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Date: 19980311

Dossiers: 95-3539-IT-G; 95-3541-IT-G

ENTRE :

LA SUCCESSION DE FEU LUCIANO COLANGELO, GIUSEPPINA COLANGELO,

appelantes,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Ces deux appels portent sur l'application des dispositions pénales prévues aux paragraphes 163(2) et 110.6(6) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Ils résultent de l'omission, de la part des contribuables, d'indiquer dans leurs déclarations de revenus pour l'année 1989 le gain très important que chacun a réalisé en vendant, en janvier 1989, un immeuble situé au 1022, avenue Danforth, à Toronto (l' « immeuble » ).

[2] Les passages pertinents des paragraphes 163(2) et 110.6(6) se lisent comme suit :

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l'exercice d'une obligation prévue à la présente loi ou à un règlement d'application, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse — appelé « déclaration » au présent article — rempli ou produit pour une année d'imposition conformément à la présente loi ou à un règlement d'application, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale [...] à [...]

110.6(6) Par dérogation aux paragraphes (2), (2.1) et (3), aucun montant n'est déductible en vertu du présent article au titre d'un gain en capital réalisé par un particulier pour une année d'imposition sur la disposition d'un bien en immobilisation, dans le calcul du revenu imposable de ce particulier pour cette année ou pour une année d'imposition ultérieure, si, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, ce particulier:

a) soit ne produit pas une déclaration de son revenu pour l'année dans un délai de un an suivant le jour où il est, au plus tard, tenu d'en produire une pour l'année conformément à l'article 150;

b) soit ne déclare pas ce gain en capital dans la déclaration de revenu pour l'année qu'il est tenu de produire conformément à l'article 150.

Le ministre a la charge d'établir les faits qui justifient le rejet d'une déduction faite malgré le présent paragraphe.

[3] Les appelants étaient mari et femme. Le mari est décédé après que ces appels furent interjetés. Au début du procès, j'ai ordonné, en vertu de l'article 29 des Règles, que l'appel du mari se poursuive au nom de sa succession.

[4] On ne conteste pas le fait que chacun des appelants a réalisé par suite de la vente un gain en capital imposable de l'ordre de 169 000 $. On ne conteste pas non plus le fait que les appelants n'ont pas indiqué ce gain dans les déclarations de revenus qu'ils ont produites pour l'année d'imposition 1989. Depuis que ces appels ont été interjetés, l'impôt et les intérêts ont été payés par eux. Tout ce qui est en litige, c'est l'imposition des pénalités, ainsi que le refus, en vertu du paragraphe 110.6(6), d'une déduction pour gains en capital. Donc, il me faut déterminer si l'omission tenant au fait que les appelants n'ont pas indiqué le gain en capital dans leurs déclarations de revenus a été faite « sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde » .

[5] Les appelants avaient tous les deux immigré au Canada lorsqu'ils étaient enfants et avaient vécu et travaillé ici depuis. M. Colangelo travaillait dans une boulangerie comme employé exécutant. Les seules études qu'il ait faites, il les avait faites en Italie et n'était pas allé au-delà de la deuxième année. Mme Colangelo avait terminé sa huitième année au Canada, puis avait suivi un cours de coiffure de neuf mois. Elle avait travaillé dans un salon de coiffure pendant environ 18 mois, puis avait ouvert son propre salon. Elle avait alors à peu près 19 ans. Elle avait dirigé cette entreprise pendant les 25 années suivantes ou à peu près, employant quelqu'un à temps partiel pour se faire aider. L'avocat de l'intimée a fait valoir dans sa plaidoirie que cela faisait d'elle une femme d'affaires d'expérience qui devrait savoir qu'un gain en capital est quelque chose qu'elle doit indiquer lorsqu'elle fait sa déclaration de revenus. À mon avis, elle a une connaissance très limitée des questions commerciales et financières. Lorsqu'elle avait lancé son entreprise, elle avait demandé certains conseils à une personne qui remplissait ses déclarations de revenus pour elle. Elle gardait ses reçus dans une chemise, qu'elle apportait une fois par mois à la personne chargée de remplir sa déclaration de revenus. Elle disait également à cette personne ce qu'elle avait payé en salaires, pour que les montants appropriés puissent être remis concernant les retenues d'impôt sur le revenu, les cotisations d'assurance-chômage et les cotisations au Régime de pensions du Canada. Mme Colangelo lui aurait également communiqué le montant de ses ventes brutes. À la fin de l'année, la personne chargée de remplir sa déclaration de revenus établissait un état de son revenu pour l'année pour qu'elle le joigne à sa déclaration de revenus. La personne qui faisait cela pour elle n'a pas toujours été la même au fil des ans, mais la méthodologie de base restait la même.

[6] L'entreprise de Mme Colangelo était située dans l'immeuble de l'avenue Danforth. En 1969, l'immeuble avait été mis en vente, et ses parents, son mari et elle avaient mis leur argent en commun et avaient acheté l'immeuble. Les parents avaient fourni 8 000 $ pour l'acompte, et les appelants, 5 000 $. Mme Colangelo avait continué d'y exploiter son entreprise et payait les impôts fonciers sur l'immeuble, ce qui était considéré comme le loyer du salon de coiffure par ses associés et elle. Le loyer provenant du reste de l'immeuble était suffisant pour faire les paiements hypothécaires. En 1985, les parents de Mme Colangelo avaient décidé de prendre leur retraite et avaient transféré à leur fille et à leur gendre, sans contrepartie, la part qu'ils détenaient dans l'immeuble. L'immeuble valait alors 185 000 $, mais la disposition réputée avoir été faite n'avait pas été déclarée par les parents. À partir de ce moment, les deux appelants étaient devenus propriétaires à parts égales de l'immeuble, et Mme Colangelo avait continué à y exploiter son entreprise comme avant, et ce, jusqu'en janvier 1989, date à laquelle ils ont vendu l'immeuble, à un prix de 475 000 $. L'opération s'était conclue vers le début d'avril, et une somme de presque 450 000 $ représentant le produit net avait été payée comptant aux appelants.

[7] Comme par le passé, les appelants avaient fait remplir leurs déclarations de revenus pour 1989 par quelqu'un d'autre, soit une personne qui travaillait pour une agence de voyage et dont la seule compétence tenait au fait qu'elle avait suivi un cours de H & R Block qui devait prétendument la rendre apte à remplir une déclaration de revenus. Comme je l'ai dit, la vente et le gain en capital consécutif à la vente n'avaient pas été indiqués dans les déclarations de revenus. Mme Colangelo a témoigné qu'elle et son mari ne savaient pas qu'ils étaient tenus de déclarer le produit de la vente d'un immeuble. Leur seule autre opération de vente dans le domaine immobilier avait été la vente de leur résidence un certain nombre d'années auparavant, vente qu'ils n'avaient pas déclarée, et rien ne leur était arrivé. Mme Colangelo a témoigné qu'elle ne voyait pas en quoi cette vente-ci pouvait comporter des exigences différentes aux fins de l'impôt sur le revenu. Elle a dit qu'elle avait examiné sa déclaration avant de la signer, mais je conclus qu'elle doit l'avoir examinée plutôt vite, et ce, non pas par négligence, mais parce qu'elle ne s'y connaissait vraiment pas et faisait entièrement confiance à la personne qui avait rempli sa déclaration pour elle. Il est révélateur, je pense, que sa déclaration de revenus pour 1989 fasse bel et bien état, pour la première fois, d'un revenu de placements très important, soit un revenu d'environ 23 650 $. Si elle avait eu l'intention de cacher la vente de l'immeuble, elle devait assurément savoir que la divulgation de ce revenu de location ferait qu'on poserait des questions quant à la source de ce revenu. Je n'ai pas compris que l'avocat de l'intimée soutienne dans sa plaidoirie que son témoignage n'était pas crédible, témoignage que j'accepte en entier. Je conclus que la raison pour laquelle les appelants n'ont pas indiqué le gain en capital dans leurs déclarations de revenus, c'est qu'ils ne savaient pas qu'ils étaient légalement tenus de le faire.

[8] Cette conclusion est étayée par le fait que, en mai 1993, après qu'ils furent contactés par un fonctionnaire de Revenu Canada et qu'on leur eut expliqué clairement qu'ils allaient être assujettis aux cotisations d'impôt et aux pénalités qui en ont résulté, les appelants étaient allés voir la personne chargée de préparer les déclarations de revenus et l'avocat qui avait agi pour eux dans la vente et leur avaient demandé pourquoi ils avaient alors ce problème. L'avocat de l'intimée n'a appelé aucune de ces deux personnes à témoigner, et le seul compte rendu que j'aie est donc celui de Mme Colangelo. Cette dernière a dit que ni l'une ni l'autre de ces deux personnes ne l'avaient avisée des conséquences fiscales de la vente. J'accepte ce témoignage comme étant véridique, bien qu'il doive avoir été évident, du moins pour l'avocat agissant pour eux, qu'un gain en capital imposable était en cause. La réponse de cet avocat à leurs demandes de renseignements semble avoir été qu'ils n'avaient pas sollicité d'avis en matière d'impôt, de sorte qu'il ne leur en avait pas donné.

[9] L'avocat de l'intimée fait valoir que les appelants étaient tenus par la loi de déclarer le gain, que l'ignorance de la loi ne les soustrait pas aux conséquences de celle-ci et que, de toute façon, se retrouvant avec une somme aussi importante pour la première fois de leur vie, ils avaient l'obligation d'obtenir à tout le moins un avis quant à savoir s'il y avait ou non des conséquences fiscales et s'il leur fallait déclarer le gain. L'avocat de l'intimée soutient que le fait qu'ils ont omis de déclarer le gain représente, sinon un aveuglement volontaire, du moins une négligence équivalant à faute lourde.

[10] L'avocat des appelants a fait remarquer que, si les appelants avaient été au courant des conséquences fiscales de la vente du bien, les parents de Mme Colangelo et les appelants auraient différé le transfert aux appelants de la part détenue par les parents; s'ils en avaient différé le transfert jusqu'en 1989, la vente aurait donné lieu à un gain en capital qui, divisé en quatre, aurait été de 1 071 $ pour chacun. L'avocat des appelants soutient donc que, par leur omission de déclarer, ils n'avaient rien à gagner qui n'aurait pu par ailleurs être obtenu bien légitimement. Cet argument perd beaucoup de sa force quand on se rappelle que la décision de ne pas déclarer le gain — si décision il y a eu — a été prise non pas en 1985, mais en 1989. L'impôt en cause par suite de la vente de 1989 est important, de sorte que je ne pense pas que l'on puisse dire qu'il n'y aurait eu aucun avantage économique à tirer d'une non-divulgation. Toutefois, comme je l'ai dit précédemment, je ne crois pas qu'il y ait eu dissimulation délibérée dans cette affaire.

[11] Il est bien établi évidemment que l'ignorance d'une loi pénale n'excuse pas une violation de cette loi. L'élément mental vise l'accomplissement de l'acte; cela n'exige pas une connaissance de la loi enfreinte. Bien que les dispositions en cause ici soient des dispositions pénales de par leur nature même, je ne suis pas convaincu que le législateur entendait qu'elles s'appliquent de telle sorte qu'une personne omettant de déclarer un gain parce qu'elle ne sait pas que la Loi l'oblige à déclarer ce gain doive dans tous les cas en subir les conséquences pénales. L'avocat des appelants ne conteste pas le fait qu'on ne peut se soustraire à l'impôt en plaidant l'ignorance de la loi, et les contribuables ont, conformément à ce raisonnement, payé l'impôt, ainsi que les intérêts y afférents, bien qu'ils ne l'aient fait qu'après avoir interjeté ces appels et avoir pour la première fois obtenu un avis juridique d'une personne compétente. Les dispositions relatives aux conséquences d'une omission de déclarer un gain en capital qui figurent au paragraphe 110.6(6) sont rédigées en termes absolus et peuvent effectivement être très sévères. Si on avait voulu qu'elles s'appliquent à une personne se trouvant dans la position dans laquelle se trouvent ces appelants, je pense que le législateur aurait prévu l'exercice d'un certain pouvoir discrétionnaire dans les cas où il y avait non pas une intention d'éviter illégalement l'impôt, mais simplement une ignorance des conséquences qui s'y rattachent. Après tout, cette disposition a pour objet de dissuader les gens d'éviter sciemment l'impôt et non d'exiger que de simples particuliers se familiarisent avec les dispositions d'une loi dont l'ampleur et la complexité sont notoirement intimidantes pour de nombreux avocats.

[12] À mon avis, dans une affaire comme celle-ci, je suis tenu par la loi non pas d'appliquer automatiquement les dispositions pénales, mais seulement de déterminer si les appelants ont fait preuve d'une négligence équivalant à faute lourde ou d'un aveuglement volontaire en produisant leurs déclarations sans obtenir d'une personne compétente un avis précis quant aux conséquences fiscales de leur gain en capital. Sinon, il n'y aurait aucun moyen de défense pour un contribuable ayant demandé conseil mais ayant été mal conseillé. Cela est conforme au bon sens. C'est également conforme à l'issue de l'affaire Lévesque Estate v. The Queen1, dans laquelle Mme le juge Lamarre Proulx a statué que l'omission de déclarer le gain réalisé sur une disposition réputée avoir été faite ne donnait pas lieu à la conséquence prévue au paragraphe 110.6(6) parce que le contribuable n'était pas au courant de cette disposition et n'avait pas fait preuve d'une négligence équivalant à faute lourde.

[13] L'énoncé généralement accepté comme définissant la faute lourde dans le contexte de la Loi est celui du juge Strayer, titre qu'il portait alors, qui disait dans l'affaire Venne v. The Queen2 :

La "faute lourde" doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi.

[14] Je conviens avec l'avocat des appelants que ce critère doit être appliqué d'une manière incluant des éléments subjectifs et objectifs. L'avocat de l'intimée attire l'attention sur l'importance du gain par rapport à la situation économique antérieure des appelants et sur le fait que Mme Colangelo a dirigé une entreprise pendant 25 ans. Je reconnais que le montant du gain est important et qu'il aurait incité bien des gens à demander conseil. Je ne crois pas qu'il ait eu cet effet-là sur les appelants. S'ils avaient demandé conseil à la personne chargée de remplir les déclarations ou à l'avocat, on en aurait des éléments de preuve. Rien n'indique que ces deux personnes ne pouvaient venir témoigner, et la personne qui avait rempli les déclarations avait été interrogée par un des fonctionnaires de Revenu Canada ayant témoigné.

[15] L'avocat de l'intimée m'a renvoyé à un certain nombre de jugements faisant jurisprudence à l'appui de la proposition voulant que, lorsque le montant non déclaré est important, cela tende à démontrer que le contribuable a fait preuve d'une négligence intentionnelle ou d'une négligence équivalant à faute lourde. La plupart de ces jugements concernent l'omission d'inclure dans le revenu des sommes qui avaient nettement le caractère d'un revenu. Seules les circonstances de l'affaire Holley v. M.N.R.3 ressemblent à celles de l'espèce, mais l'issue de cette affaire-là est fonction du fait que Mme le juge Kempo est parvenue à la conclusion de fait que « l'appelant n'était pas non plus un néophyte en matière de revenu et d'impôt des entreprises » , ce qui fait qu'elle a considéré que l'appelant avait fait preuve d'un aveuglement volontaire et qu'il était donc coupable. Je conclus que c'est tout à fait le contraire en l'espèce.

[16] Les appelants étaient-ils indifférents quant à savoir s'ils respectaient ou non la loi? Leur instruction limitée et la vie relativement simple, peu compliquée, qu'ils menaient me portent à conclure qu'ils n'ont pas fait preuve d'indifférence. Je crois qu'ils n'ont simplement pas pensé qu'ils devaient se préoccuper de la Loi de l'impôt sur le revenu dans le contexte de cette vente. Mme Colangelo avait eu sa propre entreprise pendant presque toute sa vie de travailleuse, mais ce n'était pas une entreprise qui l'obligeait à s'occuper de questions financières. Elle n'avait même pas de système de tenue de livres, gardant simplement ses reçus dans une chemise accordéon jusqu'à la fin du mois. Elle ne faisait pas de planification financière; elle faisait simplement de la coiffure. Peut-être a-t-elle été négligente en ne réfléchissant même pas à la question, mais c'est par simple négligence et non par aveuglement volontaire ou indifférence à la responsabilité qui était la sienne qu'elle a omis de mentionner le gain dans sa déclaration de revenus. M. Colangelo était moins instruit que sa femme. Il avait travaillé comme salarié toute sa vie. Je suis convaincu qu'il était encore moins susceptible qu'elle de se pencher sur les conséquences fiscales de l'opération.

[17] Les appels sont admis, dans la mesure où les appelants ne sont pas assujettis aux pénalités qui avaient été imposées ni aux dispositions du paragraphe 110.6(6). Les appelants ont droit à un seul mémoire de frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de mars 1998.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 2e jour de juillet 1998.

Mario Lagacé, réviseur



1 96 DTC 3250 (résumé).

2 84 DTC 6247, à la page 6256.

3 89 DTC 366.

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