et
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Appel entendu le 27 juin 2017, à Vancouver (Colombie-Britannique)
L’appel de la cotisation établie en vertu du paragraphe 325(1) de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 11 septembre 2015 et porte le numéro 3392887 et qui a été ratifié par l’avis de ratification daté du 28 septembre 2016, est accueilli, sans frais, et la cotisation est annulée conformément aux motifs du jugement ci-joints.
et
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
MOTIFS DU JUGEMENT
I.
APERÇU
[1]
Le présent appel concerne une cotisation datée du 11 septembre 2015, dont l’avis porte le numéro 3392887, établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») en vertu du paragraphe 325(1) de la Loi sur la taxe d’accise (L.R.C. (1985), ch. E-15, version modifiée) (la « Loi »
). Une cotisation de 27 306,18 $ a été établie à l’égard de Mme Assunta Nelson concernant un transfert par son époux, M. Richard Nelson, de son droit de propriété (le « droit »
), pour l’immeuble situé au 6256, Mystic Way, Nanaimo (Colombie-Britannique) (la « propriété »
), tandis que son époux avait un montant d’impôts à payer d’au moins 27 306,18 $.
II.
FAITS
[traduction]
1. À toutes les époques pertinentes, l’appelante était mariée à Richard Nelson (l’« époux »).
2. Le ou vers le 21 août 2002, l’appelante et l’époux ont chacun acquis un droit indivis de 50 % sur la propriété décrite comme NID : 015-785-254 LOT 62 DL 48 WELLINGTON DISTRICT PLAN 50009 et située au 6256, Mystic Way, Nanaimo (Colombie-Britannique) (la « propriété »).
3. À toutes les époques pertinentes, l’appelante et l’époux détenaient conjointement une marge de crédit à la Banque Royale du Canada et une carte de crédit MasterCard.
4. Le ou vers le 18 juillet 2013, l’époux a transféré à l’appelante son droit sur 50 % dans la propriété (le « transfert »).
5. L’appelante n’a payé ni de commission de courtage ni de frais juridiques liés au transfert.
6. Si l’appelante avait retenu les services d’un courtier immobilier et d’un avocat, elle aurait dû assumer les coûts suivants :
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b) la valeur de l’hypothèque sur la propriété était de 150 238,40 $;
c) la valeur de la marge de crédit hypothécaire sur la propriété était de 152 149,24 $.
8. Le ou vers le 5 septembre 2014, l’époux a déposé une cession de faillite.
9. À toutes les époques pertinentes, l’époux était le directeur et l’actionnaire de CV Home & Auto Glass Ltd. (l’« entreprise »).
10. L’entreprise exerçait des activités liées à l’installation et à la réparation de vitres de maison et d’automobile.
11. L’entreprise était tenue de percevoir et de remettre la TPS/TVH sur ses fournitures taxables.
12. L’entreprise n’a pas remis la TPS/TVH sur ses fournitures taxables pour les périodes de déclaration se terminant le 30 avril 2012, le 31 juillet 2012, le 31 janvier 2013 et le 31 octobre 2013.
13. Vers septembre 2013, l’entreprise a cessé ses activités.
14. Le 28 janvier 2015, un certificat a été enregistré à l’égard de l’entreprise à la Cour fédérale pour un montant net de TPS/TVH non versées s’élevant à 39 634,33 $.
15. Le 28 janvier 2015, la Cour fédérale a émis un bref de saisie-exécution concernant l’obligation fiscale nette de l’entreprise.
16. Le 7 avril 2015, il y a eu défaut d’exécution totale à l’égard du bref de saisie‑exécution.
[3]
Dans un avis de cotisation daté du 22 mai 2015, une cotisation a été établie à l’endroit de M. Nelson par le ministre en application du paragraphe 323(1) de la Loi au motif que CV Home & Auto Glass Ltd. (l’« entreprise »
) n’avait pas versé un montant de taxe nette comme l’exige le paragraphe 228(2) de la Loi, qui s’élève à 40 277,07 $ (la « cotisation sous-jacente »).
[4]
La pièce A-1, qui contient divers documents, a été produite à l’audience.
[5]
Mme Nelson a témoigné la première à l’audience. Pendant ce temps, son époux, Richard Nelson, était exclu de la salle d’audience. Il a témoigné après Mme Nelson. L’intimée n’a appelé aucun témoin. Des observations écrites ont été rédigées par les parties et ont été reçues par la cour durant le mois de juillet 2017.
[7]
M. et Mme Nelson sont mariés depuis 23 ans et ont deux enfants maintenant âgés de 11 et de 13 ans. Mme Nelson travaille comme conseillère adjointe en placements depuis 2000; toutefois, elle n’a pas travaillé en 2009 ni durant une partie de 2008. Son salaire et ses commissions, qui allaient de 53 000 $ à 66 000 $ par année, ont été payés directement dans son compte bancaire à la Banque de Commerce Canadienne Impériale (le « compte à la CIBC »
). Les dépenses du ménage sont payées à même le compte à la CIBC et le compte de chèques à la RBC (défini plus bas). Mme Nelson gère les finances du ménage.
[8]
M. Nelson a déclaré que l’entreprise était devenue active en 1993 et qu’elle avait cessé ses activités en 2014. L’entreprise, dont M. Nelson était le propriétaire exclusif, avait des problèmes de liquidité, puisqu’elle avait pris de l’expansion à la fin de 2007 et au début de 2008 et que du nouvel équipement avait été acheté. Sa clientèle était principalement composée de personnes à la retraite, lesquelles, en raison de la crise financière de 2008, avaient moins de fonds disponibles pour les rénovations. M. Nelson avait espoir que l’entreprise puisse se rétablir, puisqu’il avait été en mesure de renégocier les modalités de remboursement avec les banques, le loyer de même que les paiements aux fournisseurs. Toutefois, il restait une créance d’environ 60 000 $ qui n’a jamais été payée, et l’entreprise a été obligée de fermer ses portes. M. Nelson a déclaré que l’entreprise devait de l’argent à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), à plusieurs fournisseurs et à plusieurs banques. M. Nelson a aussi dit qu’il avait emprunté différents montants à Mme Nelson. Comme il a été mentionné plus haut, M. Nelson a corroboré le témoignage de Mme Nelson.
[9]
Mme Nelson a déclaré que quatre transferts d’argent totalisant 143 000 $ avaient été faits à l’entreprise durant 2008, 2009 et 2011, comme il est mentionné plus bas (collectivement, les « transferts »). Mme Nelson a expliqué qu’elle avait accepté de faire les transferts puisque son époux lui avait expliqué qu’il avait besoin de fonds pour les activités de l’entreprise étant donné qu’il avait des problèmes de liquidité. Mme Nelson a déclaré qu’elle voulait soutenir les activités commerciales de son époux. Elle était d’avis que la moitié des sommes transférées lui appartenaient.
[10]
Avant chaque transfert, M. Nelson demandait à Mme Nelson l’autorisation d’emprunter les fonds. Les éléments de preuve montrent que Mme Nelson n’a en aucun temps été actionnaire, directrice ou membre de la direction de l’entreprise et qu’elle n’était pas employée par l’entreprise ni ne participait aux activités quotidiennes de celle-ci.
[12]
M. et Mme Nelson ont convenu que les intérêts seraient payés tous les mois et qu’un remboursement de capital de 1 000 $ serait fait tous les mois lorsque les activités de l’entreprise seraient rentables. Quelques paiements ont été faits au fil des ans. Mme Nelson a dit que, en date de janvier 2011, l’entreprise avait fait certains paiements d’intérêt, mais aucun remboursement de capital. Mme Nelson a déclaré que, en 2013, l’entreprise lui avait fait certains paiements d’intérêt et de petits remboursements de capital. Toutefois, le solde de la marge de crédit (définie ci-dessous), qui s’élevait à 152 149,24 $ au moment du transfert des intérêts, correspondait essentiellement au montant qu’a accepté de transférer Mme Nelson à M. Nelson et à l’entreprise.
[13]
Les transferts ont été les suivants :
i) Un transfert de 50 000 $ a été fait par chèque (daté du 15 décembre 2008) à l’ordre de l’entreprise et tiré du compte chèque conjoint de M. et Mme Nelson à la Banque Royale du Canada (
« RBC »
) (le« compte chèque à la RBC »
). Les fonds provenaient de la marge de crédit conjointe (la « marge de crédit ») à la RBC. Le chèque portait le nom et l’adresse de Mme Nelson et était signé par M. Nelson. Selon Mme Nelson, M. Nelson a signé le chèque parce qu’elle n’était pas disponible à ce moment-là pour le signer. Toutefois, elle a déclaré que, avant que M. Nelson signe le chèque, ils avaient discuté du fait que la moitié des fonds lui appartenait.ii) Un transfert de 50 000 $ a été fait par chèque (daté du 12 février 2009) à l’ordre de l’entreprise et tiré du compte chèque à la RBC. De ce montant, 40 000 $ provenaient de la marge de crédit et 10 000 $ provenaient du compte d’épargne conjoint de M. et Mme Nelson à la RBC (le « compte d’épargne à la RBC »). Le chèque portait le nom et l’adresse de Mme Nelson et était signé par M. Nelson.
iv) Un transfert de 24 000 $ a été fait par un chèque (daté du 17 janvier 2011) à l’ordre de l’entreprise et tiré du compte chèque à la RBC. Les fonds provenaient de la marge de crédit. Le chèque était signé par Mme Nelson.
[15]
Mme Nelson a aussi témoigné au sujet des événements qui ont précédé le transfert du droit de son époux sur la propriété en juillet 2013. L’entreprise n’était pas en bonne posture financière, et l’époux de Mme Nelson était très stressé par l’ensemble de la situation. Comme M. Nelson ne détenait aucun autre actif que le droit, il a offert de transférer le droit à Mme Nelson pour rembourser une partie des transferts. Après le transfert du droit, Mme Nelson a été en mesure de payer le solde de la carte de crédit, mais le solde de la marge de crédit est toujours impayé. En outre, M. Nelson n’a pas payé sa moitié de l’hypothèque au montant du transfert du droit.
[16]
Enfin, Mme Nelson a expliqué que, dans sa lettre datée du 9 juin 2015 et adressée à l’ARC (la « lettre à l’ARC »), laquelle a été déposée sous la cote R-2 lors de l’audience, elle n’a pas fait référence aux transferts, car elle ne croyait pas qu’elle devait le faire puisque le syndic de faillite de M. Nelson lui avait dit que le transfert du droit était nul et non avenu. Dans la lettre, Mme Nelson a mentionné que la contrepartie donnée pour le transfert du droit était de 1 $ et elle a renvoyé l’agent de l’ARC au syndic de faillite pour tout renseignement supplémentaire.
[17]
Divers documents concernant la faillite ont été déposés sous la cote A-1 (onglet 29). Le 9 décembre 2015, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a émis une ordonnance en vertu de laquelle M. Nelson devait payer à son syndic de faillite la somme de 12 000 $ pour le droit, puisqu’il s’agissait d’un bien qu’il a transféré selon la juste valeur marchande avant de déposer une cession de faillite.
[18]
L’intimée a déposé sous la cote R-1 un formulaire A (le « formulaire A »
), soit le document de transfert enregistré auprès de la Victoria Land Title Office. Selon le document, la contrepartie pour le transfert du droit était de [traduction] « 1 $ plus amour et estime ».
III.
QUESTION EN LITIGE
IV.
POSITION DES PARTIES
A.
Position de l’appelante
[21]
Selon l’appelante, les transferts représentent des prêts consentis par Mme Nelson à M. Nelson et à l’entreprise. Plus précisément, la moitié du montant ainsi transféré, soit 71 500 $, constitue les prêts. Une entente verbale a été conclue entre M. et Mme Nelson, selon laquelle les transferts étaient des prêts consentis par Mme Nelson.
[22]
Selon les témoignages de M. et de Mme Nelson, le transfert du droit a été fait par M. Nelson en remboursement d’une partie des prêts, puisque l’entreprise n’était pas en mesure de rembourser Mme Nelson. L’appelante a invoqué l’affaire Connolly c La Reine, 2016 CCI 139, 2016 DTC 1094 [Connolly], pour appuyer sa position.
iv) l’entreprise a fait des paiements à Mme Nelson en 2011, en 2012 et en 2013. Les éléments de preuve montrent que Mme Nelson était ni une employée, ni une actionnaire, ni une directrice ni un membre de la direction de l’entreprise; par conséquent, ces paiements ne pouvaient être autre chose que le remboursement des prêts. Le grand livre général de l’entreprise déposé sous la cote A-1 à l’onglet 28 montre en tout 22 paiements effectués par l’entreprise à l’ordre de Mme Nelson, et les relevés bancaires de la Toronto Dominion déposés sous la cote A-1 aux onglets 30 et 31 présentent certains des paiements effectués. Il est important de noter que ces paiements ont été faits bien avant que Mme Nelson ne soit informée de toute obligation possible en vertu de la Loi.
B.
Position de l’intimée
[26]
Selon l’intimée, M. Nelson n’a pas transféré le droit à Mme Nelson dans le but de repayer les prêts que Mme Nelson a consentis à M. Nelson ou à l’entreprise. M. Nelson a plutôt transféré le droit à Mme Nelson moyennant une contrepartie de 1 $, comme l’indique le Formulaire A. Les transferts [traduction] « n’étaient pas une source de dette entre époux, mais témoignaient d’une famille qui gère ses finances partagées et qui déplace de l’argent entre divers comptes pour soutenir l’entreprise, qui était la source d’une grande partie du revenu familial ».
[29]
L’intimée n’a pas contesté le fait que l’argent avait été transféré de l’entreprise à Mme Nelson. Toutefois, selon l’intimée, ces sommes représentaient non pas le remboursement des prêts, mais uniquement le fait que l’entreprise était une source de revenu pour la famille.
[30]
De plus, selon l’intimée, l’allégation de Mme Nelson selon laquelle leurs finances étaient séparées équitablement n’est pas valable, puisqu’ils géraient leurs affaires financières en couple. Pour montrer la nature étroitement liée des finances familiales, l’intimée a souligné que les chèques de paye de M. Nelson étaient déposés dans le compte chèque à la RBC. En outre, l’intimée a fait observer que deux chèques correspondant à deux transferts étaient au nom de Mme Nelson, mais avaient été signés par M. Nelson. Toutefois, puisque Mme Nelson gérait toutes les finances de la famille, il est logique que la majorité des chèques aient été à son nom.
[33]
Enfin, selon l’intimée, la juste valeur marchande du droit est de 27 306,18 $, comme l’a établi le ministre. Les coûts potentiels associés à l’aliénation théorique de la propriété, comme les frais juridiques et les commissions des courtiers immobiliers, ne doivent pas être pris en compte au moment de déterminer la juste valeur marchande du droit. De plus, l’intimée a fait valoir que je ne devrais pas prendre connaissance d’office du montant de la juste valeur marchande du droit établi par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans le cadre de la procédure de faillite de M. Nelson; la valeur est un fait que doit trancher la Cour. Un plaidoyer de préclusion pour même question en litige ne peut être fructueux en l’espèce, puisqu’il n’y a pas identité. De plus, l’intimée est d’avis que l’argument du recours abusif ne devrait pas être admis dans ces circonstances particulières.
V.
ANALYSE
[34]
L’article 325 de la Loi est un outil de perception fiscale qui empêche les contribuables qui ont contracté une dette fiscale de transférer un bien à une certaine personne avec qui ils ont un lien de dépendance pour tenter de mettre le bien à l’abri du recouvrement d’une dette fiscale (Canada c Livingston, 2008 CAF 89, au par. 18, 2008 DTC 6233 [Livingston], au sujet d’une disposition semblable de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C., 1985, ch. 1 (5e suppl.), version modifiée). Lorsque l’article 325 de la Loi s’applique à juste titre, le cessionnaire devient responsable du montant dont le cédant est redevable en vertu de la Loi pour sa période de déclaration qui comprend la date du transfert du bien ou pour ses périodes de déclaration antérieures, dans la mesure où la juste valeur marchande du bien transféré excède la contrepartie payée par le cessionnaire.
[35]
Le paragraphe 325(1) de la Loi prévoit ce qui suit :
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[36]
Pour que le paragraphe 325(1) de la Loi s’applique, quatre conditions doivent être réunies : (Livingston, précité, au par. 17) :
[37]
Dans le présent appel, le fait que les trois premières conditions sont réunies n’est pas contesté. La seule question dont je suis saisie est de savoir si la juste valeur marchande du droit au moment du transfert excédait la juste valeur marchande au moment où la contrepartie a été payée par Mme Nelson, le cas échéant. Afin de trancher la question, je vais d’abord déterminer la juste valeur marchande de la contrepartie payée par Mme Nelson, le cas échéant, pour le transfert du droit. Si je conclus que la juste valeur marchande de la contrepartie payée par Mme Nelson pour le transfert du droit est inférieure à 27 306,18 $, j’examinerai, en second lieu, la juste valeur marchande du droit au moment du transfert.
[38]
Comme il est mentionné dans la réponse (par. 18), au moment de déterminer l’obligation de Mme Nelson en vertu de la Loi, le ministre a formulé diverses hypothèses de fait, notamment les suivantes :
[traduction]
e) le 18 juillet 2013, l’époux a transféré à l’appelante son droit sur 50 % de la propriété moyennant une contrepartie de 1 $ (le « transfert »);
f) l’appelante n’a payé aucune autre contrepartie en échange du droit de l’époux sur 50 % sur la propriété;
g) l’époux ne devait pas d’argent à l’appelante lorsqu’il lui a transféré son droit sur 50 % de la propriété;
[...]
n) la juste valeur marchande du droit de 50 % de l’époux sur la propriété était de 27 306,18 $, comme il est indiqué à l’annexe « F »;
[...]
[39]
Comme l’a expliqué la juge L’Heureux-Dubé dans l’affaire Hickman Motors Ltd c Canada, [1997] 2 RCS 336, aux par. 92–95, 97 DTC 5363, la charge initiale du contribuable consiste à démolir les présomptions sur lesquelles s’est fondé le ministre pour établir la cotisation en présentant une preuve prima facie selon laquelle les présomptions sont inexactes. Ainsi, le fardeau de la preuve passe au ministre, qui doit prouver ses présomptions.
[40]
Il est aussi très important de garder à l’esprit que le renversement du fardeau de la preuve sur le ministre ne peut être fait à la légère ou arbitrairement, car le contribuable possède généralement des renseignements qui sont à sa portée et sur lesquels il exerce un contrôle. Sauf dans des cas exceptionnels dans lesquels les faits relèvent de la connaissance particulière du ministre, la remise en question de cotisations d’impôt établies doit passer par une réfutation des hypothèses du ministre (voir Canada c Anchor Pointe Energy Ltd, 2007 CAF 188, aux par. 35 et 36, 283 DLR (4e) 434).
[41]
Une preuve prima facie est celle qui est « étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la cour doit l'accepter si elle y ajoute foi, à moins qu'elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé. Une preuve prima facie n’est pas la même chose qu’une preuve concluante, qui exclut la possibilité que toute conclusion autre que celle établie par cette preuve soit vraie »
(Stewart c Canada (ministre du Revenu national – MRN), [2000] ACI no 53 (QL) au par. 23 (CCI), décision citée avec approbation par la juge Trudel dans la décision Amiante Spec Inc c Canada, 2009 CAF 139, au par. 23, [2010] GSTC 26).
[42]
En gardant à l’esprit ces principes et après avoir examiné les éléments de preuve présentés à l’audience, j’estime que Mme Nelson a montré, selon la prépondérance des probabilités, que la moitié de la somme des transferts constituait des prêts qu’elle avait consentis à son époux et à l’entreprise. Je conclus également que Mme Nelson a payé une contrepartie en échange du transfert du droit et que la juste valeur marchande de ladite contrepartie, à savoir la moitié du montant des transferts, qui totalisait 71 500 $, excédait la juste valeur marchande du droit au moment du transfert, qui a été établie à 27 306,18 $. L’intimée n’a pas réussi à réfuter les éléments de preuve crédibles et fiables présentés par M. et Mme Nelson à l’audience.
[43]
En matière de crédibilité, je peux tenir compte des incohérences, de l’attitude et du comportement du témoin, des raisons de rendre un faux témoignage et de la teneur générale de la preuve (Nichols c La Reine, 2009 CCI 334, 2009 DTC 1203 (par. 23)). Les éléments de preuve dont je dispose ont établi, dans l’ensemble, que Mme Nelson a prêté de l’argent à son époux et à l’entreprise pour un montant total de 71 500 $, qui équivaut à la moitié du montant des transferts.
[44]
Selon l’intimée, les transferts [traduction] « témoignaient d’une famille qui gère ses finances partagées et qui déplace de l’argent entre divers comptes pour soutenir l’entreprise, qui était la source d’une grande partie du revenu familial ». Je rejette cet argument.
[45]
Le fait qu’il n’y a pas d’entente écrite ni de billet à ordre pour reconnaître les prêts et qu’aucune garantie n’a été prise ne fait pas obstacle à ma conclusion, puisque j’estime que les témoignages de M. et de Mme Nelson étaient crédibles et fiables et qu’ils prouvaient qu’une entente verbale avait été conclue entre les deux. Mme Nelson a déclaré qu’elle ne pensait pas qu’une entente écrite était nécessaire entre époux. De plus, les éléments de preuve ont montré que M. Nelson avait consulté Mme Nelson avant chaque transfert et que les époux avaient convenu des modalités de remboursement. Comme il a été mentionné plus haut, je n’ai trouvé aucune contradiction entre les témoignages de M. et de Mme Nelson. Le juge Favreau, de la Cour, a affirmé ce qui suit dans l’affaire Pelletier c La Reine, 2009 CCI 541, 2009 DTC 1365 [Pelletier] :
13 En ce qui a trait aux questions fiscales, les contribuables doivent presque toujours fournir des preuves documentaires quand la preuve qu’ils ont déposée n’est pas concluante ou vague, quand les témoins ne sont pas crédibles ou quand les informations qu’ils ont fournies sont entachées de contradictions.
[46]
Après avoir cité l’affaire Pelletier, précitée, une décision qu’il a tranchée, le juge Favreau a conclu, dans l’affaire Connolly, précitée, qu’il « faut s’abstenir de conclure que la preuve documentaire est toujours requise, car il est bien reconnu qu’un contrat verbal peut avoir la même force exécutoire qu’un contrat écrit. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’établir l’existence d’un contrat verbal, la difficulté réside dans la preuve testimoniale soumise par un témoin – donc sur sa crédibilité » (par. 27).
[48]
En outre, l’entreprise a fait divers paiements à Mme Nelson au fil des ans et, selon moi, ces paiements montrent que M. Nelson et l’entreprise ont une dette envers Mme Nelson. Mme Nelson n’était pas actionnaire de l’entreprise ni directrice ou membre de la direction. M. et Mme Nelson ont aussi déclaré que Mme Nelson n’a jamais été employée par l’entreprise et qu’elle n’a jamais pris part aux activités quotidiennes de l’entreprise. Par conséquent, l’entreprise ne pouvait pas lui verser de dividende ni de salaire. L’intimée a aussi déclaré que, puisque Mme Nelson gérait toutes les finances de la famille, il n’était pas déraisonnable que l’argent passe de l’entreprise à Mme Nelson. Je n’arrive pas à voir la pertinence de cet argument. De plus, Mme Nelson a aussi dit qu’elle était une femme indépendante et, en effet, les éléments de preuve confirment clairement que Mme Nelson travaille comme conseillère adjointe en placements depuis 2000. Elle a déclaré que ce n’est qu’en 2009 qu’elle n’a pas travaillé et qu’elle est restée à la maison pour prendre soin de leurs deux enfants.
[49]
Pour soutenir sa position, l’intimée a aussi fait observer qu’il n’y a aucune référence aux dettes sur les copies des chèques payés émis par l’entreprise à Mme Nelson. Je ne vois pas comment ce fait pourrait être pertinent, puisqu’aucun des chèques émis par l’entreprise et présentés à l’audience, y compris les chèques émis à l’ordre de Mme Nelson, ne portaient de mention quant à la raison du paiement. Je remarque aussi qu’il n’y a aucun espace sur les divers chèques pour ajouter une mention quant à la raison du paiement.
[50]
De plus, à la lumière des témoignages de M. et de Mme Nelson, je ne vois pas comment je peux conclure que, puisqu’ils agissaient comme une seule unité en ce qui a trait à la gestion des finances familiales, il n’est pas possible d’établir que les prêts ont été consentis par Mme Nelson à M. Nelson et à l’entreprise. L’intimée a fait valoir que le fait que tous les biens étaient détenus en copropriété par Mme et M. Nelson revêt une grande importance dans le présent appel et constitue une différence fondamentale par rapport aux faits dans l’affaire Connolly, précitée. L’intimée a indiqué que les transferts venaient de comptes détenus conjointement par M. et Mme Nelson; en outre, ils détenaient conjointement la propriété. De plus, M. et Mme Nelson ont tous les deux déclaré que, si l’un d’eux omettait de faire un paiement pour la carte de crédit ou la marge de crédit, l’autre serait pleinement responsable des paiements; par conséquent, selon l’intimée, M. et Mme Nelson géraient leurs affaires financières en couple, et il ne peut donc être conclu qu’un prêt a été consenti par Mme Nelson à M. Nelson et à l’entreprise. L’intimée a invoqué l’affaire Ferraro-Passarelli c La Reine, 2013 CCI 26, au par. 21, [2013] GSTC 23 [Ferraro], où la Cour a statué que le fait que les biens étaient détenus en copropriété revêtait une importance particulière au moment de rendre la décision.
[51]
Dans l’affaire Ferraro, précitée, la Cour a rejeté l’appel du contribuable après avoir conclu que, selon les faits dans l’affaire, il n’y avait aucune preuve de l’existence d’un contrat mutuel aux termes duquel chacun des époux serait responsable de sa part de l’hypothèque. Les faits dans l’affaire Ferraro, précitée, sont considérablement différents de ceux en l’espèce, puisque l’objet de la dette dans l’affaire Ferraro était un élément d’actif possédé conjointement (la maison familiale) et la dette était composée de sommes payées pour les taxes foncières et l’hypothèque. En l’espèce, les transferts représentent des montants considérables et ont été payés directement à l’entreprise qui appartient exclusivement à M. Nelson.
[52]
De plus, je suis d’avis que, même si les témoignages montraient que, à l’égard des banques, M. et Mme Nelson étaient pleinement responsables des dettes liées à la marge de crédit et à la carte de crédit, cela n’a aucune incidence sur les obligations entre M. et Mme Nelson, puisqu’[traduction] « un codébiteur, même s’il est responsable envers le créancier du montant total, n’est responsable parmi les codébiteurs que de sa part » (Lafrentz v M & L Leasing, 2000 ABQB 714 (CanLII), au par. 32, 275 AR 334). Selon moi, les éléments de preuve ont montré que l’entente conclue entre M. et Mme Nelson tenait au fait que, entre eux, la moitié de l’argent emprunté sur la marge de crédit et retiré de la carte de crédit était la responsabilité de Mme Nelson, et l’autre moitié, celle de M. Nelson.
[53]
Il convient de souligner que les deux chèques émis pour les transferts faits en 2008 et en 2009 étaient au nom de Mme Nelson et signés par M. Nelson. L’intimée a fait valoir qu’il s’agit là d’un autre fait montrant la nature étroitement liée des finances familiales. Je ne suis pas d’accord. J’estime que ces chèques tendent à confirmer les témoignages de M. et de Mme Nelson quant au fait que Mme Nelson a prêté l’argent à M. Nelson et à l’entreprise.
[55]
Je n’ai pas accordé beaucoup d’importance à la lettre à l’ARC, dans laquelle Mme Nelson ne mentionnait pas les transferts. Premièrement, Mme Nelson n’était pas représentée à cette étape-là de l’affaire. Deuxièmement, aucun élément de preuve n’a été présenté quant au contenu de la conversation qu’a eue Mme Nelson avec l’agent de l’ARC et quant à la demande formulée par l’agent de l’ARC. En outre, je ne suis pas prête à conclure que Mme Nelson a compris la teneur du paragraphe 325(1) de la Loi. Enfin, Mme Nelson a fourni une explication crédible quant à la raison pour laquelle elle n’a pas mentionné les transferts.
[56]
Je suis d’avis que la mention figurant sur le Formulaire A selon laquelle la contrepartie était de [traduction] « 1 $ plus amour et estime » n’est pas concluante quant à la juste valeur marchande de la contrepartie payée par Mme Nelson pour le transfert du droit, particulièrement dans une opération entre personnes ayant un lien de dépendance comme celle à l’étude dans le présent appel.
[58]
Enfin, les éléments de preuve ont montré que le transfert du droit à Mme Nelson a été fait pour rembourser une partie des montants qui lui étaient dus relativement aux transferts, puisque le droit était le seul bien exclusif que détenait M. Nelson. M. Nelson a déclaré que le transfert du droit avait été fait pour soulager Mme Nelson, puisqu’elle était préoccupée par cet aspect.
[59]
Après avoir conclu que la juste valeur marchande de la contrepartie payée par Mme Nelson en échange du transfert du droit était égale à la moitié du montant des transferts, à savoir 71 500 $, je n’ai pas à déterminer si la juste valeur marchande du droit était égale à 12 000 $ ou à 27 306,18 $ et je refuse de le faire.