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Date: 19980313

Dossiers: 97-169-IT-I; 97-3299-IT-I

ENTRE :

JEAN GODIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Pour l'appelant : l'appelant lui-même

Pour l'intimée : Me Shalene Curtis-Micallef

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Ottawa, Canada, le 12 mars 1998)

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Du mois de mai 1993 au mois de mai 1995, l'appelant travaillait dans une région de l'Europe autrefois connue sous le nom de Yougoslavie. Il travaillait sous le commandement des Nations Unies. Son travail se rapportait à l'observation aux frontières et à d'autres services similaires liés au maintien de la paix. L'appelant a touché un salaire pour les services qu'il a fournis ces années-là. Pour chacune des années ici en cause (1993, 1994 et 1995), l'appelant demande un crédit d'impôt pour emploi à l'étranger (le « CIEE » ) en vertu de l'article 122.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) ou, subsidiairement, une exonération d'impôt à l'égard de son salaire en vertu de l'alinéa 110(1)f) de la Loi. Il s'agit de savoir si, compte tenu des circonstances de l'emploi exercé par l'appelant, celui-ci avait droit au CIEE ou à l'exonération.

[2] Les dispositions pertinentes de la Loi figurent aux articles 110 et 122.3 :

110(1) Pour le calcul du revenu imposable d'un contribuable pour une année d'imposition, il peut être déduit celles des sommes suivantes qui sont appropriées :

[...]

f) [...] ou toute somme dans la mesure où elle a été incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année, représentant selon le cas:

[...]

(iii) un revenu tiré d'un emploi auprès d'une organisation internationale visée par règlement;

122.3(1) Lorsqu'un particulier réside au Canada au cours d'une année d'imposition et que, tout au long d'une période de plus de 6 mois consécutifs ayant commencé avant la fin de l'année et comprenant une fraction de l'année (appelée la « période admissible » au présent paragraphe) :

a) d'une part, il a été employé par une personne qui était un employeur déterminé, dans un but autre que celui de fournir des services en vertu d'un programme, visé par règlement, d'aide au développement international du gouvernement du Canada;

b) d'autre part, il a exercé la totalité, ou presque, des fonctions de son emploi à l'étranger :

(i) dans le cadre d'un contrat en vertu duquel l'employeur déterminé exploitait une entreprise à l'étranger se rapportant à, selon le cas :

[...]

peut être déduite du montant qui serait, sans le présent article, l'impôt à payer par le contribuable pour l'année en vertu de la présente partie une somme égale à la fraction de l'impôt qu'il est par ailleurs tenu de payer pour l'année en vertu de la présente partie que représente [...] :

Pour l'application de l'alinéa 110(1)f), l'article 8900 du Règlement identifiait les Nations Unies comme étant une organisation internationale visée par règlement. Il s'agit notamment de savoir si l'appelant était un employé de l’ONU.

[3] Afin de déterminer la nature de l'emploi exercé par l'appelant, il faut examiner une série de documents qui ont été produits en preuve. La pièce R-5 est un contrat de 30 pages conclu entre les Nations Unies et la Corporation commerciale canadienne (la « CCC » ) en vue de la prestation de services par la CCC à la Force de protection des Nations Unies (la « FORPRONU » ). La pièce R-4 est un contrat conclu entre la CCC et CARE Canada le 9 mai 1994. Les trois premiers attendus de ce contrat montrent que la CCC sous-traitait à CARE Canada la tâche de fournir le personnel du service. Ces attendus sont ainsi libellés :

[TRADUCTION]

ATTENDU que la Force de protection des Nations Unies, à Zagreb, en Croatie, (la « FORPRONU » ) a besoin du personnel mentionné dans l'accord no 4/FOR/CON/1200 du 9 mai 1994 conclu entre la FORPRONU et la Corporation commerciale canadienne (la « CCC » ), ci-après appelé le « contrat de l’ONU » , lequel est joint au présent contrat interne conclu entre CARE Canada (l' « entrepreneur » ) et la CCC et en fait partie;

ATTENDU que l'entrepreneur a fait valoir à la CCC qu'il possède les compétences, le personnel, les installations et les ressources nécessaires pour lui fournir les services pour le compte de la FORPRONU;

ATTENDU que l'entrepreneur et la CCC ont conjointement participé aux négociations en vue de la conclusion du contrat de l’ONU et que l'entrepreneur a déclaré à la CCC qu'il avait reçu et qu'il comprenait toutes les conditions du contrat de l’ONU et qu'il est prêt à les remplir afin de satisfaire pleinement aux obligations que la CCC a envers la FORPRONU en vertu du contrat de l’ONU.

[4] La pièce A-1, onglet « A » , est une lettre d'entente entre CARE Canada et l'appelant datée du 18 mai 1993. Il s'agit d'un document important de sorte que je le reproduirai ci-dessous au complet :

[TRADUCTION]

Nous avons le plaisir de vous offrir un emploi par l'entremise de CARE Canada au service de la Force de protection des Nations Unies (la « FORPRONU » ). La FORPRONU a conclu un contrat avec la Corporation commerciale canadienne (la « CCC » ) en vue de la prestation de services par du personnel. La CCC sous-traitera la totalité du contrat à CARE Canada.

Votre affectation à titre d’administrateur adjoint de 1re classe, admin. de secteur, commencera le 22 mai 1993 ou à peu près à ce moment-là. Pour exercer l'emploi, il faut obtenir un certificat de santé et avoir les vaccins exigés par les règlements sur la santé du pays, avoir un passeport valide et une autorisation du gouvernement étranger, et remplir toutes les autres conditions que CARE et la FORPRONU peuvent raisonnablement fixer.

Cette lettre d'entente, les conditions générales d'emploi qui y sont jointes ainsi que les autres appendices ou annexes qui sont joints aux présentes confirment l'acceptation mutuelle des conditions de votre emploi.

Vous serez affecté aux activités de la FORPRONU dans le secteur visé par le projet pour une période d'un an. Toutefois, en l'absence d'une réduction ou d'un prolongement exprès de la durée de votre affectation, rien dans la présente lettre, dans les conditions générales d'emploi ou dans une autre publication de CARE, de la CCC ou de l’ONU ne peut être interprété comme visant à offrir un emploi pour une période différente de celle qui est ici prévue.

Vous recevrez une rémunération et des avantages, applicables uniquement à la présente affectation, ce qui comprend les repas, le logement ainsi qu'une assurance-vie et une assurance-maladie de groupe, et un salaire annuel de 42 500 $.

De plus, veuillez noter ce qui suit :

La résidence inscrite au dossier

est située à : Ottawa (Ontario)

Votre matricule d'employé est : 10 010

Veuillez examiner minutieusement les conditions générales d'emploi ci-jointes ainsi que les appendices et les annexes et signer deux (2) copies de la lettre. Il est important de noter que vous êtes tenu de signer des formulaires d'exonération de responsabilité en acceptant cette affectation. La renonciation concernant CARE Canada est jointe à titre d'annexe au présent contrat, et les renonciations concernant l’ONU sont fournies séparément. Votre signature montre que vous avez accepté les conditions énoncées dans cette lettre d'entente, les conditions générales d'emploi ainsi que les appendices et annexes qui sont joints aux présentes. Veuillez retourner l'original au complet et conserver la copie pour référence.

Nous nous réjouissons d'avance de vous compter parmi les membres de notre personnel.

[5] Le paragraphe 3 de la lettre précitée parle des « conditions générales d'emploi qui y sont jointes » . La pièce R-6 est un document de cinq pages énonçant ces conditions; il est signé par l'appelant à la page 5 et daté du 19 mai 1993. Il est utile de citer le bref préambule ainsi que le deuxième paragraphe et la fin de ce document :

[TRADUCTION]

Ces conditions générales s'appliquent aux contractuels employés à l'étranger par CARE Canada dans le cadre d'une affectation spéciale auprès de la Force de protection des Nations Unies. Comme il en est fait mention dans la lettre d'envoi, la FORPRONU a conclu un contrat de prestation de services avec la Corporation commerciale canadienne (la « CCC » ). La CCC a sous-traité le contrat au complet à CARE Canada.

[...]

2. Fonctions

Les fonctions que l'employé exerce en vertu du contrat de prestation de services susmentionné seront assignées par la Force de protection des Nations Unies (la « FORPRONU » ). L'employeur inscrit est CARE Canada, mais l'employé travaille sous le commandement de la FORPRONU et en relève pour la durée de la présente affectation.

L'employé recevra un énoncé complet et à jour des tâches et responsabilités liées à son poste. Ces tâches et responsabilités peuvent être modifiées par la FORPRONU. Tout nouvel énoncé sera fourni à l'employé et, au besoin, le salaire annuel sera rajusté en conséquence.

[...]

l'employé a minutieusement lu les conditions de ce contrat de travail et il les comprend; il reconnaît que ce contrat de travail comporte des clauses inhabituelles ainsi qu'une renonciation complète à l'égard de certaines demandes.

[6] En ce qui concerne l'alinéa 110(1)f) de la Loi, l'appelant a soutenu qu'il est un employé de l’ONU. À l'appui de cet argument, il a déclaré que ses tâches lui étaient assignées de temps en temps par le personnel de l’ONU dans la région de travail, que son contrat a été renouvelé par le personnel de l’ONU au bout d'un an, et qu'il supervisait en fait certaines personnes qui étaient des employés à plein temps de l’ONU. Ce témoignage n'a pas été réfuté si ce n'est quant aux conditions du renouvellement. L'appelant semble soutenir que la lettre d'entente qui existe entre CARE Canada et lui n'était qu'une simple formalité parce que, dans l'exercice de ses fonctions, il avait tous les jours directement affaire au personnel de l’ONU dans la région de l’ancienne Yougoslavie.

[7] L'intimée a appelé à témoigner Maria Catana, qui est agent de programme auprès de CARE Canada et qui connaît bien les activités de l'organisation. Mme Catana a déclaré que CARE Canada était chargé de fournir des secours d'urgence et à long terme aux régions déchirées par la guerre. CARE Canada est un organisme de charité enregistré sans but lucratif. En 1993, Mme Catana était coordinatrice de projet pour la FORPRONU à Zagreb et assurait la liaison entre CARE Canada et la CCC. La CCC avait communiqué avec CARE Canada à cause de l'expérience que cette organisation possédait en matière de recrutement de personnel. Il est important de noter que CARE Canada était l'organisation qui fournissait le personnel pour toutes les activités de l’ONU dans l'ancienne Yougoslavie. Mme Catana a déclaré que, pendant cette période, CARE Canada comptait environ 200 employés dans l'ancienne Yougoslavie, dont environ 60 venaient du Canada.

[8] CARE Canada était chargé de verser le salaire à l'appelant et à toutes les autres personnes que l'organisation avait embauchées tant que ces personnes n'étaient pas rapatriées au Canada ou dans leurs pays respectifs d'origine. CARE Canada était également chargé de s'assurer que chaque personne concernée était titulaire du visa approprié, qu'elle avait subi un examen médical et qu'elle possédait les autres documents nécessaires pour aller de son pays d'origine à l'ancienne Yougoslavie. CARE Canada prenait à sa charge les frais de transport aller-retour entre le pays d'origine et le lieu de travail. Les fonds nécessaires à cette fin étaient fournis à CARE Canada par l’ONU par l'entremise de la CCC. L'appelant a reconnu qu'il savait que l’ONU payait indirectement CARE Canada et qu'il était rémunéré par CARE Canada. Son salaire était déposé dans le compte bancaire qu'il avait désigné au Canada, mais ses frais de subsistance quotidiens, dans la région de travail, lui étaient directement payés par l’ONU sur les lieux.

[9] L'appelant a souligné que l’ONU pouvait procéder à un licenciement motivé. Il s'est reporté à la pièce A-1, onglet « T » , datée du 21 novembre 1997, laquelle est rédigée sur du papier à en-tête de l’ONU et est signée par Alastair Livingston en sa qualité d' « observateur en chef aux frontières » . Ce document est adressé À QUI DE DROIT, et est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

Pendant la période allant du 1er janvier 1993 au 30 octobre 1995, pendant que je travaillais à titre d'administrateur en chef de la base logistique de l’ONU pour la FORPRONU, j'ai directement participé dans leur ensemble aux fonctions de soutien de la mission. Par conséquent, j'atteste que M. Jean Godin, pendant qu'il travaillait à titre de membre du personnel contractuel de la FORPRONU, a été sélectionné par le personnel des Nations Unies et qu'il travaillait expressément sous le commandement de ce personnel, celui-ci étant autorisé en dernier ressort à réaffecter M. Godin et à renouveler ou à résilier le contrat, et ce, en tout temps.

Je remarque que le document a été établi il y a moins de quatre mois et je suppose qu'il a été obtenu en vue d'étayer la position de l'appelant.

[10] Le témoignage de Mme Catana contredisait ce qui était dit dans la pièce A-1, onglet « T » , en ce qui concerne la question de savoir si l’ONU pouvait mettre fin à l'emploi de l'appelant. Le témoin a déclaré que si l’ONU n'était pas satisfaite du rendement d'un employé de CARE Canada, des discussions sérieuses auraient lieu en vue de déterminer si le problème était simplement attribuable à un conflit de personnalités (auquel cas l'employé pourrait être réaffecté à un secteur différent) ou si la compétence de l'employé était de fait en jeu. Si je comprends bien le témoignage de Mme Catana, si l’ONU voulait procéder au licenciement motivé de l'appelant ou d'une autre personne employée par CARE Canada, le motif particulier cité par l’ONU, s'il était établi, serait probablement reconnu comme un motif permettant à CARE Canada de mettre fin à pareil emploi.

[11] Il ne s'agit pas de la première affaire dont les tribunaux canadiens sont saisis en ce qui concerne une personne travaillant à l'étranger dans le cadre des activités de l’ONU. Dans l'affaire Creagh v. M.N.R., [1997] 1 C.T.C. 2392, certains pilotes et mécaniciens d'entretien d'aéronefs avaient participé à une mission de maintien de la paix des Nations Unies au Cambodge. Plus précisément, ils étaient employés par Canadian Helicopters, qui avait conclu un contrat en vue de fournir certains services de transport aérien aux Nations Unies. Dans cette affaire-là, les contribuables demandaient un redressement en vertu de l'alinéa 110(1)f) et de l'article 122.3, soit les dispositions en vertu desquelles le présent appelant demande un redressement. En rejetant les appels, ma collègue, la juge Lamarre Proulx, a résumé comme suit, à la page 2398, les faits se rapportant à l'emploi des appelants :

Ils recevaient leurs instructions quant aux itinéraires de vol du fonctionnaire des Nations Unies chargé des opérations aériennes. On avait délivré aux appelants des cartes d’identité des Nations Unies au dos desquelles il était dit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le titulaire de cette carte est membre de l’Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge.Il est demandé à tout le personnel civil et militaire d’accorder libre passage au titulaire de cette carte et de lui accorder tous les privilèges nécessaires dans l’exécution de ses fonctions.

Ils avaient été conduits à l’hôpital de campagne des Nations Unies, où ils avaient reçu les vaccins requis. Les repas étaient servis dans une aire commune du mess, et ils mangeaient avec le personnel des Nations Unies. À la base, le matériel de communications était fourni par les Nations Unies. Certains des pilotess’étaient vu délivrer un permis leur permettant de conduire des véhicules des Nations Unies. Le gîte et le couvert étaient fournis par les Nations Unies.

M. Creagh a dit qu’il n’avait pas de contrat de travail écrit avec la Canadian Helicopters.Il croyait que les autres appelants n’en avaient pas non plus.

Malgré les liens étroits qui existaient entre James Creagh et ses compagnons de travail d'une part et le personnel de l’ONU d'autre part, la juge Lamarre Proulx a conclu que M. Creagh et ses compagnons de travail étaient des employés de Canadian Helicopters et non des employés de l’ONU. Voici ce qu'elle a dit à la page 2401 :

Le mot « emploi » est utilisé plusieurs fois dans la Loiet lorsqu’il y est utilisé, il désigne toujours la relation contractuelle existant entre un employeur et un employé, tout comme lorsqu’il est utilisé dans d’autres textes juridiques, quels qu’ils soient. Il ne désigne pas une activité quelconque dans laquelle on se lance. La préposition « auprès [de]) » ne saurait modifier le sens du mot « emploi » utilisé dans la Loi. Si le législateur avait voulu prévoir le cas d’activités de travail quelconques plutôt que le cas d’emplois proprement dits, il aurait utilisé la première expression et non la seconde. [...]

[12] La pièce R-2 est une lettre datée du 8 janvier 1997 que l’ONU a envoyée à l'appelant. L'appelant s'est opposé à ce qu'elle soit produite en affirmant qu'elle n'était pas pertinente, mais j'ai statué qu'il était opportun de comparer ou d'opposer le poste que l'appelant occupait en sa qualité d'employé travaillant directement pour l’ONU au poste qu'il avait occupé de 1993 à 1995 lorsqu'il avait été recruté par CARE Canada.

[13] Pour que l'appelant obtienne une exonération en vertu de l'alinéa 110(1)f), il faudrait que je conclue qu'il était employé par l’ONU. Je ne puis tirer cette conclusion compte tenu des documents qui ont été mis à ma disposition. De toute évidence, il existait un contrat entre l’ONU et la CCC ainsi qu'un contrat entre la CCC et CARE Canada en vue du recrutement du personnel approprié. CARE Canada a recruté l'appelant conformément aux conditions énoncées dans la pièce A-1, onglet « A » , qui peut être comparée à la pièce R-2. Pendant toute la période pertinente, l'appelant a continué à être employé par CARE Canada même s'il avait été détaché à l'administration de l’ONU dans l'ancienne Yougoslavie et même si, dans l'exercice de ses fonctions, il était sous le commandement de l’ONU sur une base quotidienne. Le fait que l'appelant a été secondé à l'équipe d'observateurs de l’ONU dans l'ancienne Yougoslavie ne voulait pas pour autant dire qu'il était devenu un employé de l’ONU. L'appelant a continué à être un employé de CARE Canada. Il n'a donc pas droit à une exonération en vertu de l'alinéa 110(1)f).

[14] Pour obtenir un redressement en vertu du paragraphe 122.3(1) de la Loi, l'appelant doit établir que CARE Canada exploitait une entreprise à l'étranger au sens du sous-alinéa 122.3(1)b)(i). Sous la cote R-3, on a versé les lettres patentes que le gouvernement du Canada a délivrées à CARE Canada le 12 avril 1977. L'objet de CARE Canada y est énoncé comme suit :

[TRADUCTION]

1. Fournir un service de secours, de réhabilitation et de reconstruction et en assurer le soutien.

2. Demander, obtenir et acquérir, en vertu d'un acte de concession, d'un texte législatif, d'une cession, d'un transfert, d'un achat ou autrement, les chartes, licences, pouvoirs, autorisations, franchises, concessions, droits et privilèges qu'un gouvernement, une autorité, une corporation ou un autre organisme public est autorisé à accorder et s'en prévaloir, et effectuer les paiements, apporter l'aide et assurer la contribution nécessaires à cette fin.

Vers la fin des lettres patentes versées sous la cote R-3, la déclaration suivante est expressément faite :

[TRADUCTION]

[...] La corporation doit être exploitée sans que ses membres en retirent un gain et les bénéfices et sommes accumulés par la corporation doivent servir à la promotion des objets de cette dernière. [...]

[15] L'examen des lettres patentes de CARE Canada me convainc qu'il s'agit d'une corporation sans but lucratif. Cela ne veut pas pour autant dire que CARE Canada ne pourrait pas exploiter ou n'exploiterait pas une entreprise, mais c'est un point de départ. Partant, j'examinerai le service que CARE Canada fournissait à la CCC et, par l'entremise de la CCC, à l’ONU. Il s'agissait simplement de fournir du personnel pour travailler dans ce qui était autrefois la Yougoslavie. CARE Canada était rémunéré au Canada pour fournir ce personnel et de son côté l'organisme rémunérait les membres de ce personnel en déposant leur salaire dans leurs comptes bancaires respectifs en dehors de l'ancienne Yougoslavie. Si je comprends bien le témoignage de Mme Catana, fort peu de fonctions administratives étaient exercées par des agents principaux de CARE Canada dans l'ancienne Yougoslavie. En d'autres termes, une fois que le personnel recruté par CARE Canada était en détachement à l’ONU, les cadres supérieurs chargés de l'administration de CARE Canada n'avaient plus rien à voir avec les activités courantes de pareil personnel.

[16] Dans l'affaire Timmins v. M.N.R.,[1996] 3 C.T.C. 175, le contribuable travaillait au Malawi, en Afrique, pour le compte de la province du Nouveau-Brunswick, au ministère de l'Agriculture. Il existait apparemment entre la province et l'Agence canadienne de développement international (l' « ACDI » ) un contrat en vertu duquel le ministère en question fournissait des services afin d'établir et de gérer des fermes laitières au Malawi en contrepartie d'honoraires et du remboursement de certains frais par l'ACDI. Il s'agissait de savoir si le ministère exploitait une entreprise au Malawi au sens du paragraphe 122.3(1) de la Loi. La Section de première instance de la Cour fédérale a rejeté l'appel interjeté par M. Timmins et, en rendant jugement, le juge Wetston a fait la remarque suivante, à la page 185 :

Je conclus que l'expression « exploitait une entreprise » utilisée aux paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi désigne les activités qu'un employeur exerce en vue de réaliser des profits. Les dispositions en question avaient pour but d'aider les employeurs désignés à soutenir la concurrence sur les marchés internationaux, en diminuant leurs frais généraux et, partant, le montant de leurs soumissions. Étant donné que l'application des dispositions se répercute sur le montant des coûts engagés pour soutenir la concurrence en vue de l'obtention du contrat, la déduction ou le crédit d'impôt avait manifestement pour objet d'améliorer la position financière de certains employeurs. Les notions de diminution des coûts et de compétitivité accrue, qui sous-tendent l'adoption de ces dispositions, laissent supposer que les employeurs qui exécutent des contrats dans des pays étrangers doivent exercer une activité commerciale dans le but d'en tirer un profit. [...]

Après avoir examiné certains arrêts concernant le « critère de l'objet prépondérant » , le juge Wetston a ajouté ceci, à la page 190 :

En conclusion, le critère de l'objet prépondérant, tel qu'il est décrit dans l'arrêt Hearst, précité, est celui qu'il convient d'utiliser pour déterminer si un employeur désigné exploite une entreprise en vertu d'un contrat, dans le contexte des paragraphes 8(10) et 122.3(1) de la Loi. [...]

[17] Compte tenu du jugement Timmins, je conclus que CARE Canada n'exploitait pas une entreprise à l'étranger en ce qui concerne les activités exercées par l'appelant dans l'ancienne Yougoslavie. En particulier, CARE Canada n'exerçait pas une activité commerciale dans un but lucratif. Par conséquent, il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit, et, cela étant, je conclus qu'il est impossible de conclure que CARE Canada exploitait une entreprise à l'égard de ses activités de recrutement de personnel pour le compte de l’ONU dans l'ancienne Yougoslavie. À mon avis, l'appelant n'a pas réussi à établir que CARE Canada « exploitait une entreprise à l'étranger » au sens du sous-alinéa 122.3(1)b)(i).

[18] Je conclus que l'appelant n'a pas droit à un redressement en vertu de l'article 122.3 de la Loi. Je n'ai aucun doute au sujet de cette conclusion, mais si j'avais un doute, il serait résolu en faveur de l'intimée conformément à la décision rendue par mon collègue le juge Teskey dans l'affaire Clark v. M.N.R. [1996] 3 C.T.C. 2727. M. Clark était employé par CARE Canada, mais il avait été affecté pour travailler dans l'ancienne Yougoslavie. Le juge Teskey a conclu que CARE Canada n'exploitait pas une entreprise dans l'ancienne Yougoslavie. Les appels relatifs aux années d'imposition 1993, 1994 et 1995 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de mars 1998.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 7e jour de juillet 1998.

Mario Lagacé, réviseur

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