Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date : 20000330

Dossier : 98-148-IT-G

ENTRE :

JOANNE M. GAUCHER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de l’ordonnance

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] L’appelante présente une requête visant à obtenir une décision sur des points de droit soulevés dans les actes de procédure. L’appelante a été imposée en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les paragraphes 58(1) et (2) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) sont ainsi libellés :

58. (1) Une partie peut demander à la Cour,

a) soit de se prononcer, avant l’audience, sur une question de droit soulevée dans une instance si la décision pourrait régler l’instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement l’audience ou résulter en une économie substantielle des frais;

b) soit de radier un acte de procédure au motif qu’il ne révèle aucun moyen raisonnable d’appel ou de contestation de l’appel,

et la Cour peut rendre jugement en conséquence.

(2) Aucune preuve n’est admissible à l’égard d’une demande,

a) présentée en vertu de l’alinéa (1)a), sauf avec l’autorisation de la Cour ou le consentement des parties;

b) présentée en vertu de l’alinéa (1)b).

[2] Après avoir entendu la requête, j’ai indiqué aux parties que, même si je penchais en faveur de son rejet, je souhaitais réétudier les volumineux documents qui avaient été déposés. Malgré l’argumentation novatrice et savamment présentée de l’avocat de l’appelante, je n’ai pas changé d’avis. L’appelante souhaite disposer de l’appel en établissant que la nouvelle cotisation établie à l'égard de Charles Haynes, son ancien conjoint, était prescrite et qu'elle était nulle dès qu'elle avait été établie. Elle soutient en outre que la nouvelle cotisation n’a pas été validée par la décision du juge Margeson de notre cour.

[3] L’appelante demande à ce que soient tranchées trois questions de droit. En premier lieu, est-ce que la nouvelle cotisation est prescrite ? Ensuite, est-ce que l’appelante est privée du droit de soulever une défense fondée sur la prescription de la nouvelle cotisation parce que la Cour canadienne de l’impôt a rendu une décision dans l’appel de son ancien mari ? Si l’appelante n’est pas privée du droit de soulever une telle défense, il n’y aurait probablement aucune obligation fiscale sous-jacente de la part de son ancien mari pour les années d’imposition 1985 et 1986 et, par conséquent, aucune responsabilité solidaire de la part de l’appelante en vertu du paragraphe 160(1). Finalement, si l’appelante n’est pas privée du droit de soulever une telle défense, est-ce que son appel devrait être admis et l’avis de nouvelle cotisation, annulé ?

[4] Le 17 avril 1997, le ministre du Revenu national a imposé l’appelante pour un montant d’environ 350 000 $ en vertu du paragraphe 169(1) de la Loi. Alors que l’ancien époux de l’appelante devait un montant de 350 000 $ en vertu de la Loi, il a transféré à l’appelante une résidence sise au 1125 Groveland Court, à West Vancouver. M. Haynes a déclaré faillite quelques mois plus tard.

[5] Selon l’intimée, la différence entre la juste valeur marchande de la propriété et la contrepartie qu’a versée l’appelante pour l’obtenir est de 491 000 $. La question soulevée en appel consiste à décider si l’appelante est tenue de verser 350 000 $ à Revenu Canada. Les parties conviennent que, à première vue, les nouvelles cotisations de M. Haynes étaient prescrites. Les nouvelles cotisations ont été établies au-delà de la période de prescription de trois ans prévue par la Loi. La nouvelle cotisation visant les années d’imposition 1985 et 1986 a été établie le 4 janvier 1991. M. Haynes a interjeté appel à l’encontre de la cotisation et l'appel a été rejeté par le juge Margeson. Voir Haynes c. Sa Majesté La Reine, en date du 3 juin 1994. Dans le jugement de 12 pages, on ne retrouve aucune mention du fait que les nouvelles cotisations étaient prescrites ou que les conditions énoncées au paragraphe 152(4) étaient remplies[1].

[6] Dans l’affaire Ramey c. La Reine[2], le juge Bowman et d’autres juges de cette cour ont indiqué que le bénéficiaire d’un transfert (et, dans la présente instance, l’appelante est la bénéficiaire d’un transfert) devrait avoir la possibilité de contester l’exactitude d’une cotisation. Dans la présente cause de l’appelante, l’exactitude de la cotisation a été contestée par le contribuable approprié, Charles Haynes, et la Cour de l’impôt a conclu que la cotisation était exacte. L’appelante soutient a) que la nouvelle cotisation était prescrite; b) qu’il n’existait donc aucune obligation fiscale sous-jacente de la part de M. Haynes et, par conséquent, aucune obligation fiscale de la part de l’appelante; et c) que la cotisation de l’appelante devrait être annulée.

[7] Selon moi, le fait que la cotisation ait ou non été établie après le délai imparti n’est pas une pure question de droit, mais une question mixte de droit et de fait. Les parties ne s’entendaient pas sur les faits. Il incombait au premier juge de décider de la validité des nouvelles cotisations de M. Haynes selon les faits en cause. Il découle du jugement du juge Margeson que cela a été fait par ce dernier. Il n’était pas nécessaire au premier juge de faire spécifiquement référence à la question du délai de prescription. Je peux présumer que cette question a été résolue de consentement. Dans la présente requête, l’avocat de l’appelante a refusé que l’intimée présente une preuve de nature générale quant au délai de prescription, preuve qui aurait probablement résolu la question.

[8] Étant donné l’appel de M. Haynes, qui était représenté par un avocat qui a lui-même présenté plusieurs témoins, je conclus que l’on doit tenir pour acquis que le ministre a allégué, avec succès, qu’une présentation erronée des faits avait été faite puisqu’il a établi une cotisation après le délai légal. Il n’était pas nécessaire que le premier juge fasse référence à la preuve relative à la présentation erronée des faits. Je n’ai pas l’intention de reprendre l’appel interjeté par Charles Haynes. Puisque la nouvelle cotisation de M. Haynes a été portée en appel par ce dernier devant la Cour canadienne de l’impôt, l’appelante n’a pas la possibilité de contester à nouveau l'exactitude de la nouvelle cotisation. M. Haynes a contesté sa nouvelle cotisation et a eu droit à une audition complète devant la Cour de l’impôt, et l’appelante ne peut pas contester à nouveau l’exactitude de cette décision devant la même cour. La nouvelle cotisation de M. Haynes est réputée valide. Bien que le jugement dans l’affaire Haynes ne traite pas de la présentation erronée des faits de façon spécifique, le fait de permettre l'établissement d’une cotisation au-delà de la limite de trois ans sous-entend que le juge Margeson était convaincu de la validité de cette cotisation. La déclaration suivante de la Cour suprême du Canada, dans l’affaire La Reine c. Burns[3], soutient cette conclusion :

L’omission d’indiquer expressément que tous les facteurs pertinents ont été considérés pour en arriver à un verdict ne constitue pas une raison d’admettre un appel en application de l’al. 686(1)a). Cela est conforme à la règle générale selon laquelle le juge du procès ne commet pas une erreur du seul fait qu’il ne motive pas sa décision sur des questions problématiques: voir R. c. Smith, [1990] 1 R.C.S. 991, confirmant (1989), 95 A.R. 304, et Macdonald c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 665, Le juge n’est pas tenu de démontrer qu’il connaît le droit et qu’il a tenu compte de tous les aspects de la preuve. Il n’est pas tenu non plus d’expliquer pourquoi il n’a pas de doute raisonnable sur la culpabilité de l’accusé. L’omission d’accomplir l’une de ces choses ne permet pas en soi à une cour d’appel d’annuler le verdict.

Cette règle est logique. Obliger les juges du procès qui sont appelés à présider de nombreux procès criminels à traiter, dans leurs motifs, de tous les aspects de chaque affaire ralentirait incommensurablement le système de justice. Les juges du procès sont censés connaître le droit qu’ils appliquent tous les jours. S’ils formulent leurs conclusions avec concision et si ces conclusions s’appuient sur la preuve, il n’y a pas lieu d’infirmer le verdict simplement parce qu’ils n’ont pas analysé des aspects accessoires de l’affaire.

[10] En fin de compte, je conclus que l’appelante n’a pas le droit de présenter une défense fondée sur la prescription de la nouvelle cotisation de son ex-mari, puisque que la Cour canadienne de l’impôt a confirmé la nouvelle cotisation du ministre et que l’appelante ne peut modifier cette décision. Compte tenu des faits en cause, le juge Margeson a confirmé la cotisation du ministre; de plus, M. Haynes avait admis, au début de l’audience, qu’une partie des montants en litige avait été établie correctement dans la nouvelle cotisation.

[11] L’appel sera inscrit pour audition lors de la prochaine audience disponible de la présente Cour, trois mois après la date de la présente ordonnance. Les dépens afférents à la présente requête suivront l'issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de mars 2000.

“ C.H. McArthur ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 31e jour d'octobre 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]               En règle générale, il existe un délai de prescription de trois ans à l’intérieur duquel doivent être établies les cotisations, mais le ministre peut établir une cotisation à tout moment si le contribuable fait une présentation erronée des faits, comme l’indique le paragraphe 152(4).

[2]               93 DTC 791.

[3]               [1994] 1 R.C.S. 656, à la page 664.

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