Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980626

Dossiers: 96-2467-UI; 96-2468-UI

ENTRE :

GERTRUDER CAMPBELL,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

LEN CAMPBELL & SON LTD.,

intervenante,

ET

ENTRE :

LEN CAMPBELL & SON LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

GERTRUDER CAMPBELL,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Ces appels ont été entendus sur preuve commune du consentement des parties, à Toronto (Ontario) le 21 janvier 1998.

[2] Les appelantes font appel de la décision du ministre du Revenu national (ci-après appelé le « ministre » ) datée du 27 septembre 1996 et selon laquelle l'emploi exercé par Gertruder Campbell (ci-après appelée l' « appelante » ) pour Len Campbell & Son Ltd. (ci-après appelée la « compagnie » ) du 26 octobre 1994 au 27 octobre 1995 n'était pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (ci-après appelée la « Loi » ). Le motif de la décision était le suivant :

[TRADUCTION]

[...]

Votre emploi était un emploi exclu, c'est-à-dire que ce n'était pas un emploi assurable, car vous aviez un lien de dépendance avec Len Campbell & Son Ltd.

[3] La compagnie est intervenante dans la cause de l'appelante et appuie la thèse de cette dernière.

[4] Les faits établis révèlent que, à l'époque pertinente, l'appelante détenait 25 p. 100 des actions en circulation de la compagnie. Son époux, Len Campbell, en détenait également 25 p. 100, et une société qui n'était aucunement liée détenait l’autre moitié des actions. Il est clair que l'appelante et la compagnie n'étaient pas liées au sens de l'alinéa 251(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu et qu'elles ne sont donc pas réputées traiter ensemble avec lien de dépendance. La question à trancher dans le présent appel est de savoir si, en fait, elles traitaient ensemble sans lien de dépendance.

Le droit

[5] Dans le régime établi par la Loi, le législateur a prévu que certains emplois seraient assurables, c'est-à-dire qu'ils donneraient lieu au versement de prestations au moment de la cessation, et que d'autres seraient des emplois « exclus » , soit des emplois qui, au moment de la cessation, ne donneraient pas droit à des prestations. Un arrangement conclu entre personnes traitant ensemble avec lien de dépendance entre dans la catégorie des « emplois exclus » . Il est bien clair que l'objet de cette loi est d'empêcher que, dans le cadre du régime, on doive verser une multitude de prestations fondées sur des contrats de travail artificiels ou fictifs.

[6] Le paragraphe 3(2) de la Loi sur l'assurance-chômage se lit en partie comme suit en anglais :

3(2) Excepted employment is

[...]

c) subject to paragraph (d) employment where the employer and employee are not dealing with each other at arm’s length and, for the purposes of this paragraph,

(i) the question of whether persons are not dealing with each other at arm’s length shall be determined in accordance with the provisions of the Income Tax Act;

[...]

En français, ce paragraphe se lit comme suit :

3(2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c) sous réserve de l'alinéa d) [qui renvoie à des personnes et à des personnes morales liées, ce qui ne s'applique pas en l'espèce], tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

[...]

[7] L'alinéa 251(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit comme suit en anglais :

it is a question of fact whether persons not related to each other were at a particular time dealing with each other at arm’s length.

(Le caractère gras est de moi.)

En français, cet alinéa se lit comme suit :

la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

[8] Bien que la Loi de l'impôt sur le revenu précise que la question de savoir si des personnes traitaient ensemble sans lien de dépendance à un moment donné est une question de fait, cette question factuelle doit être tranchée compte tenu du droit et est en réalité une question mixte de fait et de droit; voir la décision rendue par le juge Bowman, de la C.C.I., dans l'affaire R.M.M. Canadian Enterprises et al. v. The Queen, 97 DTC 302, à la page 310 :

Il est vrai que pour déterminer si des personnes ont entre elles un lien de dépendance, le tribunal doit tirer des conclusions de fait, mais la question de savoir si, compte tenu des faits, il existe en droit un lien de dépendance est nécessairement une question de droit. [...] L'alinéa 251(1)b) veut simplement dire qu'en déterminant si, en droit, des personnes non liées ont entre elles un lien de dépendance, le fondement factuel de leur relation doit être déterminé. Le sens de l'expression « lien de dépendance » figurant dans la Loi est de toute évidence une question de droit.

[9] Le sens de l'expression « arm's length » (lien de dépendance) a été l'objet de nombreux examens judiciaires au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d'autres pays du Commonwealth comme l'Australie, dont les lois fiscales renferment un libellé semblable. Dans la mesure où l'expression a été utilisée dans des affaires de fiducie et de succession, cette jurisprudence n'a pas été prise en considération au Canada pour l'interprétation des lois fiscales; voir la décision rendue par le juge Locke dans l'affaire M.N.R. v. Sheldon's Engineering Ltd., 55 DTC 1110, à la page 1113 :

[TRADUCTION]

L'expression est habituellement employée dans des affaires dans lesquelles sont mises en question des opérations entre fiduciaires et bénéficiaires de fiducie, tuteurs et pupilles, mandants et mandataires ou avocats et clients. Les raisons pour lesquelles des opérations entre deux personnes entretenant une telle relation l'une avec l'autre peuvent être attaquées sont énoncées dans les motifs du jugement rendus par le lord chancelier et par lord Blackburn dans l'affaire McPherson v. Watts, 1877, 3 A.C. 254. Ces considérations ne s'appliquent pas dans l'examen du sens à attribuer à l'expression figurant au paragraphe 20(2).

[10] Dans l'examen de la signification de « lien de dépendance » , il ne faut pas perdre de vue les termes de la version anglaise de la Loi de l'impôt sur le revenu que j'ai précédemment indiqués en caractères gras, soit « were at a particular time dealing with each other at arm's length » (qui désignent le fait, pour des parties, de traiter ensemble sans lien de dépendance à un moment donné). Au Canada, la jurisprudence, comme le fait remarquer le juge Bowman, de la C.C.I., dans l'affaire R.M.M., précitée, a eu tendance à insister sur la nature de la relation plutôt que sur la nature des opérations. Je ne suis pas certain que, vu l'inclusion de ces termes dans la version anglaise de la Loi de l'impôt sur le revenu, cette approche soit nécessairement la seule qui doive être adoptée, car procéder de la sorte, c'est faire fi de ces termes plutôt pertinents auxquels une signification doit assurément être attribuée. Cette évolution tient peut-être aux situations factuelles considérées dans certains des principaux arrêts de principe canadiens. En général, il s'agissait d'une seule personne (morale ou physique) qui contrôlait les deux parties à une opération particulière. Ainsi, bien que l'opération ait pu s'apparenter à une opération commerciale ordinaire sans lien de dépendance, en soi, cela n'a pas été suffisant pour que l'opération soit jugée comme n'entrant pas dans la catégorie des opérations avec lien de dépendance; voir par exemple l'affaire Swiss Bank Corporation et al. v. M.N.R., 72 DTC 6470 (C.S.C.), dans laquelle le juge Laskin (titre qu'il portait alors) disait en conclusion, à la page 6473 :

[...] le payeur et le bénéficiaire ne doivent pas être des personnes qui, en réalité, traitent exclusivement l'une avec l'autre au moyen d'un fonds constitué par le bénéficiaire au profit du bénéficiaire. Une bonne raison pour cela, suggérée par le texte législatif lui-même, c'est l'assurance que le taux d'intérêt sera le reflet d'opérations commerciales ordinaires entre des parties agissant dans le sens de leurs intérêts distincts. Il faut conclure que des rapports de prêteur à emprunteur qui n'offrent pas cette assurance parce que, effectivement, les intérêts ne sont pas distincts, ne s'insèrent pas dans l'exception qui exempte tout non-résident de l'impôt sur des paiements d'intérêt canadiens. Le fait que l'intérêt réellement autorisé ou payé est compatible avec une opération à distance ne suffit pas en soi à esquiver cette conclusion.

[11] En fait, ce que disent ces jugements, c'est que, si une personne transfère de l'argent d'une de ses poches à l'autre, même si elle le fait systématiquement dans le cadre d'une opération commerciale ordinaire, elle traite encore avec elle-même, et l'opération demeure par nature une opération « avec lien de dépendance » .

[12] Cependant, le simple fait que ces causes faisant jurisprudence comportaient de telles situations factuelles ne signifie pas que des personnes pouvant habituellement être dans une relation avec lien de dépendance ne peuvent en fait traiter ensemble à un moment donné sans lien de dépendance, pas plus que cela ne signifie que des personnes n'ayant ordinairement aucun lien de dépendance ne pourraient de temps à autre traiter ensemble avec lien de dépendance. Ces causes sont tout simplement des exemples de ce que n'est pas une relation sans lien de dépendance; elles ne définissent pas en termes positifs ce qu'est une opération sans lien de dépendance. Ainsi, au bout du compte, tous les faits doivent être pris en considération, et tous les critères ou tests pertinents énoncés dans la jurisprudence doivent être appliqués.

[13] La notion de « lien de dépendance » a été examinée par le juge Bonner, de la C.C.I., dans l'affaire William J. McNichol et al. v. The Queen, 97 DTC 111, dans laquelle il disait, aux pages 117 et 118 :

On utilise communément trois critères pour déterminer si les parties à une opération ont entre elles un lien de dépendance. Il s'agit des critères suivants :

a) l'existence d'une même personne qui dirige les négociations de deux parties à une transaction,

b) les parties à une transaction agissent de concert et n'ont pas d'intérêts distincts, et

c) le contrôle « de facto » (réel).

Le critère relatif à l'existence d'une même personne résulte de deux jugements, notamment en premier lieu le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans l'affaire M.N.R. v. Sheldon's Engineering Ltd.. Aux pages 1113-1114, le juge Locke, qui parlait au nom de la Cour, a dit ceci :

[TRADUCTION]

Lorsqu'une même personne contrôle des compagnies directement ou indirectement, que cette personne soit un individu ou une compagnie, des compagnies contrôlées sont, aux termes de cet article, censées ne pas traiter entre elles à distance. Les dispositions de cet article mises à part, dans le cas d'une vente d'éléments d'actif dépréciables par un contribuable à une entité qu'il contrôle ou par une compagnie contrôlée par le contribuable à une autre compagnie également contrôlée par lui, le contribuable dictant à titre d'actionnaire majoritaire les conditions de la transaction, on ne peut à mon avis prétendre sérieusement que les parties traitaient entre elles à distance et que l'article 20(2) ne s'appliquait pas.

En second lieu, la décision que le juge Cattanach a rendue dans l'affaire M.N.R. v. T R Merritt Estate est également utile. Aux pages 5165-5166, voici ce que le juge a dit :

[TRADUCTION]

Selon moi, le principe fondamental sur lequel se fonde la présente analyse est le suivant : lorsque les négociations menées au nom de chacune des deux parties au contrat sont en fait dirigées par le même « cerveau » , on ne peut dire que les parties traitent à distance. En d'autres termes, lorsque la preuve révèle que la même personne « dictait » les « conditions de la transaction » au nom de chacune des deux parties, on ne peut dire que les parties traitaient à distance.

Le critère voulant que les parties agissent de concert montre jusqu'à quel point il est important que la négociation ait lieu entre des parties distinctes, qui cherchent chacune à protéger leurs propres intérêts. Ce critère est énoncé dans la décision que la Cour de l'Échiquier a rendue dans l'affaire Swiss Bank Corporation v. M.N.R. À la page 5241, le juge Thurlow (tel était alors son titre) a dit ceci :

J'ajouterais que lorsque plusieurs parties, qu'elles soient des personnes physiques, des compagnies ou une combinaison des deux, agissent de concert et dans le même intérêt pour diriger ou dicter la conduite d'une autre, le « cerveau » directeur peut à mon avis être celui de l'ensemble des parties agissant de concert ou celui d'une seule d'entre elles qui remplit un rôle ou des fonctions particulières qu'il faut accomplir pour atteindre l'objectif commun. De plus, à mon sens, il n'y a lieu de faire aucune distinction à ce titre entre des personnes qui agissent à leur propre compte pour en contrôler d'autres et celles qui, quelque nombreuses qu'elles soient, se font représenter par une autre. D'autre part, si l'une des parties à une transaction agit dans un intérêt différent de celui des autres ou le représente, le fait que le but commun soit de diriger les actes d'une autre partie de façon à obtenir un résultat bien précis ne suffira pas en soi à enlever à la transaction son caractère de transaction entre personnes traitant à distance. Selon moi, l'affaire Sheldon's Engineering [précitée] en est un exemple.

Enfin, il est à noter que l'existence d'une relation sans lien de dépendance est exclue si l'une des parties à l'opération en cause exerce un contrôle de fait sur l'autre. À cet égard, on peut mentionner la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Robson Leather Company Ltd. v. M.N.R., 77 DTC 5106.

[14] Cette approche a également été adoptée par le juge Cullen dans l'affaire Peter Cundill & Associates Ltd. v. The Queen, [1991] 1 C.T.C. 197, dans laquelle il déclarait, à la page 203 :

La question de savoir si les parties en l'espèce n'avaient aucun lien de dépendance est une question qui doit être examinée selon les propres faits particuliers de l'affaire. Pour trancher cette question, on peut tenir compte de plusieurs facteurs, tels que la propriété et le contrôle d'une société. Toutefois, le contrôle des actions (ou son absence) n'est pas nécessairement déterminant; il s'agit seulement d'un facteur à prendre en considération pour trancher la question d'absence de lien de dépendance (Robson Leather Co. Ltd. c. M.R.N., [1974] C.T.C. 872; 74 D.T.C. 6666, le juge Collier, confirmé par [1977] C.T.C. 132; 77 D.T.C. 5106 (C.A.F.).

Dans le Bulletin d'interprétation IT-419, Revenu Canada a proposé les facteurs suivants pour trancher la question de savoir s'il y avait ou non des liens de dépendance :

a) l'existence d'une même personne qui dirige les négociations de deux parties à une transaction,

b) les parties à une transaction agissent de concert et n'ont pas d'intérêts distincts, et

c) le contrôle « de facto » (réel).

Les critères énoncés dans IT-419 sont également les critères que les tribunaux ont régulièrement examinés. En l'espèce, le facteur qui va éclairer la situation consiste, semble-t-il, à déterminer la personne qui dirige ces deux sociétés. Si le « cerveau » qui agit pour une partie est le même « cerveau » qui dirige la seconde partie, alors on ne saurait réellement pas dire qu'elles traitaient à distance (Oryx Realty Corp. and Shofar Investment Corp. v. M.N.R., [1972] 72 D.T.C. 6018, [1972] C.F. 33, [[1972] C.T.C. 35], confirmé par 919740 74 D.T.C. 6352 (C.A.F.) [[1974] 2 C.F. 44, [1974] CTC 430].

[15] Bon nombre de ces causes, comme je l'ai dit, se fondent sur la relation existant entre les parties, ce qui a été déterminé comme étant absolument concluant. On y trouve peu d'indications claires quant à la nature de l'opération ou de la transaction elle-même. Cette question a toutefois été abordée, bien succinctement, par la Cour fédérale d'Australie dans l'affaire The Trustee for the Estate of the late AW Furse No 5 Will Trust v. FC of T, 91 ATC 4007/21 ATR 1123. À propos d'une loi semblable de ce pays, le juge Hill disait :

[TRADUCTION]

En ce qui a trait au problème en cause, il y a deux questions à trancher au regard du paragraphe 102AG(3). La première est de savoir si les parties à la convention pertinente traitaient ensemble sans lien de dépendance relativement à cette convention. La seconde est de savoir si la somme du revenu imposable pertinent est supérieure à la somme mentionnée dans le paragraphe comme étant la « somme correspondant au lien de dépendance » .

On ne doit pas trancher la première des deux questions uniquement en déterminant si les parties à la convention pertinente n'avaient entre elles aucun lien de dépendance. Dans ce paragraphe, l'accent est plutôt mis sur la question de savoir si ces parties, relativement à la convention, traitaient ensemble sans lien de dépendance. Le fait que les parties elles-mêmes aient un lien de dépendance ne signifie pas qu'elles ne peuvent, à l'égard d'une opération particulière, traiter ensemble sans lien de dépendance. Ce qui ne veut pas dire que la relation entre les parties n'est pas pertinente par rapport à la question à trancher au regard du paragraphe. La distinction a été faite par le juge Davies, relativement à des termes semblables utilisés au paragraphe 26AAA(4) de la Loi, dans l'affaire Barnsdall v. Federal Commissioner of Taxation (1988), 88 ATC 4565, à la page 4568, dans le passage suivant, auquel je souscris respectueusement :

[TRADUCTION]

Toutefois, le paragraphe 26AAA(4) utilisait l'expression « not dealing with each other at arm's length » [qui désigne le fait, pour deux parties, de traiter l'une avec l'autre avec lien de dépendance]. Cette expression ne devrait pas s'interpréter comme si les termes « dealing with » [traiter avec] n'étaient pas présents. Le commissaire doit être convaincu non seulement de l'existence d'un lien entre un contribuable et la personne à qui il a fait un transfert, mais aussi du fait que ces deux personnes traitaient l'une avec l'autre avec lien de dépendance. Conclure à l'existence d'un lien entre les parties est simplement une étape dans le cours du raisonnement et ne sera pas déterminant, à moins que cela n'amène à la conclusion finale.

Pour déterminer si les parties traitaient l'une avec l'autre sans lien de dépendance à l'égard d'une opération particulière, il faut établir si, à l'égard de cette opération, elles traitaient l'une avec l'autre comme le feraient normalement des parties sans lien de dépendance, de sorte que l'issue de leur opération ressortit à une négociation réelle.

[Le soulignement est de moi.]

[16] La même formulation a aussi été examinée dans l'affaire Granby PTY Ltd. v. The Commissioner of Taxation, 95 ATC 4240. Dans cette affaire, le juge Lee, de la Cour fédérale d'Australie, division générale, traitait comme suit du sens de l'expression, ainsi que de la jurisprudence récente :

[TRADUCTION]

L'expression « dealing with each other at arm's length » [qui désigne le fait, pour deux parties, de traiter l'une avec l'autre sans lien de dépendance] implique une analyse de la manière dont les parties à une opération se sont comportées dans la création de cette opération. La question est de savoir si les parties se sont comportées de la manière dont on s'attendrait que des parties sans lien de dépendance se comportent dans la conduite de leurs affaires. Évidemment, il convient à cet égard de déterminer la nature de la relation entre les parties, car, s'il ne s'agit pas de parties sans lien de dépendance, il est possible d’en inférer qu’elles ne traitaient pas l'une avec l'autre sans lien de dépendance.

[17] Des termes semblables ont également été examinés par le juge Davies dans l'affaire Barnsdall v. F.C. of T., 88 ATC 4565, à la page 4568, dont un extrait figure dans le passage du jugement Furse Estate cité précédemment.

[18] Le juge Bowman, de la C.C.I., a fait allusion à ce type de situation dans l'affaire R.M.M., précitée, à la page 311 :

Je ne crois pas que, dans tous les cas, du simple fait qu'une relation mandant-mandataire existe entre des personnes, ces dernières ont nécessairement entre elles un lien de dépendance au sens de la Loi. Je ne crois pas non plus que si l'on retient les services de quelqu'un pour accomplir une tâche particulière et qu'on verse à cette personne une rémunération pour fournir le service, cela veut nécessairement dire qu'une relation dans laquelle il y a un lien de dépendance est créée. Ainsi, le procureur qui représente un client dans une opération peut bien être le mandataire de celui-ci, mais je ne crois pas que cela veuille nécessairement dire que ces personnes ont entre elles un lien de dépendance.

Le concept du lien de dépendance a évolué.

[19] Bien que n'étant pas une règle de droit, le bulletin d'interprétation de Revenu Canada IT-419R (24 août 1995) semble reconnaître qu'il faut aussi examiner la nature de l'opération elle-même :

19. Une transaction non réalisée à la juste valeur marchande peut indiquer une transaction entre parties ayant un lien de dépendance. Toutefois, cette situation n'est pas concluante et, inversement, une transaction réalisée à la juste valeur marchande entre personnes non liées n'indique pas nécessairement une absence de lien de dépendance. Le principal facteur à prendre en considération est la question de savoir s'il existe des intérêts économiques distincts qui indiquent une transaction commerciale courante entre parties ayant des intérêts distincts.

[20] En Écosse, dans l'affaire Inland Revenue Commissioners v. Spencer-Nairn, 1991 SLT 594 (dont était saisi un tribunal appelé « court of Sessions » ), les lords juges écossais examinaient un cas dans lequel les parties étaient dans une situation comportant un lien de dépendance. Ils ont formulé des observations favorables sur l'approche adoptée par Whiteman dans l'ouvrage intitulé Capital Gains Tax (4e éd.), dans lequel l'auteur laissait entendre que deux questions devaient être prises en considération relativement au concept de « lien de dépendance » . Il s'agissait premièrement de savoir si une représentation distincte ou autre représentation professionnelle était possible pour chacune des parties et deuxièmement, ce qui est peut-être plus pertinent aux fins de la situation considérée en l'espèce, s'il y avait « présence ou absence d'une négociation de bonne foi » .

[21] Aux États-Unis, le concept de « lien de dépendance » a été défini comme suit dans l'affaire Campana Corporation v. Harrison (7 Circ; 1940) 114 F2d 400, 25 AFTR 648 :

[TRADUCTION]

Une vente sans lien de dépendance comporte l'idée d'une vente entre parties ayant des intérêts économiques opposés.

[22] En définitive, il me semble que la meilleure façon de décrire ce qu'on entend par les termes anglais « dealing at arm's length » (traiter avec quelqu'un sans lien de dépendance) est de donner un exemple. Disons que deux personnes, deux étrangers, qui font du commerce sur le marché négocient ensemble, l'une pour obtenir le meilleur prix possible pour ses produits ou services, l'autre pour avoir le plus grand nombre possible ou la meilleure qualité possible de produits ou services; ces personnes, dirait-on, traitent ensemble sans lien de dépendance. Toutefois, si ces deux personnes, des étrangers, agissaient soit dans l'intérêt sous-jacent d'une aide mutuelle soit d'une façon différente de celle dont on traiterait avec un étranger, ou si leur intérêt était de conclure une opération factice pour parvenir conjointement à un résultat ou obtenir d'un tiers quelque chose qu'elles n'auraient pu par ailleurs avoir sur le marché libre, ces personnes, dirait-on, ne traitent pas ensemble sans lien de dépendance.

[23] Si la relation elle-même — encore là, il faut se rappeler que la version anglaise de la Loi ne dit pas « where they are in a non arm's length relationship » , soit le fait, pour deux parties, d'être dans une relation avec lien de dépendance; elle dit « where they are not dealing with each other at arm's length » , soit le fait pour deux parties de traiter ensemble avec lien de dépendance — est telle qu'une partie est sensiblement en mesure de contrôler ou d'influencer l'autre ou d'exercer un pouvoir sur l'autre ou que les deux parties ont une relation dans laquelle elles fonctionnent ou dirigent leur entreprise très étroitement, par exemple s'il s'agit d'amis, de parents ou d'associés en affaires, sans aucune preuve claire du contraire, la Cour pourrait bien déduire que les parties ne traitaient pas ensemble sans lien de dépendance. Cela ne signifie toutefois pas que les parties ne peuvent réfuter cette déduction. On doit cependant à mon avis faire une distinction entre la relation et l'opération. Les parties qui sont dans ce qu'on pourrait appeler une « relation avec lien de dépendance » peuvent assurément traiter ensemble sans lien de dépendance dans les circonstances appropriées, tout comme deux étrangers peuvent, dans certaines circonstances, agir en collusion et ainsi ne pas traiter ensemble sans lien de dépendance.

[24] Le législateur lui-même l'a reconnu dans la Loi. Dans la Loi de l'impôt sur le revenu, des personnes liées, au sens de cette loi, sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. L'accent est mis sur la relation, c'est-à-dire sur le fait que des personnes soient liées. La Loi sur l'assurance-chômage a par la suite été modifiée de manière à permettre à des personnes liées de franchir la barrière, pour ainsi dire, pourvu qu'elles puissent démontrer, de façon à convaincre le ministre, que l'opération en cause, soit le contrat de travail, était à peu près semblable à l'opération qui aurait été conclue entre des personnes qui, comme l'indique la version anglaise de la Loi, traitaient ensemble sans lien de dépendance. Cette fois, l'accent est mis sur l'opération. Assurément, des personnes qui ne sont pas des « personnes liées » ne doivent pas être considérées différemment et en fait plus durement. On ne peut dire que le législateur voulait isoler certaines personnes devant être traitées avec plus de fermeté que le groupe dont elles provenaient et leur accorder ensuite une exception ayant pour effet de les placer dans une meilleure position que celle du groupe dont elles provenaient. Ce serait insensé, car, en précisant que des personnes liées sont réputées traiter ensemble avec lien de dépendance, le législateur a reconnu clairement qu'il s'agissait de personnes ayant une propension à traiter ensemble avec lien de dépendance et a donc établi que ce groupe devait être considéré d'une façon plus arbitraire, sous réserve d'une exception si ces personnes pouvaient démontrer que leur situation correspondait à la normale, l'accent étant toujours mis sur l'opération elle-même. Des personnes qui ne sont pas « liées » mais dont on peut dire qu'elles sont par ailleurs en fait dans une relation avec lien de dépendance ne doivent assurément pas être considérées différemment, c'est-à-dire que l'accent ne doit pas être mis strictement sur la relation par opposition à la nature de leur opération. Si cela devait être le cas, le législateur aurait pu tout simplement parler de « personnes dans une relation avec lien de dépendance » , et cela aurait réglé la question. Il n'aurait alors pas été nécessaire de faire une distinction entre des personnes liées et des personnes non liées. Toutefois, ce n'est pas ce que le législateur a dit et, dans la version anglaise de la Loi de l'impôt sur le revenu et de la Loi sur l'assurance-chômage, il utilise les termes « dealing with each other » (qui désignent le fait pour des parties de traiter ensemble), plutôt que de renvoyer à la relation. Dans la Loi de l'impôt sur le revenu, il a apporté une précision supplémentaire pour ce qui est des personnes non liées, en employant les termes « à un moment donné » . Ces termes, pour peu qu'un sens doive leur être accordé, mettent assurément l'accent sur ce qui se passait à un moment donné plutôt que sur la relation dans son ensemble.

[25] En définitive, s'il y a un doute quant à l'interprétation à donner à ces termes, je ne puis que me fonder sur les propos tenus par Mme le juge Wilson dans l'affaire Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, à la page 10 :

[...] Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire.

[26] En fin de compte, on en revient aux deux personnes, aux deux étrangers, qui font du commerce sur le marché. La question pertinente est de savoir si le même genre d'indépendance d'esprit, d'indépendance quant aux objectifs, d'intérêts économiques opposés et de négociations de bonne foi caractérisait les opérations en cause, comme on pourrait s'y attendre dans cette situation commerciale. Si, sur la foi de l'ensemble de la preuve, tel est le genre d'opération ou transaction qui a eu lieu, la Cour peut conclure que les parties traitaient ensemble sans lien de dépendance. Si un de ces éléments était absent, ce serait l'inverse.

La preuve

[27] La compagnie exploitait une entreprise d'excavation. Il s'agissait d'une entreprise saisonnière qui, toutefois, demeurait active à longueur d'année. Len Campbell était le principal employé et le gestionnaire de l'entreprise.

[28] L'appelante et son époux détenaient chacun 25 p. 100 des actions en circulation de la compagnie, et une société non liée détenait l’autre moitié des actions. Cette autre société n'avait rien à voir avec les activités de la compagnie. Les décisions commerciales quotidiennes de la compagnie, y compris relativement à l'emploi de l'appelante, étaient prises par l'époux de l'appelante. L'appelante n'avait pas de contrat de travail écrit précisant les modalités de son emploi.

[29] Le ministre reconnaissait que les fonctions de l'appelante consistaient à s'occuper du bureau de la compagnie, situé dans leur résidence, à répondre au téléphone, à accomplir des travaux de secrétariat, à tenir la comptabilité et à aller chercher ou à livrer des choses.

[30] Pendant la moitié de la période en cause, seuls l'appelante et son époux étaient inscrits dans le livre de paye. Le reste de l'année, il y avait un ou deux autres employés. L'appelante signait apparemment ses propres chèques de paye. Elle recevait un salaire hebdomadaire de 634,61 $. D'après le ministre, cela était basé sur une semaine de 30 heures. Selon Len Campbell, c'était fondé sur un nombre d'heures se situant entre 30 et 60 par semaine. Cela revient à 21 $ l'heure dans le premier cas et à 11 $ l'heure (approximativement) dans le second. Les autres employés travaillant sur le terrain étaient rétribués selon un taux horaire fixe et n'étaient payés que pour les heures de travail réelles. Les heures de travail de l'appelante étaient très variables. Le ministre prétend que la compagnie n’exerçait aucun contrôle sur le travail de l'appelante, mais je conclus que l’appelante était assurément responsable envers son époux, c'est-à-dire qu'elle devait assurer le bon fonctionnement du bureau de l'entreprise.

[31] Le ministre fait grand cas du salaire de l'appelante par rapport aux ventes de la compagnie et par rapport à un ancien teneur de livres qui avait été engagé par la compagnie.

[32] Cependant, j'ai été très impressionné par le témoignage de Len Campbell. Ce dernier m'a fait l'impression d'un homme honnête et travailleur. Il a expliqué qu'il ne pouvait exploiter l'entreprise sans la présence d’une personne clé au bureau. Il s'agissait davantage que de simple tenue de livres. S'il lui avait fallu remplir ces fonctions lui-même, il n'aurait pu accomplir le travail qu'il faisait. Durant la période de 13 mois, il réalisait des ventes de 180 327 $. Dans ce contexte, un salaire annuel de 34 000 $, soit 2 400 $ par mois, n'est pas à mon avis excessif. J'accepte son témoignage selon lequel l'appelante devait être libre 24 heures sur 24 au besoin. Avoir quelqu'un d'assez souple pour prendre en charge cette responsabilité était profitable à la compagnie. L'affirmation selon laquelle l'appelante travaillait de 30 à 60 heures par semaine représentait une approximation raisonnable. Je suis certain que certains mois, c'était moins et que d'autres mois, c'était plus; cela correspond toutefois à la nature même d'un salaire, par opposition à un taux horaire, ce qui serait difficile à suivre. Il m'apparaît clairement que l'opération relative à l'emploi était une opération au profit de la compagnie aussi bien qu'au profit de l'appelante. Il y avait deux intérêts en cause ici. Le poste et les fonctions de l'appelante faisaient partie intégrante de l'entreprise de la compagnie. Le travail était véritablement accompli, il n'y a aucun doute pour moi. Il ne s'agissait nullement d'un arrangement fictif.

Conclusion

[33] J'ai été particulièrement impressionné par le témoignage de Len Campbell, si bien que j'étais parfaitement convaincu qu'il comprenait clairement la responsabilité qu'il avait envers la compagnie dans son ensemble et envers l'actionnaire qui détenait 50 p. 100 des actions et que, dans la conduite des affaires de la compagnie, il servait un intérêt distinct de celui de l'appelante. Rétrospectivement, il pourrait avoir été plus sage de faire en sorte que, d'une façon ou d'une autre, l'actionnaire détenant 50 p. 100 des actions participe à la conclusion du contrat de travail de l'appelante, mais il faut se rappeler qu'il ne s'agit pas de personnes qui s'y connaissent beaucoup en droit.

[34] Il est clair que l'époux est lié à l'appelante. Il est également clair qu'il exploitait la compagnie, quoique, juridiquement, il n'en ait pas eu le contrôle. Il jouait deux rôles, c'est-à-dire qu'il était l'exploitant de la compagnie et que, par ailleurs, il était l'époux de l'appelante. Il s'agit de savoir si ces deux rôles étaient séparés suffisamment pour que l'on puisse dire que l'un n'était pas influencé par l'autre. C'est comme si l'époux était au sommet d'un triangle et que, d'un côté du triangle, il avait des rapports avec la compagnie et que, de l'autre, il avait des rapports avec son épouse, l'appelante. La question est de savoir si, à la base de ce triangle, il y avait des opérations sans lien de dépendance entre la compagnie et l'appelante. J'ai conclu que tel était le cas. Une différence d'intérêts économiques existait nettement entre la compagnie et l'appelante. La compagnie avait besoin d'une personne pour le genre de travail en cause, aux fins de l'exploitation de son entreprise; si ça n'avait pas été l'appelante, ç'aurait été quelqu'un d'autre. L'appelante désirait travailler et voulait être payée. La somme qu'elle recevait n'était pas déraisonnable, vu ses fonctions. À mon avis, ce n'était ni trop ni pas assez. Il y avait un élément de négociations menées de bonne foi. C'était clairement le genre d'opération qui aurait été conclue sur le marché libre.

[35] Je suis bien convaincu selon la prépondérance des probabilités qu'il s'agissait d'une relation sans lien de dépendance. Je suis également convaincu que les parties, soit l'appelante et la compagnie, traitaient l'une avec l'autre sans lien de dépendance dans la conclusion de cet arrangement en matière d'emploi.

[36] En conséquence, les appels sont accueillis et la décision du ministre est infirmée.

Signé à Calgary (Alberta) ce 26e jour de juin 1998.

M. H. Porter

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 12e jour de janvier 1999.

Philippe Ducharme, réviseur

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