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Date: 19981016

Dossier: 97-1196-UI

ENTRE :

RITA RANDA,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance a été entendu à Edmonton (Alberta) le 16 juin 1998. L'appelante interjette appel de la décision par laquelle, le 12 mai 1997, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a déterminé que l'emploi qu'a exercé chez elle une certaine Loretta Lo Chung (la “ travailleuse ”) du 1er mars au 24 avril 1996 était un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (ci-après appelée la “ Loi ”). La raison donnée à l'appui de la décision est la suivante :

[TRADUCTION]

[...] Loretta Lo Chung était employée aux termes d'un contrat de louage de services et, par conséquent, elle était votre employée.

[2] Selon les faits qui ont été établis, au cours de la période en question, la travailleuse a gardé l'enfant de l'appelante. L'affaire porte sur une période d'environ sept semaines au cours de laquelle la travailleuse a pris soin de l'enfant d'un an de l'appelante chez cette dernière. La question que la Cour est appelée à trancher est de savoir si la travailleuse occupait de ce fait un emploi aux termes d'un contrat de louage de services ou aux termes d'un contrat d'entreprise. S'il s'agissait d'un contrat de louage de services, l'emploi était assurable aux termes de l'article 3 de la Loi. Si, en revanche, il s'agissait d'un contrat d'entreprise, l'emploi n'était pas assurable, la travailleuse n'était pas admissible aux prestations d'assurance-chômage et l'appelante n'était pas tenue de verser de cotisations.

Le droit

[3] La façon dont la Cour doit procéder pour déterminer s'il s'agit d'un emploi exercé aux termes d'un contrat de louage de services et, par conséquent, d'une relation employeur-employé ou aux termes d'un contrat d'entreprise et, par conséquent, d'une relation avec un entrepreneur autonome, a été clairement énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 DTC 5025. La Cour d'appel fédérale a par la suite expliqué plus en détail le critère à appliquer dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. v. M.N.R., 88 DTC 6099. Plusieurs décisions rendues subséquemment par la Cour canadienne de l'impôt, dont certaines ont été citées par l'avocate, montrent comment les lignes directrices exposées par la Cour d'appel fédérale ont été appliquées. Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc., précité, la Cour d'appel fédérale s'est prononcée dans les termes suivants :

La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national, 87 D.T.C. 5025. Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La ville de Montréal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que :

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright [contrôle, propriété des instruments de travail, chances de bénéfice, risques de perte] constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] “examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties”. Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

À la page 5029, il déclare :

Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé [TRADUCTION] “l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations” et ce même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

À la page 5030, il poursuit :

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

Il fait également observer : “Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents”.

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[4] Les critères mentionnés par la Cour peuvent se résumer ainsi :

a) le degré ou l'absence de contrôle de la part du prétendu employeur;

b) la propriété des instruments de travail;

c) les chances de bénéfice et les risques de perte;

d) l'intégration du travail du prétendu employé dans l'entreprise du prétendu employeur.

[5] Je prends note également des propos qu'a tenus le juge MacGuigan dans l'arrêt Wiebe, précité, où il a approuvé le point de vue adopté par les tribunaux anglais :

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739):

[TRADUCTION] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: “La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte”. Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[6] L'avocate du ministre m'a soumis également deux décisions de la Cour canadienne de l'impôt qui portent sur des services de garde d'enfants, à savoir Johnson v. M.N.R., 9 mars 1998, no de dossier 97-517(UI), rendue par le juge Beaubier, et Mohr c. M.R.N., 27 novembre 1997, no de dossier 97-481(UI), rendue par le juge Mogan. Dans chacune de ces affaires, la Cour a déterminé que la travailleuse occupait un emploi assurable. J'ai remarqué que, dans la première affaire, les services avaient été fournis pendant dix-sept mois et, dans la deuxième, pendant près de trois ans.

[7] C'est donc en fonction de ces lignes directrices juridiques que je dois trancher la question en litige en l'espèce.

Les faits

[8] Les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est fondé sont énoncées dans la réponse à l'avis d'appel dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

a) la travailleuse a été engagée comme puéricultrice pour s'occuper de l'enfant de l'appelante âgé d'un an (l'“ enfant ”);

b) le travail était effectué chez l'appelante;

c) la travailleuse travaillait de 7 h à 17 h 30 environ du lundi au vendredi;

d) les heures de la travailleuse étaient déterminées par l'appelante;

e) la travailleuse devait fournir les services elle-même et ne pouvait engager quelqu'un d'autre pour la remplacer;

f) si la travailleuse voulait prendre congé, elle devait en aviser l'appelante, qui s'occupait de trouver une remplaçante;

g) l'appelante donnait des directives à la travailleuse sur les soins à donner à l'enfant;

h) la travailleuse n'exploitait pas sa propre entreprise;

i) la travailleuse n'avait pas à engager de dépenses dans l'exécution de ses tâches;

j) la travailleuse était payée 400 $ par mois par l'appelante;

k) l'appelante travaillait à temps plein et n'exploitait pas sa propre entreprise;

l) l'emploi de la travailleuse n'était pas un emploi occasionnel.

[9] L'appelante, la mère de l'enfant qui était gardé, a témoigné pour son compte. Pour l'essentiel, on peut dire qu'à quelques exceptions près elle est d'accord avec la plupart des hypothèses de fait. Elle les a cependant étoffées et expliquées, de façon à brosser un tableau complet de la situation qui puisse être compris. Plus précisément, elle était d'accord avec les hypothèses énoncées aux alinéas a) à d), g) et i), sous réserve d'explications à fournir, et j) et l). Elle a contesté les hypothèses énoncées aux alinéas e), f), h) et k). Elle a principalement contesté les hypothèses selon lesquelles la travailleuse ne pouvait pas se faire remplacer et ne travaillait pas à son compte.

[10] Je dois dire à ce moment-ci que je partage le sentiment du juge Mogan, de la C.C.I., dans l'affaire Mohr, précitée, lorsqu'il a dit :

[...] j'aimerais ajouter que je ne puis concevoir qu'au moment où la législation a d'abord été édictée à la fin des années 1940 ou au moment où elle a été révisée, comme elle l'a été de temps en temps, je ne puis croire qu'on ait considéré, si ce n'est récemment, que le travail occasionnel d'une personne qui garde des enfants à domicile constitue un emploi assurable, rendant cette personne admissible aux prestations d'assurance-chômage. Nous vivons dans une société où les lois et règlements constituent de plus en plus une intrusion exagérée dans la vie des citoyens. Nous avons ici le cas d'une personne qui veut perfectionner ses connaissances et qui se renseigne sur le genre d'aide disponible, ce qui déclenche toute une série de conséquences, de sorte que Shelley et l'appelante se trouvent soudainement non seulement dans une relation employeur-employé, mais aussi dans une relation qui donne lieu à la nécessité de retenir et de verser des cotisations d'assurance-chômage et des cotisations au Régime de pensions du Canada. Cela montre jusqu'à quel point la société est réglementée d'une façon outrancière. Cependant, ce ne sont pas les juges qui édictent les lois; ils ne font que les interpréter et les appliquer à certaines situations, comme je me vois obligé de le faire en l'espèce.

[11] L'appelante a expliqué les faits à sa façon. Elle est, et elle était à l'époque pertinente, une employée du gouvernement provincial; elle travaille à Edmonton et vit à Sherwood Park, à une distance de vingt à trente kilomètres de son travail. En janvier 1996, sa fille avait un an et quelqu'un devait s'en occuper pendant qu'elle était au travail. Elle a donc publié une annonce dans le journal local pour trouver, a-t-elle déclaré, un endroit où elle pourrait faire garder son enfant, c'est-à-dire chez quelqu'un d'autre. Elle a rencontré un certain nombre de personnes, dont Mme Chung, qui a accepté de prendre l'enfant et de le garder dans son appartement situé à Edmonton. Suivant l'entente conclue, la travailleuse offrait chez elle un service de garde en milieu familial et pouvait évidemment prendre un autre enfant. Le montant de 400 $ par mois qui a été convenu cadre clairement avec une telle entente plutôt qu'avec un emploi à temps plein. Cela signifie un peu plus de 2 $ l'heure.

[12] Après la conclusion de l'entente initiale, la travailleuse a appelé l'appelante pour lui dire qu'elle avait des problèmes avec son appartement et elle a offert de garder l'enfant chez l'appelante. La preuve est contradictoire sur ce point mais, après avoir écouté attentivement les parties, je conclus que le témoignage de l'appelante est plus crédible que celui de la travailleuse. La travailleuse lui aurait indiqué que l'arrangement devait être de courte durée, soit le temps qu'elle se trouve un logement à Sherwood Park pour garder de nouveau l'enfant. J'accepte le témoignage de l'appelante sur ces points.

[13] Dans les faits, les choses ont tellement empiré dans l'appartement de la travailleuse qu'elle a fini par déménager chez l'appelante, encore une fois pour une brève période, jusqu'à ce qu'elle se trouve un logement à Sherwood Park. Selon l'entente conclue, un montant de 200 $ au titre de la chambre et de la pension devait être soustrait du montant de 400 $ payé pour les services de garde.

[14] Aux dires de l'appelante, et à cet égard je retiens aussi son témoignage, selon l'entente initialement conclue, si la travailleuse ne pouvait pas s'occuper de l'enfant à un moment donné, elle faisait appel à une amie à Sherwood Park pour la remplacer. L'appelante trouvait cette solution acceptable; il n'était donc pas nécessaire que les services soient fournis personnellement.

[15] À la fin, sept semaines après avoir commencé à garder l'enfant, Mme Chung a démissionné pour occuper un autre emploi, de sorte que l'entente initialement conclue, à savoir la mise sur pied d'un service de garde en milieu familial à son domicile, n'a jamais été exécutée.

[16] L'appelante a de la difficulté à composer avec la situation du fait que l'entente conclue initialement partait, de toute évidence, du principe que Mme Chung exploitait sa propre entreprise. Par la suite, lorsqu'elle n'a pas été capable de respecter ses engagements, son objectif était toujours d'exploiter sa propre entreprise. L'appelante lui est venue en aide pendant une brève période difficile, mais cela ne remettait pas en cause l'entente initiale. En fait, celle-ci n'a jamais été mise en oeuvre parce que la travailleuse a démissionné.

[17] La travailleuse a demandé des prestations d'assurance-chômage au mois de novembre suivant. Elle avait apparemment besoin de la période au cours de laquelle elle avait fourni les services en cause pour être admissible à des prestations; c'est ce qui a déclenché le processus d'enquête qui a conduit, presque un an plus tard, à l'entrevue avec l'appelante. Celle-ci était visiblement troublée et stressée par toute cette affaire.

Conclusion

[18] Je ne peux concevoir que l'emploi en l'espèce puisse être à juste titre qualifié d'emploi assurable. La période de travail fut extrêmement brève. Les services ont initialement été offerts aux termes d'une entente avec un entrepreneur autonome qui exploitait son propre service de garde en milieu familial. Du fait des difficultés qu'a éprouvées la travailleuse, l'appelante a conclu une entente temporaire avec elle pour l'aider à mettre son entreprise sur pied. Par générosité, elle lui a aussi offert le gîte et le couvert. Compte tenu du montant payé, il était clair que la travailleuse devait garder un certain nombre d'enfants chez elle, qu'il ne s'agissait donc pas d'un emploi. L'appelante n'a jamais songé à engager un employé. Si les choses avaient continué pendant un certain temps, d'autres facteurs seraient peut-être entrés en ligne de compte. Or, la situation n'a duré que sept semaines. Je ne veux pas dire qu'une période de travail de sept semaines seulement ne peut de façon générale être qualifiée de période d'emploi, mais plutôt que l'entente en l'espèce, qui, au départ, a été conçue d'une certaine façon et qui, par la force des choses, a pris temporairement une autre forme, ne peut être qualifié d'emploi.

[19] L'appelante et la travailleuse n'avaient pas envisagé qu'elles auraient une relation employeur-employé ou que la travailleuse ferait l'objet d'une forme quelconque de contrôle. Elles avaient prévu que la travailleuse exercerait ses activités dans ses propres locaux. Elles avaient prévu que la travailleuse réaliserait ses propres bénéfices ou subirait ses propres pertes en mettant sur pied son service de garde en milieu familial. De toute évidence, il n'y a pas eu d'intégration dans une entreprise de l'appelante.

[20] En conséquence, je ne crois pas que cette entente à court terme puisse être qualifiée de contrat de louage de services. Il s'agissait d'une première étape qui devait mener à l'établissement d'une entreprise indépendante, ce qui correspond davantage à un contrat d'entreprise qu'à un contrat de louage de services.

[21] L'appel est accueilli et la décision du ministre est infirmée.

Signé à Calgary (Alberta), ce 16e jour d'octobre 1998.

“ Michael H. Porter ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

raduction certifiée conforme ce 28e jour de mai 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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