Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19980818

Dossier: 97-1707-UI

ENTRE :

NICOLE GAUMOND,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

TRANSPORT CLAUDE DESMEULES INC.,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge Alain Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit de l'appel d'une détermination en date du 18 septembre 1997.

[2] En vertu de cette détermination, l'intimé décidait que le travail exécuté par l'appelante auprès de l'intervenante, la compagnie « Service de Transport Claude Desmeules Inc. » , au cours des périodes allant du 26 octobre 1992 au 16 juillet 1993, du 17 janvier au 30 décembre 1994 et du 7 août 1995 au 16 février 1996, n'était pas un emploi assurable.

[3] Le fondement légal de la détermination était l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ) qui se lit comme suit :

« (2) Les emplois exclus sont les suivants :

[...]

c) sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

(i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

(ii) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[...] »

[4] En vertu de cette disposition, les emplois de personnes liées au sens des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu sont exclus des emplois assurables à moins que l'intimé, en exerçant la discrétion que lui a donnée le législateur, conclut que la personne concernée n'a pas de lien de dépendance.

[5] L'exercice de cette discrétion et la décision qui en découle sont inattaquables à moins que les personnes concernées par la détermination fassent la preuve que l'utilisation de la discrétion a été entachée de manquements graves. Cette preuve, dont le degré est la prépondérance, requiert que la discrétion ait été utilisée d'une manière arbitraire.

[6] En d'autres termes, la juridiction de ce Tribunal est limitée à celle s'apparentant à un contrôle judiciaire.

[7] Les limites de la juridiction de cette Cour, en matière de révision d'une détermination découlant de l'alinéa 3(2)c) de la Loi, ont été énoncées, définies et expliquées lors de plusieurs décisions de la Cour d'appel fédérale dont notamment les affaires suivantes :

Tignish Auto Parts Inc. c. le Ministre du Revenu national (25 juillet 1994, 185 N.R. 73)

La Ferme Émile Richard et Fils Inc. et le Ministre du Revenu national (1er décembre 1994, 178 N.R. 361)

Procureur Général du Canada et Jencan Ltd. (24 juin 1997, 215 N.R. 352)

Procureur Général du Canada et Jolyn Sport Inc. (24 avril 1997, A-96-96, C.A.F.)

Bayside Drive-In Ltd. et Sa Majesté la Reine (25 juillet 1997, 218 N.R. 150)

[8] La preuve de l'appelante a été constituée des témoignages de l'appelante et de son conjoint, Claude Desmeules, du comptable de l'entreprise, M. Pierre Boillart et de M. Roger Bergeron, ex-employé de Donohue.

[9] L'appelante a indiqué avoir débuté son travail en 1989 après une formation au C.E.G.E.P. Elle a également appris à utiliser le logiciel Fortune 1000. Elle travaillait comme répartitrice, s'occupait de la comptabilité, voyait au paiement des comptes, à la facturation, s'occupait des salaires, complétait les différents rapports, faisait les commissions, s'occupait des courses et des dépôts et devait, ce qui constituait un aspect majeur de sa tâche, être disponible totalement et en tout temps. Elle a beaucoup insisté sur la nécessité de cette disponibilité totale décrite comme étant essentielle au bon fonctionnement de l'entreprise.

[10] Elle a affirmé de façon non équivoque et de manière catégorique qu'elle n'exécutait aucun travail lorsqu'elle recevait des prestations d'assurance-chômage. Je dois avouer que cette partie du témoignage m'a amené à douter très fortement de la qualité de son témoignage. Cet aspect de la preuve fera d'ailleurs l'objet ultérieurement de commentaires plus détaillés.

[11] Le témoignage de l'appelante a permis de constater qu'elle participait d'une façon active aux affaires de la compagnie, propriété de son conjoint; elle a fourni des explications qui ne laissent aucun doute sur ses connaissances, son implication et sa participation.

[12] Le fait d'avoir établi que le travail exécuté par l'appelante était absolument indispensable suscite par contre un problème de taille. Comment l'entreprise pouvait-elle fonctionner, sans une prestation de travail aussi indispensable, durant les longues périodes où l'appelante n'était pas disponible et qu'elle n'effectuait aucun travail de quelque nature que ce soit?

[13] Cette question est d'autant plus importante que selon le comptable la compagnie opérait à l'année et son chiffre d'affaires était constant sauf en 1992; il a de plus fait état que Claude Desmeules n'avait ni intérêt ni connaissance sur le plan de l'administration. Claude Desmeules, quant à lui, a clairement indiqué que les revenus mensuels étaient sensiblement les mêmes; il n'y avait donc pas de ralentissement significatif dans les revenus et ce, même lorsque l'appelante ne travaillait pas.

[14] Si la disponibilité constituait une composante importante du salaire, il devient alors difficile d'expliquer que cette même disponibilité puisse devenir secondaire durant les longues périodes où Madame recevait des prestations d'assurance-chômage et cela, d'autant plus que l'entreprise opérait à l'année.

[15] L'explication de M. Desmeules voulant qu'il n'enregistrait aucune inscription et que tout était consigné sur des brouillons transcrits au propre lors du retour au travail, m'apparaît invraisemblable.

[16] L'appelante a-t-elle relevé le fardeau de preuve permettant à ce Tribunal de faire l'analyse de l'ensemble de la preuve sous l'angle d'un procès de novo?

[17] Pour relever un tel fardeau de preuve, il ne suffit pas d'opposer à l'intimé de vagues griefs et de critiquer le travail d'enquête exécuté lors du processus ayant mené à la détermination.

[18] En effet, la jurisprudence de la Cour d'appel fédérale a clairement énoncé les paramètres de la juridiction de la Cour canadienne de l'impôt en matière d'assurabilité découlant de la discrétion prévue par l'alinéa 3(2)c) de la Loi.

[19] Il m'apparaît important de reproduire certains extraits émanant, tout particulièrement, de l'affaire Procureur Général du Canada et Jencan Ltd. (A-599-96) pages 15 et 17; l'honorable Julius A. Isaac s'y exprimait comme suit :

page 15 :

« ... La compétence que possède la Cour de l'impôt de contrôler la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) est circonscrite parce que le législateur fédéral, par le libellé de cette disposition, voulait de toute évidence conférer au ministre le pouvoir discrétionnaire de rendre de telles décisions. Les mots « si le ministre du Revenu national est convaincu » que l'on trouve au sous-alinéa 3(2)c)(ii) confèrent au ministre la compétence pour exercer le pouvoir discrétionnaire administratif de rendre le type de décision visé par ce sous-alinéa. Comme il s'agit d'une décision rendue en vertu d'un pourvoir discrétionnaire, par opposition à une décision quasi-judiciaire, il s'ensuit que la Cour de l'impôt doit faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la décision du ministre lorsque celui-ci exerce ce pouvoir... »

page 17 :

« ... La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) -- en examinant le bien-fondé de cette dernière -- lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent. »

[20] En l'espèce, la preuve a porté principalement sur le travail exécuté par l'appelante. Il se dégage d'ailleurs de cette preuve que le travail de l'appelante était régulier, constant, utile et nécessaire.

[21] La qualité de cette preuve a cependant soulevé plusieurs questions auxquelles les réponses fournies sont beaucoup moins évidentes; bien plus, les réponses soulèvent des doutes sérieux sur l'importance du travail exécuté lors des périodes en litige, étant donné qu'il y avait des périodes où personne n'effectuait ce même travail.

[22] Je fais notamment référence au fait que le conjoint de l'appelante a formellement déclaré qu'il n'enregistrait aucune donnée; il s'occupait de tout en inscrivant les données sur des brouillons qu'il accumulait et ils étaient repris lorsque l'appelante retournait à son travail.

[23] Cette réponse signifie que des brouillons étaient accumulés durant des mois. Je ne crois ni n'accepte cette explication; les commentaires et observations du comptable Boillart, qui s'occupe des affaires de la compagnie, sont à l'effet que Claude Desmeules n'avait ni les compétences, ni les qualifications et très peu d'intérêt en matière de comptabilité et d'administration.

[24] Le très court témoignage de M. Roger Bergeron, ex-employé de la compagnie Donohue, est également révélateur et significatif voire même déterminant. Il contredit totalement la version de l'appelante et de son conjoint à l'effet qu'elle n'était pas associée aux affaires de la compagnie en dehors des périodes en litige. Il s'agissait là d'un témoin dont la crédibilité est inattaquable qui, par surcroît, a témoigné à la demande de l'appelante qui voulait démontrer l'importance de son travail; elle s'est en quelque sorte elle-même piégée en voulant faire la démonstration que son travail était essentiel. M. Bergeron a été catégorique; l'appelante était toujours disponible lorsqu'il communiquait. Il n'a jamais fait de distinction ou indiqué qu'à certaines périodes, pourtant longues et annuelles [période où l'appelante recevait des prestations d'assurance-chômage] il devait soit parler aux camionneurs directement par cellulaire, soit au conjoint de l'appelante ou à d'autres personnes; selon son témoignage, l'appelante était toujours au poste.

[25] Quels sont les composantes et éléments de la preuve disponible pouvant discréditer la qualité de l'exercice de la discrétion? L'appelante a soutenu qu'elle avait fait l'objet de harcèlement. Elle n'a pas fourni d'explications quant à l'objet du harcèlement.

[26] Le fait d'être questionnée, le fait de voir son dossier d'assurabilité investigué et le fait de faire l'objet d'une enquête ne constituent en aucune façon du harcèlement; cela s'inscrit dans le cours normal de tout programme faisant l'objet d'abus multiples.

[27] L'appelante a aussi reproché à l'intimé de ne pas s'être rendu à leur place d'affaires, de ne pas avoir questionné certaines personnes et de ne pas avoir fait l'analyse de tous les dossiers remisés dans une caisse de carton.

[28] On a aussi reproché à l'intimé d'avoir traité le dossier de l'appelante sans tenir compte de certaines particularités propres à l'entreprise. Le Tribunal n'a cependant pas compris en quoi l'entreprise était si différente et pourquoi elle aurait dû commander une approche personnalisée. Les faits étaient simples, révélateurs et surtout déterminants.

[29] Aucun des griefs soulevés n'est déterminant même si la comptabilité de l'entreprise aurait peut-être pu faire l'objet d'une vérification plus approfondie pour confirmer la conclusion qui dans les circonstances, était appropriée et bien-fondée.

[30] Au soutien de la détermination, l'intimé a allégué les faits suivants :

« a) le payeur, constitué en 1986, exploite une entreprise de transport de gravier et de bois de sciage;

b) Claude Desmeules, époux de l'appelante, était l'unique actionnaire du payeur;

c) le payeur possède 2 camions pour le transport du gravier et un pour le transport du bois;

d) les deux camions à gravier sont utilisés de mai à novembre, au service de Donohue Inc.;

e) Donohue Inc. s'occupe de toute l'administration de ces camions, dont l'embauche des chauffeurs, le paiement des salaires et le contrôle des dépenses;

f) le camion servant au transport du bois est utilisé 12 mois par année, au service de Donohue Inc.;

g) toutefois, pour ce camion, le payeur s'occupe de toute l'administration;

h) le payeur a habituellement deux employés, un chauffeur pour le transport du bois, et l'appelante;

i) le bureau du payeur était situé dans la résidence de l'appelante;

j) Claude Desmeules conduisait un des camions à gravier;

k) l'appelante avait 3 enfants qui, en 1996, étaient âgés de 13, 18 et 20 ans;

l) l'appelante répondait au téléphone, appelait à Québec une fois par jour, faisait des courses (dépôt à la banque, achats de pièces), s'occupait du courrier et de la tenue de livres;

m) la tenue de livres est informatisée depuis 1994;

n) l'appelante travaille moins d'heures depuis 1994;

o) l'appelante était payée 450 $ par semaine de 1992 à 1996;

p) l'appelante n'avait pas d'horaire de travail pré-établi;

q) elle pouvait accomplir des tâches domestiques le jour tout en se tenant disponible à répondre au téléphone;

r) elle travaillait occasionnellement le soir;

s) le salaire de l'appelante était trop élevé pour son volume de travail;

t) Claude Desmeules prétend que lorsqu'il licenciait l'appelante, il prenait sa relève étant lui-même mis à pied de son travail de chauffeur, tandis que l'examen de chacunes leurs périodes d'emploi et de chômage ne justifie pas cet argument; » (Je souligne.)

[31] Le contenu des paragraphes 5a) à d), f) à k), m) et o) a été admis. La preuve a démontré que les faits allégués aux paragraphes l), n), p), q), r) étaient également bien-fondés. Le paragraphe s) relatif à l'importance du salaire est, quant à lui, demeuré assez nébuleux; finalement le paragraphe t) mentionné ci-dessus constitue sans l'ombre d'un doute l'allégué fondamental justifiant à lui seul la détermination à l'origine de l'appel.

[32] La preuve a révélé que l'entreprise payeure était exploitée sur une base annuelle. Décrivant son travail comme absolument essentiel lors des périodes où il était exécuté, ce même travail devenait soudainement non requis. Comment expliqué un tel changement dans les opérations de la compagnie? Selon l'appelante, sa prestation de travail n'était plus requise pour différentes raisons dont notamment l'utilisation d'un téléphone cellulaire le fait que le camion avait subi des dommages lors d'un accident et finalement le fait que son conjoint bénéficiait d'une grande disponibilité à certaines périodes de l'année. Je ne crois pas ces explications.

[33] La preuve a établi que les revenus étaient répartis d'une façon uniforme sur une base annuelle.

[34] Ces faits sont incontestables et découlent tant de la preuve testimoniale que de la preuve documentaire.

[35] Ils justifiaient et justifient l'allégué au paragraphe t). La preuve a directement attaqué le bien-fondé de l'allégué relatif au salaire.

[36] Si la fonction commandait un salaire d'une telle importance cela a nécessairement pour effet et conséquence de soulever la question suivante : Comment la compagnie pouvait-elle opérer sans cette prestation de travail en dehors des périodes en litige alors que M. Desmeules n'avait ni compétence ni intérêt, selon le comptable, et n'était à peu près pas disponible? Il s'agit d'une question absolument fondamentale à laquelle la preuve n'a pas fourni de réponse.

[37] Bien qu'il ne m'appartienne pas de tirer des conclusions, je suis absolument convaincu que le travail, bien qu'utile, nécessaire et réel, était beaucoup moins accaparant que ce que la preuve a tenté de démontrer; d'autre part, il devait être exécuté sans interruption ce qui se dégage du témoignage du comptable, de M. Bergeron et de la réalité comptable établissant clairement que l'entreprise fonctionnait sans ralentissement.

[38] La version voulant que M. Desmeules prenait et assumait des charges exécutées par l'appelante durant les périodes où elle recevait des prestations d'assurance-chômage m'est apparue tout simplement farfelue.

[39] Je conclus donc que la preuve ne permet absolument pas de discréditer le travail et la méthode utilisés par l'intimé lors du processus d'enquête ayant mené à la détermination.

[40] Le responsable de l'enquête a exécuté son travail d'une façon correcte et très acceptable.

[41] D'ailleurs, même si la preuve avait établi que la discrétion avait été mal exercée, les faits mis en preuve auraient exigé de confirmer le bien-fondé de la détermination

[42] Pour ces motifs, l'appel est donc rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d'août 1998.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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