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Date: 20000104

Dossiers: 98-726-UI; 98-106-CPP

ENTRE :

FAMILY SERVICES PERTH-HURON,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] L'agence Family Services Perth-Huron (l'“ agence ”), oeuvre de bienfaisance sans but lucratif, fait appel d'une décision rendue par Revenu Canada en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage et de la Loi sur l'assurance-emploi (les “ Lois ”) et d'un arrêt rendu en vertu du Régime de pensions du Canada, soit une décision et un arrêt selon lesquels Nicole Savage, prestataire de services spéciaux, a exercé un emploi auprès de l'agence aux termes d'un contrat de louage de services et l'agence et elle sont donc considérées agence comme ayant été dans une relation employeur-employé au cours de la période allant du 11 septembre 1995 au 8 novembre 1997. Ainsi, l'agence a été informée qu'elle devait payer, sur la rémunération versée à Mme Savage au cours de la période, des cotisations d'assurance conformément aux Lois, ainsi que des cotisations en conformité avec le Régime de pensions du Canada.

[2] L'agence, qui est exploitée par un conseil d'administrateurs bénévoles, fournit divers services sociaux dans le comté de Perth (Ontario), y compris des conseils matrimoniaux, de l'aide en matière de gestion de crédit et d'endettement, des services hospitaliers à domicile, des services pour personnes âgées, des services de relève et des services pour enfants handicapés. Le financement de l'agence provient de plusieurs sources : dons, droits pour services rendus et ententes contractuelles avec des administrations publiques aux niveaux municipal, provincial et fédéral.

[3] Le programme en cause est le Programme des services spéciaux à domicile (le “ programme ”) du ministère ontarien des Services sociaux et communautaires, offert dans le comté de Perth. L'agence adresse à un “ prestataire de services ” (le “ prestataire ”) des personnes ayant besoin ou estimant avoir besoin des services offerts dans le cadre soit du programme soit d'un contrat privé. L'agence offre deux types de services aux termes du programme : des services de soutien et des services de relève; fréquemment, elle fournit une combinaison des deux types de services.

[4] Dans le cas présent, des services de soutien offerts aux termes du programme sont fournis à domicile à des enfants qui peuvent soit être handicapés physiquement soit avoir un handicap lié à leur développement ou qui peuvent avoir besoin de services particuliers. Des services sont notamment fournis dans les domaines suivants : gestion du comportement, orthophonie, ergothérapie, dynamique de la vie et formation. La famille fixe les objectifs qu'elle vise pour l'enfant, mais le prestataire et elle peuvent adapter les objectifs. Les membres de la famille travaillent avec l'enfant et le prestataire à l'atteinte des objectifs.

[5] Les services de relève fournis dans le cadre du programme accordent un répit aux personnes soignantes. Un service de garde de jour est notamment offert. Le prestataire se rend chez le client de manière à ce que la personne soignante puisse avoir du temps libre.

[6] L'agence et le prestataire concluent un contrat pour les services de soutien et un autre pour les services de relève. Le prestataire peut fournir des services à plus d'un client. Il peut en outre offrir ses services ailleurs. (Des détails sur le contrat entre l'agence et un prestataire sont donnés plus loin dans les présents motifs.)

[7] Alan MacIntyre, soit le directeur administratif de l'agence, a témoigné que l'agence emploie 3,5 personnes comme coordonnateurs de services spéciaux à domicile, soit des personnes chargées de veiller à ce que les familles acceptent les services du programme[1]. Les coordonnateurs sont compétents en matière de services axés sur le développement et sont tous titulaires d'un baccalauréat. Environ 180 familles (parfois appelées “ clients ”) participent au programme géré par l'agence. La charge de travail est répartie entre les coordonnateurs, qui sont chargés de trouver un prestataire pour chaque famille. Il y a en outre un superviseur des coordonnateurs, qui est également un employé de l'agence.

[8] Des personnes intéressées à devenir prestataires présentent leur candidature directement à l'agence, laquelle avise Développement des ressources humaines Canada de tout poste à pourvoir et fait en outre de la publicité dans les journaux pour recruter des prestataires. Elle compte aussi sur le bouche à oreille. Les curriculum vitae sont examinés attentivement, et une vérification policière est effectuée pour chaque candidat. L'agence fait en outre passer une entrevue à chaque candidat.

[9] L'agence ne retient pas immédiatement les services d'un prestataire. Une fois qu'un candidat est accepté par l'agence, son nom est inscrit sur la liste que cette dernière tient en vue de fournir des services au cas par cas à des clients approuvés. On compte habituellement de 75 à 100 noms environ sur cette liste, dont ceux de 10 bénévoles. Le prestataire dont le nom figure sur la liste ne reçoit aucune rémunération de l'appelante. C'est seulement après que le prestataire et la famille ont convenu de travailler ensemble qu'un contrat est conclu entre l'agence et le prestataire; le contrat vaut habituellement pour une durée de six mois, mais il peut être renouvelé.

[10] Une famille s'adresse à l'agence pour avoir de l'aide. Celle-ci ménage une rencontre entre la famille et un prestataire. Un coordonnateur y assiste également. Si la famille n'aime pas le prestataire ou que celui-ci ne veut pas travailler avec la famille, une rencontre entre la famille et un autre prestataire est organisée.

[11] Un psychologue ou un travailleur social établit à l'intention du client un programme que le prestataire doit suivre en fournissant ses services au client. La famille et le prestataire doivent convenir de travailler ensemble. Ils déterminent conjointement les heures auxquelles ce dernier fournira ses services. Il doit y avoir une bonne relation entre le client et le prestataire, a dit M. MacIntyre.

[12] Le contrat de soutien[2] prévu au programme et conclu entre l'appelante et le prestataire indique le nom du client qui recevra les services de soutien, ainsi que le nombre d'heures par semaine pendant lesquelles les services seront fournis et le taux horaire. Le contrat précise que les périodes durant lesquelles des services doivent être fournis seront établies par les parents de l'enfant de concert avec le prestataire et le coordonnateur.

[13] L'agence passe un contrat avec la famille du client qui demande de l'aide. Des “ contrats d'achat privés ” sont conclus par la famille du client et l'agence. Les parents acceptent d'acheter des services à l'agence pour leur enfant pendant une période fixe et de payer à l'agence un tarif horaire fixe, plus des frais de formation et des frais de transport. Le client ou sa famille ne fait aucun paiement au prestataire.

[14] Un contrat entre le ministère des Services sociaux et communautaires et l'agence à l'égard de services semblables autorise celle-ci à fournir le service à une personne donnée, et l'agence est payée selon un tarif horaire fixe.

[15] L'agence offre au prestataire un programme de formation de base. Quelles que soient les compétences acquises ailleurs par le prestataire, l'agence veut s'assurer qu'il a une formation appropriée pour le travail qu'il accomplira dans le cadre du programme. L'agence assure en outre une formation concernant les besoins particuliers d'un enfant. Par exemple, elle formera un prestataire pour qu'il travaille avec un enfant atteint de paralysie cérébrale. Dans ce dernier cas, il est prévu que le prestataire ira chez un médecin avec la famille et le patient.

[16] Le prestataire doit tenir des relevés de temps et des relevés de frais de déplacement. Ces documents sont signés par le client et présentés à l'appelante le premier jour de chaque mois. Les relevés de temps indiquent le nom du client, le type de service fourni, le jour de la semaine où le prestataire était chez le client et le nombre d'heures passées avec le client. Le prestataire n'est payé qu'une fois le relevé de temps approuvé par l'agence. Cela s'applique aussi bien au prestataire de services de soutien qu'au prestataire de services de relève.

[17] Le prestataire a droit à une allocation de déplacement s'il a parcouru plus de 20 kilomètres avec son véhicule au cours d'une journée donnée. Tout déplacement est inscrit dans le relevé de frais de déplacement. Les 20 premiers kilomètres sont considérés comme étant la distance aller-retour entre le domicile du prestataire et celui du client. L'allocation couvre le nombre de kilomètres que le prestataire a parcourus lors de sorties effectuées pendant qu'il était avec le client et lors des déplacements du domicile d'un client à celui d'un autre client. En l'espèce, Mme Savage avait sa propre voiture, et les frais d'assurance et d'immatriculation du véhicule ainsi que tous les frais de fonctionnement étaient à sa charge.

[18] Le prestataire de services doit exécuter les programmes établis par l'agence, tenir des registres y relatifs et présenter des rapports d'étape à l'agence. Il doit également faire rapport au coordonnateur de services spéciaux, conformément aux affectations. Ce dernier est chargé de superviser le programme en cours. Une description de travail est jointe au contrat. La description de travail du prestataire de services de soutien indique les responsabilités de ce dernier ainsi que les qualités personnelles requises. Les responsabilités comprennent ce qui suit :

- assurer le bien-être général du client en répondant à toutes les normes et exigences du programme;

- rencontrer régulièrement le coordonnateur et les consultants du programme, conformément aux affectations, et examiner avec eux les heures prévues au contrat;

- assister à des séances de formation;

- accompagner le client et la famille à des centres d'évaluation de traitement, conformément aux affectations;

- se conformer aux thérapies individuelles prévues pour les clients, y participer et les mettre en oeuvre, conformément aux affectations (physiothérapie, ergothérapie, orthophonie, etc.);

- assister et participer à des conférences de cas;

- tenir des registres cliniques exacts correspondant au livret relatif à l'assistance aux parents;

- présenter mensuellement au coordonnateur les notes cliniques et rapports établis;

- tenir tous les intéressés au courant de l'état du client et des progrès réalisés par celui-ci, aussi bien verbalement que par écrit;

- s'assurer que les évaluations ainsi que les formulaires concernant la médication, l'information médicale, les consentements et les renseignements relatifs au client sont à jour pour la période courante d'assistance aux parents, selon les besoins;

- si le prestataire de services a plus de 18 ans, administrer des médicaments et tenir un registre y relatif;

- comprendre les besoins du client;

- fournir des occasions propices à la stimulation et au développement;

- maintenir un environnement sûr pour le client;

- se charger du soutien à domicile tout en accomplissant les petits travaux domestiques appropriés en l'absence de la personne soignante (par ex., préparer des repas simples);

- planifier des activités récréatives et accompagner le client à ces activités;

- contribuer au développement de ressources pour la programmation;

- encourager les parents à mener les programmes à terme;

- informer le coordonnateur sur les modifications à apporter au programme pour les besoins du client, s'il y a lieu;

- si des problèmes ou questions se posent, en informer immédiatement le coordonnateur.

[19] Le prestataire doit posséder de bonnes techniques de communication, être souple, vouloir apprendre et pouvoir fonctionner de manière autonome, conformément à la description de travail. Un contrat de services de relève contient une description de travail semblable, mais non identique.

[20] Aux termes d'un contrat de services de relève, le prestataire fournit des services au client pour un nombre maximum d'heures par semaine ou à concurrence d'un certain nombre de jours par mois, selon un tarif horaire. Si le prestataire travaille plus de sept heures dans une journée donnée, un tarif journalier s'applique, et un taux quotidien fixe sera versé au prestataire. Les services à fournir sont déterminés par les parents, le prestataire et le coordonnateur.

[21] En outre, le contrat de services de relève mentionne que le prestataire n'est pas un employé. Le prestataire de services de relève doit assurer le bien-être général du client, tenir des registres et faire rapport au coordonnateur de services spéciaux. Encore là, celui-ci est chargé de superviser le programme prévu pour le client. Une description de travail semblable, mais non identique, à celle qui est jointe à un contrat de services de soutien figure en annexe au contrat de services de relève.

[22] Le prestataire doit consulter le coordonnateur avant de faire des sorties, et toute sortie doit être consignée dans un sommaire du programme établi pour chaque client.

[23] Le prestataire ne fournit aucun service à l'établissement de l'agence, et il n'y a pas de local disponible à l'agence pour le prestataire. Celui-ci ne porte aucune pièce d'identité indiquant qu'il travaille pour l'agence. Lorsque le prestataire fournit des services à un client, aucun contrôle ni aucune supervision n'est exercé sur lui par l'agence ou l'un de ses représentants.

[24] L'agence peut ordonner au prestataire d'assister à des réunions et à des conférences, auquel cas il est payé à cet égard. Le prestataire qui est malade n'est pas payé pour les heures de travail non effectuées.

[25] Le programme conçu pour un client donné doit être suivi par le prestataire. Dans les limites de ce programme individuel, le prestataire a une certaine latitude relativement aux services pour lesquels la famille a fait appel à l'agence. Si le programme ne semble pas donner de bons résultats, le prestataire doit en informer l'agence. Le prestataire planifie des activités récréatives, accompagne le client à ces activités, met en oeuvre des programmes et exécute des plans de formation individuelle ou des plans d'intervention. C'est le prestataire de services qui encourage les parents à mener à terme les programmes proposés. Le prestataire et le client et sa famille déterminent quand et comment les services seront fournis. Toutefois, le prestataire doit fournir les services dans le contexte de son contrat avec l'agence.

[26] M. MacIntyre et un superviseur de l'équipe de soutien familial travaillant pour l'agence, Mme Susan Melkert, ont reconnu que l'agence est tenue de superviser les services fournis dans le cadre du programme et de s'assurer que les obligations contractuelles de l'agence et du prestataire sont remplies à la satisfaction du client et de la famille en cause. Ils considèrent toutefois qu'une telle supervision est assimilable à une surveillance générale plutôt qu'à un contrôle quotidien.

[27] De temps à autre, des coordonnateurs peuvent se rendre chez le client pour évaluer le genre de travail accompli par le prestataire et s'assurer que les services sont fournis. Le coordonnateur et le prestataire peuvent en outre se réunir régulièrement pour discuter des progrès des clients. Les réunions peuvent se tenir hebdomadairement au début, puis deux fois par mois et, par la suite, soit lorsque le prestataire a fait ses preuves, une fois par mois ou moins fréquemment.

[28] La famille du client et le coordonnateur établissent un livre (appelé “ livre jaune ” au procès) contenant des instructions détaillées à l'intention du prestataire de services. Ce livre est établi à partir de questions posées à la famille par le coordonnateur et des réponses données par les membres de la famille. Le coordonnateur “ coordonne ” l'information provenant de la famille et d'autres personnes intervenant auprès de l'enfant, et cette information est communiquée au prestataire, pour l'aider. Mme Melkert a expliqué que les instructions données au prestataire dans ce livre n'ont pas pour objet de superviser ou contrôler les activités quotidiennes du prestataire, puisque celui-ci a une certaine latitude à l'égard de ces activités.

[29] Un livre “ vert ” est également remis au prestataire. Ce document décrit les objectifs que la famille souhaite atteindre grâce au programme conçu par l'agence.

[30] Le nombre d'heures effectuées au cours d'une journée, d'une semaine ou d'un mois donné dépend du nombre d'heures de travail dont le prestataire a convenu avec la famille. Le prestataire peut fournir des services à un ou plusieurs clients, et la quantité de travail qu'il accomplit dépend du nombre de clients qu'il souhaite servir et de ce que l'agence considère comme étant une charge de travail raisonnable.

[31] Le prestataire qui estime que l'enfant à qui il offre ses services manque de jouets ou de matériel fournit ceux-ci à ses frais. L'agence ne fournit aucun “ instrument ” ou “ matériel ”. Si un enfant doit rester chez le prestataire, ce dernier paie les frais de nourriture, de literie et d'autres articles, par exemple un siège de toilette spécial pour l'apprentissage de la propreté, et il n'est pas remboursé par l'agence. Le prestataire doit en outre veiller à ce que la maison soit sûre et, à cette fin, il doit mettre tous les médicaments sous clé et avoir un extincteur chez lui.

[32] L'agence avait fait appel à Mme Savage pour qu'elle fournisse à la fois des services de soutien et des services de relève. Les services que Mme Savage fournissait à des clients étaient semblables aux services que d'autres prestataires fournissaient à des clients dans des circonstances semblables.

[33] Mme Savage avait d'abord travaillé pour l'agence comme bénévole. Au cours de la période en cause, elle a eu de 15 à 20 contrats environ, chacun d'une durée de six mois, soit des contrats exécutés auprès de différentes familles. Au cours d'une partie de la période en cause, elle a en outre travaillé à temps partiel comme représentante des services à la clientèle au festival de Stratford. En 1995, Mme Savage en était à sa dernière année à l'université Sir Wilfrid Laurier, où elle étudiait en psychologie. Un des cours qu'elle a suivis portait sur les enfants ayant des handicaps. Elle reconnaît que les cours universitaires l'ont aidée dans son travail. En matière de services de relève, Mme Savage n'avait eu que deux clients à domicile lorsqu'elle habitait chez ses parents. Elle a reconnu qu'elle avait eu peu de formation à titre de prestataire de services de relève. L'agence l'avait informée sur les précautions et autres mesures à prendre en cas d'incendie et sur la façon d'administrer des médicaments à un enfant. Mme Savage a dit qu'elle avait assisté à une thérapie avec un enfant et que, par ailleurs, elle n'avait acheté aucun jouet ou matériel. Elle était d'autre part payée pour le temps consacré aux réunions avec des membres de l'agence.

[34] Les principes qu'un tribunal doit prendre en considération lorsqu'il s'agit de déterminer s'il existe une relation employeur-employé sont énoncés dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Wiebe Door Services Ltd. v. Canada[3]. Dans cet arrêt, le juge d'appel MacGuigan a adopté le “ critère composé de quatre parties intégrantes ” énoncé dans le jugement Montreal v. Montreal Locomotive Works Ltd. et al.[4] par lord Wright. Celui-ci a combiné et intégré les critères traditionnels — a) le degré de contrôle ou l'absence de contrôle de la part du présumé employeur, b) la propriété des instruments de travail, c) les chances de bénéfice et les risques de perte et d) l'intégration des travaux du présumé employé dans l'entreprise du présumé employeur — pour déterminer la nature de la relation entre le travailleur et le payeur[5]. Malgré l'utilité des quatre critères traditionnels, il faut insister sur “ l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations ”.

[35] Il faut chercher à déterminer l'essence de la relation entre le travailleur et le payeur. Le juge d'appel MacGuigan accorde beaucoup de valeur au conseil suivant de P. S. Atiyah[6] :

[TRADUCTION]

[N]ous doutons fortement qu'il soit encore utile de chercher à établir un critère unique permettant d'identifier les contrats de louage de services [...] La meilleure chose à faire est d'étudier tous les facteurs qui ont été considérés dans ces causes comme des facteurs influant sur la nature du lien unissant les parties. De toute évidence, ces facteurs ne s'appliquent pas dans tous les cas et n'ont pas toujours la même importance. De la même façon, il n'est pas possible de trouver une formule magique permettant de déterminer quels facteurs devraient être tenus pour déterminants dans une situation donnée. Il reste que, dans un grand nombre de cas, le tribunal doit se contenter de comparer deux solutions en évaluant l'importance des facteurs qui tendent vers une solution et en les équilibrant par ceux qui tendent vers la solution contraire. Dans l'ordre des choses, il ne faut pas s'attendre à ce que cette opération soit effectuée avec une précision scientifique.

Ce point de vue semble se concilier avec les remarques qu'a formulées lord Wright, du Conseil privé, dans une décision peu connue intitulée Montreal Locomotive Works [...]

[36] Le juge d'appel MacGuigan estimait que la meilleure synthèse du problème avait été faite par le juge Cooke[7] :

[TRADUCTION]

Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: “ La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte ”. Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[37] Dans l'examen d'un appel de cette nature, il y aura des facteurs militant en faveur d'une relation employeur-employé et des facteurs donnant à entendre que le travailleur est un entrepreneur indépendant. Le juge du procès, disent les textes faisant autorité, doit considérer tous les facteurs ensemble — un facteur donné n'étant pas nécessairement plus important qu'un autre — et rendre une décision selon sa propre appréciation des facteurs ou critères pertinents. Il ne faut pas que les arbres cachent la forêt. C'est l'ensemble des facteurs pertinents qui détermine la relation entre le travailleur et le payeur et non des facteurs ou critères séparés. Il y a toutefois des cas dans lesquels un facteur ou critère particulier peut être dominant – tout comme un arbre peut dominer la forêt – et déterminer la nature de la relation. Il n'en est pas ainsi dans les présents appels.

[38] En l'espèce, le poids de tous les facteurs pertinents m'amène à conclure que la relation entre l'agence et Mme Savage n'était pas une relation employeur-employé : Mme Savage était entrepreneuse indépendante.

[39] Le contrôle exercé par l'agence sur Mme Savage était minime. Celle-ci était tenue d'assister à un cours de formation ainsi qu'à des réunions périodiques. Elle était tenue de rédiger des rapports sur les progrès accomplis par les clients. Elle suivait un programme établi par l'agence en fonction des besoins du client. On ne peut dire que l'une de ces exigences ou l'ensemble des exigences de l'agence énoncées dans le contrats conclus avec les prestataires indique un degré de contrôle important pour ce qui est de la relation entre l'agence et les prestataires. On a présenté des éléments de preuve selon lesquels Mme Savage avait une certaine latitude et pouvait exercer son jugement à l'égard de la prestation de services aux enfants et à leur famille respective, et les rapports qu'elle devait rédiger visaient à rendre compte des progrès du client. Les réunions avec le coordonnateur de services visaient à aider Mme Savage à accomplir son travail et non à limiter la latitude qu'elle avait.

[40] En outre, c'était Mme Savage et la famille du client qui déterminaient quand Mme Savage travaillerait. Celle-ci était libre d'accepter ou de refuser de travailler avec une famille donnée. La description de travail jointe au contrat conclu avec l'agence n'est qu'une description de ce qui est attendu du prestataire; ce n'est pas un moyen de contrôle. De même, les rapports d'étape présentés par le prestataire ne doivent pas être interprétés comme étant un moyen de contrôle.

[41] L'agence ne fournissait pas d'instruments ni de locaux au prestataire pour l'accomplissement de ses fonctions. Les instruments devaient être obtenus par le prestataire à ses frais, et le travail était principalement effectué chez le client.

[42] Le “ bénéfice ” du prestataire était déterminé par le nombre d'heures de travail effectuées auprès d'un client et le nombre de clients que le prestataire désirait servir. Le prestataire réduisait ses gains s'il décidait d'acheter du matériel et des instruments pour le client. Il n'était pas payé lorsque, pour cause de maladie par exemple, il ne pouvait se rendre chez le client. Il était payé seulement pour la période de travail prévue au contrat. Il semble en outre que, si un prestataire est malade, l'agence ne peut le remplacer par un autre.

[43] L'agence fournit des services sociaux dans la communauté. Évidemment, sans le prestataire, elle ne peut fournir les services prévus par le programme gouvernemental. Le travail accompli par les prestataires fait partie intégrante des services que l'agence a le mandat de fournir. Par ailleurs, une personne, après avoir terminé divers cours avec succès, peut acquérir une compétence qu'elle peut utiliser à des fins lucratives. Rien n'empêche l'agence de retenir à contrat les services de ces personnes et, comme le disait le juge Cooke, une personne comme Mme Savage, qui s'était engagée à fournir des services pour quelqu'un d'autre, soit l'agence dans le cas présent, peut bien être une entrepreneuse indépendante, quoiqu'elle puisse ne pas exploiter une entreprise existante.

[44] Mme Savage n'exerçait, au cours de la période en cause, ni un emploi assurable ou ni un emploi ouvrant droit à pension au sens des Lois et du Régime de pensions du Canada. Les appels sont accueillis, les décisions rendues par le ministre du Revenu national en vertu des Lois sont annulées et l'arrêt rendu par le ministre en vertu du Régime de pensions du Canada est infirmé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de janvier 2000.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de septembre 2000.

Philippe Ducharme, réviseur



[1] Un des coordonnateurs travaille à mi-temps.

[2] Les contrats entre l'agence et le prestataire indiquent que le prestataire est un travailleur autonome, qu'aucune retenue à la source ne sera effectuée et que l'agence s'occupera de l'indemnisation des accidentés du travail. Je n'accorde aucun poids à ces énoncés. C'est ce que la relation est effectivement que je dois prendre en considération et non ce que l'une ou l'autre partie peut en donner comme description.

[3] 87 DTC 5025, le juge d'appel MacGuigan.

[4] [1947] 1 D.L.R. 161, pp. 169 et 170, cité dans l'arrêt Wiebe Door, précité, à la p. 5028.

[5] Une description des critères figure dans l'arrêt Wiebe Door, précité, aux pp. 5026 à 5029.

[6] Vicarious Liability in the Law of Torts, Londres, Butterworths, 1967, p. 38.

[7] Affaire Market Investigations Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, pp. 738 et 739, citée à la p. 5030.

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