Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19981123

Dossier: 97-3314-IT-I

ENTRE :

RICHARD ROMERIL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(rendus oralement à l'audience à Calgary (Alberta) le 20 novembre 1998)

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Au cours de l'année d'imposition 1994, l'appelant et son épouse ont fait un voyage en Europe aux frais de General Motors du Canada Limitée (“ GM ”). Il s'agit de savoir en l'espèce si la valeur de ce voyage représente, en totalité ou en partie, un revenu tiré de l'emploi de l'appelant en vertu du paragraphe 5(1) et de l'article 6 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

[2] L'appelant a été le seul témoin au procès et son témoignage n'a pas été contesté par l'avocat de l'intimée; j'accepte le témoignage de l'appelant dans son intégralité.

[3] En 1994, l'appelant exerçait un emploi comme directeur général de la Calgary Motor Products Ltd. (la “ CMP ”), soit un gros concessionnaire General Motors de Calgary. Cette compagnie concessionnaire était, à l'époque, la propriété exclusive d'un certain Larry Shaw, un entrepreneur ayant divers intérêts commerciaux. Dans le vocabulaire de General Motors, M. Shaw, comme propriétaire unique, était le marchand principal de CMP. M. Shaw était tourné vers l'avenir et considérait, dans le cadre de sa planification successorale à long terme, qu'il lui fallait former une personne qui le remplacerait comme marchand principal. Au bout du compte, il liquiderait son intérêt dans la compagnie concessionnaire en vendant ses actions à une telle personne. M. Shaw visait en outre à court terme à élargir son réseau de distribution en acquérant l'entreprise d'un autre gros concessionnaire General Motors, soit Lynnwood Chevrolet Oldsmobile (“ Lynnwood ”). Il entendait acheter Lynnwood et en fusionner les opérations avec celles de CMP, de manière à constituer l'un des plus grands concessionnaires au pays et le seul à vendre la gamme complète des véhicules General Motors. Il entendait construire de grands locaux, soit deux halls d'exposition et des installations communes pour le service, le débosselage, l'entreposage des pièces et la vente de véhicules d'occasion. Les fonctions administratives des deux entreprises concessionnaires devaient également être fusionnées.

[4] Par ses contrats de franchisage, la General Motors maintient un contrôle étroit sur les opérations de ses concessionnaires. Pour la vente d'une concession, il faut que le nouveau marchand principal soit approuvé par la direction de GM à Oshawa. Même la vente d'un intérêt dans une entreprise concessionnaire exigerait une telle approbation. Il était donc crucial aux fins des plans de M. Shaw, à court terme et à long terme, que la haute direction de GM soit favorablement disposée envers eux.

[5] En 1994, grâce à l'importance de ses ventes lors d'une période de concurrence entre les concessionnaires du Canada, la CMP avait gagné un prix, soit le droit d'envoyer deux représentants à un congrès devant avoir lieu dans le sud de la France en septembre de cette année-là. Presque invariablement, lorsqu'une entreprise concessionnaire gagne un tel prix, elle est représentée au congrès par le marchand principal et sa conjointe. Un grand nombre de personnes du siège social de GM, y compris plusieurs membres de la haute direction, assistent généralement aux congrès de ce genre. M. Shaw avait décidé que ses intérêts seraient mieux servis si c'était non pas lui mais plutôt l'appelant et son épouse qui assistaient au congrès. La raison en était simplement que l'appelant était le meilleur candidat et représentait peut-être la seule candidature viable aux fins d'une prise de participation dans la compagnie, et M. Shaw s'attendait que, à long terme, l'appelant lui rachète l'ensemble de sa participation et devienne le marchand principal. L'appelant était en outre la personne qui devait assurer la direction quotidienne de la nouvelle entreprise issue de la fusion. Pour ces deux raisons, M. Shaw voulait que l'appelant assiste au congrès, afin qu'il y rencontre les dirigeants de GM présents, qu'il se fasse connaître d'eux, qu'il rencontre les autres marchands principaux présents et qu'il discute avec eux de divers problèmes d'ordre commercial. M. Shaw avait donc demandé à l'appelant et à son épouse d'assister au congrès comme représentants de la CMP. Bien évidemment, l'appelant considérait cette demande comme une invitation qu'il ne pouvait refuser, et son épouse et lui avaient donc assisté et pris part au congrès.

[6] La preuve qui m'a été présentée quant à la nature exacte du programme de ce congrès était en fait peu abondante. Ce congrès était une activité d'une semaine allant du lundi au samedi, sans compter le déplacement. Le point d'arrivée en Europe était Nice, dans le sud de la France; il semble qu'il y avait en outre une croisière et des visites touristiques. L'appelant a déclaré dans son témoignage que le temps des repas était presque uniquement consacré à des discussions d'ordre professionnel entre les concessionnaires et les dirigeants de GM et que certaines activités à caractère purement commercial avaient été organisées, y compris une réunion avec le président et au moins un vice-président de GM. L'appelant estimait en outre qu'une proportion d'environ 50 p. 100 du temps libre était également affectée à des discussions d'ordre professionnel et à des rencontres avec les dirigeants de GM présents. L'épouse de l'appelant ne participait pas aux discussions relatives aux problèmes de gestion des concessionnaires d'automobiles, mais elle a bel et bien rencontré les concessionnaires et les dirigeants de GM et leurs conjointes et s'est entretenue avec eux. Comme l'appelant l'a dit dans son témoignage, son épouse et lui n'ont pas trouvé la semaine particulièrement agréable. Ce n'était pas le genre de vacances qu'ils auraient choisi pour eux-mêmes et, tout au long de la semaine, ils ont eu l'impression, à juste titre sans aucun doute, qu'ils paradaient.

[7] L'avocat de l'intimée a concédé dans sa plaidoirie que, dans les circonstances particulières ayant donné lieu à la participation de l'appelant au congrès, il ne s'agissait pas simplement d'un voyage d'agrément pour l'appelant ou son épouse, mais il s'agissait aussi d'un voyage réellement lié à l'entreprise de la CMP et aux perspectives d'avenir professionnel de l'appelant. Depuis, l'appelant est en fait devenu copropriétaire de la compagnie concessionnaire et est maintenant l'associé directeur responsable des opérations combinées de CMP et de Lynnwood. Cela n'aurait pu se faire sans l'approbation de la direction de GM, approbation qui n'aurait pu être obtenue si l'appelant n'avait pas assisté au congrès en 1994.

[8] L'avocat m'a renvoyé à un certain nombre de décisions de notre cour et de la Cour fédérale quant à la question de savoir si la participation à un congrès particulier représentait un avantage imposable pour un employé. Comme la Cour d'appel fédérale l'a récemment fait remarquer[1], la réponse à cette question dépend en grande partie des faits. La question à laquelle un juge d'instance doit répondre dans chaque cas a été succinctement formulée comme suit par le juge Stone dans l'affaire Lowe[2] :

[...] En l'espèce, il me semble que la question fondamentale est de savoir s'il s'agissait principalement, d'après les faits, d'un voyage d'affaires ou d'agrément.[...]

Cela ne signifie évidemment pas que des activités d'agrément qui sont normalement liées à des vacances et dont le contribuable profite durant un congrès d'affaires doivent être considérées comme un avantage, pourvu que l'aspect “ affaires ” prédomine[3].

[9] Compte tenu de l'ensemble de la preuve présentée en l'espèce, je suis convaincu que la raison première de la participation de l'appelant à ce congrès était que cela faisait partie des fonctions qu'il devait remplir comme directeur général de CMP. L'appelant avait en fait été envoyé au congrès par M. Shaw. Il importait aux fins de la réalisation des plans de M. Shaw que l'appelant rencontre les dirigeants de GM présents et qu'il soit évalué par eux. Il importait également que l'épouse de l'appelant soit elle aussi examinée par eux. Comme le juge Bell l'a dit[4] dans un contexte à peine différent de celui de la présente espèce, le rôle des conjointes dans la promotion de bonnes relations d'affaires est bien établi. L'avocat de l'intimée, tout à fait à juste titre, ne contestait pas le fait que la présence de l'épouse de l'appelant au congrès tenait à des considérations d'ordre commercial, dans la même mesure que la présence de l'appelant lui-même.

[10] L'avocat de l'intimée a en outre reconnu au cours de sa plaidoirie que ce congrès n'avait pas le caractère de vacances pour l'appelant ou son épouse. Il soutenait que leur présence au congrès servait deux fins différentes : la réalisation des plans de M. Shaw, d'une part, et la poursuite de la carrière de l'appelant au sein de la compagnie concessionnaire et de l'organisation GM, d'autre part. Cette dernière fin, soutenait-il, avantageait simplement l'appelant et non son employeur, de sorte que la part du coût attribuable à cette fin devrait être imposée entre les mains de l'appelant à titre d'avantage.

[11] À mon avis, cet argument est dépourvu de fondement. Les circonstances de l'espèce se distinguent nettement des circonstances examinées par le juge Sarchuk dans l'affaire Faubert v. The Queen[5], dans laquelle une somme versée par l'employeur de l'appelant, pour rembourser ce dernier des frais qu'il avait payés à l'égard d'un cours que son employeur l'avait encouragé à suivre sans l'y obliger, avait été considérée comme un avantage imposable, car l'effet de ce cours avait simplement été d'améliorer les compétences de l'employé en vue de l'obtention d'un meilleur poste au sein de l'organisation de l'employeur et non de permettre à l'employé de mieux remplir les fonctions qu'il exerçait alors. Dans la présente espèce, le principal but de la présence de l'appelant et de son épouse au congrès était de favoriser l'entreprise de l'employeur. C'est l'employeur qui, pour des raisons pratiques, avait dit à l'appelant d'aller au congrès.

[12] Il n'est pas difficile de voir que, dans bien des situations commerciales, un employé s'occupant de l'entreprise de son employeur acquiert des compétences et de l'expérience et se fait des relations qui lui seront très utiles ultérieurement et qui auront un effet positif important sur sa carrière. Il serait absurde et contraire à la jurisprudence de conclure qu'une valeur doit être attribuée à cette façon de favoriser les perspectives de carrière de l'employé et qu'il faut imposer cela entre les mains de l'employé comme avantage tiré d'un emploi. Ce genre de situation entre dans le cadre de ce que le juge Stone avait à l'esprit en disant dans l'affaire Lowe[6] :

[...] À la lumière de la jurisprudence existante, il me semble d'une part, qu'aucune portion des dépenses de voyage de l'appelant ne devrait être considérée comme un avantage personnel sauf si une telle portion représente une acquisition importante ou une valeur économique pour lui, et d'autre part que ladite portion ne devrait pas être considérée comme un avantage imposable au sens de l'alinéa 6(1)a) de la Loi si elle n'était qu'accessoire à ce qui constituait avant tout un voyage d'affaires. [...]

[13] En conséquence, l'appel est admis, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, compte tenu du fait que l'appelant n'a pas reçu un avantage imposable par suite de sa présence ou de celle de son épouse au congrès.

[14] L'appelant a droit à ses frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de novembre 1998.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 27e jour de juin 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1] Lowe v. The Queen, 96 DTC 6226, à la page 6230.

[2] À la page 6230.

[3] Rovan v. M.N.R., 86 DTC 1791, juge en chef adjoint Christie, à la page 1794.

[4] Hleck, Kanuka, Thuringer v. The Queen, 94 DTC 1698, à la page 1702.

[5] 1998 CanNatRep 21.

[6] À la page 6230.

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