Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19980817

Dossiers: 97-1511-UI; 97-169-CPP

ENTRE :

MICHEL VINCENT HAIR STUDIO LTD.,

appelante,

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

BRENDA K. SCHEPPAT-WAFER,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] Michel Vincent Hair Studio Ltd. (le salon “ Michel ”) interjette appel d'un règlement par lequel, le 28 janvier 1997, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a déterminé que, du 1er janvier au 9 novembre 1996, Brenda Scheppat-Wafer (“ Wafer ”)[1] était son employée aux fins du Régime de pensions du Canada (“ RPC ”), de la Loi sur l'assurance-emploi (la “ Loi sur l'A-E ”) et de la Loi sur l'assurance-chômage (la “ Loi sur l'A-C ”).

[2] L'appelante, Michel Vincent Hair Studio Ltd., est une société exploitant un salon de coiffure à London (Ontario). Les actionnaires de la société sont Vincent Rocco et Marie Rocco. Le salon compte 11 chaises, dont six sont utilisées pour la coupe de cheveux et cinq, pour les teintures et les permanentes. Il y a aussi une aire de réception à l'entrée du salon.

[3] Le salon Michel engage et des employés et des “ entrepreneurs autonomes ”, selon les termes de M. Rocco, pour travailler au salon. Au moment du procès, l'entreprise employait cinq coiffeurs, un à titre d'employé, trois à titre d'entrepreneurs autonomes et M. Rocco lui-même. Mme Rocco , une enseignante, travaillait comme réceptionniste à temps partiel.

[4] M. Rocco a témoigné pour le compte de l'appelante, qui allègue dans son avis d'appel que les employés travaillent des heures régulières qu'ils fixent eux-mêmes et qu'ils touchent un salaire de base selon le nombre d'heures travaillées. Cependant, une fois que leur clientèle est établie, les employés touchent une commission représentant 45 à 47 p. 100 de leurs ventes de services et 10 p. 100 de leurs ventes de produits. Lors de son témoignage, M. Rocco a déclaré que les employés touchaient une commission représentant 41 à 45 p. 100 de leurs ventes de services plus une commission sur les produits vendus. Les entrepreneurs autonomes, pour leur part, touchent une commission représentant 60 p. 100 de leurs ventes de services et 10 p. 100 de leurs ventes de produits.

[5] M. Rocco a déclaré que les travailleurs autonomes se chargeaient d'établir eux-mêmes leur clientèle, de fixer leurs heures de travail et de régler les plaintes des clients. Ces travailleurs ne sont pas supervisés et ils ont le pouvoir de déterminer le coût de leurs services et la façon dont ils les fournissent.

[6] M. Rocco se rappelle qu'en novembre 1994, le salon Michel était à la recherche d'un coiffeur et que Mme Wafer est alors entrée en contact avec lui. Rendez-vous a été pris pour environ 18 h 30, et Mme Wafer et M. Rocco ont discuté environ 45 minutes. Ils ont parlé salaire, entre autres choses. M. Rocco a dit à Mme Wafer qu'il versait aux employés un montant représentant 41 à 45 p. 100 de leurs ventes de services et aux travailleurs autonomes, un montant représentant 60 p. 100. Elle a dit, selon M. Rocco, qu'elle avait déjà été travailleuse autonome et qu'elle serait heureuse de toucher 60 p. 100 de ses ventes de services. Mme Wafer a accepté de travailler pour le salon Michel, et elle a commencé en novembre 1994. À l'époque, le salon Michel comptait deux employés et une autre coiffeuse autonome, une certaine “ Christina ”.

[7] M. Rocco a déclaré que la différence entre un coiffeur qui est employé et un coiffeur qui est autonome tient au fait que l'employé a des heures fixes et doit participer aux activités promotionnelles du salon alors que le coiffeur autonome peut “ aller et venir à sa guise et choisir de son propre gré de participer à des activités promotionnelles, comme venir en aide à des oeuvres de bienfaisance ”. De plus, le coiffeur autonome peut prendre un mois de congé immédiatement après avoir commencé à travailler alors que l'employé ne peut pas le faire.

[8] Dès qu'elle a commencé à travailler, M. Rocco se rappelle-t-il, Mme Wafer s'est absentée quelques jours pour aller visiter Toronto. Il a déclaré qu'elle n'avait pas appelé pour les prévenir, et que ce sont eux qui l'avaient appelée. Quoi qu'il en soit, il a dit qu'elle ne s'était jamais “ absentée pendant vraiment longtemps ”. M. Rocco était fort impressionné par Mme Wafer. Elle souhaitait établir sa clientèle très rapidement et se présentait au travail tôt et y restait jusqu'à 17 h 30 ou 18 h. Il a indiqué qu'il l'avait recommandée à différents clients. Elle était très en demande, a-t-il dit. Apparemment, lorsque Mme Wafer souhaitait prendre congé, elle pouvait le faire. M. Rocco a déclaré que cela lui était égal.

[9] Mme Wafer utilisait ses propres instruments de travail au salon : peignes, ciseaux, brosses, séchoirs à cheveux, fers à friser, etc. Le salon Michel ne fournissait aucun instrument aux coiffeurs autonomes. M. Rocco a ensuite admis que le salon Michel ne fournissait aucun instrument à ses employés non plus.

[10] Mme Wafer ne requérait aucune supervision lorsqu'elle travaillait au salon Michel. M. Rocco a dit d'elle qu'elle était une travailleuse de niveau supérieur et qu'elle aidait les coiffeurs débutants qui étaient des employés. Elle allait et venait à sa guise, et M. Rocco a insisté sur le fait qu'il ne lui avait jamais fait de reproches en ce qui concerne ses heures de travail. Il lui a demandé si elle souhaitait faire du bénévolat pour le compte de Michel et elle a accepté.

[11] Lorsqu'un client avait une plainte à formuler au sujet du travail de Mme Wafer, M. Rocco a déclaré qu'il en informait cette dernière et lui demandait de s'en occuper. M. Rocco a déclaré qu'il disait à la personne ayant formulé la plainte que Mme Wafer était une travailleuse autonome et qu'il ne pouvait rien faire. Si un client n'était pas satisfait du service fourni, le coiffeur, qu'il soit un employé ou un travailleur autonome, refaisait habituellement le travail, sans frais. Le coiffeur autonome, toutefois, devait payer les produits utilisés. L'employé ne payait pas les produits utilisés pour refaire un travail.

[12] M. Rocco a produit une liasse de chèques, de feuillets de calcul de la paie et de reçus signés par Mme Wafer pour ses services. Les feuillets de calcul de la paie indiquent les montants bruts que Mme Wafer a facturés pour des périodes de deux semaines en contrepartie de ses services, le montant des produits qu'elle a vendus en 1996 et ses commissions. Les feuillets de calcul de la paie indiquent également le coût des produits utilisés pour refaire un travail. Les reçus portent la mention “ sous-traitance ” et, dans la plupart des cas, ils indiquent la période pour laquelle Mme Wafer était payée. Les reçus portent aussi les lettres “ IAC ”. Ils sont de la main de Mme Wafer.

[13] La relation d'affaires entre M. Rocco et Mme Wafer a commencé sur un bon pied. Un an plus tard, M. Rocco a demandé à Mme Wafer si elle était intéressée à devenir son associée. D'après M. Rocco, Mme Wafer a été “ flattée ”. Il lui a confié certaines tâches de gestion pour la préparer à devenir associée. Il ne voulait lui imposer aucune pression, pas plus qu'au personnel, a-t-il dit. Il a aussi porté sa paie à 64 p. 100 du total de ses ventes de services pour tenir compte des tâches supplémentaires qu'elle devait exécuter. Mme Wafer a assumé ses tâches de gestion pendant un an environ.

[14] Un samedi, M. Rocco s'est rendu au salon, où il a trouvé les clés de la porte et une note de Mme Wafer l'informant qu'elle remettait sa démission à titre de gérante. Il a tenté de la contacter à Toronto. Il l'a rencontrée et, a-t-il dit, il a cru comprendre qu'elle pensait qu'il lui en voulait parce qu'elle se présentait parfois au travail en retard. Il a indiqué qu'elle avait accepté de retourner au travail et qu'il lui avait dit d'en discuter avec lui si elle avait un problème, au lieu de démissionner.

[15] M. Rocco a déclaré que, comparativement à d'autres “ bons salons ” de London, ses prix étaient concurrentiels. La liste des prix était affichée dans le salon. Mme Wafer, a-t-il dit, était “ à l'aise avec les prix ” lorsqu'il en avait discuté avec elle lors de leur première rencontre. Si elle voulait changer ses prix, d'après M. Rocco, “ elle était entièrement libre de le faire ”. Elle a subséquemment augmenté ses prix de 5 $ à 6 $.

[16] Mme Wafer pouvait hausser ou baisser les prix pour n'importe quel client, a indiqué M. Rocco. La réceptionniste facturait le prix indiqué sur une feuille que le client lui remettait. Une liste des clients était gardée à la réception. La liste était tenue sur ordinateur et sur fichier Rolodex. M. Rocco a déclaré que tous les coiffeurs pouvaient obtenir le nom d'un client par ordinateur.

[17] M. Rocco a répété que, s'il fixait les heures des employés, les coiffeurs autonomes décidaient eux-mêmes des jours et des heures qu'ils souhaitaient travailler. Il a répété lors de son contre-interrogatoire que Mme Wafer était libre d'aller et de venir à sa guise. Elle “ n'était absolument pas obligée de venir au travail ” et elle “ pouvait s'absenter aussi longtemps qu'elle le désirait ”. M. Rocco a indiqué que cela lui était égal d'avoir une chaise vide dans le salon. Il a déclaré qu'il ne pouvait rien dire si elle souhaitait prendre congé pendant un mois ou une période de ce genre. Il a fait remarquer que, si des gens comme Mme Wafer voulaient prendre congé, c'est qu'ils le méritaient probablement. Il a indiqué qu'il était “ juste avec les gens ”.

[18] Mme Wafer ne versait aucun loyer pour sa chaise. Elle recevait une commission libre de toutes dépenses.

[19] M. Rocco a aussi déclaré que Michel tenait des promotions à peu près tous les trois mois. Les coiffeurs avaient alors le choix d'accorder des réductions aux clients. La réceptionniste informait les clients du nom du coiffeur qui accordait une réduction à un moment donné.

[20] M. Rocco a indiqué qu'un coiffeur autonome pouvait réserver le salon pour travailler en dehors des heures normales d'ouverture. Il a cependant reconnu que les employés pouvaient eux aussi travailler avant que le salon ouvre ses portes si un bon client réclamait leurs services.

[21] Et les employés et les coiffeurs autonomes assistaient aux réunions du personnel, a dit M. Rocco. Une copie du procès-verbal d'une réunion du personnel tenue le 19 mars 1996 a été produite. L'une des questions discutées lors de la réunion était de savoir si le personnel devait porter un uniforme. M. Rocco a déclaré que cette question avait été soumise au vote, mais qu'il ne pouvait dire à un coiffeur autonome qu'il n'était pas vêtu de façon appropriée. Lors de la réunion, il a également été question, entre autres choses, des vacances d'été et de la nécessité pour les coiffeurs de travailler les lundis. M. Rocco a déclaré que les vacances étaient déterminées par le personnel lui-même.

[22] Le procès-verbal de la réunion du personnel du 5 juin 1996 a aussi été produit. Lors de cette réunion, il y a eu d'autres discussions portant sur les vacances et sur les heures de travail. M. Rocco a déclaré que les décisions prises lors des réunions étaient des lignes directrices auxquelles le personnel n'était pas tenu de se conformer.

[23] Selon M. Rocco, l'appelante a par la suite eu des difficultés avec Mme Wafer, et “ nous avons décidé de la remercier ”. Apparemment, d'après M. Rocco, Mme Wafer ne lui parlait plus. Il était inquiet et craignait qu'il s'agisse de “ quelque chose de personnel ”.

[24] Mme Rocco tenait les livres du salon Michel, émettait les chèques et réglait les factures. Elle a déclaré dans son témoignage que le salon Michel consignait à l'ordinateur tous les services fournis. Le programme informatique établissait la liste de tous les services fournis par les coiffeurs, des montants facturés pour les services de chaque coiffeur, ainsi que des prix des différents produits à vendre. Chaque service fourni par un coiffeur était entré sur ordinateur et les commissions étaient portées au crédit du coiffeur. À la fin de chaque semaine, Mme Rocco faisait imprimer la liste des services fournis et des montants facturés dans la semaine. Mme Rocco a aussi indiqué que chaque coiffeur avait son propre livret de reçus où il consignait les services fournis et les montants facturés.

[25] Mme Rocco a déclaré que Mme Wafer “ savait ”, dès la première rencontre avec M. Rocco, qu'elle était un entrepreneur autonome et non une employée.

[26] Mme Rocco a également déclaré dans son témoignage que :

a) si un coiffeur ne pouvait pas travailler à un moment donné, il en informait la réceptionniste et aucun rendez-vous n'était fixé pendant son absence (le coiffeur autonome suivait cette procédure aussi);

b) le coiffeur autonome avait toujours priorité pour choisir sa période de vacances parce qu'il “ avait plus de droits ”;

c) si un coiffeur voulait augmenter le prix de ses services, il donnait un préavis de six semaines au salon Michel et une nouvelle liste des prix était établie.

[27] Selon Mme Rocco, Mme Wafer n'a assumé aucune tâche importante de gestion au salon. Elle a déclaré que son mari voulait que Mme Wafer gère le salon, mais d'après ses souvenirs Mme Wafer a uniquement dressé l'inventaire, passé des commandes et aidé lors de certaines réunions du personnel.

[28] Mme Wafer a déclaré dans son témoignage qu'en octobre 1994, elle avait répondu à une annonce que le salon Michel avait publiée dans un journal pour trouver un coiffeur. Après une rencontre avec M. Rocco, elle avait été engagée. Elle a déclaré que, lors de leur première rencontre, elle avait informé M. Rocco qu'elle touchait une commission de 60 p. 100 dans un salon de beauté de Hamilton et que M. Rocco avait affirmé qu'il lui verserait la même chose. Il lui a dit qu'elle devrait payer de l'impôt sur sa rémunération. Elle a déclaré qu'“ elle n'avait jamais travaillé selon de telles modalités auparavant ”.

[29] Dans le passé, Mme Wafer a-t-elle dit, elle avait à l'occasion loué une chaise et, dans de telles circonstances, elle s'était considérée comme exploitant sa propre entreprise. Elle tenait alors sa propre caisse. “ Je gardais ce que je gagnais ”, a-t-elle dit. Elle payait un loyer pour la chaise, peu importe qu'elle travaille ou non.

[30] D'après Mme Wafer, M. Rocco lui a dit qu'elle travaillerait du mardi au samedi. Les mardis, mercredis et vendredis, elle travaillerait de 9 h à 17 h30, les jeudis, de 11 h 30 à 19 h 30 et les samedis, de 8 h 30 à 15 h 30 ou 16 h.

[31] Mme Wafer a déclaré que, dans l'industrie, c'est la norme pour les coiffeurs de fournir leurs propres instruments de travail comme les peignes, les brosses et les séchoirs.

[32] Mme Wafer a un enfant. Elle a déclaré que, si elle devait quitter le travail tôt pour une raison liée à son enfant, elle devait “ échanger ” ses heures avec Christina. Elle a déclaré qu'elle “ avait l'impression ” qu'elle devait travailler un nombre d'heures déterminé.

[33] Mme Wafer a confirmé que M. Rocco lui avait demandé de devenir gérante. À ce titre, elle était chargée de consigner les heures de travail des membres du personnel. Lorsque, en 1996, le salon a commencé à ouvrir ses portes les lundis, elle a déclaré qu'elle devait faire entrer les coiffeurs au travail par rotation. Si un coiffeur ne pouvait travailler un lundi, elle assumait la tâche elle-même et prenait congé un autre jour. Elle devait être sur les lieux lorsque ni M. Rocco ni Mme Rocco n'étaient au salon. Elle était responsable de l'inventaire et menait les réunions du personnel. Elle s'occupait aussi des plaintes des clients au sujet des autres coiffeurs.

[34] Mme Wafer se rappelle qu'à l'été de 1996, Christina avait réservé une période pour prendre des vacances mais que, parce que M. Rocco voulait s'absenter au même moment, Christina avait dû changer ses dates de vacances.

[35] Mme Wafer a insisté sur le fait que chaque coiffeur devait travailler à des heures précises et que tout changement nécessitait l'autorisation de M. Rocco. Si elle prenait congé, Mme Wafer devait s'assurer que cela n'entrait pas en conflit avec les congés d'autres coiffeurs.

[36] Mme Wafer a déclaré qu'elle n'avait reçu de clé du salon que lorsqu'elle était devenue gérante. À titre de gérante, Mme Wafer a-t-elle déclaré, elle arrivait au salon vers 8 h 45 pour s'occuper de l'inventaire et s'acquitter d'autres tâches. À son avis, elle n'était pas libre de travailler les dimanches ou en dehors des heures normales d'ouverture du salon. Elle “ n'a jamais senti qu'elle était libre de travailler au salon en dehors des heures assignées ”.

[37] Elle a également déclaré qu'elle n'avait pas réalisé qu'elle avait la liberté de refuser de faire du travail promotionnel. “ Nous avons été informés que tout le personnel devait y aller [...] je ne me suis jamais sentie suffisamment assurée pour refuser. ”

[38] Mme Wafer a affirmé qu'elle ne tenait pas son propre fichier de clients. La seule information qu'elle pouvait obtenir concernant ses propres clients était celle qui se rapportait à la couleur de leurs cheveux et à la formule utilisée pour les teindre. “ À part cela, il n'y avait aucun moyen d'obtenir quelque renseignement de nature privée que ce soit sur le client. ”

[39] En contre-interrogatoire, Mme Wafer s'est rappelée que, par suite de difficultés qu'elle avait eues avec le salon Michel, elle s'était informée auprès de la Commission des relations de travail de l'Ontario (“ CRLO ”). Le représentant de la CRLO lui avait dit, a-t-elle déclaré, que les coiffeurs n'étaient pas des entrepreneurs autonomes aux yeux de la loi. Elle a déclaré ne pas saisir la différence entre un entrepreneur autonome et un employé. À Hamilton (Ontario), elle avait travaillé comme employée et elle avait touché une paie de vacances. Lorsqu'elle avait travaillé dans un autre salon, elle avait touché un montant représentant 40 p. 100 des services facturés par elle mais, dans ce cas, elle louait une chaise. Elle fixait elle-même les rendez-vous de ses clients, établissait ses prix, déterminait ses heures et ne travaillait que trois jours par semaine. Dans ce cas, elle se considérait comme “ autonome ”. Elle a aussi déclaré qu'au début des années 1980, elle avait été travailleuse “ autonome ” dans un autre salon de coiffure de Hamilton.

[40] Mme Wafer a insisté sur le fait qu'elle ne connaissait pas les adresses ni les numéros de téléphone des clients. Elle a déclaré qu'elle n'avait jamais demandé quelque renseignement que ce soit sur des clients qui se trouvaient sur ordinateur, et qu'elle n'avait jamais obtenu de mot de passe pour accéder à ces renseignements. Selon elle, cela “ relevait de la réceptionniste ”.

[41] Lorsqu'elle a quitté le salon Michel en novembre 1996, elle se rappelle avoir conservé 10 p. 100 de ses clients. Elle n'a pu entrer en contact qu'avec les clients auxquels elle avait accès. Elle et deux autres coiffeurs qui travaillaient à son nouveau salon ont annoncé, dans le journal de l'Université de Waterloo (Ontario), qu'elle travaillait maintenant dans un nouveau salon.

[42] Les initiales “ IAC ” que Mme Wafer inscrivait sur les reçus qu'elle remettait au salon Michel lorsqu'elle recevait ses chèques de paie sont l'abréviation de “ Interesting Artistic Cutting ”, une expression à la mode, “ un nom que je me donnais ”, a-t-elle insisté.

[43] Mme Wafer a admis qu'elle avait écrit “ sous-traitance ” sur le reçu pour paiement de Michel, mais elle a insisté sur le fait qu'elle n'avait pas la moindre idée que cette mention pût amener quiconque à conclure qu'elle était un entrepreneur autonome. Elle a déclaré qu'à compter du jour où elle avait commencé à travailler au salon Michel, elle s'était considérée comme un employé. Elle faisait partie du personnel et se considérait comme faisant partie de l'entreprise du salon Michel. Elle a affirmé qu'elle “ pensait que c'était une nouvelle façon de faire des affaires, que l'employeur n'était pas tenu d'effectuer les retenues à la source [...] Peut-être savaient-ils quelque chose que je ne savais pas. ”

[44] Dans sa déclaration de revenus de 1995, Mme Wafer a déclaré la rémunération que le salon Michel lui a versée comme étant un revenu tiré d'une entreprise et non un revenu tiré d'un emploi. Elle a déclaré que M. Rocco lui avait dit de préparer ses déclarations de revenus de cette manière. Elle a indiqué qu'il ne lui était jamais venu à l'esprit que ce qu'elle faisait était incorrect. Si elle avait été un entrepreneur autonome, a-t-elle déclaré, elle aurait pu aller et venir à sa guise et elle aurait organisé elle-même son calendrier et ses heures. En réalité, a-t-elle dit, ce n'était pas le cas.

[45] Mme Wafer a déclaré qu'elle avait quitté le salon Michel parce que M. Rocco voulait qu'elle signe un contrat et qu'elle avait refusé. Elle a indiqué qu'elle n'avait jamais entendu le terme “ sous-traitant ” avant de commencer à travailler au salon Michel.

[46] Les heures de travail au salon Michel variaient selon la personne, d'après Mme Wafer. À son avis, elle n'avait pas la liberté d'aller et de venir à sa guise; elle devait respecter des heures de travail déterminées. Elle a indiqué qu'elle travaillait des heures régulières, bien qu'elle ait reconnu commencer tôt ou terminer tard si un client donné demandait un changement. Mme Wafer a déclaré qu'en tant que gérante, elle n'avait pas l'impression de pouvoir prendre congé.

[47] Mme Wafer a indiqué qu'elle avait démissionné du poste de gérante au mois d'octobre 1996 parce que sa clientèle s'accroissait.

[48] Mme Wafer a reconnu qu'on lui avait offert d'acheter 10 p. 100 des actions du salon Michel environ six mois après qu'elle eut commencé à travailler. Christina avait eu la même offre. Mme Wafer a déclaré qu'on lui avait donné des détails sur le montant d'argent nécessaire pour acheter les actions.

[49] Une liste des tâches de la gérante a été soumise par Mme Wafer. Elle a affirmé que, lorsqu'elle “ s'asseyait ” au travail, M. Rocco l'appelait pour qu'elle s'acquitte de certaines tâches en tant que gérante.

[50] La question des vacances, a déclaré Mme Wafer, n'a jamais été discutée avec M. Rocco. Elle croyait avoir droit à deux semaines de vacances, et il ne lui est “ jamais venu à l'esprit ” qu'elle avait droit à plus de deux semaines. À son avis, “ ils n'auraient pas aimé que je prenne trois semaines ”. M. Rocco, a-t-elle dit, “ faisait beaucoup de commentaires ” sur les heures de travail.

[51] Mme Wafer a déclaré qu'elle s'occupait des plaintes faites par ses clients. Toutefois, a-t-elle dit, elle rapportait chaque plainte à M. Rocco, même si le client était ensuite satisfait.

[52] Mme Wafer a déclaré qu'elle participait aux promotions parce que, pour avoir une chance de remporter du succès, une promotion nécessite le consentement unanime des coiffeurs.

[53] Des uniformes portant le nom du salon ont été commandés à partir d'un catalogue et chaque coiffeur a payé son t-shirt. Chaque coiffeur pouvait choisir le modèle et la taille. Mme Wafer a déclaré qu'elle était libre de ne pas porter le t-shirt.

[54] Mme Wafer a déclaré qu'elle n'avait pas la liberté de fixer ses propres prix. Elle a indiqué que les prix étaient discutés avec M. Rocco. Lorsque la liste des prix était révisée, tous les prix étaient modifiés, et non pas seulement ceux des coiffeurs autonomes. Elle a insisté sur le fait qu'elle n'avait demandé qu'une fois à M. Rocco d'augmenter ses prix, soit lorsque, à son avis, le salon ne facturait pas ses services assez cher.

[55] De temps en temps, les coiffeurs étaient autorisés à utiliser un assistant, en particulier celui de M. Rocco. Mme Wafer a déclaré que, lorsqu'elle a effectivement eu recours aux services de l'assistant de M. Rocco, elle a dû les payer.

[56] Mme Wafer a reconnu qu'elle avait été autorisée à accorder des réductions pour ses services. Il lui arrivait à l'occasion de remettre un certificat-cadeau de 5 $ à un client. Parfois, elle coupait les cheveux des amis de M. Rocco et de leurs enfants et leur accordait une réduction de 10 p. 100. Si un client lui envoyait un nouveau client, Mme Wafer accordait à celui-là une réduction de 3 $.

[57] Mme Wafer a déclaré qu'avant de devenir gérante, ses tâches étaient déterminées par M. et Mme Rocco et par l'assistant de M. Rocco. Lorsqu'elle a remis sa démission en tant que gérante en octobre 1996, l'assistant de M. Rocco a commencé à dresser les inventaires et M. et Mme Rocco se sont chargés des autres tâches de gestion.

[58] Une fois le témoignage de Mme Wafer terminé, l'avocat de Michel a demandé un ajournement pour pouvoir produire une contre-preuve. L'audition de l'appel a été ajournée et s'est poursuivie à Toronto. Mme Rocco a comparu en tant que témoin pour réfuter le témoignage de Mme Wafer. Cette dernière, qui avait indiqué qu'elle serait en mesure d'être là à la reprise de l'audition de l'appel, n'a pas comparu en cour à Toronto.

[59] Mme Rocco a déclaré dans son témoignage que Mme Wafer facturait différents prix selon les clients. Si Mme Wafer voulait offrir un cadeau ou accorder une réduction à un client, elle pouvait le faire et ce, sans l'autorisation de M. ou Mme Rocco. Des copies de certificats-cadeaux rédigés par Mme Wafer ont été produites sous la cote A-2. Mme Rocco a déclaré que le salon Michel avait pour politique de laisser le coiffeur autonome libre de donner des certificats comme il l'entendait. Également joints à la liasse de documents produits sous la cote A-2 sont des reçus rédigés par Mme Wafer, qui indiquent la date à laquelle le service a été rendu, le nom du client, le service fourni et le montant facturé. D'après Mme Rocco, les coiffeurs avaient le pouvoir de facturer un montant inférieur à celui indiqué sur la liste de prix, et les reçus que l'on trouve dans la pièce A-2 confirment les estimations de Mme Rocco selon lesquelles Mme Wafer réduisait ses prix de 40 à 50 p. 100 pour certains clients.

[60] Mme Rocco a également préparé des notes contenant des renseignements sur le nombre d'heures travaillées par Mme Wafer en 1996. Mme Rocco a déclaré qu'elle avait étudié les registres du salon Michel en ce qui concerne les heures de travail de Mme Wafer. Les notes ont été produites sous la cote A-3. Elles commencent le 4 janvier 1996 et se poursuivent jusqu'au 6 novembre 1996. Mme Rocco a déclaré que Mme Wafer n'avait jamais échangé quelque journée de travail que ce soit avec Christina pour accompagner sa fille chez le dentiste, par exemple. Cependant, Mme Wafer a bel et bien “ échangé ” des heures avec Christina.

[61] Mme Rocco a déclaré que tous les coiffeurs autonomes étaient autorisés à travailler au salon avant ou après les heures d'ouverture. La clé du salon était laissée au bureau et les coiffeurs savaient où se trouvaient les clés. Le coiffeur qui était employé devait respecter des heures de travail précises.

[62] Dans certains types d'entreprises, il est difficile de déterminer si les membres du personnel qui fournissent des services sont des employés ou des entrepreneurs autonomes. Il s'agit parfois d'une situation endémique dans un secteur d'activité. C'est le cas de la coiffure, et c'est peut-être pour cette raison que le gouvernement a adopté l'article 6 du règlement pris en application de la Loi sur l'A-E (article 12 de l'ancienne Loi sur l'A-C). L'alinéa 6d) se lit comme suit :

6. Sont inclus dans les emplois assurables, s'ils ne sont pas des emplois exclus conformément aux dispositions du présent règlement, les emplois suivants :

d) l'emploi exercé par une personne auprès d'un salon de barbier ou de coiffure, si :

(i) d'une part, elle fournit des services qu'offre normalement un tel établissement,

(ii) d'autre part, elle n'est pas le propriétaire ni l'exploitant de cet établissement;

[63] Les personnes qui effectuent un travail semblable dans des conditions semblables doivent jouir de la même protection. Dans l'arrêt Martin Service Station c. M.R.N.[2], à la page 1005, le juge Beetz a fait le commentaire suivant sur l'application de l'alinéa 12e) du règlement pris en application de la Loi sur l'A-C en ce qui concerne les chauffeurs de taxi :

Cependant, même en écartant toute intention de se soustraire aux lois, si les conditions qui prévalent sont telles que ceux qui sont embauchés par contrat pour exécuter un travail donné sont réduits au chômage, il est de plus probable que ces mêmes conditions privent de travail ceux qui accomplissent le même genre de tâches, mais à leur compte. C'est principalement dans le but de protéger ces derniers du risque de manquer de travail et d'être contraints à l'inactivité que la portée de la législation a été élargie. Qu'ils travaillent à leur propre compte ou en vertu d'un contrat de service, les conducteurs de taxi et d'autobus par exemple sont exposés au risque de manquer de travail. À mon avis, c'est là un risque assurable, du moins dans le cadre d'une assurance publique obligatoire qui n'a pas été conçue pour être appliquée selon de rigoureux principes actuariels, pourvu qu'elle respecte en gros la nature d'un système d'assurance, y compris la protection contre le risque et un régime de cotisations.

[64] L'alinéa 6d) du règlement n'offre aucune protection au coiffeur qui, dans les faits, exploite sa propre entreprise dans un établissement de coiffure. Ce serait le cas, par exemple, du coiffeur qui paie un loyer fixe pour une chaise et qui est tenu de payer ses propres dépenses, comme la taxe professionnelle et les primes d'assurance responsabilité, c'est-à-dire le coiffeur qui assume toutes les responsabilités d'un propriétaire que la plupart des autres entreprises assument[3].

[65] Dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R.[4], le juge MacGuigan, à la page 5030, a fait siens les motifs du jugement que le juge Cooke a rendus dans l'arrêt Market Investments Ltd. v. Minister of Social Security[5], pour déterminer les facteurs dont le juge de première instance doit tenir compte pour trancher la question dont je suis saisi :

Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[66] Dans les appels en l'instance, Mme Wafer n'exploitait pas d'entreprise ni n'accomplissait une activité indépendante de celle du salon Michel. Mme Wafer occupait un emploi assurable au sens du paragraphe 5(1) de la Loi sur l'A-E et elle occupait un emploi ouvrant droit à pension au sens du paragraphe 6(1) du RPC.

[67] Le salon Michel déterminait les heures de travail de Mme Wafer : je ne crois pas M. Rocco lorsqu'il dit qu'un coiffeur “ autonome ” comme Mme Wafer était libre d'aller et de venir à sa guise et que cela lui était égal de voir que sa chaise était inutilisée. Le salon Michel tirait son revenu d'entreprise du partage des revenus gagnés par les coiffeurs. Une chaise vide signifiait un revenu moindre pour Michel. Il m'est difficile de comprendre la raison pour laquelle ça ne gênait pas M. Rocco de voir une chaise vide. On peut supposer que, si un coiffeur ne travaillait pas à une chaise particulière, M. Rocco faisait en sorte qu'un autre coiffeur utilise la chaise. Je ne peux non plus accepter le témoignage de M. Rocco suivant lequel, si un client se plaignait du travail de Mme Wafer, il répondait simplement que Mme Wafer était un entrepreneur autonome et qu'il ne pouvait rien y faire. J'ai observé M. Rocco au cours de l'audition de l'appel et je ne crois pas qu'il adopterait une attitude aussi désinvolte avec un client. Je crois que M. Rocco est un homme brillant, agressif et exigeant.

[68] Le fait qu'une personne travaille uniquement à commission ne permet pas de conclure qu'elle est un entrepreneur autonome. Un employé peut travailler à commission également. Les chances de Mme Wafer de réaliser un profit dépendaient du nombre de clients qu'elle servait. Elle ne risquait pas de subir une perte; elle n'assumait aucune dépense, sauf le coût de l'équipement, comme le font tous les coiffeurs, qu'ils soient des employés ou non.

[69] Le travail de Mme Wafer faisait partie de l'entreprise exploitée par le salon Michel. La réceptionniste se chargeait de prendre les rendez-vous. Le salon Michel conservait les listes de clients, dont les numéros de téléphone, et je ne suis pas convaincu que les coiffeurs avaient accès à des renseignements sur les clients.

[70] Les tâches supplémentaires de Mme Wafer à titre de gérante travaillant sous la direction de M. Rocco sont également un signe qu'elle était employée par le salon Michel.

[71] J'ajouterai que je n'accepte pas le témoignage de Mme Wafer dans sa totalité. Je ne crois pas, par exemple, qu'elle ignorait la différence entre un entrepreneur autonome et un employé ou qu'elle n'avait aucune idée de ce que signifiait les mots “ sous-traitant ” sur les reçus qu'elle remettait au salon Michel. Ni M. Rocco ni Mme Wafer ne sont des modèles de sincérité mais, tout bien considéré, le témoignage de Mme Wafer sur les questions fondamentales paraît être plus crédible que celui de M. Rocco.

[72] Mme Wafer travaillait pour l'entreprise du salon Michel et elle était un employée du salon Michel.

[73] Les appels sont rejetés et les règlements de la question par le ministre sont confirmés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour d'août 1998.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 9e jour de février 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Dans les actes de procédure, Mme Scheppat-Wafer a donné comme nom Brenda Wafer, et dans tous les documents se rapportant à son travail chez Michel Vincent Hair Studio Ltd., elle était appelée Brenda Wafer.

[2]               [1977] 2 R.C.S. 996.

[3]               Voir Hough c. M.R.N., [1988] A.C.I. no 443 (C.C.I.). Cependant, voir également Harris (c.o.b. Peter's Hairstyling) v. M.N.R., [1977] T.C.J. no 232 (C.C.I.)

[4]               87 DTC 5025 (C.A.).

[5]               [1968] 3 All E.R. 732, 738 et 739.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.