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Date: 19980702

Dossier: 96-4254-IT-G

ENTRE :

ELAN DEVELOPMENT LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] Les appels en l'instance portent sur les années d'imposition 1991, 1992 et 1993 de l'appelante.

[2] Dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993, l'appelante, Elan Development Ltd. ( « Elan » ), a demandé la déduction accordée aux petites entreprises.

[3] Dans de nouvelles cotisations établies à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a rejeté la déduction en question.

LES FAITS

[4] À l'audience, les parties ont déposé l'exposé conjoint des faits suivant :

[TRADUCTION]

1. L'appelante, Elan Development Ltd., a été constituée en société conformément aux lois de la province du Manitoba;

2. tout au long des années 1991, 1992 et 1993, 67847 Manitoba Ltd., constituée en société conformément aux lois du Manitoba, était l'unique actionnaire de l'appelante;

3. tout au long des années 1991, 1992 et 1993, Norbert Hansch était l'unique actionnaire de 67847 Manitoba Ltd.;

4. Ernst Hansch Construction Ltd. a été constituée en société conformément aux lois de la province du Manitoba;

5. tout au long des années 1991, 1992 et 1993, 50 p. 100 des actions de Ernst Hansch Construction Ltd. étaient détenues par NH et 21 p. 100 par MP;

6. MP est le beau-frère de NH et il l'était tout au long des années 1991, 1992 et 1993;

7. dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993, l'appelante a demandé la déduction accordée aux petites entreprises;

8. dans des avis de nouvelles cotisations datés du 31 juillet 1995, le ministre du Revenu national a établi de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelante en se fondant sur le fait qu'elle était associée à Ernst Hansch Construction Ltd. tout au long des années d'imposition 1991, 1992 et 1993 du fait de l'alinéa 256(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), chapitre 1 (5e suppl.) (la « Loi » ), et il a rejeté la déduction en question;

9. le 30 octobre 1995, l'appelante a signifié au ministre du Revenu national des avis d'opposition aux nouvelles cotisations;

10. dans un avis daté du 14 août 1996, le ministre a ratifié les nouvelles cotisations en cause en s'appuyant sur l'alinéa 256(1)d) et le paragraphe 125(3) de la Loi.

QUESTION EN LITIGE

[5] En l'espèce, il s'agit de déterminer si les alinéas 251(6)a) et b) et le sous-alinéa 55(5)e)(i) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) contreviennent à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » ) et, par conséquent, si l'appelante a droit à la déduction accordée aux petites entreprises.

ANALYSE

[6] L'article 125 de la Loi permet à une société privée dont le contrôle est canadien de déduire un plafond des affaires de 200 000 $.

[7] L'article 125 a pour but de conférer un traitement fiscal préférentiel aux sociétés privées dont le contrôle est canadien au moyen de la déduction accordée aux petites entreprises. Cependant, en vertu des dispositions de l'article 125, et en particulier de ses paragraphes 3 et 4, la déduction ne peut être partagée entre des compagnies associées.

[8] L'objectif de l'article 256 de la Loi est de prévenir la multiplication des sociétés qui exploitent une entreprise dans le but de tirer un avantage accru du taux réduit d'imposition des petites entreprises.

[9] Dans la présente affaire, l'appelante a demandé la déduction en question. Le ministre l'a refusée pour le motif que l'appelante est une société associée au sens de l'alinéa 256(1)d) de la Loi. En conséquence, conformément aux alinéas 251(6)a) et b), les actionnaires de Ernst Hansch Construction Ltd., M. Norbert Hansch et son beau-frère, M. Manfred Pflug, sont liés.

[10] L'appelante soutient que les alinéas 251(6)a) et b) de la Loi violent le paragraphe 15(1) de la Charte[1]. Aux termes des alinéas 251(6)a) et b) de la Loi, les frères et les beaux-frères sont réputés être liés et donc avoir entre eux un lien de dépendance. L'appelante soutient que ces dispositions créent une discrimination à l'égard des frères et des beaux-frères par rapport aux autres contribuables. En outre, l'appelante allègue l'existence d'un traitement différent dans la Loi. Elle fait valoir que, si aux termes des alinéas 251(6)a) et b), les frères et les beaux-frères sont réputés être liés, les frères et les soeurs sont réputés ne pas être liés entre eux aux termes du sous-alinéa 55(5)e)(i) de la Loi.

[11] Le paragraphe 55(2) de la Loi est une disposition anti-évitement dont l'effet est de convertir certains dividendes libres d'impôt en gains en capital (imposables). On vise ainsi à empêcher le dépouillement des gains en capital.

[12] La nouvelle cotisation établie par le ministre ne repose pas sur le sous-alinéa 55(5)e)(i). Pour cette raison, il n'y a aucun fait sur le fondement duquel la Cour puisse déterminer la constitutionnalité de cette disposition. Les décisions relatives à la Charte ne sont pas prises dans un vide factuel[2]. En outre, le sous-alinéa en question n'était pas en vigueur au cours des années d'imposition en cause.

[13] L'article 256 de la Loi prévoit les circonstances dans lesquelles deux sociétés sont associées. Dans l'affaire qui nous occupe, l'appelante est une société associée aux termes de l'alinéa 256(1)d) de la Loi. L'objectif des règles énoncées à l'article 256 est d'empêcher que l'on multiplie la déduction accordée aux petites entreprises en utilisant plus d'une société pour mener des activités commerciales. L'alinéa 256(1)d) de la Loi renvoie à la notion de « personnes liées » . Ce terme est utilisé dans un certain nombre de dispositions de la Loi, dont la plupart sont conçues pour prévenir l'évitement fiscal. Les différentes personnes énumérées au paragraphe 251(6) de la Loi sont réputées être des personnes liées, et donc ayant entre elles un lien de dépendance. Ainsi, si deux personnes ou plus sont liées au sens du paragraphe 251(6), elles ont un lien de dépendance, peu importe la nature des transactions qu'elles effectuent entre elles.

[14] Pour déterminer si une disposition viole le paragraphe 15(1) de la Charte, la Cour suprême du Canada a établi un critère dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143. Aux pages 174 et 175, le juge McIntyre a défini dans les termes suivants la discrimination :

J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont rarement.

[15] Dans l'arrêt Ontario Public Service Employees Union et al. v. The National Citizens Coalition Inc. et al., 87 DTC 5270 (H.C. Ont.), confirmé par la Cour d'appel de l'Ontario (90 DTC 6326), le juge Galligan, de la Haute Cour de l'Ontario, a fait la remarque suivante à la page 5272 :

[TRADUCTION]

La Loi de l'impôt sur le revenu regorge d'exemples où, pour certaines raisons, un contribuable bénéficie de certaines déductions dont un autre contribuable ne peut se prévaloir. De même, certains contribuables sont tenus de payer plus d'impôt que d'autres. Certains contribuables doivent payer de l'impôt à un taux supérieur à celui que d'autres doivent payer.

[16] Il est indéniable que les alinéas 251(6)a) et b), de même que le sous-alinéa 55(5)e)(i) de la Loi, établissent une distinction entre les personnes liées par les liens du sang ou du mariage et les autres contribuables. Cette même question a été soulevée dans diverses affaires. La question de la distinction discriminatoire dans la Loi a été traitée dans l'arrêt The Queen et al. v. Thibaudeau, 95 DTC 5273 (C.S.C.). La Cour suprême du Canada a statué que la création de distinctions est inhérente à la Loi et qu'elle ne viole pas l'article 15 de la Charte. Le juge Gonthier a écrit ceci à la page 5280 :

Or il est de l'essence même de la LIR de faire des distinctions, de manière à générer des revenus pour l'État tout en composant de façon équitable avec un ensemble d'intérêts forcément divergents. Dans cette perspective, le droit au même bénéfice de la loi ne saurait signifier que chaque contribuable a un droit égal de recevoir les mêmes sommes, déductions ou avantages mais seulement un droit d'être également régi par la loi. L'objet fondamental de l'art. 15 de la Charte a en effet été précisé par le juge McIntyre dans l'arrêt Andrews, précité, à la p. 171:

Il est clair que l'art. 15 a pour objet de garantir l'égalité dans la formulation et l'application de la loi. Favoriser l'égalité emporte favoriser l'existence d'une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération.

Ceci étant, il ne faudrait donc pas confondre le concept d'équité fiscale, qui vise la meilleure répartition du fardeau fiscal compte tenu des besoins du fisc, de la capacité de payer des contribuables et des politiques économiques et sociales de l'État avec la notion de droit à l'égalité qui veut, comme je l'exposerai en détail ci-dessous, qu'un membre d'un groupe ne soit pas désavantagé en raison d'une caractéristique personnelle non pertinente partagée par ce groupe.

[17] Une question semblable a été traitée dans Laflamme v. M.N.R., 93 DTC 50 (C.C.I.). Le juge suppléant Watson a examiné la constitutionnalité du paragraphe 15(2) de la Loi, qui renvoie à la notion de « personnes liées » au sens du paragraphe 251(1) de la Loi. À la page 53, il a dit :

Une distinction qui est faite sur la base de dépendance ou de lien de sang envers un actionnaire est directement pertinente à ce but. Il s'ensuit que le législateur a distingué les actionnaires et les personnes rattachées à ces actionnaires dans cette loi parce qu'ils sont les mieux placés pour prendre avantage de leur position de contrôle.

[18] Il a ajouté aux pages 53 et 54 :

Selon le paragraphe 15(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, tous actionnaires et personnes rattachées à un actionnaire sont traités de la même façon sans discrimination fondée sur un des motifs de discrimination énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte ou un motif analogue à ceux énumérés. Le fait qu'une personne « rattachée » reçoive un traitement différent d'une personne non-rattachée, ou qu'un actionnaire ou un employé reçoive un traitement différent de quelqu'un qui n'est pas un actionnaire ou un employé, cela ne constitue pas une discrimination. Dans la catégorie de personnes affectées par le paragraphe 15(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, il y a traitement égal, protection égale et bénéfice égal sans discrimination.

[19] En outre, il est bien établi que l'article 15 est limité aux personnes physiques et qu'il ne s'applique pas aux sociétés comme l'appelante. Dans Edmonton Journal c. Alb. (P.G.), [1989] 2 R.C.S. 1326, l'appelante a fait valoir que l'article 30 de la Judicature Act de l'Alberta contrevenait à l'alinéa 2b) et à l'article 15 de la Charte, qui garantissent respectivement le droit à la liberté d'expression et à l'égalité devant la loi. Bien que la Cour suprême du Canada ait statué que l'article 30 de la Judicature Act de l'Alberta porte atteinte à l'alinéa 2b) de la Charte, le juge LaForest a conclu, à la page 1382, que « l'art. 15 [de la Charte] ne s'applique qu'aux personnes physiques, il ne s'applique pas aux personnes morales comme l'appelant » . Par conséquent, l'article 30 de la Loi en question ne porte pas atteinte à l'article 15 de la Charte. Voir Canada (Minister of Industry, Trade and Commerce) v. Central Cartage Co. et al. (No. 1) 109 N.R. 357 (C.A.F.).

[20] En dépit de cette jurisprudence, l'appelante soutient que les circonstances de la présente affaire sont uniques et que la Charte s'applique parce que le statut de la société repose sur des personnes physiques. Il peut s'agir là d'une circonstance unique, mais cela ne change rien au fait que la Charte ne protège pas les sociétés.

[21] Je conclus par conséquent que les distinctions relatives à des personnes physiques qui influent sur le statut de l'appelante ne lui permettent pas de se prévaloir de la Charte.

RÉSUMÉ

[22] La Cour ne peut examiner la constitutionnalité du sous-alinéa 55(5)e)(i) puisque la cotisation en litige n'est pas fondée sur cette disposition et ce, sans égard au fait que les sociétés ne sont pas protégées par la Charte.

[23] L'analyse fondée sur l'article 15 et relative aux alinéas 251(6)a) et b) que l'appelante a effectuée dans sa plaidoirie conformément aux critères énoncés dans les arrêts Andrews et Thibaudeau, précités, mène à la conclusion que la Loi établit des distinctions, mais que ces distinctions ne reposent pas sur des différences personnelles non pertinentes. De ce fait, ces distinctions ne sont pas discriminatoires au sens du paragraphe 15(1) de la Charte.

[24] Enfin, ainsi qu'il a été indiqué, la Charte n'offre aucune protection aux sociétés.

[25] Je conclus par conséquent pour ces motifs qu'il n'y a aucune violation de l'article 15 de la Charte.

DÉCISION

[26] Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de juillet 1998.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 15e jour de décembre 1998.

Mario Lagacé, réviseur



[1] Le paragraphe 15(1) de la Charte est libellé comme suit :

                        La Loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[2] Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, aux pages 1099 à 1101, voir la page 1100.

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