Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date : 19970120

Dossier : 97-131-GST-I

ENTRE :

JULIA M. KURJEWICZ,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a rejeté la demande de remboursement de la taxe sur les produits et services (TPS) pour habitations neuves de 8 750 $ de l'appelante au motif que cette dernière n'a pas présenté sa demande dans le délai de deux ans prescrit au paragraphe 256(3) de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ).

[2] Au cours des années 1993 et 1994, Mme Kurjewicz a demandé conseil à Revenu Canada à plusieurs reprises. Les employés du ministère avec qui elle a parlé lui ont indiqué qu'elle ne pourrait présenter qu'une seule demande et que, par conséquent, elle devrait attendre que la construction soit terminée avant de demander le remboursement de la TPS pour habitations neuves. Un employé du même ministère lui a dit également qu'elle aurait jusqu'à quatre ans pour présenter sa demande de remboursement.

[3] Le litige porte sur la question de savoir si la Couronne est liée par les déclarations faites à l'appelante. Les parties ont admis les faits énoncés au paragraphe 16 de la réponse à l'avis d'appel, qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

b) le 25 février 1992, l'appelante a acheté un terrain situé au 125, Amber Trail, Winnipeg (Manitoba), dont la description légale correspond au lot 17, bloc 6, plan 25476WLTO, dans la paroisse de Kildonan (le « terrain » );

c) l'appelante a par la suite construit et fait construire par des personnes qu'elle a engagées un immeuble d'habitation à logement unique (la « maison » ) sur le terrain;

d) les travaux de construction de la maison ont commencé en mai 1992;

e) l'appelante a pour la première fois occupé la maison le 25 septembre 1992;

f) l'appelante a occupé la maison pendant le reste de la construction;

g) l'appelante a été le premier particulier à occuper la maison après le début des travaux de construction;

h) le ministère a reçu la demande de remboursement de la TPS pour habitations neuves le 18 janvier 1995.

[4] Les parties ont aussi convenu qu’un employé de Revenu Canada avait informé l'appelante que, compte tenu de ces faits, elle avait jusqu'à quatre ans pour demander le remboursement de la TPS. Ce renseignement était inexact. L'appelante disposait de deux ans, à compter du 25 septembre 1992, pour demander le remboursement prévu à l'article 256 de la Loi, et elle a présenté sa demande le 18 janvier 1995. Aucune preuve n'a été présentée et aucun argument n'a été avancé relativement à ces faits convenus.

Thèse de l'appelante

[5] Étant donné les renseignements donnés par des employés de Revenu Canada et vu que l'appelante a agi en fonction de ces renseignements à son détriment, l'intimée ne peut par préclusion modifier aujourd'hui sa position.

[6] L'avocat de l'appelante a ajouté que la Couronne réaliserait ainsi un enrichissement sans cause. L'appelante savait qu'elle avait droit à un remboursement et elle s'est fiée aux déclarations erronées qui lui ont été faites.

Thèse de l'intimée

[7] Aucune décision mettant en cause l'interprétation de la loi par un préposé ou un représentant de la Couronne ne peut lier celle-ci. Par conséquent, si l'appelante prétend que l'appel doit être accueilli en raison des renseignements erronés qui lui ont été fournis par des représentants de Revenu Canada, l’intimé soutient, avec égards, que la préclusion n'est pas recevable contre la Couronne. L'appelante a occupé la maison le 25 septembre 1992, et la maison a été pour la première fois occupée par l'appelante à cette date pour l’application de l'alinéa 256(3)a) de la Loi. L’intimée prétend par conséquent que le délai de deux ans dans lequel l'appelante pouvait présenter sa demande de remboursement est régi par le sous-alinéa 256(2)d)(i) de la Loi et qu'il a commencé à courir le 25 septembre 1992. L'appelante n'a pas droit au remboursement parce qu'elle a omis de présenter sa demande dans les deux ans suivant le jour où elle a pour la première fois occupé la maison après le début des travaux de construction, comme le prévoit le sous-alinéa 256(2)d)(ii) de la Loi.

[8] L'intimée a renvoyé la Cour à plusieurs décisions[1] [2] [3] [4] [5] à l'appui du principe selon lequel la Couronne n'est pas liée par les avis erronés donnés par ses représentants. L'avocat a ajouté que la Cour n'a simplement pas la compétence pour annuler une cotisation, dont tous les aspects juridiques sont par ailleurs valides, en se fondant sur des principes d'equity ou en s'appuyant sur le principe de la responsabilité administrative pour appliquer l'idée qu'un comportement qui peut censément faire l’objet d’une poursuite doit être susceptible de réparation.

[9] Les deux avocats ont invoqué pour le bénéfice de la Cour l'affaire Goldstein, précitée, où le juge Bowman, de la Cour, s'est penché sur la question de la préclusion et a déclaré ceci :

On dit parfois que la préclusion n'est pas recevable contre la Couronne. Cette affirmation n'est pas exacte et semble provenir d'une mauvaise application du terme préclusion. Le principe de la préclusion lie la Couronne, tout comme d'autres principes de droit. La préclusion du fait du comportement, telle qu'elle s'applique à la Couronne, comprend des déclarations de faits de fonctionnaires de la Couronne sur lesquelles le sujet s'est fondé et en fonction desquelles il a agi, à son détriment. La doctrine n'a aucune application lorsqu'une interprétation particulière d'une loi a été communiquée à un sujet par un fonctionnaire de l'État, que le sujet s'est fondé sur cette interprétation à son détriment et que le gouvernement a ensuite retiré ou modifié l'interprétation. Dans un tel cas, un contribuable cherche parfois à invoquer la doctrine de la préclusion. Ce n'est pas approprié, non pas parce que ces déclarations donnent lieu à une préclusion qui ne lie pas la Couronne, mais plutôt parce qu'aucune préclusion ne peut se poser lorsque de telles déclarations ne sont pas conformes au droit. Bien que la préclusion soit maintenent (sic) un principe de droit positif, elle prend son origine dans le droit de la preuve et, en tant que telle, se rapporte aux déclarations de faits. Elle n'a aucun rôle à jouer lorsque des questions d'interprétation du droit sont en cause, car la préclusion ne peut déroger au droit.

La question de l'interprétation de l'alinéa 146(1)c) est une question de droit, et je dois la trancher conformément au droit tel que je le comprends. Je ne saurais éviter cette obligation parce que le ministère du Revenu national peut avoir adopté antérieurement une interprétation différente de celle qu'il avance maintenant. La question n'est pas de savoir si la Couronne est liée par une interprétation antérieure sur laquelle un contribuable s'est fondé. Il est plus exact de dire que les tribunaux, qui sont tenus de trancher les litiges conformément au droit, ne sont pas liés par des déclarations, opinions ou aveux relatifs au droit de la part des parties.

L'application de la règle dans l'affaire Maritime Electric et les nombreuses autres affaires à cet effet peut avoir, dans des cas particuliers, des conséquences malheureuses pour un contribuable qui, de bonne foi, se fonde sur une interprétation ministérielle qui est par la suite modifiée. Néanmoins, il n'est pas dans l'intérêt de la justice que les tribunaux soient entravés par des interprétations erronées du droit de la part de fonctionnaires de l'État.

[10] Je souscris à ce résumé du droit de la préclusion et je le fais mien. Évidemment, j'ai tenté de conclure en faveur de l'appelante, mais je ne peux le faire. Je ne saurais me soustraire à mon obligation d'interpréter le paragraphe 256(1) conformément au droit.

[11] Le juge Beaubier, de la Cour, s'est penché sur une situation factuelle presque identique dans l'affaire Kielau, précitée. Je souscris à son raisonnement et à la conclusion à laquelle il est arrivé au dernier paragraphe, qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Shirley Kielau a témoigné qu'elle avait à deux reprises appelé des fonctionnaires de Revenu Canada chargés de l'application de la TPS et qu'on lui avait confirmé qu'elle avait quatre ans, après le début de l'occupation, pour demander le remboursement. Le premier appel a été fait bien avant que le délai de deux ans soit expiré. Lorsqu'elle a reçu la documentation relative à la demande après le deuxième appel, elle s'est rendue compte que c'était le délai de deux ans, et non celui de quatre ans, qui s'appliquait à leur situation. Elle estime, on le comprend très bien, que la doctrine de la préclusion devrait s'appliquer dans les circonstances. Malheureusement, le droit établi en la matière est que la loi, et non les déclarations de fonctionnaires de Revenu Canada, prévaut. Pour ce motif, l'appel est rejeté.

[12] Au nom de l'équité, de la justice et du bon sens, je ferai les remarques suivantes. La loi sur la TPS est nouvelle et elle est trop complexe pour que la plupart des contribuables puissent la comprendre sans obtenir des conseils éclairés. Il ne fait aucun doute que l'appelante avait droit à un remboursement. L'article 256 est conçu pour accorder au contribuable un remboursement pour habitations construites par le propriétaire lui-même si une demande est faite à cette fin au plus tard deux ans après que l'immeuble est pour la première fois occupé et que les travaux de construction sont achevés en grande partie. L'appelante a pris des mesures raisonnables pour faire en sorte d'obtenir ce remboursement. Malheureusement, ni moi ni les employés de Revenu Canada ne pouvons modifier la loi qui édicte clairement que, compte tenu des faits en l'espèce, une demande doit être présentée dans les deux ans.

[13] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de janvier 1998.

C. H. McArthur

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 2e jour de juillet 1998.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]               Ernest G. Stickel and M.N.R., [1972] C.T.C. 210;

[2]               Globe Construction Company. (1976) Ltd. and The Queen, [1994] G.S.T.C. 30.

[3]               Stanley Goldstein and The Queen, [1995] 2 C.T.C. 2036.

[4]               Patten Packaging Limited and The Queen, 1997 CanRepNat 1398.

[5]               Darrell Kielau and The Queen, 1997 CanRepNat 1359.

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