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Date: 19980223

Dossier: 96-2459-UI

ENTRE :

HELEN DEMMA,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

ABCO TOOL-DIE & MACHINE MANUFACTURING LTD.,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] L'appel en instance a été entendu à Toronto (Ontario) le 20 janvier 1998. L'appelante porte en appel le règlement d’une question par lequel, le 6 novembre 1996, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a déterminé que l'emploi qu'elle a occupé chez Abco Tool-Die and Machine Manufacturing Ltd. (la « compagnie » ) du 16 août 1991 au 20 août 1992 et du 1er octobre 1993 au 25 août 1994 n'était pas un emploi assurable aux termes de la Loi sur l'assurance-chômage (ci-après la « Loi » ). À l'appui du règlement, il a invoqué le motif suivant :

[TRADUCTION]

[...] vous n'étiez pas employée aux termes d'un contrat de louage de services puisqu'il n'y avait pas de relation employeur­-employée entre vous et Abco Tool-Die & Machine Mfg Ltd. De plus, si votre emploi avait été régi par un contrat de louage de services, il aurait été exclu des emplois assurables parce que vous aviez un lien de dépendance et que vous étiez réputée avoir un lien de dépendance avec Abco Tool-Die & Machine Mfg. Ltd.

[2] D'entrée de jeu, je dois dire que, bien que la décision du ministre ait comporté deux volets, à savoir que ce dernier a d'abord déterminé qu'il n'y avait pas de contrat de louage de services puis que, s'il y avait effectivement contrat de louage de services, l'emploi était un « emploi exclu » , l'appel n'a porté que sur le second volet. Le premier volet du règlement n'a pas été mentionné dans la réponse à l'avis d'appel déposé pour le compte du ministre, ni n'a-t-il été mentionné par l'avocat du ministre au cours de l'audition de l'appel. J'ai donc conclu que ce volet du règlement avait été abandonné. Cependant, si j'ai tort de conclure ainsi, je peux affirmer très catégoriquement et en peu de mots qu'il y avait suffisamment d'éléments de preuve établissant l'existence d'un contrat de louage de services et que la décision contraire du ministre était erronée. Mes motifs à cet égard ressortiront au fur et à mesure que je passerai la preuve en revue. Je me prononcerai donc sur l'appel au regard du deuxième volet du règlement, à savoir que l'emploi était un « emploi exclu » .

[3] Selon les faits établis, l'appelante est la fille de Romuald Azgin qui, pendant toutes les périodes pertinentes, détenait la majorité des actions en circulation de la compagnie. Par conséquent, conformément à l'article 3 de la Loi et au paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, en tant que personnes liées, ils sont, en droit, réputés avoir entre eux un lien de dépendance. Il s'ensuit que, sous réserve de l'exception prévue au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, l'emploi en question est un « emploi exclu » et que, par conséquent, il ne donne pas lieu au paiement de prestations d'assurance-chômage lorsqu'il prend fin. Le ministre a déterminé que l'emploi n'était pas visé par l'exception, et l'appelante a contesté cette décision.

La Loi

[4] Sous le régime établi par la Loi, certains emplois sont assurables et donnent lieu au paiement de prestations lorsqu'ils prennent fin, alors que d'autres emplois sont « exclus » et ne donnent droit à aucune prestation lorsqu'ils prennent fin. Les emplois exercés du fait d'ententes de travail conclues par des personnes qui ont un lien de dépendance sont qualifiés d' « emplois exclus » . Les parents et leurs enfants sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance conformément au paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui régit la situation. De toute évidence, ces dispositions visent à éviter qu'une multitude de prestations soient versées sur le fondement d'ententes factices ou fictives.

[5] La sévérité de cette règle est cependant atténuée par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, qui prévoit que l'emploi mettant en cause des personnes liées entre elles est réputé un emploi sans lien de dépendance qui doit par conséquent être traité comme un emploi assurable, dans la mesure où il satisfait à toutes les autres exigences, c'est-à-dire que le ministre est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances (dont celles qui sont énoncées) qu'[elles] auraient conclu entre [elles] un contrat de travail à peu près semblable [si elles] n'avaient pas eu (dans les faits) un lien de dépendance. Il serait peut-être utile de reformuler la façon dont je comprends cette disposition. Aux termes de la Loi, les personnes liées entre elles ne peuvent réclamer de prestations d'assurance-chômage à moins que le ministre ne soit convaincu que, dans les faits, l’accord relatif à l'emploi est le même que celui que des personnes non liées, à savoir des personnes qui n'ont manifestement pas de lien de dépendance, auraient conclu. S'il s'agit d'un contrat de travail à peu près semblable, le législateur a jugé qu'il était à tout le moins juste qu'il soit inclus dans le régime. Cependant, le ministre est le gardien du régime. S'il n'est pas convaincu qu'il s'agit d'un contrat à peu près semblable, la porte reste close, l'emploi demeure exclu et l'employé n'est admissible à aucune prestation.

[6] L'article 61 de la Loi porte sur le règlement de questions par le ministre et les demandes de révision présentées au ministre. Aux termes du paragraphe 61(6) :

[...] le ministre doit, avec toute la diligence voulue, soit régler la question soulevée par la demande [...]

[7] Le ministre n'a donc pas le pouvoir de décider s'il va oui ou non régler la question. Il est tenu par la loi de le faire. S'il n'est pas convaincu, la porte reste close et l'employé n'est pas admissible. Si, cependant, il est convaincu, sans plus de formalités ou sans autre geste de sa part (si ce n'est l'obligation de donner un avis de la décision), l'employé devient admissible à des prestations, à condition qu'il soit par ailleurs admissible. Il ne s'agit pas d'un pouvoir discrétionnaire dans le sens où, s'il est convaincu, le ministre peut alors juger que l'emploi est assurable. Il doit « régler la question » et, selon sa décision, l'emploi est réputé, en droit, mettre en cause des personnes qui ont ou qui n'ont pas de lien de dépendance. En ce sens, le ministre n'a pas de pouvoir discrétionnaire dans le véritable sens du terme car, lorsqu'il prend sa décision, il doit agir de façon quasi judiciaire et il n'est pas libre de son choix. Les différentes décisions de la Cour d'appel fédérale sur cette question révèlent que le même critère s'applique à une myriade d'autres fonctionnaires qui prennent des décisions quasi judiciaires dans nombre d'autres domaines. Voir Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. M.R.N., 178 N.R. 361, Attorney General of Canada and Jencan Ltd., (1997) 215 N.R. 352, et Her Majesty the Queen and Bayside Drive-in Ltd., (1997) 218 N.R. 150.

[8] Le rôle de la Cour, dans le cadre d'un appel, est donc de réviser la décision du ministre et de déterminer s'il y est arrivé légalement, c'est-à-dire conformément à la Loi et aux principes de justice naturelle. Dans l'arrêt Her Majesty the Queen v. Bayside et al., précité, la Cour d'appel fédérale a énoncé certaine questions que la Cour de l'impôt doit examiner lorsqu'elle entend des appels de cette nature : (i) Le ministre a-t-il agi de mauvaise foi ou en s'appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié? (ii) Le ministre a-t-il omis de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes, comme il y est expressément tenu aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii)? ou (iii) Le ministre a-t-il tenu compte d'un facteur non pertinent?

[9] La Cour a ensuite déclaré :

Ce n'est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l'on peut dire qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon contraire à la loi, et donc, que le juge de la Cour de l'impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre eux de lien de dépendance.

[10] L'avocat de l'appelante a fait valoir que, dans l'affaire qui nous occupe, la décision du ministre était fondée sur des faits erronément énoncés. Encore une fois, je dois garder à l'esprit, lorsque j'examine ces prétentions, qu'il n'appartient pas à la Cour de substituer son opinion à celle du ministre. Cependant, si la façon dont celui-ci est arrivé à sa décision était illégale, compte tenu des décisions susmentionnées, la partie touchée des faits énoncés peut être laissée de côté et je dois donc déterminer si la partie qui reste justifie la décision. Si, en eux-mêmes, les motifs sont suffisants pour que le ministre parvienne à une décision, celle-ci doit être maintenue, même si la Cour peut ne pas y souscrire. Si, d'autre part, objectivement et raisonnablement, il n'y a plus aucun motif sur le fondement duquel le ministre peut prendre légalement cette décision, celle-ci peut être infirmée et la Cour peut examiner la preuve qui lui est présentée en appel et prendre sa propre décision. Bref, si le ministre dispose de faits suffisants pour fonder sa décision, celle-ci lui appartient et s'il n'est « pas convaincu » , il n'appartient pas à la Cour de substituer son opinion sur ces faits et de dire qu'il aurait dû être convaincu. De la même façon, s'il est convaincu, il n'appartient pas à la Cour de dire qu'il n'aurait pas dû être convaincu (un scénario peu probable de toute façon). La Cour ne peut intervenir que si la décision est prise de façon inappropriée et qu'objectivement, elle est déraisonnable compte tenu des faits qui ont été présentés régulièrement au ministre.

[11] Mon point de vue est appuyé par un certain nombre de décisions de différents tribunaux d'appel du pays et de la Cour suprême du Canada portant, dans ce dernier cas, sur diverses procédures prévues au Code criminel, qui ont par la suite été examinées par les tribunaux et qui, à mon avis, sont analogues à la situation qui nous occupe. La norme de révision de la validité d'un mandat de perquisition a été énoncée par le juge Cory de la Cour d'appel (tel était alors son titre) dans l'arrêt Times Square Book Store, Re, (1985) 21 C.C.C. (3d) 503 (C.A.), où il a dit qu'il n'appartenait pas au juge qui siège en révision d'examiner de novo l'autorisation qui sous-tend le mandat de perquisition et qu'il ne pouvait pas substituer son opinion à celle du juge ayant décerné le mandat. La première question à résoudre dans le cadre d'une révision est plutôt de savoir si oui ou non il y avait une preuve sur laquelle un juge de la paix agissant de façon judiciaire pouvait déterminer qu'il y avait lieu de décerner un mandat de perquisition.

[12] La Cour d'appel de l'Ontario a réitéré et approfondi ce point de vue dans l'arrêt R. v. Church of Scientology of Toronto and Zaharia, (1987) 31 C.C.C. (3d) 449 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée. En indiquant que le tribunal qui siège en révision devait examiner l' « ensemble des circonstances » , la Cour a dit à la page 492 :

[TRADUCTION]

De toute évidence, si cette conviction (qu'une infraction criminelle a été commise) ne s'appuie sur aucune preuve, on ne peut dire que, dans ces circonstances, le juge devrait être convaincu. Il y a aura en revanche des cas où cette preuve (établissant des motifs raisonnables de croire) existe et où le juge pourrait être convaincu, mais où il ne l'est pas et où il n'exerce pas son pouvoir discrétionnaire pour décerner un mandat de perquisition. Dans ces circonstances, le juge qui effectue le contrôle ne doit pas dire que le juge aurait dû être convaincu et qu'il aurait dû décerner le mandat. De même, si, dans de telles circonstances, le juge dit qu'il est convaincu et qu'il décerne le mandat, le juge qui effectue le contrôle ne peut dire que le juge n'aurait pas dû être ainsi convaincu.

[13] La Cour suprême du Canada a fait sienne cette position dans l'arrêt R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421. Feu M. le juge Sopinka, lorsqu'il a révisé la décision d'autoriser l'écoute électronique, a alors dit :

Bien que le juge qui exerce ce pouvoir relativement nouveau ne soit pas tenu de se conformer au critère de l'arrêt Wilson, il ne devrait pas réviser l'autorisation de novo. La façon appropriée est établie dans les motifs du juge Martin en l'espèce. Il affirme, à la p. 119 :

[TRADUCTION] Si le juge du procès conclut, d'après les documents dont disposait le juge ayant accordé l'autorisation, qu'il n'existait aucun élément susceptible de le convaincre que les conditions préalables pour accorder l'autorisation existaient, il me semble alors que le juge du procès doit conclure que la fouille, la perquisition ou la saisie contrevient à l'art. 8 de la Charte.

Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l'autorisation. Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l'autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision, conclut que le juge qui a accordé l'autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir. Dans ce processus, la fraude, la non-divulgation, la déclaration trompeuse et les nouveaux éléments de preuve sont tous des aspects pertinents, mais au lieu d'être nécessaires à la révision leur seul effet est d'aider à décider s'il existe encore un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l'autorisation.

[14] Cette position paraît avoir été adoptée par la plupart des tribunaux d'appel du pays. Elle me semble des plus pertinentes dans le cadre de la révision du règlement d’une question du ministre, règlement qui constitue aussi une décision quasi judiciaire. (Voir R. v. Jackson, (1983) 9 C.C.C. (3d) 125 (C.A. C.-B.); R. v. Conrad et al., (1989) 99 A.R. 197; 79 Alta. L.R. (2d) 307; 51 C.C.C. (3d) 311 (C.A.); Hudon v. R., (1989) 74 Sask. R. 204 (C.A.); R. v. Turcotte (1988) 60 Sask. R. 289; 39 C.C.C. (3d) 193 (C.A.); R. v. Borowski (1990) 66 Man. R. (2d) 49; 57 C.C.C. (3d) 87 (C.A.); Bâtiments Fafard Inc. et autres c. Canada et autres (1991) 41 Q.A.C. 254 (C.A.); Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général) et autres (1991) 104 R.N.-B. (2d) 1; 261 A.P.R. 1; 55 C.C.C. (3d) 133 (C.A.); R. v. Carroll and Barker, (1989) 88 N.S.R. (2d) 165; 225 A.P.R. 165; 47 C.C.C. (3d) 263 (C.A.); R. v. MacFarlane, (K.R.) (1993) 100 Nfld. & P.E.I.R. 302; 318 A.P.R. 302; 76 C.C.C. (3d) 54 (C.A. Î.-P.-É.).

Première étape : Analyse de la décision du ministre

[15] J'examinerai maintenant en détail la façon dont l'appelante a contesté la décision du ministre par l'intermédiaire de son avocat. Il est ressorti de la preuve que les faits sur lesquels le ministre s'est fondé pour arriver à son règlement ont été rassemblés à partir d'une conversation téléphonique de cinq minutes entre l'appelante et V. Harrypersad, un fonctionnaire du gouvernement, et des réponses à un questionnaire type envoyé à l'appelante par la division des appels de Revenu Canada. Ce questionnaire a été déposé sous la cote R-1 par l'avocat du ministre. Le contenu de la conversation téléphonique de cinq minutes n'a pas été présenté à la Cour et il n'a pas été mentionné; je déduis donc qu'il n'en est rien ressorti d'important.

[16] Les faits sur lesquels le ministre s'est fondé sont exposés au paragraphe 5 de la réponse à l'avis d'appel. Ils sont les suivants :

[TRADUCTION]

a) le payeur a été constitué en société le 25 janvier 1978 et il exploite un atelier d'usinage se spécialisant dans les matrices d'outils et dans la fourniture ou la remise en état de pièces d'automobiles;

b) le payeur exploite son entreprise à longueur d'année;

c) le capital-actions du payeur (société) est structuré comme suit :

Actionnaire % d'actions

Romuald Azgin 76,5

857011 Ontario Ltd. 23,5

d) l'actionnaire majoritaire du payeur (société), Romuald Azgin, est le père de l'appelante;

e) toutes les décisions d'affaires, qu'elles soient de nature financière ou administrative, étaient prises par l'actionnaire majoritaire du payeur (société);

f) l'actionnaire majoritaire du payeur (société) contrôlait tous les aspects des activités quotidiennes de l'entreprise du payeur;

g) au cours des périodes en question, le payeur a employé de 15 à 35 personnes à un moment ou à un autre;

h) au cours des périodes en question, toute entente entre le payeur et l'appelante a été conclue verbalement et le payeur n'a conclu aucune entente ni aucun contrat écrit avec l'appelante;

i) les prétendues fonctions de l'appelante étaient notamment les suivantes :

(i) s'occuper du courrier,

(ii) préparer les dépôts, les déclarations et les renseignements demandés par le gouvernement,

(iii) préparer les rapports financiers, les registres et exécuter les procédures de fin d'exercice,

(iv) assurer la liaison avec les comptables, les avocats, les banquiers et les constructeurs,

(v) superviser le personnel de bureau, corriger les erreurs et partager le travail de tenue de livres;

j) le payeur a retenu les services de trois autres personnes pour effectuer le travail de bureau : deux personnes non liées, à savoir un chef de bureau et un employé de bureau, et la mère de l'appelante;

k) contrairement à l'appelante, l'employé de bureau non lié a travaillé sans arrêt pour le payeur du 1er janvier 1992 au 31 décembre 1994 et il n'a pas été mis à pied pour manque de travail;

l) contrairement à l'appelante, le chef de bureau non lié a travaillé sans arrêt pour le payeur du 1er août 1992 au 31 décembre 1994 et il n'a pas été mis à pied pour manque de travail;

m) contrairement aux employés de bureau non liés, l'appelante travaillait quatre jours par semaine à sa résidence personnelle et un jour par semaine au bureau du payeur;

n) les fonctions exécutées par l'appelante n'étaient pas suffisantes pour la tenir occupée à temps plein;

o) au cours de la première période en cause, c'est-à-dire du 16 août 1991 au 20 août 1992, le payeur a retenu les services de l'appelante pendant 52 semaines au total, et l'appelante a touché un salaire hebdomadaire de 500 $ pendant les 42 premières semaines et un salaire hebdomadaire de 700 $ pendant les 10 dernières semaines;

p) il n'y avait pas de différence importante entre les fonctions exécutées les 10 dernières semaines et celles exécutées les 42 premières semaines de travail, de sorte que l'augmentation de salaire de 40 p. 100 était excessive;

q) contrairement à l'appelante, les employés de bureau non liés n'ont pas obtenu d'augmentation de salaire de 40 p. 100;

r) contrairement aux travailleurs non liés, l'appelante n'était pas supervisée par le payeur dans l'exécution quotidienne de ses tâches, ni n'était-elle contrôlée par le payeur quant à la façon dont elle travaillait;

s) l'appelante a déterminé toutes les modalités de son emploi pour le payeur;

t) l'appelante, même lorsqu'elle ne figurait pas sur la feuille de paie du payeur et qu'elle n'était pas payée pour le faire, a fourni des services au payeur, avant et après les périodes en question;

u) l'appelante est liée à la personne qui contrôle le payeur (société) et elle est par conséquent liée au payeur au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

v) l'appelante et le payeur ont un lien de dépendance;

w) il n'était pas raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[17] L'appelante, son père Romuald Azgin et Allan Dean, le gérant des ventes de la compagnie, ont aussi témoigné.

[18] L'appelante ne conteste pas les hypothèses énoncées aux alinéas 5 a), b), c), d), e), f), h) ou u), mais elle conteste les hypothèses énoncées aux alinéas 5g), i), j), k), l), m), n), p), q), r), s), t), v) et w).

[19] De façon générale, la façon dont les faits énoncés ont été recueillis et présentés au ministre est quelque peu étrange. L'appelante n'a pas eu la possibilité de les contester avant que la décision soit prise et, de fait, elle en a pris connaissance pour la première fois après avoir déposé son appel et avoir reçu une réponse à cet appel de la part du sous-procureur général du Canada. Pour ce qui est de savoir qui a rassemblé la première série de faits et qui a décidé de la façon dont ils ont été présentés au ministre, cela demeure un mystère. Ce qui est clair, c'est que l'appelante n'a pas eu l'occasion de contester ces faits ni de faire des remarques sur ceux-ci avant que la décision du ministre soit prise. Cela ne semble guère conforme aux règles de justice naturelle. Quoi qu'il en soit, c'est ainsi que l'on a fait les choses. Il s'est avéré cependant que la preuve qui m'a été présentée a clairement révélé que nombre des faits énoncés sont complètement erronés. Ils sont tout simplement contraires à la preuve. Je me pencherai sur chacun d'eux à tour de rôle.

[20] Alinéa g) : le nombre d'employés qui travaillaient dans l'usine de l'entreprise a connu d’importantes variations. Dans le bureau, il y avait Romuald Azgin, qui s'occupait de faire fonctionner l'entreprise, Allan Dean, le gérant des ventes, qui passait la moitié de son temps à l'extérieur du bureau, à l'usine de Chrysler, l'appelante, qui était chef de bureau et contrôleur des finances, et Janine Pilarsky, qui a commencé à titre de personne à tout faire dans l'usine de fabrication, et qui a par la suite été formée par l'appelante pour exécuter certaines tâches de bureau. Son expérience et ses connaissances étaient limitées.

[21] Alinéa i) : l'appelante conteste le terme « prétendues » qui n'a pas lieu d'être utilisé dans l'exposé des faits. C'est un terme qui équivaut à porter un jugement, qui prend valeur d'opinion, qui indique que la personne qui a rassemblé les faits ne croit pas l'appelante. Manifestement, cela a plutôt tendance à usurper la fonction du ministre. L'expression « fonctions spécifiées » aurait peut-être mieux convenu et aurait révélé beaucoup moins de partialité.

[22] L'appelante ne conteste pas que les tâches énumérées étaient bel et bien les siennes. Cependant, l'exposé des faits minimise la mesure dans laquelle ces tâches se rapportaient au fonctionnement du bureau, à l'élaboration de systèmes, de programmes informatiques et, de façon générale, à tous les besoins de l'entreprise en matière de comptabilité, de finances, de personnel et d'administration. L'appelante détient un diplôme en gestion des affaires et elle est membre de l'Institut des banquiers canadiens. Elle était gérante d'une succursale de la Banque Royale avant de se joindre à l'entreprise de son père en 1988. Elle était donc parfaitement qualifiée pour occuper le poste et ses fonctions étaient beaucoup plus importantes que ce que l'on donne à croire dans l'exposé des faits. Les renseignements supplémentaires fournis dans sa lettre du 1er juillet 1996 ont été omis de l'exposé des faits et ces renseignements étaient des plus pertinents quant à la décision que le ministre devait prendre. On ne peut dire qu'une chose au sujet de cet alinéa : s'il n'était pas inexact, il était extrêmement partiel et il ne permettait pas de saisir totalement et exactement la situation révélée par la preuve. Il tendait à laisser une fausse impression.

[23] Alinéa j) : L'hypothèse qui y est énoncée est inexacte. La compagnie n'a pas engagé trois autres personnes pour effectuer le travail de bureau. Cet alinéa paraît tenir pour hypothèse que d'autres personnes effectuaient le travail que l'appelante a prétendu avoir effectué. Manifestement, ce ne pourrait être plus faux. Allan Dean travaillait dans le domaine des ventes et il n'avait rien à voir avec le fonctionnement du bureau. Quant à la mère de l'appelante, si elle est venue au bureau, ce ne fut que rarement, et afin d’aider son époux pour l’aspect commercial de l'entreprise. Elle n'avait rien à voir avec le bureau, ou alors bien peu, si ce n'est qu'elle a pu répondre au téléphone à l'occasion. Janine Pilarsky avait d'autres fonctions à l'extérieur, elle a été formée par l'appelante et elle n'avait pas les compétences ni la capacité voulues pour effectuer le travail de celle-ci.

[24] Alinéa k) : Bien que Janine ait travaillé sans arrêt du 1er janvier 1992 au 31 décembre 1994, elle a été absente ou mise à pied à d'autres moments. Le fait de restreindre la période visée dans l'exposé des faits était trompeur car cela donnait l'impression qu'elle avait toujours travaillé.

[25] Alinéa l) : Il n'y avait pas de chef de bureau non lié. Si l'on veut parler d'Allan Dean, c'est clairement inexact puisque ce dernier n'avait rien à voir avec le fonctionnement du bureau. Par conséquent, on donne ici une impression complètement erronée, et le fait énoncé n'était pas pertinent de toute façon.

[26] Alinéa m) : C'est complètement faux et erroné. La preuve révèle clairement que l'appelante a travaillé des heures régulières au bureau, cinq jours par semaine, et que ce n'est qu'occasionnellement et en général certains jeudis matin seulement qu'elle a travaillé à la maison en utilisant son ordinateur. Le genre de travail qu'elle effectuait se prêtait parfois à un tel arrangement. Aucun élément de preuve qui a été présenté au ministre ne pouvait justifier la conclusion qu'elle travaillait à la maison quatre jours par semaine.

[27] Alinéa n) : De toute évidence, cette hypothèse est elle aussi fausse. Cette conclusion ou opinion de la personne qui a rassemblé les faits est totalement injustifiée, compte tenu de la preuve. Les fonctions de l'appelante étaient nombreuses et l'occupaient à temps plein. Lorsqu'elle s'est absentée, il est clair que cela a provoqué un certain chaos au bureau et que les finances de la compagnie s'en sont trouvées perturbées, forçant presque l'entreprise à fermer.

[28] Alinéas o) et p) : Lorsqu'elle a été engagée pour la première fois par son père en 1988, l'appelante était probablement sous-payée compte tenu de ses titres de compétence et de son expérience. Cependant, le travail comportait plus d'aspects pratiques pour elle que son autre emploi à la banque. Elle estimait qu'elle serait davantage appréciée, de sorte que, pour obtenir de meilleures conditions de travail, elle a changé d'emploi. C'est certainement une décision d'affaires qu'elle a dû prendre, en soupesant les conditions de travail et le salaire, et on ne peut rien en inférer de négatif. En 1992, le père a reconnu qu'elle était sous-payée et il a augmenté son salaire. C'était la première augmentation en quatre ans (trois ans de véritable travail). Elle a certes été accordée à un moment où la compagnie éprouvait des difficultés financières, et trois mois avant que l'appelante parte en congé de maternité. Cela soulèverait naturellement des doutes. Toutefois, la preuve a clairement révélé que l'augmentation était justifiée et qu'elle était proportionnée aux responsabilités et à l'expérience de l'appelante. C'est la seule augmentation que cette dernière a obtenue au cours d'une période de sept ans et, dans ce contexte plutôt qu'au regard de la période d'un an mentionnée dans les faits énoncés, elle peut être jugée sous un angle complètement différent. La partialité qui ressort des faits énoncés, où l'on a parlé d'un an plutôt que d'une période plus longue de sept ans, est injuste et trompeuse. Encore une fois, plutôt que de se limiter aux faits, la personne qui a rassemblé les faits a cherché à exprimer une opinion défavorable qui a très bien pu influer injustement sur la décision du ministre. Cela révèle une partialité, et ce n'est pas justifié. Il appartenait au ministre de former sa propre opinion en se fondant sur tous les faits.

[29] Alinéa q) : C'est inexact. L'employée Janine a commencé en 1988 et touchait alors 300 $ par semaine. Au fil des ans, son salaire a été augmenté à 450 $ par semaine, ce qui représente une augmentation de 50 p. 100. C'est ce qui est clairement ressorti des feuilles de paie et, en faisant une telle affirmation, la personne qui a rassemblé les faits a induit le ministre en erreur.

[30] Alinéa s) : C'est erroné. Les modalités d'emploi de l'appelante ont été clairement énoncées par son père, sous réserve de la marge de manoeuvre accordée au titulaire d'un poste de gestion. Il n'y avait rien de mal ni d'anormal dans cette entente et, encore une fois, cet exposé des faits est erroné et, au mieux, il est trompeur.

[31] Alinéa t) : La seule preuve est que, lorsqu'elle s'est absentée du bureau pour prendre un congé de maternité ou pour toute autre raison, l'appelante a pu, et c'est ce qu'elle a fait, donner à son père des conseils verbalement et l’aider relativement à certains problèmes qui ont surgi. Ce n'était pas une tâche ingrate et c'était probablement parfaitement normal.

[32] Alinéa v) : L'appelante conteste la conclusion à laquelle la personne qui a rassemblé les faits est arrivée, et qui n'est pas un fait. Elle signale tous les aspects de son emploi qui, à son avis, indiquent le contraire. Encore ici, il y a confusion quant à ce qui est un fait et ce qui constitue une opinion ou une conclusion fondée sur un fait. Le premier relève de la personne qui rassemble les faits. La deuxième appartient au ministre, sur le fondement de ces faits. Il naît une certaine confusion lorsque des opinions et des conclusions sont présentées au ministre puis qualifiées de faits sur lesquels celui-ci est supposé fonder son opinion.

[33] Alinéa w) : Encore une fois, il ne s'agit pas ici d'un fait, mais de la décision même que le ministre était tenu de prendre sur le fondement des faits.

[34] Quelles sont donc les conséquences de tout cela? N'importe quelle des erreurs contenues dans l'exposé des faits, commise isolément et hors contexte, ne pourrait mener ni ne mènerait la Cour à conclure que la décision du ministre n'a pas été prise légalement. Cependant, aux termes de l'ensemble de l'exposé des faits présenté au ministre, l'appelante n'a pas effectué les tâches énoncées, alors que la preuve a très clairement révélé qu'elle effectuait bien les tâches en question. On a dit de ces tâches qu'elles étaient de « prétendues » tâches, que l'appelante avait travaillé à la maison quatre jours par semaine, que ses tâches ne pouvaient la tenir occupée à temps plein; ses fonctions et responsabilités ont été sous-estimées; on a dit erronément que d'autres personnes effectuaient ses tâches alors que, manifestement, ce n'était pas le cas. Son salaire a été qualifié d' « excessif » alors qu'il était inférieur à ce qu'elle aurait dû toucher compte tenu de son expérience et de ses titres de compétence. Considérées ensemble, toutes ces erreurs créent une impression totalement incorrecte de la preuve véritable. Elles déforment complètement la preuve, de sorte que la véritable situation n'a pas été communiquée au ministre. Ce n'est pas une question d'appréciation des éléments de preuve. Les faits présentés au ministre étaient clairement erronés. Si l'on supprime tous les faits inexacts, il ne reste rien sur lequel le ministre aurait pu raisonnablement et objectivement conclure comme il l'a fait. Le ministre a été induit en erreur. J'hésite à utiliser le terme mauvaise foi; peut-être s'agissait-il davantage d'incompétence. Je répète que la Cour ignore comment ces faits ont été rassemblés, par qui et quand. Il est cependant très clair qu'en l'espèce, il y a eu déformation substantielle des véritables faits. De toute évidence, dans la mesure où des faits, des opinions et des conclusions erronés ont été soumis au ministre, ce dernier a été induit en erreur. Pour les mêmes motifs, il n'a pas tenu compte des véritables faits pertinents. Peu importe la raison pour laquelle l'emploi en question a été dépeint de cette manière au ministre, ces circonstances me mènent à la conclusion inéluctable que sa décision n'a pas été prise de façon appropriée ou légale. Le processus qui a mené à la prise de cette décision manquait un tant soit peu d'impartialité. La décision du ministre ne peut donc être maintenue en droit, et je dois maintenant passer à la deuxième étape de l'appel et déterminer si, compte tenu de l'ensemble de la preuve, les parties, si elles n'avaient pas eu de lien de dépendance, auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable, compte tenu de toutes les circonstances, notamment celles qui sont énoncées explicitement à l'alinéa 3(2)c) de la Loi.

Deuxième étape : Examen de la preuve

[35] J'ai été fort impressionné par les témoignages de l'appelante et de son père. Ils m'ont paru très honnêtes et crédibles. Ils sont bien entendu frustrés car ils croient que le ministre, par l'intermédiaire de ses représentants, ne les a pas écoutés. Leurs témoignages ont été corroborés par Allan Dean, le gérant des ventes de la compagnie. L'appelante était de toute évidence parfaitement qualifiée pour assumer le poste de chef de bureau et de contrôleur des finances de cette compagnie. Elle avait été auparavant gérante de banque. La compagnie avait aussi de toute évidence besoin de quelqu'un possédant ses titres de compétence pour s'occuper du bureau et des questions financières. Au cours de ses absences, il est évident qu'un chaos considérable a régné au bureau et que la compagnie a éprouvé de graves problèmes financiers concernant les comptes clients et autres choses du genre. De toute évidence, on avait besoin d'elle. J'accepte sans aucune réserve son témoignage selon lequel elle a accompli son travail et qu'elle l'a fait, la grande majorité du temps, au bureau. Elle n'a amené du travail à la maison qu'à une seule occasion et elle a effectué le travail en utilisant son ordinateur, lorsque le travail en question s'y est prêté. Je ne crois pas que ce soit inhabituel. Ce genre de travail peut souvent être mieux fait à la maison, où il n'y a aucune interruption. Elle détenait un poste véritable dans l'entreprise et elle effectuait un travail réel. Elle jouissait d'une certaine autonomie qui convient au travail d'un gérant professionnel. Cependant, il n'y a aucun doute dans mon esprit que son père prenait les décisions et qu'elle était certainement soumise à son autorité générale. En écoutant ce dernier témoigner à cet égard, je n'ai éprouvé aucun doute. Le salaire de l'appelante était un peu bas comparativement à celui qu'elle avait touché à la banque. Cependant, les conditions de travail lui convenaient davantage et il y avait moins de stress. C'est elle qui, dans ces circonstances, a décidé d'accepter un salaire moins élevé. Elle ne peut en être pénalisée. C'est ce que la compagnie avait les moyens de lui verser pour le poste en question. Si elle avait touché un salaire plus élevé, le ministre aurait-il dit qu'elle était exclue parce que le travail ne justifiait pas un salaire si élevé? À mon avis, au départ, elle a accepté le poste pour ce qu'il valait aux yeux de la compagnie, elle a fait ses preuves, puis elle a négocié une augmentation de salaire comme l'aurait fait normalement tout autre employé indépendant et compétent. Elle n'a reçu ni plus ni moins que ce que tout autre étranger aurait obtenu. Elle a effectué un véritable travail dans un poste véritable de la compagnie. L'opinion des représentants du ministre selon laquelle elle n'a pas véritablement effectué le travail n'est pas du tout étayée par la preuve et, à mon avis, elle était complètement injustifiée.

[36] Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, tant écrite qu'orale, et les pièces produites, je suis tout à fait convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que, de fait, l'entente était véritable, qu'il s'agissait d'un contrat de louage de services et qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités de l'emploi, ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, que l'appelante et le payeur auraient conclu ce contrat ou un contrat à peu près semblable s'ils avaient eu un lien de dépendance.

[37] L'appel est par conséquent accueilli et la décision du ministre est annulée.

Signé à Toronto (Ontario), ce 23e jour de février 1998.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 6e jour de novembre 1998.

Isabelle Chénard, réviseure

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