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Date: 20000602

Dossier: 1999-4468-IT-I

ENTRE :

PETER S. JENSEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance a été entendu à Edmonton (Alberta), le 2 mai 2000, sous le régime de la procédure informelle de la Cour. Seul l'appelant a témoigné. Il a produit sous la cote A-1 trois recueils de documents. Le volume I contient notamment l'enregistrement de Firebird Apparel Design (“ Firebird ”) à titre d'entreprise individuelle au bureau du ministère de la Consommation et des Affaires commerciales en Alberta en 1991, une décision de Revenu Canada selon laquelle l'épouse de l'appelant, Edith, n'était pas une employée au sens de la Loi sur l'assurance-chômage et du Régime de pensions du Canada, des permis d'exploitation d'une entreprise délivrés par la ville de St. Albert à Firebird pour 1995 et 1996 et par la ville d'Edmonton pour 1997, 1998 et 1999, ainsi que de nombreux projets d'entreprise et les détails de travaux effectués en 1996 et 1997 par Firebird, comprenant principalement des travaux, des réparations et des retouches faits sur commande. Le volume II contient entre autres choses les réponses à un questionnaire sur l'entreprise. Le volume III, quant à lui, contient des photographies de l'équipement utilisé dans le cadre des activités de Firebird.

QUESTIONS EN LITIGE

[2] Il s'agit principalement de déterminer si, dans les années 1996 et 1997, l'appelant pouvait raisonnablement s'attendre à tirer un profit des activités de Firebird, de sorte qu'il avait le droit de déduire des pertes nettes dans ces années-là.

[3] L'intimée soulève une question subsidiaire, à savoir que, s'il est déterminé que l'appelant pouvait raisonnablement s'attendre à tirer un profit des activités de Firebird, l'entreprise doit être considérée comme ayant été exploitée par une association de personnes, de sorte que l'appelant et son épouse ont chacun droit à la moitié des pertes déduites par l'appelant en 1996 et 1997.

FAITS

[4] Les faits essentiels sont les suivants :

L'appelant a enregistré son entreprise, Firebird, en tant qu'entreprise individuelle. Les activités de cette entreprise consistaient principalement à coudre et à raccommoder différents types de vêtements et d'équipement et à effectuer des retouches. Les activités étaient effectuées à la maison de l'appelant. L'épouse de ce dernier effectuait le travail en sous-traitance. L'appelant, quant à lui, s'occupait des questions administratives, de la facturation, du marketing et de la planification. Pour bien comprendre les activités et leur portée, il est utile de citer certains extraits des réponses données dans le questionnaire sur l'entreprise inclus dans le volume II de la pièce A-1 :

[TRADUCTION]

Voici mes réponses au questionnaire sur l'entreprise que votre bureau m'a remis le 19 mai 1998. Elles reprennent l'ordre numérique des questions.

1. a(i) J'ai commencé à exploiter FIREBIRD APPAREL DESIGN (1991) en février 1991, le 1er février 1991 pour être exact. [...]

a(ii) Les activités se poursuivent; elles n'ont pas cessé.

Conformément au plan d'entreprise que j'ai dressé au mois de mars 1996, les produits et services sont les suivants :

Vente directe à des points de vente ayant des besoins spécialisés, p. ex. à des boutiques de professionnels dans des clubs d'entraînement privés, à des compagnies de promotion ayant besoin de vêtements pour leurs clients.

Vente directe à des particuliers qui ont des besoins spéciaux sur le plan de l'ajustement.

Vente à des groupes de particuliers qui ont besoin d'un petit nombre d'uniformes.

Confection d'un vêtement spécial pour une occasion spéciale.

Services aux personnes qui ont acheté un vêtement prêt à porter ayant besoin de retouches.

Services aux personnes qui désirent faire réparer leurs vêtements.

Je suis également propriétaire d'une marque de commerce déposée pour le Canada qui inclut notamment les marchandises et les services suivants :

Des complets, des cravates, des chemises, des pantalons pour hommes et pour femmes, y compris des blue-jeans, des robes, de la lingerie, des survêtements, des caleçons boxer, des shorts pour la course, des coupe-vent, des survêtements pour la course, des maillots de bain, des tee-shirts et des costumes d'aérobie, c'est-à-dire des collants de type Unitard, des léotards, des hauts courts, des caleçons longs, des shorts de cyclisme, des collants, des shorts, des pantalons, des gilets débardeurs et des hauts courts.

Services : Retouches et confection de vêtements sur mesure, confection de chemises, création et gradation de patrons.

Le certificat d'enregistrement no 436176 m'a été délivré le 25 novembre 1994 aux fins de mes activités commerciales au Canada à compter du 27 février 1991.

Il s'agit d'une entreprise de gros et de détail;

Conformément à mon plan d'entreprise, à la page 11, la méthode de vente consiste à effectuer des ventes directes et à utiliser des noms de clients qui m'ont été communiqués. Je soumets aussi des propositions pour différentes compagnies dans le domaine des vêtements promotionnels.

Vêtements de sport et d'équipe pour des particuliers et des équipes aux fins de différents événements qui se déroulent dans la collectivité.

Conformément au plan d'entreprise, à la page 11, je fais la promotion de mon entreprise au moyen de cartes professionnelles, d'étiquettes pour vêtements brodées, d'annonces dans les pages jaunes et dans des revues spécialisées annonçant des événements sportifs, et je compte aussi sur les clients dont le nom m'a été communiqué et les clients habitués.

Au cours des années 1996 et 1997, nos clients principaux étaient Nelaine Advertising, Panther Gym et Karate Club, ainsi que Paranoid Ink, un agent de distribution publicitaire plus modeste. Au cours des années 1996 et 1997, beaucoup de clients ont eu besoin de retouches.

[...]

a) Mes activités ont subi des changements importants au cours des années 1996 et 1997 du fait de plusieurs événements. Certains des facteurs ayant contribué à ces changements étaient et sont encore les suivants : la baisse du dollar canadien, la T.P.S. et l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). À cause de la combinaison de ces facteurs dans l'économie canadienne, il m'a été difficile de soutenir la concurrence dans le domaine du vêtement haut de gamme pour hommes au cours de la récession qui a suivi. Comme d'autres dans l'industrie du textile, j'ai dû m'interroger sur la position de mon entreprise et recentrer les activités. J'ai décidé de mettre fin aux activités de confection de vêtements haut de gamme pour hommes en raison de leur non-rentabilité. Mon entreprise a mis l'accent sur les vêtements de sport pendant cette période. J'ai obtenu plus de succès, jusqu'à l'été 1997. Il y a alors eu un certain ralentissement principalement du côté des contrats avec le milieu de la boxe [...]

Il y a lieu de préciser que, pendant ces événements et les événements qui se sont produits jusqu'en 1996 et 1997, plusieurs usines de confection de vêtements et points de vente ont fait faillite. C'est grâce à ces faillites attribuables à la récession que j'ai pu faire l'acquisition de la vaste majorité des machines à coudre que j'utilise aux fins de mes activités commerciales. Ces machines ont été achetées pour une bouchée de pain. J'ai dû les acheter pour que mon entreprise devienne plus crédible et plus concurrentielle sur le marché. Ainsi, je ne me concentre plus uniquement sur les vêtements pour particuliers; je tente plutôt d'obtenir des contrats avec d'importants groupes. Il s'agit là d'un changement important de l'activité principale de mon entreprise.

[...]

Mon entreprise est exploitée dans ma résidence principale, sise au 3817, rue 103b, Edmonton (Alberta) T6J 2X8.

Au rez-de-chaussée se trouve un coin repos qui sert de salle de couture principale : il mesure approximativement 12 pieds sur 11 pieds. L'une des chambres à coucher à l'étage sert de bureau : elle mesure approximativement 12 pieds sur 9 pieds. Le sous-sol n'est pas fini : c'est là que se trouvent plusieurs machines à coudre, ainsi qu'une table de coupe et une table à dessin. Le sous-sol mesure approximativement 26 pieds sur 43 pieds.

J'estime que 20 pour cent de ma résidence sert à mon entreprise.

La salle de couture du rez-de-chaussée est utilisée pour la plupart des menus travaux, qu'il s'agisse de presser les vêtements, de coudre les étiquettes sur les vêtements ou de faire les finitions. La collection de livres de référence se trouve également dans cette salle.

Au sous-sol se trouvent les machines à coudre industrielles plus lourdes; c'est là aussi qu'on effectue la confection à proprement dit. La table de coupe s'y trouve également; elle est parfois utilisée pour le dessin, mais elle sert principalement à tailler les vêtements qui ont été commandés. Le gros de mon stock y est entreposé dans des boîtes et des armoires. La table à dessin sert à dessiner des patrons pleine dimension dans les différentes tailles requises.

La chambre à coucher à l'étage me sert de bureau. C'est là que j'effectue toutes les tâches de tenue de livres et de classement. C'est là également que se trouve l'ordinateur que j'utilise aux fins de mes activités commerciales.

Le rez-de-chaussée est utilisé également pour recevoir des clients potentiels et pour conclure des ententes relativement aux différentes propositions présentées.

4. a) Les éléments d'actif que j'ai acquis à des fins commerciales sont les suivants :

(Suit une liste détaillée des éléments d'actif de l'entreprise)

[TRADUCTION]

a) J'ai acheté un équipement de meilleure qualité et j'ai trouvé des sources de matières premières moins chères pour confectionner nos vêtements. L'entreprise a de nouveaux locaux et son activité principale n'est plus le vêtement haut de gamme, mais le vêtement de sport. [...]

b) Mon entreprise est financée entièrement à l'aide du salaire que je tire de mon travail actuel et de ma marge de crédit personnelle. Tous les profits réalisés sont réinvestis directement dans l'entreprise aux fins d'un financement supplémentaire.

[...]

[...]

J'ai également déménagé l'entreprise pour la rapprocher de la clientèle et des fournisseurs. Cela nous a aussi permis de disposer de beaucoup plus d'espace, si bien que toute la machinerie se trouve maintenant dans un endroit plus central. Ainsi, nous perdons beaucoup moins de temps et dépensons beaucoup moins d'énergie à effectuer le travail.

12. [...]

L'expansion est une question bien réelle, mais le temps nous dira à quel moment l'entreprise devra prendre de l'expansion. Si l'occasion se présente, je suppose que j'agirai à ce moment-là. Entre-temps, je continue de parfaire mes compétences d'administrateur et de vendeur et d'acquérir des connaissances dans mon domaine actuel. J'ai l'ultime conviction de connaître à fond le fonctionnement de mon entreprise. Je réalise que j'ai misé une grande partie de mon argent personnel et que j'ai aussi investi énormément d'énergie. Je profite de cette occasion pour acquérir de l'expérience pratique afin de garantir le succès de mon entreprise à l'avenir en assumant un risque minimum. Je sais que, à la faveur du redressement économique, mes investissements rapporteront d'énormes dividendes.

2. L'appelant travaillait principalement comme policier pour le gouvernement de l'Alberta.

L'activité a commencé en 1991. L'appelant a déclaré le revenu d'emploi suivant versé par le gouvernement de l'Alberta :

Année

Revenu d'emploi

1991

35 014,00 $

1992

37 603,00

1993

37 368,30

1994

36 533,62

1995

35 150,60

1996

35 296,25

1997

35 434,49

De 1991 à 1997, l'appelant a déclaré les pertes suivantes découlant de l'activité :

Année d'imposition

Bénéfices bruts

Frais d'exploitation

DPA

Perte nette

1991

4 839,00 $

7 192,00 $

( 2 353,00)

1992

11 966,00

14 899,00

( 2 933,00)

1993

2 923,62

14 189,94

611,58 $

(11 877,90)

1994

6 500,21

20 389,25

1 356,84

(15 245,88)

1995

7 395,90

18 332,72

4 285,00

(15 221,82)

1996

470,41

26 147,56

6 831,66

(32 508,81)

1997

5 574,06

25 367,52

3 710,28

(23 503,74)

L'appelant consacrait à l'activité de deux à sept heures par soir les jours de travail normaux et approximativement 10 heures les fins de semaine. L'épouse de l'appelant consacrait à l'activité de 60 à 70 heures par semaine.

OBSERVATIONS DE L'APPELANT

[5] L'appelant soutient qu'une attente raisonnable de profit sous-tendait un grand nombre d'activités accomplies. Il fait référence au volume I de la pièce A-1, où l'on décrit avec force détails les antécédents et les activités de l'entreprise. Il souligne également le volume III de la pièce A-1, qui contient des photographies de la quantité de machines spécialisées utilisées aux fins des activités. Il nie avoir été associé à quelque moment que ce soit avec son épouse et soutient que cette dernière avait sa propre entreprise individuelle aux fins d'une autre activité et qu'elle était un entrepreneur auquel il faisait appel. Il a déclaré, relativement à la mention faite dans la déclaration de revenu de 1997 que son épouse était une associée, que c'était de toute évidence une erreur, et il souligne en outre que, dans la déclaration en question, il n'a attribué à son épouse aucune partie des profits ou pertes d'une association de personnes.

OBSERVATIONS DE L'INTIMÉE

[6] L'avocate de l'intimée attire l'attention sur l'ampleur des pertes subies en dépit des activités exercées et conclut qu'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit dans les années en question. En outre, l'appelant a bénéficié d'une période de démarrage raisonnable qui a pris fin en 1995, de sorte que les pertes déduites en 1996 et 1997 ne peuvent être admises. L'avocate attire également l'attention sur l'état des revenus d'entreprise produit avec les déclarations de revenu dans les différentes années, en particulier en 1997, où l'on peut lire que l'épouse de l'appelant était une associée.

ANALYSE ET DÉCISION

[7] À mon avis, l'appelant pouvait raisonnablement s'attendre à réaliser un profit dans les années en question. Voici mes principaux motifs :

La mise sur pied de l'entreprise individuelle et ses activités, examinées en détail dans la pièce A-1, volumes I et II, indiquent l'existence d'une activité de type commercial.

L'appelant consacrait de nombreuses heures à l'activité.

L'appelant est un témoin digne de foi.

Il ne suffit pas d'examiner les pertes et d'en conclure qu'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit.

L'appelant avait un plan d'entreprise.

L'appelant a tenté d'augmenter ses chances de profit à deux égards :

Il a modifié son activité principale en 1996 et 1997.

En novembre 1996, il a quitté St. Albert et a déménagé ses activités à Edmonton pour accroître sa clientèle et, espérait-il, réaliser un profit.

Les décisions jurisprudentielles soumises par l'appelant appuient sa thèse.

Dans nombre de situations, une longue période de démarrage est nécessaire avant qu'une activité devienne rentable.

L'appelant, avec l'aide de son épouse à titre d'entrepreneur, s'est acharné à tenter de rentabiliser l'activité en cause.

Dans l'annexe B de la réponse à l'avis d'appel, les frais de déménagement et les frais juridiques sont rayés. Puisque le déménagement était lié à l'entreprise et que l'entreprise avait ses locaux dans la résidence de l'appelant, ces frais devraient être admis.

[8] Pour tous ces motifs, les appels sont admis et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'appelant a le droit de déduire les pertes qui découlent de l'activité dans les années 1996 et 1997.

[9] Quant à la question de savoir s'il y avait association de personnes, à mon avis la preuve révèle que l'entreprise était clairement une entreprise individuelle. La mention de l'existence d'une association de personnes dans l'état des revenus d'entreprise de 1997 paraît avoir été faite par erreur et, comme l'a souligné l'appelant, aucune partie des profits et des pertes n'a été attribuée à l'épouse. J'aimerais ajouter qu'il est étrange que le ministre ait été disposé à accepter qu'il y avait attente raisonnable de profit si l'activité était exploitée comme une association de personnes, et donc à admettre les pertes déduites à parts égales entre l'appelant et son épouse, mais qu'il n'ait pas été disposé à admettre ou à reconnaître qu'il y avait une attente raisonnable de profit si la même activité était exploitée comme une entreprise individuelle.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de juin 2000.

“ T. P. O'Connor ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de novembre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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