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Date: 19990910

Dossiers: 98-995-UI; 98-159-CPP

ENTRE :

HI-RISE ELECTRIC & SIGNS LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

POINT EN LITIGE

[1] La question est de savoir si l'emploi que dix personnes ont exercé pour l'appelante du 1er mars au 20 août 1997 était un “ emploi assurable ” au sens du paragraphe 5(1) de la Loi sur l'assurance-emploi (la “ Loi ”) et un emploi ouvrant droit à pension au sens du Régime de pensions du Canada (le “ RPC ”).

FAITS

[2] Terry Scheiris (“ M. Scheiris ”) a acheté la société appelante en octobre 1995. Il en est encore administrateur et a témoigné pour elle. Peu après l'achat de la société, celle-ci a connu une croissance considérable. Les ventes ont doublé et de nouvelles personnes ont été embauchées. En dépit de la croissance, les niveaux de productivité sont restés bas. Au début de 1997, l'appelante a décidé de changer sa relation avec ses travailleurs : ils ne seraient plus des employés, mais ils auraient la possibilité de signer des contrats pour travailler à des projets comme entrepreneurs indépendants. M. Scheiris a témoigné que ce changement avait été apporté dans l'espoir que les anciens employés aient un meilleur sens des responsabilités concernant leur temps, leur travail, leur matériel, leurs erreurs, etc. À cette fin, il avait consulté les employés ainsi que Revenu Canada et, après avoir reçu des lignes directrices de Revenu Canada, il avait fait établir des contrats et avait de façon générale cherché à se conformer à ces lignes directrices. La demande présentée à Revenu Canada en vue d'obtenir une décision sur la question de savoir si la société avait réussi dans sa mission a échoué. Le présent appel est interjeté à l'encontre de cette décision.

[3] Les dix travailleurs à l'époque de la création de ce nouveau système étaient Marty Laliberte (“ M. Laliberte ”), William Heward (“ M. Heward ”), Trevor Scheiris, Bernadine Nelson (“ Mme Nelson ”), Teresa Nuthall (“ Mme Nuthall ”), Keith Stockbrugger (“ M. Stockbrugger ”), Darren Reiger, Ron Kambeitz (“ M. Kambeitz ”), Stewart Monson (“ M. Monson ”) et Walter Cebuliak (“ M. Cebuliak ”). Parmi ces personnes, seuls M. Kambeitz, Mme Nuthall, M. Laliberte et M. Heward ont témoigné.

[4] Ont été déposées en preuve des copies des contrats intitulés “ entente cadre ” se rapportant à six des personnes susmentionnées et signés par elles. Des contrats semblables n'ont pas été signés par M. Cebuliak, M. Heward, Damon Reiger et Ronald Kambeitz (“ M. Kambeitz ”).

[5] M. Scheiris a témoigné que, lorsque l'appelante recevait un projet d'un client, elle offrait à certains ou à l'ensemble des travailleurs la possibilité de travailler à une tâche particulière, de signer une proposition de prix, de signer une “ convention d'entrepreneur indépendant ” spécifiant les services devant être fournis relativement à cette tâche, la date du début du travail et le délai d'exécution, la rétribution devant être versée au travailleur par l'appelante et la pénalité devant être payée pour retard d'exécution.

[6] M. Scheiris a dit que des taux fixes étaient négociés entre l'appelante et les travailleurs pour les services de ces derniers. Ainsi, un travailleur était payé selon son taux fixe indépendamment de la quantité de temps consacrée. Toutefois, dans les cas où le client de l'appelante payait cette dernière selon un taux horaire pour un travail, l'appelante et les travailleurs négociaient un taux horaire pour les services des travailleurs. Dans ces cas-là, les travailleurs présentaient à l'appelante des factures dans lesquelles était incluse la taxe sur les produits et services, comme il se devait. M. Scheiris a en outre témoigné que les travailleurs n'avaient droit à aucun avantage indirect comme une assurance-maladie, des vacances payées ou des congés de maladie payés. Il a dit que les travailleurs étaient tenus de fournir et de payer tous les instruments de travail nécessaires et qu'ils devaient également payer leurs déplacements, leurs repas, leurs réparations et leur assurance-maladie.

[7] M. Scheiris a témoigné également que les travailleurs avaient bien des libertés. Par exemple, ils pouvaient refuser de travailler à des projets. M. Scheiris a soutenu qu'ils étaient libres d'embaucher et de payer des personnes compétentes pour se faire aider ou se faire remplacer dans des travaux. Il a dit que les travailleurs étaient libres de travailler pour d'autres, qu'ils n'étaient nullement obligés de fournir des services exclusivement à l'appelante et qu'ils étaient libres de choisir leurs heures et leurs journées de travail. Il a témoigné en outre que l'appelante ne leur disait pas comment fournir leurs services.

[8] On a dit à la Cour que, lorsqu'ils étaient des employés, les travailleurs étaient payés à toutes les deux semaines, pour un maximum de 88 heures, les heures en sus étant accumulées de manière à pouvoir prendre des congés. Les travailleurs sont passés à un système dans le cadre duquel ils étaient payés deux fois par mois.

[9] Les contrats renfermaient une clause indiquant que des pénalités pouvaient être déduites des factures du “ sous-traitant ”, à la discrétion de l'appelante. M. Scheiris a témoigné que cette politique avait été établie parce que les heures supplémentaires des travailleurs augmentaient et que les travailleurs tardaient à achever des projets dans le cadre de l'ancien système. Il a témoigné que, si l'appelante était pénalisée, les travailleurs devaient payer des pénalités correspondantes. Le contrat stipulait que, si le travail n'était pas accompli à la satisfaction de l'appelante, le “ sous-traitant [avait] un délai de grâce de trois jours suivant la date de réception pour corriger les défauts ”. Il était également stipulé que le contrat pouvait être résilié à la discrétion de l'appelante si les défauts n'étaient pas corrigés à sa satisfaction.

[10] Le gros matériel était fourni par l'appelante. Les employés fournissaient leurs petits instruments de travail. L'appelante avait confié à MM. Laliberte et Heward des fonctions de surveillance tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'atelier. Les deux étaient payés selon un taux mensuel fixe, quel que soit le nombre d'heures qu'ils consacraient au travail. M. Scheiris a admis que la diversité de leurs responsabilités ne se prêtait guère à un régime selon lequel ils auraient été payés à contrat, projet par projet.

[11] M. Laliberte a témoigné que lui et d'autres travailleurs étaient remboursés des frais engagés quand ils devaient se rendre hors de la ville et des frais relatifs aux petits articles qu'ils achetaient quand ils n'étaient pas à l'atelier. M. Laliberte a dit qu'il avait le droit d'utiliser la carte de crédit de l'appelante servant à l'achat d'essence. Même si les travailleurs étaient libres d'emmener, à leurs propres frais, quelqu'un d'autre pour se faire aider dans un travail, MM. Laliberte et Heward ont tous les deux témoigné que, s'ils emmenaient quelqu'un pour un travail, il est probable que c'était parce qu'ils assuraient une formation à cette personne et qu'ils ne la payaient pas. M. Laliberte a dit qu'il travaillait presque exclusivement pour l'appelante. M. Heward a témoigné qu'il travaillait exclusivement pour l'appelante.

[12] M. Heward a témoigné qu'il ne souhaitait pas être un entrepreneur indépendant et qu'il voulait les avantages correspondant aux retenues faites sur la paye d'un employé. M. Kambeitz, qui, à l'automne 1997, avait demandé à ravoir le statut d'employé, était payé à l'heure pour les services qu'il fournissait. Il était le surveillant des opérations internes et avait le même horaire qu'à l'époque où il était considéré comme un employé. Il a dit qu'il demandait congé quand il voulait prendre congé et que c'était une question de simple courtoisie. Il a également indiqué que le fait qu'il prenne une semaine de congé n'influait pas sur sa rétribution. Il a témoigné que d'autres pointaient à l'arrivée et au départ. Il a dit qu'il n'était pas libre de choisir les travaux qu'il accomplissait. Il a indiqué qu'il avait supervisé Trevor Scheiris, M. Cebuliak et M. Stockbrugger. Sa préoccupation quant au nouveau statut proposé était évidente, comme en témoigne le fait qu'il a consulté un comptable à cet égard.

[13] M. Heward a déclaré qu'il croyait que l'on s'attendait qu'il soit à son lieu de travail au début et à la fin de chaque journée de travail. Il a dit que sa rétribution ne changeait jamais lorsqu'il prenait des congés. Il croyait qu'il ne pouvait embaucher ni renvoyer des travailleurs et que cela relevait plutôt de la “ direction ”, soit de M. Scheiris. Interrogé sur la façon au juste dont il était dirigé par M. Scheiris, M. Heward a témoigné que, chaque semaine, lui et M. Laliberte dirigeaient des réunions où il y avait des discussions sur les projets à venir et sur les questions de savoir quels projets devaient être réalisés, qui travaillait à ces projets, etc. Il a également indiqué qu'il était entendu qu'il n'avait droit qu'à deux semaines de vacances. Il a dit qu'il avait l'impression d'être un employé et que rien n'avait changé pour lui.

[14] Mme Nuthall a témoigné qu'elle fournissait ses petits instruments de travail, par exemple des couteaux. Le gros matériel comme l'ordinateur était toutefois fourni par l'appelante. Lorsqu'elle travaillait à l'heure, Mme Nuthall présentait à l'appelante des factures en conséquence. Elle fournissait les dessins initiaux et, si ceux-ci étaient acceptés par un client éventuel, elle continuait à travailler à contrat, selon les heures inscrites au budget par l'appelante. Elle a témoigné qu'elle était libre de refuser du travail et qu'elle ne l'avait toutefois jamais fait. Elle a dit qu'elle avait eu l'occasion d'embaucher un aide et qu'elle avait été avisée qu'elle devait le payer. Elle avait embauché son mari ou sa fille pour se faire aider dans de gros travaux exigeant deux personnes. Elle a déclaré qu'elle avait également réalisé certains projets pour d'autres compagnies à cette époque. Elle a témoigné que l'appelante établissait son taux horaire et que ses heures de travail étaient consignées sur une feuille de temps. Elle a dit qu'elle pointait à l'arrivée et au départ, aux heures indiquées sur sa feuille de temps. Elle a indiqué qu'elle continuait à faire cela par courtoisie pour l'appelante, qui essayait de tenir un registre des projets en cours. De même, question de courtoisie, elle discutait avec l'appelante des vacances qu'elle désirait prendre.

ANALYSE ET CONCLUSION

[15] La preuve de l'appelante concernant les six personnes qui n'ont pas témoigné visait évidemment l'obtention du résultat recherché par l'appelante.

[16] Il est difficile pour un appelant de réussir en convertissant des employés en entrepreneurs indépendants. Il ne fait guère de doute que M. Scheiris, comme porte-parole de l'appelante, a continué à mener l'affaire relativement aux dix travailleurs. L'élément de contrôle qui était évident tout le temps n'a pas été abandonné par l'appelante. Les travailleurs ont continué à agir comme des employés, bien que s'affichant comme entrepreneurs indépendants, et ce, avec un résultat plus ou moins convaincant.

[17] La preuve relative à l'utilisation d'instruments de travail a peu d'impact. Le gros matériel appartenait à l'appelante. De nombreux employés utilisent leurs petits instruments de travail dans la prestation de services pour leur employeur. Il n'y a eu guère d'éléments de preuve quant à l'existence de chances de bénéfice et de risques de perte. Pour l'essentiel, des assertions ont indiqué que les travailleurs étaient libres de ne pas travailler exclusivement pour l'appelante. En outre, certains éléments de preuve ont révélé que le travail était plus rentable quand on parvenait à exécuter la tâche plus rapidement. Dans la mesure où ce critère est pertinent, la preuve présentée n'est pas convaincante.

[18] Dans l'ensemble, je conclus que l'appelante n'avait guère renoncé à exercer un contrôle sur les travailleurs, voire pas du tout. Le témoignage de M. Scheiris voulant qu'il ait cherché à se conformer aux lignes directrices de Revenu Canada, puis à obtenir une décision de Revenu Canada, indique qu'il essayait de convaincre Revenu Canada afin de réaliser l'objectif de l'appelante et non de prouver que les travailleurs étaient des entrepreneurs indépendants du point de vue du droit, indépendamment des politiques de Revenu Canada. On n'a pas apporté un changement fondamental au statut des employés.

[19] En conséquence, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de septembre 1999.

“ R. D. Bell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 31e jour de mai 2000.

Isabelle Chénard, réviseure

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