Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980622

Dossier: 97-2412-IT-I

ENTRE :

TOM POPOVICH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] Ces appels portent sur les années d’imposition 1992, 1993 et 1994 de l’appelant.

[2] En calculant son revenu pour les années d’imposition 1992, 1993 et 1994, l’appelant a déduit des frais financiers et des frais d'intérêt, soit des montants de 10 711,00$, de 9 862,73$ et de 9 803,00$ respectivement.

[3] En établissant de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1992, 1993 et 1994, cotisations dont les avis ont été envoyés le 18 juin 1996, le Ministre du Revenu national (le “Ministre”) a rejeté la déduction de frais financiers et de frais d'intérêt.

LES FAITS

[4] L’appelant était l’un de quatre actionnaires d’une société appelée Port Hope Investments Corporation (la société). L’unique actif de la société était une propriété appelée “ The Granary ”. L’intention des actionnaires était de rénover cette propriété et de la revendre à profit. Deux hypothèques grevaient la propriété. La deuxième hypothèque était due et le créancier en exigea le paiement. C’est à ce moment-là que deux des quatre actionnaires ont abandonné le projet. Les deux actionnaires qui demeuraient, l’appelant et Leo Hukkano, ont réussi à obtenir le financement dont ils avaient besoin contre une hypothèque sur la résidence principale de l’appelant. Ils ont acquis une cession de l’hypothèque en leur nom propre. Par la suite, l’entreprise de construction qui effectuait les rénovations de la propriété a grevé celle-ci d'un privilège, forçant finalement la vente judiciaire de la propriété. L’appelant et M. Hukkano ont décidé d’acheter la propriété par l’intermédiaire d’une société connue sous le nom de Superior Building Management. Dans le but d'obtenir le financement nécessaire pour effectuer l'achat, l'appelant a consenti à céder à l'établissement prêteur fournissant le prêt hypothécaire la deuxième hypothèque qu'il détenait sur la propriété. M. Hukkano a donc acquis la propriété mais l’a enregistrée sous le nom d’une société dont il était l’unique propriétaire. L’appelant a entamé des procédures civiles contre M. Hukkano, mais a finalement réglé hors cour pour un montant en argent comptant et le rétablissement d’une hypothèque sur la propriété.

[5] Le Ministre s’est fondé sur les hypothèses de faits suivantes:

[...]

(b) vers le, ou le 10 octobre 1986, l’appelant et un associé ont conclu un contrat d’achat et de vente d’un bien-fonds situé au 41-43 rue John, à Port Hope, en Ontario (la “propriété”) dont le prix d’achat était de 139 000,00$;

(c) le 9 décembre 1986 la Port Hope Investments Corporation (la société) a été constituée dans la province de l’Ontario;

(d) le 22 janvier 1987, le titre de la propriété était inscrit au nom de la société;

[...]

(f) le 27 mai 1987, l’appelant et son épouse ont emprunté 125 000,00$ à la Banque canadienne impériale de commerce par le biais d’une première hypothèque sur leur résidence principale;

(g) le 17 septembre 1987, la société a emprunté 150 000,00$ d’une autre société au taux d’intérêt annuel de 14 pour cent, et ce par le biais d’une deuxième hypothèque sur la propriété;

(h) le 7 avril 1989, l’appelant et son épouse ont obtenu, grâce à une deuxième hypothèque sur leur résidence principale, la somme de 125 000,00$ de la Banque canadienne impériale de commerce, à un taux d’intérêt annuel de 15,25 pour cent;

(i) le 14 avril 1989, l’appelant et un associé ont obtenu la cession de la deuxième hypothèque sur la propriété contre la somme de 160 938,49$;

(j) le 16 avril 1991, la propriété a été vendue à Canada Fine Arts & Frame pour la somme de 325 000,00$;

[...]

(m) pour les années d’imposition 1992, 1993 et 1994, l’appelant a déclaré des frais financiers et des frais d'intérêt de 10 711,00$, de 9 862,73$ et de 9 803,03$ respectivement;

[...]

[6] L’appelant a contesté les hypothèses de faits suivantes du Ministre:

[...]

(e) pendant toute la période en litige, l’unique actif de la société était la propriété;

[...]

(k) après la vente de la propriété, le 16 avril 1991, la société n’avait plus d'actifs et a cessé de fonctionner;

(l) après la vente de la propriété le 16 avril 1991, ni l’appelant ni la société ne détenaient d’intérêt en common law ou d'intérêt bénéficiaire dans la propriété;

[...]

(n) les frais financiers et les frais d'intérêt déclarés par l’appelant pour les années d’imposition 1992, 1993 et 1994 n’ont pas été payés en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur de l'argent emprunté en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d'un bien.

LA THÈSE DU MINISTRE

[7] La thèse du Ministre est que les frais financiers et les frais d'intérêt déclarés par l’appelant pour ces années d’imposition n’ont pas été encourus en vue de tirer ou de produire du revenu d’une entreprise ou d'un bien.

ANALYSE

[8] En vertu de l’article 18 de la Loi de l’impôt sur le revenu ( la “Loi”), les intérêts ne sont pas déductibles comme dépense générale d'entreprise. Les professeurs Hogg et Magee expliquent dans leur ouvrage Principles of Canadian Income Tax Law (2e éd., Carswell) à la note en bas de page 36 de la page 234:

[TRADUCTION]

La Cour suprême du Canada semble s’être rangée du côté d’une thèse qui veut que s’il n’existait pas de permission législative pour la déduction des intérêts, les frais d'intérêts demeureraient non déductibles car ils représenteraient un débours de capital qui, selon l’alinéa 18(1) b), n’est pas déductible: Canada Safeway v. M.N.R., [1957] R.C.S. 717, 722-723, 727, [1957] C.T.C. 335, 340-341, 344, 57 D.T.C. 1239, 1241-1242, 1244 (C.S.C.); Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, 45, [1987] 1 C.T.C. 117, 124, 87 D.T.C. 5059, 5064 (C.S.C.). Cette thèse est nettement insoutenable car elle se heurte à la définition bien établie des dépenses en immobilisations..., au traitement fiscal des intérêts comme une source de revenu dans les mains de celui ou celle qui les reçoit, et aux principes de comptabilité généralement acceptés. Cependant, à moins que la Cour suprême ne change de perspective sur cette question, et jusqu’à ce qu’elle le fasse, on sera contraint de se conformer à l’alinéa 20(1)c) si l’on veut déduire les frais d'intérêt.

[9] Le fait que des frais d'intérêt sont déductibles lorsqu’ils sont relatifs à de l’argent emprunté pour tirer un revenu d’une entreprise ou de biens est prévu spécifiquement à l’alinéa 20(1)c) de la Loi. Plus précisément, un contribuable peut déduire:

(c) la moins élevée d’une somme payée au cours de l’année ou payable pour l’année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu), et d’une somme raisonnable à cet égard, en exécution d’une obligation légale de verser des intérêts sur :

(i) de l’argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d’une entreprise ou d’un bien (autre que l’argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré ou pour contracter une police d'assurance-vie),

(ii) une somme payable pour un bien acquis en vue d’en tirer un revenu ou de tirer un revenu d’une entreprise (à l’exception d’un bien dont le revenu serait exonéré ou à l’exception d’un bien représentant un intérêt dans une police d'assurance-vie),

[...]

[10] Quand il s’agit de déterminer si un montant d’intérêts est déductible ou non, les tribunaux ont toujours décidé que c’est l’usage en cours du revenu qui détermine si des intérêts sont déductibles ou non. Ainsi, des sommes empruntées dans le but admissible de produire un revenu, mais qui, par la suite, sont utilisées à d’autres fins non reliées à la production d’un revenu, et donc non admissibles, auront pour effet de rendre les intérêts sur cet emprunt non déductibles dès l’instant où l’usage de ces sommes aura changé.[1] Cette règle empêche un contribuable qui aurait perdu sa source de revenu de déduire les frais d’intérêt.

[11] Dans l’affaire Emerson v. The Queen, 86 DTC 6184 (C.A.F.), confirmant (C.F. 1re inst.) 85 DTC 5236, (permission de faire appel à la Cour suprême du Canada refusée le 12 juin 1986), le juge Heald a dit ce qui suit à la page 6185 :

Nous sommes tous d’avis que le juge de première instance a correctement appliqué les dispositions de l’alinéa 20(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu aux faits en l’espèce. Nous estimons comme lui que la déduction d’intérêts prévue à cet alinéa nécessite essentiellement l’existence continue de la source à laquelle se rapportent les frais d’intérêts. Nous estimons également que lorsque la source a pris fin, comme c’est le cas en l’espèce, les frais d’intérêts ne sont plus déductibles. S’il se posait le moindre doute quant à savoir s’il faut interpréter les mots “ a business or property ” de la version anglaise du paragraphe 20(1) comme si l’article indéfini “ a ” était répété devant le mot “ property ”, ce problème potentiel serait aussitôt résolu par la version française de la loi, où l’article indéfini est placé devant chacun des deux noms : “ d’une entreprise ou d’un bien ” (c’est moi qui souligne ). La même chose est vraie pour la version française de la même expression aux paragraphes 9(1), 9(2), 12(1) et 18(1) de la Loi. Par conséquent, il est clair que le mot “ property ” au paragraphe 20(1) ne peut avoir le sens collectif que veut lui attribuer l’appelant.

Conséquemment, l’appel est rejeté. [...]

[12] Voir également Dockman v. M.N.R., 90 DTC 1804 (C.C.I.), Kornelow v. M.N.R., 91 DTC 431 (C.C.I.).

RÉSUMÉ

[13] La propriété qui produisait le revenu a été vendue (le 16 avril 1991). Cette source de revenu pour les années d’imposition n’était plus entre les mains de l’appelant et, par conséquent, n’existait plus. Le fait d’avoir grevé la propriété d’une deuxième hypothèque, lors du règlement hors cour, ne crée pas de façon rétroactive une source de revenu que l’appelant peut déclarer pour la période en question.

DÉCISION

[14] Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de juin 1998.

“ D. Hamlyn ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de novembre 1998.

Mario Lagacé, réviseur



[1]                The Queen v. Bronfman Trust, 87 DTC 5059 (C.S.C.).

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