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Date: 19981127

Dossier: 95-3554-IT-G

ENTRE :

ROBERT A. PAPINEAU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

QUESTIONS EN LITIGE

[1] Les questions en litige en l'espèce sont les suivantes :

La dette hypothécaire d'une société dont l'appelant était membre a-t-elle été éteinte au cours de l'année d'imposition 1989? Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi à l'égard de l'appelant pour l'année en question une nouvelle cotisation dans laquelle il a ajouté à son revenu un gain en capital de 84 499 $ et 31 275 $ d'amortissement récupéré;

L'appelant a-t-il subi une “ perte déductible au titre d'un placement d'entreprise ” sur les actions d'une “ corporation exploitant une petite entreprise ” qu'il détenait et sur un prêt consenti à celle-ci?

GÉNÉRALITÉS

[2] Toutes les dispositions législatives mentionnées sont tirées de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

FAITS

[3] 1. Première question concernant la dette hypothécaire :

[4] L'appelant était membre de la société en commandite T-West Estates (la “ société ”), qui était propriétaire d'un bien-fonds et de bâtiments connus sous le nom de “ Landmark ”. L'appelant détenait dans cette société une participation de 1,805583 p. 100. La Cour a été informée que Orange Elk Industries Ltd., le commandité de la société, était une filiale d'une société appelée T-West Estates Ltd. (“ Ltd. ”) qui, elle, était la propriété de la coopérative de crédit qui avait avancé les fonds hypothécaires à la société en ce qui concerne Landmark.

[5] Dans une convention écrite qui aurait été conclue “ en date du ” 9 février 1989 entre l'appelant, Ltd. et le commandité de la société, il était mentionné que le commandité avait conclu une entente avec Mastercraft Investments Corporation (“ Mastercraft ”) pour vendre Landmark moyennant un prix d'achat net de 7 175 000 $, sous réserve de l'acquisition par Ltd. de parts de la société. Dans le cadre du prix d'achat net, l'acheteur s'engageait à prendre à sa charge toutes les obligations de l'appelant de verser les “ apports des commanditaires pour insuffisance de trésorerie ” et de “ libérer le vendeur de toute obligation de payer ces montants à compter du 1er février 1989 ”. En outre, le commandité convenait de payer à l'appelant un montant déterminé selon une formule.

[6] Ainsi qu'en font foi les annexes à la réponse à l'avis d'appel, la part de l'appelant de l'amortissement récupéré s'élevait à 39 799 $. Ce montant a été réduit du montant de 8 523 $ qui figure dans l'une des annexes en question à titre de “ perte d'exploitation - société ”. Le montant net de 31 275 $ a été ajouté par la nouvelle cotisation du 25 octobre 1993, avec l'étrange description suivante :


[TRADUCTION]

Ajout au revenu de location

[7] La cotisation mentionnait une annexe jointe qui, en fait, n'était pas jointe.

[8] L'une des annexes jointes à la réponse à l'avis d'appel indique que la part de l'appelant du gain en capital réalisé sur la vente de Landmark s'élève à 88 301 $, montant dont le ministre a déduit une perte en capital de 3 802 $, ce qui a donné le montant de 84 499 $ déjà mentionné. Le ministre a calculé le gain en capital en supposant que le coût du bien-fonds, des bâtiments et des biens meubles était réduit d'un montant décrit comme étant la “ dette remise ” de 5 909 704 $[1]. L'avis de cotisation ajoutait les deux tiers du montant de 84 499 $ à titre de “ gain en capital imposable ” au revenu de l'appelant dans la cotisation susmentionnée.

[9] La vente a été conclue le 14 juillet 1989.

[10] Les états financiers de la société pour l'exercice se terminant le 31 décembre 1989 portent la mention “ non vérifiés ”. Le RAPPORT DE MISSION D'EXAMEN de Deloitte & Touche, qui a dressé les états financiers, se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Nous avons examiné le bilan de la société en commandite T-West Estates Limited au 31 décembre 1989 et des états des pertes et de l'insuffisance des apports des associés et de l'évolution de la situation financière pour l'exercice qui se terminait alors. Notre examen a été effectué conformément aux normes généralement reconnues régissant les missions d'examen et a donc consisté essentiellement en prises de renseignements, procédés analytiques et discussions portant sur les renseignements qui nous ont été fournis par le commandité.

Un examen ne constitue pas une vérification et, par conséquent, nous n'exprimons pas une opinion de vérificateur sur ces états financiers.

Au cours de notre examen, nous n'avons rien relevé qui nous porte à croire que ces états financiers ne sont pas conformes, à tous égards importants, aux principes comptables généralement reconnus.

[11] Le bilan de 1988 fait état d'une dette à long terme de 11 260 000 $ qui est décrite, dans une note afférente aux états financiers, comme étant formée d'un prêt hypothécaire de premier rang qui doit être remboursé le 1er janvier 1991, et qui figure comme une obligation de 8 000 000 $ pour l'année 1988. Le bilan fait également état d'un prêt hypothécaire de deuxième rang de 3 260 000 $ pour l'année 1988 qui doit être remboursé le 1er janvier 1991. Il n'est fait mention d'aucun montant dû pour l'année 1989. Cependant, le passif à court terme qui figure dans le bilan au 31 décembre 1989 fait état d'un solde non remboursé de 5 909 704 $ sur le prêt hypothécaire de premier rang. Une autre note afférente aux états financiers en fait la description dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Le produit de la vente des biens a été appliqué au prêt hypothécaire et à l'intérêt dus à Pacific Coast Savings Credit Union, ce qui donne lieu à un manque de 5 909 704 $.

[12] L'appelant, comptable agréé, s'est représenté lui-même. Il a expliqué que tout montant de ce genre dû dans l'année peut à juste titre être décrit comme une dette à court terme et non pas comme une dette à long terme. Aucune preuve n'a été produite par l'intimée pour nier cette affirmation.

[13] 2. La deuxième question concerne la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise.

[14] L'appelant a également demandé la déduction, dans l'année d'imposition 1989, d'une “ perte déductible au titre d'un placement d'entreprise ” découlant d'un prêt de 65 000 $ qu'il a fait à 59468 Manitoba Ltd. (“ Manitoba ”). Il a déclaré qu'il avait été contacté par un certain Bruce McLeod pour investir de l'argent avec d'autres personnes à certaines fins. Il a déclaré que McLeod et Richard Shead, un avocat, avaient utilisé l'argent pour financer des dettes de M. McLeod et de ses compagnies. Les deux ont subséquemment été déclarés coupables et condamnés à la prison. L'appelant a déclaré que, bien que Manitoba ait été victime d'une fraude, elle avait acheté une créance hypothécaire ou deux et plusieurs billets. Il a indiqué que ceux-ci étaient détenus par M. Shead et qu'ils avaient été remis à la banque pour garantir le prêt qu'elle avait consenti à Manitoba. Manitoba n'avait enregistré aucun document en son nom au Bureau d'enregistrement des droits fonciers. L'appelant a ensuite affirmé qu'il avait en sa possession des documents étayant l'achat de biens par Manitoba et le fait qu'elle en était propriétaire, mais il ne les a pas produits en Cour. L'appelant a déclaré également qu'il avait dans son bureau des registres que le vérificateur de l'impôt pouvait examiner. Cependant, il n'était pas avec le vérificateur lors de l'examen des documents et, par conséquent, il a laissé passer une occasion de faire ressortir au vérificateur certains faits documentaires pertinents.

ANALYSE ET CONCLUSION

[15] Aux termes de l'article 80, lorsqu'une obligation contractée par un contribuable de payer un montant est réglée ou éteinte sans que le contribuable effectue de paiement, le montant impayé doit servir à réduire :

le coût en capital supporté par le contribuable, de tous biens amortissables du contribuable et le prix de base rajusté, pour lui, de tous biens en immobilisation.

(les italiques sont de moi)

La nouvelle cotisation concernant la dette hypothécaire a été établie en se fondant sur l'hypothèse suivant laquelle l'obligation de payer le montant de 5 909 704 $ avait été éteinte.

[16] En ce qui concerne le gain en capital imposable et l'amortissement récupéré qui ont été ajoutés au revenu de l'appelant, les hypothèses de fait dans la réponse à l'avis d'appel se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

il était prévu dans la convention susmentionnée que, lors de la disposition, les associés seraient libérés de toute autre dette relativement au bien et toucheraient 50 p. 100 du produit si le prix de vente du bien se situait entre 6 400 000 $ et 8 000 000 $;

le 4 octobre 1988, le bien a été vendu à T-West Estates Ltd. (“ Ltd. ”) 7 976 119 $, la date de signature du contrat étant le 14 juillet 1989[2];

le 14 juillet 1989, l'appelant a vendu 1 $ à Ltd. sa part de Estates; la validité de la convention en question était assujettie à la réalisation de cette vente;

la remise de la dette par le prêteur aux termes de la convention en question a entraîné une réduction du prix de base rajusté des biens, dont les montants sont énoncés à l'annexe A des présentes;

du fait de ce qui précède, Estates a effectué une récupération à l'égard du bâtiment et des biens meubles et elle a réalisé un gain en capital dont les montants figurent à l'annexe A;

[17] Les états financiers de 1989, qui ont été dressés par Deloitte & Touche, ne font état d'aucune dette à long terme pour l'année en question, un fait qui a été invoqué par l'avocat de l'intimée pour tenter d'établir qu'il y avait eu extinction du prêt. Cependant, le prêt hypothécaire impayé de 5 909 704 $ figurait dans le passif à court terme. Le fait que ce montant figure dans le bilan à la fin de 1989 indique que la dette n'a pas été éteinte. L'avocat de l'intimée a fait valoir que, l'appelant ne les ayant pas niées ni modifiées, les hypothèses énoncées dans la réponse à l'avis d'appel doivent être considérées comme des faits, ce qui implique que le prêt doit être considéré comme ayant fait l’objet d’une renonciation. Je ne peux simplement pas retenir cet argument compte tenu du témoignage de l'appelant et du fait que l'intimée n'a produit aucune preuve contraire.

[18] Compte tenu des liens de dépendance qui existaient entre la compagnie hypothécaire, Mastercraft et le commandité, il se peut très bien que l'on n'ait pas eu l'intention de renoncer au remboursement du prêt en 1989. Il ne sert à rien de faire des conjectures sur ce qui aurait pu se produire ou ce qui s'est effectivement produit. Cependant, je n'accepte pas la thèse de l'intimée selon laquelle le remboursement du prêt a fait l'objet d'une renonciation. L'argument de l'avocat de l'intimée selon lequel il n'était fait état d'aucune dette à long terme pour 1989 n'a guère de poids puisque le montant même qui, selon lui, a fait l'objet d'une renonciation, figure comme passif à court terme dans le bilan de la compagnie pour l'année en question. Le bilan a été inclus dans les états financiers dressés par Deloitte & Touche.

[19] On ignore si le commanditaire serait assujetti aux règles énoncées à l'article 80 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) concernant le gain réalisé par le débiteur lors du règlement des dettes. Aucune preuve n'a été produite concernant l'obligation de l'appelant de verser les “ apports des commanditaires pour insuffisance de trésorerie ”. Par conséquent, même si son obligation était éteinte, le montant applicable à son égard n'est pas connu. Si l'on tient pour acquis qu'un montant concernant son obligation a été effectivement éteint, ce montant doit, aux termes de l'article 80, servir à réduire

le coût en capital supporté par le contribuable, de tous biens amortissables du contribuable et le prix de base rajusté, pour lui, de tous biens en immobilisation.

Il n'y a aucune preuve que l'appelant a supporté un coût en capital des biens amortissables de la société ou de ses biens en immobilisation. Il se peut bien, sans qu'il soit nécessaire de tirer quelque conclusion que ce soit à cet égard, que la cotisation soit mal fondée pour ce qui est du fait que l'appelant n'a pas supporté le coût des biens de la société.

[20] Je n'ai pas été convaincu que la dette de 5 909 704 $ avait été éteinte au cours de l'année 1989.

[21] En ce qui concerne la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise, les dispositions pertinentes de la Loi sont libellées dans les termes suivants :

L'alinéa 39(1)c) définit la perte au titre d'un placement d'entreprise découlant de la vente d'un bien comme étant :

la perte en capital que le contribuable a subie résultant d'une disposition d'un bien qui est une action du capital-actions d'une corporation exploitant une petite entreprise ou une créance du contribuable sur une corporation exploitant une petite entreprise.

L'alinéa 50(1)a) prévoit ce qui suit :

lorsqu'un contribuable établit qu'une créance qui lui est due à la fin d'une année d'imposition s'est révélée être au cours de l'année une créance irrécouvrable, le contribuable est réputé avoir disposé de la créance à un coût nul, à condition qu'il fasse un choix, dans sa déclaration de revenu pour l'année, pour que le présent paragraphe s'applique à la créance [...]

Une “ corporation exploitant une petite entreprise ” est définie à l'article 248 de la Loi comme étant :

une corporation privée dont le contrôle est canadien et dont la totalité, ou presque, des éléments d'actif sont utilisés dans une entreprise exploitée activement principalement au Canada.

[22] La “ perte déductible au titre d'un placement d'entreprise ” pour l'année en question était égale aux deux tiers de la perte au titre d'un placement d'entreprise[3].

[23] Aucune preuve n'est venue établir qu'il était question en l'espèce d'une corporation privée dont le contrôle est canadien. Le statut de Manitoba n'ayant pas été contesté à cet égard, je tiendrai pour acquis que c'était une corporation privée dont le contrôle est canadien.

[24] En ce qui concerne le fait que la compagnie a utilisé ses biens dans le cadre d'une entreprise exploitée activement, je ne peux faire droit à la suggestion de l'intimée selon laquelle il aurait fallu que les biens soient enregistrés au nom de la compagnie. Cependant, le témoignage de l'appelant était à ce point fragmentaire en ce qui concerne les biens détenus par Manitoba que je ne peux conclure que celle-ci exploitait une entreprise activement en utilisant ses biens. L'appelant a déclaré qu'il avait en sa possession des documents portant sur les biens acquis par Manitoba, mais aucun d'eux n'a été produit. Le vérificateur qui a examiné les documents de l'appelant a déclaré qu'il n'avait trouvé aucune preuve de propriété des biens. Cela démontre encore une fois la maladresse du non-initié qui se représente lui-même puisque, si cette preuve existait effectivement, elle aurait pu être présentée à la Cour sous son meilleur jour.

[25] Compte tenu de ce qui précède, l'appelant n'a aucun gain en capital ni aucun amortissement récupéré relativement à la vente de Landmark par la société. Cependant, parce que l'appelant ne s'est pas acquitté de la charge qui lui incombait de prouver que la cotisation n'était pas fondée relativement à la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise, il ne peut obtenir gain de cause à cet égard. La perte sera maintenue, telle qu'elle a été établie, à titre de perte en capital de l'appelant.

[26] Il n'y aura aucune adjudication des dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de novembre 1998.

“ R. D. Bell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 16e jour de juillet 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Sur ce montant, 1 151 996 $ sont attribuables au bien-fonds, 4 689 275 $, au bâtiment, et 68 433 $, aux biens meubles.

[2]               Bien qu'une entente du 9 février 1989 indique que le commandité a conclu une entente avec Mastercraft en vue d'acheter Landmark, l'état des rajustements du vendeur décrivait 360203 B.C. Ltd. comme l'acheteur. Cette compagnie était peut-être le cessionnaire de Mastercraft. Quoi qu'il en soit, il semble clair que Landmark a été vendu.

[3]               Alinéa 38c) de la Loi.

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