu'il s'agirait d'un poste à long terme. Sinon, elle n'aurait pas quitté l'emploi bien établi qu'elle occupait. Sous réserve des instructions que lui donnaient son époux et Corey Samuel, elle était chargée d'assurer l'exploitation quotidienne du magasin. Compte tenu de toutes ces circonstances, je ne peux que conclure et conclus effectivement que, pour l'ensemble de cette première période, la compagnie et l'appelante auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. Cependant, tout cela semble avoir changé à la fin des 21 semaines. À cette époque, l'entreprise n'allait pas très bien, en grande partie parce qu'une rue avait été fermée, et le mari et la femme savaient bien qu'elle était enceinte, que le bébé devait naître en avril et que des prestations de maternité seraient alors demandées. Je ne suis pas convaincu que, en l'absence d'un lien de dépendance, la compagnie aurait doublé le salaire de l'appelante dans ces circonstances. Peu après, la compagnie a été incapable de payer son loyer. Le nouveau salaire était bien supérieur à ce qui était la norme dans ce domaine. L'augmentation de salaire était excessive, ce qui fait que l'emploi ne peut pas correspondre à un contrat de travail conclu par des personnes réputées ne pas avoir de lien de dépendance.

[23] Je dois ici faire preuve d'une certaine prudence, car, comme la représentante du ministre le fait remarquer dans ses excellentes observations écrites, il n'appartient pas à notre cour de se prononcer sur la manière dont la période d'admissibilité aux prestations est calculée. Ce n'est pas ce que je cherche à faire. À mon avis, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il est plus que raisonnable de conclure que, pour les 21 premières semaines, les parties auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. Cela a changé à la fin des 21 semaines, et les parties au nouveau contrat n'auraient pas conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[24] L'appel est accueilli en conséquence, et la décision du ministre est modifiée dans la mesure où elle s'applique aux 21 premières semaines d'emploi. L'effet de ce jugement sur le calcul des prestations relève entièrement du ministre.

Signé à Toronto (Ontario), ce 26e jour de février 1998.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 6e jour de novembre 1998.

Isabelle Chénard, réviseure

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