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Date: 19990401

Dossier: 96-2202-IT-G

ENTRE :

L'ASSOCIATION D'ASSURANCES DU BARREAU CANADIEN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] L'appelante a été constituée en personne morale au moyen de lettres patentes datées du 17 août 1981 aux termes de la Loi sur les corporations canadiennes. Il s'agit d'une organisation sans but lucratif; plus particulièrement, ses objets, aux termes de la partie III des lettres patentes (pièce 1), sont énoncés comme suit :

[TRADUCTION]

III

Les objets de la société sont les suivants :

a) offrir des régimes d'assurance ainsi que des régimes et des avantages semblables aux professionnels du droit au Canada ainsi qu'aux autres personnes que le conseil d'administration peut déterminer de temps à autre;

b) négocier et conclure des contrats avec des compagnies d'assurance relativement aux régimes d'assurance et aux avantages mentionnés en a) ci-dessus;

c) superviser l'offre, à certaines personnes déterminées par le conseil d'administration de temps à autre, de fonds et de régimes de pensions ou de retraite dont des régimes enregistrés d'épargne-retraite et des régimes enregistrés de revenu de retraite;

d) préparer et distribuer des documents d'information au sujet des régimes d'assurance et des régimes enregistrés d'épargne-retraite ainsi que des avantages offerts;

e) assurer les services administratifs nécessaires pour offrir et superviser les régimes d'assurance et les régimes enregistrés d'épargne-retraite ainsi que les avantages;

f) exécuter toutes autres activités qui sont accessoires à l'atteinte des objets mentionnés ci-dessus ou qui en favorisent l'atteinte.

La société n'est en aucun cas constituée et administrée pour réaliser des bénéfices.

[2] De 1986 à 1994 inclusivement, soit sur une période de neuf ans, l'appelante a déclaré des bénéfices aux fins de l'impôt sur le revenu au cours de chacune des années 1986, 1987, 1988, 1989, 1993 et 1994. Elle a déclaré des pertes dans les années 1990, 1991 et 1992. Le ministre du Revenu national a établi des cotisations aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu relativement aux années d'imposition 1986, 1987, 1988 et 1994. Pour établir ces quatre cotisations, le ministre a formulé comme hypothèse que l'appelante n'était pas constituée ni administrée pour exercer une activité non lucrative. L'appelante a interjeté appel de ces quatre cotisations au motif qu'elle est exonérée d'impôt aux termes des dispositions de l'alinéa 149(1)l) de la Loi, qui est ainsi libellé :

149(1) Aucun impôt n'est payable en vertu de la présente partie, sur le revenu imposable d'une personne, pour la période où cette personne était :

[...]

l) un cercle ou une association qui, de l'avis du ministre, n'était pas un organisme de bienfaisance au sens du paragraphe 149.1(1) et qui est constitué et administré uniquement pour s'assurer du bien-être social, des améliorations locales, s'occuper des loisirs ou fournir des divertissements, ou exercer toute autre activité non lucrative, et dont aucun revenu n'était payable à un propriétaire, un membre ou un actionnaire, ou ne pouvait par ailleurs servir au profit personnel de ceux-ci, sauf si le propriétaire, le membre ou l'actionnaire était un cercle ou une association dont le but premier et la fonction étaient de promouvoir le sport amateur au Canada;

[3] Les parties conviennent que l'appelante a satisfait à toutes les conditions énoncées à l'alinéa 149(1)l), à l'exception des deux conditions contestées par l'intimée, soit : (i) l'appelante était constituée pour exercer une activité non lucrative; et (ii) l'appelante était administrée pour exercer une activité non lucrative. Il s'agit là de la principale question à trancher dans les appels visant les quatre années d'imposition. Il y a une seconde question en litige concernant le calcul du revenu imposable de l'appelante pour les années 1987 et 1988, mais celle-ci devra être tranchée uniquement s'il est déterminé que l'appelante n'est pas exonérée d'impôt. À la suite d'une entente entre les avocats, aucune preuve n'a été produite concernant la seconde question. Par conséquent, dans les présents motifs du jugement, je ne m'intéresserai qu'à la question principale.

[4] Seul Me Charles D. Whelly, un avocat admis au barreau du Nouveau-Brunswick en 1978, a témoigné à l'audition des présents appels. Me Whelly a été nommé administrateur de l'appelante en août 1985 et a occupé ce poste jusqu'au 30 novembre 1995. En 1987, il est devenu membre du conseil de gestion, qui est en quelque sorte le comité de direction de l'appelante. En 1989, il est devenu vice-président de l'appelante. Il a été nommé président intérimaire à la fin de 1990 et a occupé ce poste jusqu'au 30 novembre 1991 lorsqu'il a été nommé président pour un mandat de deux ans, jusqu'au 30 novembre 1993. Il a fait partie du conseil de gestion de 1987 au 30 novembre 1995. J'ai été très impressionné par la connaissance intime que Me Whelly avait de l'appelante, de son histoire et de son fonctionnement. Il a commencé son témoignage en relatant comment l'Association du Barreau canadien (“ ABC ”) en est venue à s'intéresser aux besoins des avocats en matière d'assurance. Une partie des renseignements ainsi fournis permet de situer la question principale.

[5] Depuis les années 1950, les avocats des différentes régions du Canada avaient des programmes d'assurance patronnés. Il s'agit de groupes de produits d'assurance qui, dans une région donnée, sont parrainés par un groupe particulier (des avocats, des médecins, des enseignants, des comptables, pour ne nommer que ceux-là). Les produits d'assurance pouvaient inclure des assurances maladie et accidents, des assurances invalidité, des assurances-vie temporaires ainsi que des assurances frais professionnels pendant une période d'invalidité. Au cours des années 1950 et 1960, les programmes d'assurance patronnés offerts aux professionnels du droit au Canada étaient habituellement des programmes distincts et la gestion en était la plupart du temps confiée à une association d'avocats de comté en Ontario ou à une section provinciale de l'ABC ou au barreau d'une province. Une association d'avocats négociait une entente avec une compagnie d'assurance pour obtenir les produits demandés.

[6] Dans le cas des programmes d'assurance patronnés, l'association d'avocats n'acceptait jamais quelque risque que ce soit, c'est-à-dire qu'elle ne payait aucune prestation. L'entente était toujours conclue avec un assureur commercial autorisé, qui acceptait les risques. L'association d'avocats négociait avec un assureur commercial pour obtenir les produits requis au prix le plus avantageux grâce à son pouvoir collectif d'achat. La section de l'Ontario de l'ABC a mis sur pied un comité d'assurance qui a réussi à persuader les différentes associations d'avocats de comté de fusionner leurs programmes d'assurance de sorte qu'il n'y ait qu'un grand programme pour tous les avocats de l'Ontario. Les avocats d'autres provinces envisageaient de fusionner leurs programmes, et c'est ainsi qu'un programme national pour les avocats a vu le jour.

[7] L'ABC a établi un comité d'assurance spécial qui, au cours d'un certain nombre d'années, a négocié avec les responsables des programmes d'assurance des avocats de diverses régions du Canada pour les convaincre des avantages de grouper le pouvoir d'achat de tous les avocats du Canada. À la fin des années 1970, la plupart des programmes provinciaux avaient été intégrés au programme national. En 1980 environ, l'ABC avait un programme d'assurance véritablement national. Le comité d'assurance spécial de l'ABC était composé de représentants de diverses régions du Canada, mais il n'avait aucun personnel et aucun employé rémunéré. Les services administratifs dont le comité avait besoin avaient été confiés à contrat à Murray Bolger & Associates, qui exploitait une entreprise à titre d'administrateur de régimes d'avantages sociaux.

[8] Murray Bolger & Associates assurait un certain nombre de services pour le programme d'assurance patronné de l'ABC. Il facturait et recueillait les primes au nom de l'assureur. Il faisait la publicité du programme pour persuader le plus grand nombre possible d'avocats d'y participer. Il donnait des conseils d'ordre actuariel au comité d'assurance spécial de l'ABC. Ce comité avait besoin de tel conseils parce qu'il était composé uniquement d'avocats qui ne possédaient pas les connaissances spécialisées nécessaires pour négocier avec les compagnies d'assurance qui fournissaient les produits. Les conseils actuariels permettaient aux avocats de négocier des programmes d'assurance adaptés à leurs besoins comportant des conditions plus avantageuses et des primes plus faibles que celles offertes sur le marché libre. Cette situation a prévalu jusqu'en 1981 quand un changement important s'est produit.

[9] En 1980 environ, un avocat est décédé après avoir laissé expirer sa police d'assurance-vie. Sa veuve a intenté une poursuite contre l'assureur et l'ABC. Les dirigeants de l'ABC ne s'attendaient pas à ce que cette dernière soit poursuivie en raison de ses activités dans le domaine de l'assurance et, par conséquent, l'ABC a conclu que toutes les activités liées à l'assurance devraient être exercées par une organisation distincte n'ayant pas de lien avec elle. C'est ainsi que l'Association d'assurances du Barreau canadien (l'appelante en l'espèce) a été constituée. À peu près à la même époque, le comité d'assurance spécial de l'ABC avait été informé qu'une fois que son programme aurait pris suffisamment d'ampleur il devrait reprendre à son compte les fonctions administratives qui avaient précédemment été confiées à contrat. Le comité a conclu en 1980-1981 que son programme avait pris suffisamment d'ampleur. Au moment de sa constitution en 1981, l'appelante a décidé qu'elle assumerait toutes les fonctions administratives qui avaient précédemment été confiées à contrat. Par suite de cette décision, l'appelante a ouvert un bureau à Ottawa et a embauché un directeur des assurances et cinq ou six commis.

[10] La plus importante fonction de l'appelante est de négocier avec les compagnies d'assurance les produits particuliers compris dans le programme d'assurance et le coût de ces produits. Par exemple, toutes les assurances-vie comprises dans le programme de l'appelante contiennent une disposition selon laquelle l'avocat qui devient invalide est exonéré du paiement des primes. Cette disposition ne coûte que quelque 4 % de plus alors que la même disposition coûterait quelque 15 % de plus si l'assurance-vie était acquise à l'extérieur du programme de l'appelante. Cette dernière négocie également des primes plus stables pour éviter la pratique, courante dans le secteur de l'assurance, qui consiste à augmenter et à abaisser les primes en fonction des résultats techniques. Étant donné que l'appelante a ce qu'on pourrait appeler un marché captif ou un marché spécialisé qui est intéressant pour les vendeurs d'assurance, elle peut négocier des taux de commission avantageux avec les compagnies d'assurance et les représentants commerciaux pour les produits offerts dans le cadre de son programme. Les commissions exigées sur ces produits sont inférieures à celles qui seraient normalement exigées pour de tels produits à l'extérieur du programme patronné.

[11] L'appelante fait office de comité de révision lorsque la demande de règlement d'un avocat est rejetée par la compagnie d'assurance. Habituellement, l'appelante donne raison à l'assureur, mais il lui est arrivé de le persuader de changer d'avis. Depuis 1981, l'appelante, par le truchement de son bureau administratif, tient à jour la liste des avocats assurés et envoie les factures nécessaires pour le paiement des primes. Elle recueille les primes et les remet à la compagnie d'assurance fournissant le produit. Elle ne garantit aucun risque; ce sont les compagnies d'assurance autorisées qui le font. L'appelante n'exploite pas une entreprise de courtage; elle ne reçoit aucun pourcentage des commissions découlant de la vente d'assurance à ses membres. Les commissions sont versées par les compagnies d'assurance aux représentants commerciaux qui vendent les produits. Ceux-ci n'ont pas le droit de vendre à un avocat un produit d'assurance en dehors du programme de l'appelante s'il s'agit d'un produit patronné compris dans le programme.

[12] La pièce 4 est un organigramme de la direction de l'appelante depuis 1992. Auparavant, le directeur des assurances et son personnel de cinq ou six employés se trouvaient à Ottawa. L'appelante avait toutefois un directeur de la commercialisation à Toronto parce qu'il devait se rendre fréquemment dans les autres villes du Canada. En 1992, l'appelante avait son siège social à Ottawa et un plus petit bureau à Toronto. Elle a décidé de fusionner les deux bureaux à Toronto afin de se rapprocher du secteur de l'assurance et des conseillers professionnels dont elle allait avoir besoin. D'après la pièce 4, le conseil d'administration est composé d'avocats volontaires venant d'un peu partout au Canada. Le conseil de gestion et les cinq comités sont tous constitués de petits groupes d'administrateurs qui sont, par conséquent, également des volontaires. Lorsque les deux bureaux ont été fusionnés à Toronto en 1992, le directeur des assurances à Ottawa a refusé de déménager à Toronto de sorte que l'appelante a engagé un nouveau directeur exécutif à titre de premier dirigeant. Elle a également embauché un directeur administratif. Le directeur de la commercialisation se trouvait déjà à Toronto. Depuis 1992, ces trois cadres supérieurs, qui figurent sur la pièce 4, plus une dizaine de commis environ travaillent au bureau de l'appelante à Toronto.

[13] Avant 1992, l'appelante avait trois sources principales de revenu annuel, qui seront décrites plus longuement ci-dessous, mais qui peuvent être résumées de la manière suivante :

1. Le montant retenu : des frais administratifs de 5 % que l'appelante retenait (sur toutes les primes) au titre des services administratifs.

2. Le montant remis : un montant que la compagnie d'assurance remettait à l'appelante chaque année (compte tenu des résultats de l'année) conformément à une entente sur les retenues pour frais et divers afin de financer une réserve de stabilisation.

3. Le revenu de placement : le revenu tiré de l'investissement des réserves de stabilisation.

La pièce 5 est un tableau, intitulé [TRADUCTION] “ Représentation graphique des mouvements de trésorerie avant décembre 1992 ”, que Me Whelly a utilisé pour décrire les trois principales sources de revenu annuel résumées au paragraphe précédent. J'ai déjà décrit les services administratifs confiés à contrat que l'appelante avait repris à sa charge en 1981. Ces services ont continué de prendre de l'ampleur du fait de l'augmentation du nombre d'avocats participant aux programmes d'assurance de l'appelante. Ces services sont décrits à la gauche de la pièce 5, dans la case comportant sept postes, sous la rubrique “ Frais généraux ”. L'appelante avait besoin d'une source de revenu pour payer ces services. Elle recueillait toutes les primes d'assurance dans la catégorie service intégral (assurance-vie, assurance invalidité, assurance frais professionnels, etc.). Elle négociait avec les assureurs pour conserver 5 % du total des primes à titre d'indemnisation pour les services administratifs fournis. Le montant correspondant à 5 % des primes est la première source de revenu décrite précédemment, soit le “ montant retenu ”.

[14] Afin de décrire plus facilement les mouvements de trésorerie figurant sur la pièce 5, je représenterai le tableau comme une carte sur laquelle les fonds allant de gauche à droite vont vers l'“ est ” et les fonds allant de haut en bas vont vers le “ sud ”, et vice-versa. Dans le coin supérieur gauche, l'appelante envoie les factures à l'ouest, aux avocats et aux personnes qui y sont assimilées (les “ assurés ”) qui participent aux programmes de l'appelante. En échange, l'assuré envoie les primes à l'est, à l'appelante qui dépose alors le montant intégral dans un compte conjoint qu'elle détient avec l'assureur. Ce compte conjoint est la petite case dans laquelle est inscrite la lettre “ A ” en haut au centre de la pièce 5. À même ce compte conjoint, (i) les frais administratifs de 5 % (c.-à-d. le montant retenu) sont répartis entre l'appelante et l'ABC à raison de 4 % à l'ouest, à l'appelante, et de 1 % au sud, à titre de frais d'utilisation, à l'ABC; (ii) les commissions de vente négociées et les frais de service sont payés au nord, à l'agent; et (iii) le solde des primes est versé à l'est, à l'assureur.

[15] La deuxième source de revenu, à savoir le montant remis, est plus compliquée et découle de ce que l'appelante appelle les ententes sur les retenues pour frais et divers conclues entre l'appelante et l'assureur. À même les primes, l'assureur doit payer ses propres frais et les sommes assurées en règlement de toute demande valable qui lui est présentée. Il est impossible de prévoir ce que seront les demandes de règlement dans une année donnée. Au cours d'une période donnée, il y aura des années où le montant des primes recueillies suffira pour payer les frais de l'assureur et les prestations et même dégager un reliquat que j'appellerai un excédent; d'autres années, par contre, il y aura un manque à gagner. Les années où les primes recueillies suffisaient amplement et donnaient lieu à un excédent, celui-ci était mis de côté. Les autres années, l'appelante prenait une partie de l'excédent pour subventionner le programme. On visait ainsi à ce que, à long terme, les assurés ne paient que le coût véritable de l'assurance. Dans l'esprit de l'appelante, le coût véritable correspond à la somme des dépenses se rapportant à un programme et des demandes de règlement effectivement faites par les avocats participant à ce programme.

[16] Les ententes sur les retenues pour frais et divers avaient principalement pour but la stabilisation des primes à long terme. L'appelante (et, avant 1981, l'ABC) voulait que les primes soient stables. Elle cherchait à éviter les fluctuations des primes, à la hausse et à la baisse, du fait que l'assureur chercherait à réagir rapidement aux fluctuations de ses résultats techniques. Au paragraphe précédent, l'excédent dont j'ai dit qu'il était “ mis de côté ” était en fait la “ réserve de stabilisation ”. Cette appellation lui vient de sa fonction qui était de stabiliser les primes. Avant 1985, les réserves de stabilisation étaient conservées par les assureurs respectifs, mais elles faisaient l'objet de rapports (sur leurs montants) à l'ABC et plus tard à l'appelante. En 1983, ces réserves étant devenues importantes, l'appelante s'est demandé ce qu'il en adviendrait si un assureur devenait insolvable. En 1985, au moyen d'une entente, chaque réserve de stabilisation a été transférée par l'assureur à l'appelante.

[17] L'assureur était tenu de remettre à l'appelante chaque année un rapport (appelé “ rapport sur les résultats techniques ”) qui indiquait les primes recueillies, les primes dépensées, ce à quoi elles servaient ainsi que les frais ou les coûts auxquels elles étaient imputées. À la fin de chaque année, selon le résultat indiqué dans le rapport, l'assureur pouvait être appelé à remettre un montant à la réserve de stabilisation de l'appelante ou, parce qu'elle conservait en fait cette réserve, l'appelante pouvait être appelée à verser un montant à l'assureur. On trouve un certain nombre de rapports sur les résultats techniques à la pièce 3.

[18] L'entente sur les retenues pour frais et divers relative aux assurances-vie temporaires commence à la page 71 de la pièce 1. Selon Me Whelly (page 82 de la transcription), la représentation graphique des mouvements de trésorerie à la pièce 5 reflète le contenu de cette entente. Je reprendrai la description de la pièce 5 qu'a faite Me Whelly. Au paragraphe 14 ci-dessus, j'ai mentionné le compte conjoint, qui est la petite case portant l'inscription “ A ” en haut au centre de la pièce 5, et j'ai décrit comment le solde des primes est versé à l'est, à l'assureur. S'il n'y avait pas d'entente sur les retenues pour frais et divers, l'assureur conserverait tout simplement le solde des primes. Aux termes de l'entente en question, toutefois, l'assureur doit effectuer certains calculs dans le rapport sur les résultats techniques. Il peut déduire, entre autres, certains frais, les demandes de règlement, les réserves réglementaires et les taxes qui sont décrits à la droite de la pièce 5, dans la case comportant six postes, sous la rubrique “ Frais de souscription et d'émission ”. L'un des six postes, intitulé “ Autres frais de WCL ”, englobe la marge bénéficiaire de l'assureur que ce dernier a négociée avec l'appelante.

[19] Le rapport sur les résultats techniques pour une année donnée permet de déterminer si l'assureur fait un paiement à la réserve de stabilisation de l'appelante ou si l'appelante retire de l'argent de sa réserve de stabilisation pour faire un paiement à l'assureur. La formule est indiquée au bas de la pièce 5. Si, en soustrayant le total (i) des commissions de vente, frais de service et frais administratifs indiqués à la case “ A ” du montant net des primes reçues dans une année et en additionnant (ii) les frais de l'assureur indiqués à la case “ B ”, le résultat obtenu était positif, l'assureur faisait un paiement à la réserve de stabilisation de l'appelante. C'est le “ montant remis ” décrit au paragraphe 13 ci-dessus, soit la deuxième source principale de revenu annuel. Si le résultat du même calcul était négatif, l'appelante retirait un montant de sa réserve de stabilisation et faisait un paiement à l'assureur.

[20] Il y avait deux limites quant au montant que l'appelante pouvait être tenue de verser à l'assureur par suite d'un résultat négatif. La limite première était que l'appelante ne pouvait pas être obligée de verser à l'assureur un montant supérieur à celui qu'elle avait dans sa réserve de stabilisation. La seconde limite était que l'appelante n'avait pas à payer quelque prestation ou quelque réserve pour prestations que ce soit. C'était le risque pris en charge par l'assureur. En d'autres termes, si le calcul donnait un résultat négatif, l'appelante ne pouvait pas être tenue de verser un montant supérieur à celui des frais (commissions de vente, frais de service, frais administratifs de 5 %, frais de souscription, frais liés aux demandes de règlement, taxes sur les primes et autres frais de WCL). La troisième source principale de revenu annuel était le revenu tiré de l'investissement des réserves de stabilisation.

[21] Chaque programme d'assurance avait une réserve de stabilisation distincte. Pour les années 1986 à 1994, seules les assurances-vie, assurances invalidité et assurances frais professionnels avaient des réserves de stabilisation. Même si les actuaires de l'appelante ont suivi la réserve de stabilisation de chaque programme au cours des années, ces réserves ont été groupées pour constituer un seul fonds. En théorie, l'appelante ne pouvait en aucun cas être obligée de créer un déficit de la réserve de stabilisation d'un programme particulier, mais elle pouvait le faire de son plein gré.

[22] Comme il a été précisé précédemment, la réserve de stabilisation avait principalement pour but de stabiliser les primes à long terme. Elle visait également des objectifs secondaires. Premièrement, le revenu de placement provenant de la réserve de stabilisation était souvent utilisé pour subventionner les frais de fonctionnement de l'appelante lorsque la somme reçue au titre des frais administratifs de 5 % n'était pas suffisante. Deuxièmement, compte tenu des résultats techniques de l'assureur dans certains programmes, l'appelante était en mesure de négocier de meilleures prestations pour les avocats et les autres assurés sans augmentation des primes parce que l'assureur était persuadé qu'il était suffisamment protégé par l'entente sur les retenues pour frais et divers (c.-à-d. les réserves de stabilisation) si le coût du programme augmentait par la suite. Troisièmement, l'appelante était en mesure de financer certaines études pour déterminer si un nouveau type de programme devait être offert aux avocats. L'existence des réserves de stabilisation et du revenu de placement provenant de ces réserves a permis à l'appelante de payer de telles études.

[23] Me Whelly a décrit une autre utilisation de la réserve de stabilisation à l'avantage des assurés. En suivant de près le programme d'assurance-vie temporaire, l'appelante, aidée de ses actuaires, a été en mesure de déterminer en 1986 que les primes payées dépassaient largement le coût véritable de l'assurance. Elle a alors négocié avec l'assureur une réduction de primes de 10 à 30 % en fonction de la période pendant laquelle l'assuré avait participé au programme; la réduction était directement proportionnelle à la durée de participation. Un assuré qui participait au programme depuis longtemps recevait une réduction de 30 %. Pour 1987, les réductions de primes dans le cas du programme d'assurance-vie se sont élevées au total à 856 786 $. Voir la pièce 3 à la page 539. Sans ces réductions, le programme d'assurance-vie aurait généré une marge positive de 696 496 $ pour l'assureur (voir la page 539); mais après avoir déduit les réductions de primes de 856 786 $, le programme d'assurance-vie a généré une marge négative de 160 290 $ que l'appelante a dû payer à même sa réserve de stabilisation. (À la page 539, une marge négative de 162 290 $ est indiquée, ce qui semble être une erreur.) Il convient de noter que les réductions de primes accordées à un grand nombre d'assurés participant au programme d'assurance-vie en 1987 s'élevaient en tout à 856 786 $, ce qui est bien supérieur au paiement (160 290 $) fait par l'appelante à l'assureur à même sa réserve de stabilisation.

[24] Aux termes des ententes sur les retenues pour frais et divers, l'assureur répondait des trois programmes (assurance-vie, assurance invalidité et assurance frais professionnels) dans ses rapports sur les résultats techniques. Il pouvait utiliser les bons résultats d'un programme pour compenser les mauvais résultats d'un autre afin de déterminer s'il devait ou non faire un paiement à l'une des réserves de stabilisation. Après l'entrée en vigueur des réductions de primes applicables au programme d'assurance-vie, celui-ci a généré une marge négative pendant un certain nombre d'années; toutefois, les marges positives générées par les autres programmes au cours de la même période étaient plus que suffisantes pour couvrir la marge négative du programme d'assurance-vie. Les réductions de primes applicables au programme d'assurance-vie n'ont pas donné lieu à un paiement à l'assureur en 1987 ou en 1988, mais il n'en a pas été ainsi en 1991.

[25] On trouve à la page 149 de la pièce 1 un tableau qui indique combien d'argent contenait la réserve de stabilisation de chaque programme au cours des années 1981 à 1994 et un total pour chaque année. Les réserves totales ont augmenté de manière continue, passant de 5 273 600 $ à 24 336 100 $ pendant les années 1981 à 1989. Au cours des trois années suivantes, soit les années 1990, 1991 et 1992, elles ont chuté à 21 982 500 $, 14 601 900 $ et 7 857 500 $ respectivement. Me Whelly a expliqué que le tableau avait été préparé par les actuaires de l'appelante qui avaient indiqué uniquement l'encaisse des réserves sans effectuer de correction pour tenir compte de deux montants extraordinaires que l'appelante avait payés à même les réserves. Pour 1992, le total indiqué est de 7 857 500 $, mais au cours de cette année l'appelante a versé 2 200 000 $ à Revenu Canada au titre des cotisations faisant l'objet du présent appel; elle a également investi 5 000 000 $ dans sa filiale à 100 %, Chancery Reinsurance Company (“ Chancery ”). Ces deux paiements extraordinaires ont été calculés proportionnellement et imputés aux réserves de stabilisation des trois programmes. S'il n'y avait pas eu ces deux paiements, le total pour 1992 serait d'environ 14 500 000 $. De même, les totaux pour 1993 et 1994 seraient d'environ 14 800 000 $ et 15 600 000 $ respectivement.

[26] Eu égard au tableau figurant à la page 149 (pièce 1), la réserve de stabilisation du programme d'assurance invalidité avait tellement augmenté qu'en 1987 l'appelante a négocié avec l'assureur une augmentation des prestations aux termes du programme. La réserve de ce programme a continué d'augmenter pour atteindre 9 565 400 $ à la fin de 1989. Au cours des cinq années suivantes, soit jusqu'en 1994, la réserve du programme d'assurance invalidité a atteint un déficit de 6 727 100 $, ce qui représente une variation négative totale de 16 292 500 $. D'après Me Whelly, cette variation est principalement attribuable à la récession du début des années 1990 et à l'augmentation importante du nombre de demandes de prestations d'invalidité pour cause de dépression.

[27] En mai 1991, l'assureur a avisé l'appelante qu'il comptait mettre fin au programme d'assurance invalidité le 1er décembre 1991. Pour éviter cela, l'appelante a constitué auprès de l'assureur une réserve pour éventualités égale à 25 % des primes annuelles payables à l'égard des deux programmes d'assurance invalidité. Cette réserve pour éventualités a été constituée à même les réserves de stabilisation. Il s'agissait d'un paiement volontaire mais, d'après Me Whelly, cela concordait avec le but des réserves de stabilisation qui était de stabiliser les primes et les prestations. Un autre paiement volontaire a été fait à l'assureur pour subventionner le programme de réduction de primes. Il y a ensuite eu un paiement contractuel à l'assureur aux termes de l'entente sur les retenues pour frais et divers, suivant la formule exposée au bas de la pièce 5. Ces paiements sont indiqués à la page 149 de la pièce 1 là où les montants figurant dans la colonne “ total ” commencent à diminuer après 1989.

[28] Au paragraphe 25 ci-dessus, j'ai résumé le témoignage de Me Whelly quand il a expliqué comment le total de 9 255 500 $ pour 1994 indiqué à la page 149 de la pièce 1 devrait en réalité être de 15 600 000 $ après avoir pris en compte les deux paiements extraordinaires faits à Revenu Canada et à Chancery. Le total corrigé de 15 600 000 $ ne dépasse que de 2 600 000 $ le total de 13 029 000 $ à la fin de 1985. En d'autres termes, même si le total a atteint 24 000 000 $ en 1989, les résultats techniques pour la période de neuf ans, de 1986 à 1994, indiquaient une augmentation nette de 2 600 000 $ seulement dans la colonne “ total ”. De l'avis de Me Whelly, c'est ainsi que les réserves de stabilisation étaient censées fonctionner. Au cours de la même période de neuf ans, les recettes provenant des primes pour ces trois programmes sont passé de 9 500 000 $ en 1986 à 22 500 000 $ en 1994.

[29] L'application des ententes sur les retenues pour frais et divers de la manière indiquée à la pièce 5 a pris fin le 1er décembre 1992. En juin 1992, Chancery a été constituée en personne morale à la Barbade à titre de filiale à 100 % de l'appelante. Le capital versé de Chancery était de 5 000 000 $ et avait été payé par l'appelante à même ses réserves de stabilisation, comme il est décrit au paragraphe 25 ci-dessus. Chancery a convenu avec l'assureur des trois programmes (assurance-vie, assurance invalidité et assurance frais professionnels) de réassurer, à compter du 1er décembre 1992, le risque des programmes de l'appelante. Les ententes sur les retenues pour frais et divers ont pris fin et de nouvelles ententes, devant entrer en vigueur le 1er décembre 1992, ont été signées. Me Whelly a déclaré que les nouvelles ententes étaient davantage des ententes pour la production de rapports parce qu'elles ne pouvaient donner lieu à quelque paiement que ce soit entre l'appelante et l'assureur.

[30] La pièce 6 est un tableau indiquant les mouvements de trésorerie une fois la nouvelle structure mise en place le 1er décembre 1992. Ils commencent de la manière décrite à la pièce 5, l'appelante envoyant les factures, recevant les primes, déposant celles-ci dans le compte conjoint et recevant en retour 5 % au titre des frais administratifs. Les agents sont payés à même le compte conjoint et le solde des primes est versé à l'assureur qui paie alors les frais décrits à la droite de la pièce 6, dans la case comportant sept postes, intitulée “ Frais de souscription et d'émission ”. À la fin de l'année, l'assureur produit un rapport qui est toujours appelé un rapport sur les résultats mais qui ne donne lieu à aucun paiement entre l'appelante et l'assureur contrairement à ce qui se passait auparavant, et qui est décrit à la pièce 5. L'assureur conserve tous les bénéfices et prend en charge toutes les pertes. La principale différence tient à l'association avec Chancery.

[31] L'assureur réassure son risque aux termes des programmes patronnés de l'appelante auprès de Chancery selon les modalités de ce qu'on a appelé une “ coassurance modifiée ”. L'assureur prend en charge 10 % du risque et Chancery, 90 %. S'il y a des bénéfices, l'assureur en conserve 10 % et Chancery reçoit le reste. La coassurance est “ modifiée ” en ce sens que l'assureur conserve toutes les primes jusqu'à la fin de l'année lorsqu'il effectue ses calculs. C'est alors que les bénéfices, le cas échéant, sont partagés de la manière décrite ci-dessus.

[32] D'après les réponses de Me Whelly lors du contre-interrogatoire, Chancery conclut de véritables contrats de réassurance avec des parties sans lien de dépendance et utilise une partie de son capital versé pour acheter de tels contrats. Chancery, une société “ à but lucratif ” située à la Barbade, a des bénéfices non répartis. Depuis que Chancery a fait son entrée en scène le 1er décembre 1992 et que toutes les anciennes ententes sur les retenues pour frais et divers ont été résiliées, il n'y a plus de “ montant remis ” (voir le paragraphe 13 ci-dessus) par l'assureur aux trois réserves de stabilisation. Le niveau des réserves de stabilisation, qui ont été groupées, est maintenu à quelque 10 000 000 $ (depuis décembre 1992) et, selon Me Whelly, le revenu tiré de l'investissement de ce fonds de 10 000 000 $ est utilisé par l'appelante pour subventionner ses frais administratifs.

[33] La pièce 7 indique les revenus (ou les pertes) déclarés par l'appelante aux fins de l'impôt sur le revenu pour les neuf années se terminant le 30 novembre, soit de 1986 à 1994 inclusivement. Les montants sont les suivants :

1986 163 717 $

1987 2 577 277

1988 1 549 925

1989 4 968 767

1989 (869 884)

1991 (6 361 566)

1992 (1 932 215)

1993 40 707

1994 556 791

Total (revenu moins les pertes) 693 519 $

En ce qui concerne les sept premières années, le revenu cumulatif des bonnes années et les pertes cumulatives des mauvaises années s'équilibraient presque à la fin de 1992.

[34] Je dois déterminer si l'appelante est exonérée d'impôt aux termes de l'alinéa 149(1)l) de la Loi (cité au paragraphe 2 ci-dessus). Il est implicite dans la partie introductive du paragraphe 149(1) qu'une personne décrite dans ce paragraphe peut avoir un revenu et un revenu imposable mais être exonérée d'impôt si elle satisfait à certaines conditions. Si le simple fait de tirer un revenu de quelque source que ce soit empêchait une personne de se prévaloir de l'exemption, celle-ci serait alors superflue et inutile. L'exemption n'a de sens que si une personne admissible a un revenu qui peut être exonéré d'impôt. Plus particulièrement, un “ cercle ou une association ” au sens de l'alinéa 149(1)l) peut avoir un revenu, mais celui-ci sera exonéré d'impôt si le cercle ou l'association satisfait aux conditions énoncées dans cet alinéa. Seulement deux des conditions énumérées à l'alinéa 149(1)l) sont contestées en l'espèce, à savoir si l'appelante était constituée pour exercer une activité non lucrative et si elle était administrée pour exercer une telle activité.

[35] Les années 1986, 1987, 1988 et 1994 sont visées par l'appel. Le tableau présenté au paragraphe 33 ci-dessus indique que l'appelante a déclaré un revenu aux fins de l'impôt dans chacune des années visées par l'appel, mais qu'elle a demandé l'exemption prévue à l'alinéa 149(1)l). La principale question à trancher en l'instance est l'objet pour lequel l'appelante était constituée et administrée et si cet objet était une activité lucrative. L'appelante soutient que la gamme d'objets lui permettant de se prévaloir de l'exemption n'est nullement restreinte, à la condition que la réalisation de bénéfices ne soit pas l'un de ces objets. En conséquence, l'appelante reconnaît qu'elle exerce son activité particulière dans un secteur où pullulent les entreprises commerciales (c.-à-d. les compagnies d'assurance), mais elle soutient que cela ne l'empêche pas de se prévaloir de l'exemption si son objet n'était pas une activité lucrative. Elle soutient que son activité non lucrative était de permettre aux avocats canadiens d'avoir facilement accès à certains produits d'assurance à des taux raisonnables et stables. Cela concorde avec l'alinéa a) des objets de la société de l'appelante cité au paragraphe 1 ci-dessus.

[36] L'intimée soutient qu'il est impossible de séparer l'activité censément non lucrative de l'appelante (faciliter l'accès à certains produits d'assurance à des taux raisonnables et stables) de la nécessité de réaliser des bénéfices parce que pour parvenir à stabiliser les primes, étant donné la participation essentielle des compagnies d'assurance, l'appelante devait recevoir une partie des bénéfices des compagnies d'assurance. L'intimée fait également valoir que l'appelante ne pouvait pas recevoir une part des bénéfices de l'assureur sans partager le risque. Dans les observations de l'intimée, le fait pour l'appelante de devoir éventuellement faire un paiement à l'assureur aux termes des ententes sur les retenues pour frais et divers et les restrictions posées par l'assureur quant à l'utilisation par l'appelante des réserves de stabilisation prouvent que l'appelante partageait le risque.

[37] Pour les motifs exposés ci-dessous, j'ai conclu que l'appelante exerçait une activité non lucrative dans les années faisant l'objet de l'appel et qu'elle avait droit à l'exemption aux termes de l'alinéa 149(1)l). Je n'accorde habituellement pas beaucoup d'importance à la clause de la charte d'une société qui décrit les objets de celle-ci, mais c'est un point de départ comme un autre. L'article III des lettres patentes de l'appelante, cité au paragraphe 1 ci-dessus, se termine ainsi :

[TRADUCTION]

La société n'est en aucun cas constituée et administrée pour réaliser des bénéfices.

Pour déterminer le but, l'objet ou le motif, la conduite d'une société est plus importante que l'objet déclaré dans sa charte.

[38] Le règlement administratif no 1 de l'appelante (un long règlement administratif général) prévoit deux catégories de membres : a) les membres actifs, qui sont désignés par le conseil de l'ABC ainsi que certains dirigeants de l'ABC; et b) les membres généraux, qui sont les personnes qui, de temps à autre, constituent les membres en règle de l'ABC. Je note que l'adhésion à l'appelante n'est d'aucune manière limitée aux professionnels du droit au Canada qui achètent un ou plusieurs produits d'assurance par l'entremise de l'appelante. Aux termes de l'article IV des lettres patentes de l'appelante, un membre de l'appelante ne peut recevoir quelque avantage que ce soit au moment de la dissolution ou de la liquidation de celle-ci. La disposition est ainsi libellée :

[TRADUCTION]

[...] Si la société est dissoute ou liquidée, les éléments d'actifs que la société est en droit de distribuer après qu'elle a acquitté ses dettes sont distribués à l'Association du Barreau canadien.

L'ABC elle-même est un organisme à but non lucratif. En ce qui concerne la question de savoir si elle était constituée pour exercer une activité non lucrative, les lettres patentes et le règlement administratif général de l'appelante étayent sa prétention, et aucune preuve du contraire n'a été produite.

[39] En ce qui concerne la question de savoir si l'appelante était administrée pour exercer une activité non lucrative, il est nécessaire de prendre du recul pour examiner tout ce que l'appelante a fait et les raisons pour laquelle elle l'a fait. Me Whelly a clairement précisé que l'appelante était constituée pour permettre aux professionnels du droit au Canada d'avoir accès facilement à des produits d'assurance à des taux raisonnables et stables. Il a été encore plus précis lorsqu'il a déclaré que l'objectif de l'appelante était d'offrir des produits d'assurance au prix coûtant dans la mesure du possible. Il a décrit un certain nombre d'activités de l'appelante et a expliqué comment elle visait à recouvrer les frais de chaque activité. Son témoignage sur ce point n'a pas été contesté lors du contre-interrogatoire quoique l'avocat de l'intimée ait par la suite soutenu qu'un des buts de l'appelante se devait d'être la réalisation de bénéfices si celle-ci voulait atteindre ses objectifs déclarés de stabilisation des primes et de recouvrement des frais.

[40] L'état des résultats de l'appelante semble étayer l'activité non lucrative déclarée de cette dernière. Ces résultats sont indiqués dans la pièce 7 et résumés au paragraphe 33 ci-dessus. Il est établi qu'au cours de la période de sept ans que constituent les années 1986 à 1992, les bénéfices et les pertes se sont équilibrés. En outre, au cours de la période de neuf ans que constituent les années 1986 à 1994, les bénéfices ont dépassé les pertes de seulement 693 519 $ alors que les frais de fonctionnement annuels de l'appelante en 1994 ont dépassé le million de dollars. Ce bénéfice net de 693 519 $ sur une période de neuf ans est encore moins important lorsqu'il est comparé aux recettes brutes provenant des primes qui s'élevaient à quelque 20 000 000 $ en 1994. Voir la pièce 1, page 155.

[41] Il ne fait aucun doute que l'appelante a un niveau élevé d'activité commerciale. Elle envoie les factures et recueille les primes. Elle négocie des taux de commission plus faibles pour les représentants commerciaux. Elle conclut des ententes complexes sur les retenues pour frais et divers avec les assureurs. En outre, au cours des années 1985 à 1992, elle a reçu ou versé un montant chaque année en fonction des résultats techniques de l'assureur. La formule pour déterminer si l'appelante reçoit ou paie un montant est résumée dans la pièce 5 et expliquée au paragraphe 19 ci-dessus. Ce haut niveau d'activité commerciale ne prouve pas en soi que l'appelante exerçait une activité lucrative.

[42] Dans l'arrêt The Gull Bay Development Corporation v. The Queen, 84 DTC 6040 (Cour fédérale, Section de première instance), la société avait été constituée par la réserve indienne de Gull Bay pour promouvoir le bien-être économique et social des autochtones membres de la réserve indienne. Certains d'entre eux étaient employés par la société pour prendre part à l'exploitation de ressources forestières. En 1975, le ministre du Revenu national a établi une cotisation d'impôt sur les bénéfices que la société tirait de son exploitation forestière. La société a soutenu qu'elle était exonérée d'impôt aux termes de l'alinéa 149(1)l). En accueillant l'appel de la société, le juge Walsh a déclaré ce qui suit, à la page 6048 :

La véritable question en l'espèce paraît être que la société n'a pas été constituée, comme l'indique sa charte, pour exploiter une activité commerciale bien qu'il soit manifeste que la société a été constituée parce qu'il était souhaitable de fournir de l'emploi et une formation aux chômeurs indiens de la réserve par l'exploitation d'une activité commerciale susceptible non seulement de fournir ces emplois mais de rassembler des fonds pour les activités sociales et de bienfaisance nécessaires dans la réserve. [...]

Les activités sociales et les activités de bienfaisance de la demanderesse ne sont pas un prétexte pour éviter de payer l'impôt sur une entreprise commerciale mais sont les objets véritables de la société.

[...] L'objet visé à l'alinéa 149(1)l) est “l'unique” objet de la société conformément à sa charte, même si elle se procure les fonds à cette fin par l'exploitation commerciale des ressources forestières.

[43] Dans l'arrêt Gull Bay, les bénéfices provenaient d'une exploitation forestière concurrentielle et n'étaient pas réalisés de manière fortuite, mais il a quand même été statué que la société exerçait une activité non lucrative. La situation de l'appelante en l'espèce est très différente. Elle ne fait pas concurrence à des assureurs ou à des courtiers; elle agit plutôt pour le compte d'une catégorie restreinte de consommateurs. Si l'exploitation forestière concurrentielle décrite dans l'arrêt Gull Bay n'a pas fait perdre à la société son exonération d'impôt, les activités non concurrentielles de l'appelante dans le secteur commercial de l'assurance ne devraient alors pas être considérées comme la preuve d'une activité lucrative.

[44] Lorsqu'il a établi les cotisations faisant l'objet de l'appel en l'instance, le ministre a peut-être été influencé par la taille des réserves. Par exemple, les trois réserves de stabilisation s'élevaient au total à 24 336 100 $ en 1989 et cela, peut-être juste avant que Revenu Canada procède à une vérification. Voir la page 149 de la pièce 1. L'avocat de l'appelante a dit de ces réserves qu'elles étaient essentiellement un trop-perçu de primes. Peut-être a-t-il simplifié à outrance, mais il n'en demeure pas moins que l'appelante a utilisé ses vastes réserves de stabilisation pour augmenter les prestations versées, soit directement soit indirectement. Toutes les réserves ont été utilisées pour stabiliser le programme d'assurance invalidité lorsqu'il s'est mis à enregistrer d'importants résultats négatifs de 1990 à 1994. La réserve du programme d'assurance-vie temporaire a été utilisée pour obtenir des réductions de primes à partir de 1987, de la manière décrite au paragraphe 23 ci-dessus. En outre, le revenu tiré de l'investissement des réserves a été utilisé pour subventionner les frais de fonctionnement de l'appelante.

[45] Dans un monde parfait, le coût de l'assurance pourrait être déterminé chaque année comme on le fait pour un produit fabriqué, mais le monde n'est pas parfait et, en ce qui concerne l'assurance d'un risque particulier, le coût de cette assurance ne peut être déterminé qu'après de nombreuses années. Par conséquent, il n'est pas possible de fixer une prime annuelle en appliquant uniquement le principe du recouvrement des frais. Il me semble que l'appelante a fait ce qu'il lui restait de mieux à faire pour obtenir des primes raisonnables et stables parce que (i) elle a négocié une marge bénéficiaire fixe avec l'assureur; et (ii) elle a exigé de l'assureur qu'il lui remette tout surplus de bénéfices (le “ montant remis ”) afin d'accumuler ces montants dans une réserve pour stabiliser les primes et, si la réserve devenait trop importante, pour obtenir de meilleures prestations pour les assurés, sans augmentation de primes.

[46] Si j'accepte le témoignage non contredit de Me Whelly et les documents produits, comme les ententes sur les retenues pour frais et divers et les tableaux se trouvant aux pages 149 et 155 de la pièce 1, l'existence d'une réserve de stabilisation importante est la preuve qu'il est difficile d'établir d'avance, de manière annuelle, le coût d'un risque assuré. Le fait qu'une réserve particulière puisse devenir très importante, comme celle du programme d'assurance-vie temporaire, ne prouve pas que l'appelante était administrée pour exercer une activité lucrative. Les réserves de stabilisation étaient en réalité un moyen qui permettait à l'appelante d'obtenir des primes stables et raisonnables. Certes, les réserves de stabilisation étaient importantes, objectivement parlant, mais il y avait un rapport relativement stable entre la taille de ces réserves et celle des programmes si l'on tient compte des recettes provenant des primes. Voir la page 155 de la pièce 1.

[47] En examinant les activités de l'appelante dans le secteur commercial, j'ai mis l'accent sur le montant retenu (correspondant à 5 % des primes) et le montant remis (les paiements aux termes des ententes sur les retenues pour frais et divers — 1985 à 1992). Lorsque j'examine la troisième source de revenu de l'appelante, soit le revenu provenant de l'investissement des réserves de stabilisation, il y a encore moins de raisons d'y voir la preuve d'une activité lucrative. Dans l'affaire L.I.U.N.A. Local 527 Members' Training Trust Fund v. The Queen, 92 DTC 2365, le fonds en fiducie avait été créé à l'aide d'une subvention provenant du fonds de formation et de loisirs du syndicat. Le syndicat et l'Association de la construction d'Ottawa avaient tous deux contribué au fonds en fiducie à un taux fixe par employé par heure travaillée. Lorsqu'il a établi la nouvelle cotisation à l'égard du fonds en fiducie pour les années 1985, 1986 et 1987, le ministre a refusé d'accepter la demande d'exemption du fonds en fiducie aux termes de l'alinéa 149(1)l) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le problème semblait découler du fait que, au cours des années visées par l'appel, il s'était accumulé dans le fonds quelque 600 000 $ à 900 000 $ qui n'avaient pas été utilisés à des fins de formation. La question était de savoir si le revenu de placement de ces sommes était assujetti à l'impôt sur le revenu. En faisant droit à l'appel du fonds en fiducie, mon collègue le juge Bowman a conclu que le fonds était une fiducie à fin déterminée et que c'était une association au sens de l'alinéa 149(1)l). Pour ce qui est de la question de savoir si celle-ci était exonérée d'impôt, il a déclaré ce qui suit, à la page 2380 :

Pour qu'une organisation soit exploitée dans le but de réaliser un profit au point de ne pas être admissible à l'exemption prévue à l'alinéa 149(1)l), il lui faudrait faire plus que se borner à gagner passivement un revenu en intérêts. Il faudrait que la réalisation de ce revenu en intérêts constitue à la fois l'un des buts fondamentaux de l'exploitation du fonds et l'un des objectifs principaux de ses activités. La preuve ne permet pas de tirer cette conclusion. Selon la preuve, la réalisation d'un revenu en intérêts n'était pas l'objet — premier ou secondaire — pour lequel le Fonds était exploité. La réalisation d'un revenu en intérêts était simplement accessoire à l'unique objet de l'exploitation du Fonds, soit la formation des membres du syndicat. Il s'agissait d'un moyen pour en arriver à une fin, et non d'une fin en soi.

[48] Je n'ai aucune hésitation à accepter la décision de cette cour dans l'affaire L.I.U.N.A. et à l'appliquer à la troisième principale source de revenu annuel de l'appelante. Cette source de revenu particulière ressemble en tous points au revenu gagné dans l'affaire L.I.U.N.A. et, si l'appelante n'avait aucune autre source de revenu, cette décision permettrait, à mon avis, de conclure en faveur de l'appelante. Toutefois, en l'instance, le fait que l'appelante a deux autres sources de revenu annuel, soit le montant retenu et le montant remis, vient compliquer les choses.

[49] En ce qui concerne le montant retenu correspondant à 5 % des primes, j'ai accepté le témoignage de l'appelante et l'argument selon lequel, sur une base annuelle, le montant retenu est insuffisant pour couvrir les frais de fonctionnement annuels de l'appelante et le manque à gagner doit provenir des réserves de stabilisation. En ce qui concerne le montant remis et son cumul dans les réserves de stabilisation, quoiqu'il découle du rôle que joue l'appelante dans l'entreprise de l'assureur, je conclus que l'augmentation des réserves de stabilisation était attribuable (i) à l'impossibilité d'établir de manière annuelle le coût de l'assurance d'un risque particulier; et (ii) à la nécessité pour l'assureur d'agir avec prudence pour établir le taux des primes applicables à un produit d'assurance particulier. Si je puis me permettre d'adapter les paroles du juge Walsh dans l'arrêt Gull Bay, la tentative de l'appelante d'offrir des produits d'assurance au prix coûtant aux professionnels du droit au Canada n'est pas un prétexte pour éviter de payer l'impôt sur une entreprise commerciale mais est l'objet véritable de l'appelante. En d'autres termes, l'accumulation des montants remis dans les réserves de stabilisation n'était qu'accessoire au véritable objet de l'appelante qui est d'offrir des produits d'assurance au prix coûtant.

[50] Les avocats des deux parties ont cité l'arrêt de la Cour Suprême du Canada Le Commissaire régional à l'évaluation et le greffier de la municipalité de la ville de Hearst c. Caisse populaire de Hearst Limitée, [1983] 1 R.C.S. 57. La Caisse populaire (“ CP ”) avait fait l'objet d'une évaluation d'impôt commercial aux termes de la Ontario Assessment Act à l'égard de son utilisation du bien-fonds qu'elle occupait à des fins reliées à ses activités. L'avis d'évaluation décrivait la CP comme un banquier, mais la CP a réussi à faire annuler l'évaluation par les tribunaux inférieurs. Plus particulièrement, le juge du procès a conclu que l'objet prépondérant de la CP était de “ fournir à ses membres des prêts à taux modéré à des fins de prévoyance et d'activités productives ”. La Cour suprême du Canada a rejeté l'appel de la municipalité. En prononçant le jugement pour la Cour, le juge McIntyre a fait des observations sur le critère de “ l'activité commerciale ” énoncé devant la Cour d'appel de l'Ontario et a ensuite déclaré ce qui suit, à la page 70 :

[...] Bon nombre d'organismes de bienfaisance qui oeuvrent au sein de la collectivité et qui ont recours de temps à autre à des activités qu'on qualifierait de commerciales afin de réunir des fonds pour pouvoir remplir leurs objets, risqueraient, par l'application de pareil critère, d'être considérés comme des entreprises. Attacher une importance primordiale à l'aspect commercial d'une opération litigieuse ne constitue pas, à mon avis, un guide sûr ni utile. J'estime que le critère de l'activité commerciale est trop imprécis pour qu'il puisse être appliqué avec uniformité. Je suis d'accord que, pour décider si une activité peut être qualifiée d'entreprise au sens de l'al. 7(1)b) de The Assessment Act, il faut examiner et apprécier l'ensemble des facteurs pertinents qui s'y rapportent. Cependant, il faut les examiner et les apprécier pour déterminer non pas si, dans un sens général, l'opération est de nature commerciale ou revêt des aspects commerciaux, mais si elle a comme objet prépondérant la réalisation de profits. Si c'est le cas, il s'agit d'une entreprise; dans le cas contraire, ce n'en est pas une.

[51] La Cour suprême du Canada a déclaré que l'“ activité commerciale ” n'est pas en soi un guide utile pour l'application de la Ontario Assessment Act. Si le critère de l'objet prépondérant accepté par la Cour suprême dans l'arrêt Hearst s'appliquait de quelque manière que ce soit aux affaires découlant de l'alinéa 149(1)l), je n'aurais aucune hésitation à conclure que l'objet prépondérant de l'appelante était de favoriser l'accessibilité de certains produits d'assurance au prix coûtant aux membres de la profession juridique au Canada. Étant donné que l'objet prépondérant de l'appelante était de rendre accessible certains produits d'assurance au prix coûtant, elle n'exerçait pas une activité à des fins lucratives.

[52] Je considère la constitution de Chancery, la filiale de la Barbade, comme un faux-fuyant en l'espèce. Sa constitution est attribuable à deux facteurs. Tout d'abord, la disparition de la réserve de stabilisation du programme d'assurance invalidité et l'abandon annoncée du programme par l'assureur ont amené l'appelante à trouver un réassureur pour poursuivre ce programme. Ensuite, l'accès de Chancery au marché de la réassurance aidait l'appelante à obtenir des primes raisonnables et stables. Dans un tout autre ordre d'idée, Chancery est une entité juridique distincte de l'appelante.

[53] Pour en revenir brièvement aux réserves de stabilisation, on pourrait dire que l'appelante garde de l'argent dans ses réserves en prévision des mauvaises années (résultats négatifs). Les réserves importantes ne sont pas l'indication d'une activité lucrative mais d'un service aux membres. Une personne (un particulier ou une société) qui exerce une activité lucrative voudra habituellement récupérer les bénéfices à son profit par le paiement de dividendes ou d'un salaire ou par l'augmentation de la valeur des actions émises. L'appelante n'a pas utilisé les réserves de stabilisation de l'une ou l'autre de ces façons. Lorsqu'elle pouvait le faire, elle diminuait les primes et augmentait les prestations versées aux membres. Il s'agissait de véritables services aux membres qui justifiaient en partie l'appelante de qualifier les réserves de stabilisation de trop-perçu de primes.

[54] À mon avis, l'appelante n'était ni constituée ni administrée pour exercer une activité lucrative. En conséquence, l'appel sur la question en litige principale est admis avec frais. Les avocats des deux parties ont convenu d'attendre que la décision sur la question principale soit rendue pour produire des éléments de preuve au sujet de la seconde question en litige. J'attendrai 30 jours pour signer le jugement officiel au cas où l'une ou l'autre des parties voudrait faire des observations concernant la seconde question en litige.

Signé à Regina (Saskatchewan), ce 1er jour d'avril 1999.

“ M.A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 20e jour de janvier 2000.

Benoît Charron, réviseur

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