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Date: 20000912

Dossier: 2000-601-GST-I

ENTRE :

MATT PANAR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Matt Panar interjette appel contre une cotisation en date du 26 avril 1999 en vertu de laquelle le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a rejeté sa demande de remboursement de TPS pour le motif qu'elle n'avait pas été faite dans les quatre ans suivant le paiement ou le versement de la taxe comme l'exigeait le paragraphe 261(3) de la Loi sur la taxe d'accise (la “ Loi ”).

[2] Les faits suivants ne sont pas en litige. Un promoteur louait d'une université (University of British Columbia) une grande propriété non bâtie et y construisait des habitations condominiales. Avant de les construire, le promoteur convertissait la propriété louée en petits lots condominiaux individuels à bail. En 1992, l'appelant a acheté une habitation condominiale, soit l'unité 106 de l'immeuble d'habitation condominial Thames Court, situé au 5880, Hampton Place, et il a, ce faisant, acquis un intérêt à bail par voie de cession d'un des lots condominiaux issus de la conversion de la propriété que le promoteur louait de l'université. L'appelant a conclu l'opération le 21 août 1992. Le prix qu'il a payé était de 279 000 $. En outre, l'appelant a payé au promoteur 18 252,34 $ de TPS.

[3] L'appelant a fait une demande de remboursement en présentant le formulaire requis à Revenu Canada le 27 novembre 1998. La demande a été rejetée pour le motif qu'elle n'avait pas été faite dans le délai fixé par la Loi. L'appelant a toutefois bel et bien reçu un remboursement de TPS pour habitations neuves de 6 729,33 $, ce qui donnait un solde de 11 523,11 $, et c'est cette somme qui demeure en litige.

[4] L'appelant était représenté à l'audience par Barry Brovender, qui a avisé la Cour qu'il n'entendait appeler aucun témoin et qu'il se proposait plutôt de présenter un exposé des faits. L'avocat de l'intimée a admis les faits énoncés dans les deux paragraphes suivants :

[TRADUCTION]

1. Matt Panar a, le 21 août 1992, acheté un condominium à bail, soit l'unité 106 de l'immeuble d'habitation condominial Thames Court, situé au 5880, Hampton Place, à Vancouver. Il a payé 18 252,34 $ de TPS sur l'achat de ce condominium à bail. Le montant en litige dans le présent appel est le solde de 18 252,34 $.

2. En 1998, M. Panar, qui était au courant des efforts du comité de Hampton Place chargé des questions de TPS, a demandé un remboursement intégral de TPS à l'égard du solde dû de 18 252,34 $. Il a par la suite reçu la lettre du 26 avril 1999 rejetant sa demande et l'informant du paragraphe 261(3) de la Loi sur la taxe d'accise. En vertu du délai fixé par le paragraphe 261(3) de la Loi, M. Panar avait quatre ans à partir de la date d'achat de son condominium à bail pour demander un remboursement (l'article 261 a été modifié depuis). Pendant ce temps, M. Panar a été découragé d'apprendre que d'autres propriétaires de condominiums à bail de Hampton Place, qui avaient bien rempli et produit des formulaires pour obtenir des remboursements intégraux de TPS, s'étaient vu refuser des remboursements intégraux par Revenu Canada.

Régime législatif

[5] Les dispositions pertinentes de la Loi qui étaient en vigueur le 27 novembre 1998, date à laquelle l'appelant a fait sa demande générale de remboursement, se lisent comme suit :

261(1) Dans le cas où une personne paie un montant au titre de la taxe, de la taxe nette, des pénalités, des intérêts ou d'une autre obligation selon la présente partie alors qu'elle n'avait pas à le payer ou à le verser, ou paie un tel montant qui est pris en compte à ce titre, le ministre lui rembourse le montant, indépendamment du fait qu'il ait été payé par erreur ou autrement.

[...]

261(3) Le remboursement n'est versé que si la personne en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement ou le versement du montant.

Le paragraphe 261(3) tel qu'il se lisait à cette époque reflétait une modification qui a été apportée en 1997 et par laquelle le délai précédent, qui était de quatre ans, a été ramené à deux ans. La modification disposait en outre ceci :

71(2) Le paragraphe (1) s'applique aux montants suivants :

a) ceux qui, après juin 1996, sont payés ou comptabilisés au titre de la taxe ou d'un autre montant à payer ou à verser en application de la partie IX de la même loi;

b) ceux qui, avant juillet 1996, sont payés ou comptabilisés au titre de la taxe ou d'un autre montant à payer ou à verser en application de cette partie, à l'exception des montants dont le remboursement est demandé aux termes de l'article 261 de la même loi avant juillet 1998.[1]

Thèse de l'appelant

[6] Le principal argument invoqué par M. Brovender dans le document qu'il a présenté était que la TPS perçue par erreur sur la fourniture exonérée du condominium à bail de l'appelant a enrichi Revenu Canada d'une manière injustifiée, car :

a) en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, Revenu Canada n'a pas le pouvoir de percevoir de la TPS sur une fourniture exonérée;

b) à partir de janvier 1995, Revenu Canada a été continuellement avisé que des paiements de TPS étaient contestés sur la fourniture exonérée de condominiums à bail de la résidence de Hampton Place;

c) Revenu Canada a porté l'affaire en justice au-delà de la période pendant laquelle l'appelant pouvait demander un remboursement à l'égard de la TPS perçue par erreur;

d) Revenu Canada s'est trompé en interprétant l'article 261 de la Loi de manière qu'il s'applique à une fourniture exonérée, taxée par erreur.

De plus, M. Brovender, qui avait été présent tout au long de l'audition des appels Earnshaw et Throness c. La Reine, Alfred c. La Reine et May c. La Reine[2], a demandé à la Cour de considérer les arguments suivants, qui avaient été formulés dans ces causes, et de les appliquer au présent appel. Il n'y a eu aucune objection de l'avocat de l'intimée.

[7] L'appelant invoque l'affaire Taylor et Redmond c. La Reine[3], dans laquelle le juge en chef Garon, de la C.C.I., a dans des circonstances identiques statué que l'acquisition, par les appelants, de leurs habitations respectives était exonérée de taxe en vertu de la partie IX de la Loi, et la cotisation du ministre leur refusant le remboursement de la taxe payée par erreur a donc été annulée. Comme cette décision a été rendue le 27 juillet 1998, l'appelant soutient que son droit de faire une demande générale de remboursement s'applique à partir de cette date. À l'appui de cette position, on fait valoir que l'interprétation appropriée du paragraphe 261(1) peut être établie en lisant les paragraphes (1) et (3) ensemble et en utilisant le paragraphe (1) pour déterminer ce que signifient les termes “ dans les deux ans suivant le paiement ou le versement du montant ”. On fait également valoir qu'il est nécessaire de prendre en compte dans la signification du paragraphe (3) le passage du paragraphe (1) qui dit “ elle n'avait pas à [...] payer ou à [...] verser ”. En lisant ces dispositions de cette manière et en admettant le fait que l'appelant n'a appris qu'il “ n'avait pas à [...] payer ” le montant en litige que lorsqu'a été rendue la décision Taylor et Redmond, soit le 27 juillet 1998, l'appelant avait, si le délai légal s'appliquait effectivement, deux ans suivant cette date pour faire sa demande. L'appelant soutient qu'interpréter ainsi les termes mentionnés n'est pas contraire au sens ordinaire et à l'objet de la loi et représente plutôt une interprétation créative de la loi permettant à la Cour d'interpréter les dispositions législatives pertinentes de manière à accorder un redressement à l'appelant.

[8] À l'appui de cette façon d'aborder l'interprétation de lois fiscales, on a fait référence à l'affaire Smith Drugs Ltd. c. M.R.N.,[4] dans laquelle Mme le juge Reed a dit :

À mon avis, les commentaires émis dans les arrêts Wally Fires v. Her Majesty the Queen, 90 DTC 6662 (C.S.C.) et Johns-Manville Canada Inc. v. Her Majesty the Queen, 85 DTC 5373 (C.S.C.) selon lesquels, en cas d'incertitude, il faut donner le bénéfice du doute au contribuable, ne rejettent pas le principe énoncé dans l'arrêt Stubart. Ces affaires indiquent seulement que, si après avoir lu les dispositions législatives pertinentes en fonction de l'objet et de l'esprit de la Loi, on éprouve des doutes quant à l'interprétation visée, il faut pencher en faveur du contribuable, que la disposition en question prévoit une imposition, une exemption ou une déduction.

[9] L'appelant dans la présente espèce adopte en outre les arguments supplémentaires présentés dans l'affaire May c. La Reine, précitée. Dans cet appel-là, il a été argué qu'une interprétation raisonnable du paragraphe 261(3) de la Loi indique qu'une personne assujettie aux dispositions de la Loi saurait, dans la plupart des cas, si la vente d'une fourniture taxable a avorté, si la fourniture taxable est restée impayée ou si elle a été consommée hors du Canada. Dans de telles circonstances, il n'y aurait pas de TPS à payer, et la personne demanderait dans le délai imparti un remboursement à l'égard de la TPS versée sur la vente. D'autre part, jusqu'à ce qu'un tribunal détermine qu'une fourniture est exonérée, une personne ne saurait normalement pas qu'il est possible d'avoir un remboursement à l'égard d'une telle fourniture sur laquelle Revenu Canada a perçu de la taxe par erreur. Dans le cas de l'appelant en l'espèce, il n'a été déterminé que la fourniture de son intérêt à bail était une fourniture exonérée que lorsque la décision Taylor et Redmond a été rendue, soit après l'expiration du délai imparti. Sur la foi d'une décision récente de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique (“ C.A.C.-B. ”), soit l'arrêt Hansen v. The Queen[5], il a été argué que le paragraphe 261(3) peut être interprété comme fixant un délai de nature procédurale, car il indique qu'une personne demande un remboursement lorsqu'elle devient au courant de circonstances dans lesquelles la TPS n'était pas payable. Dans l'arrêt Hansen, la C.A.C.-B. a statué qu'un délai de nature procédurale peut être prorogé d'un commun accord ou en établissant qu'il y a préclusion. Ainsi, dit l'appelant, Revenu Canada a, en acceptant le fait que des acheteurs avaient droit à des remboursements après que la décision Taylor a été rendue, consenti effectivement à proroger le début du délai à la date de la décision, soit au 27 juillet 1998.

[10] L'appelant soutient également qu'à cause de la préclusion le ministre ne peut rejeter sa demande de remboursement en affirmant qu'elle est frappée de prescription au motif qu'elle a été faite en retard. Il dit que, si sa demande est frappée de prescription, son omission de présenter la demande dans le délai requis est attribuable à des déclarations faites par des employés et représentants du ministre avant l'expiration du délai concernant son droit à un remboursement général.

Conclusion

L'argument relatif au délai

[11] J'ai conclu que l'“ approche créative ” de l'interprétation des paragraphes 261(1) et (3) de la Loi qui est proposée doit être rejetée. L'intention du législateur de fixer un délai pour la présentation d'une demande de remboursement est énoncée en termes non équivoques. L'appelant voudrait que la Cour interprète cette disposition particulière comme correspondant à ce qu'il croyait que le législateur aurait dit si ce dernier avait été saisi de cette situation particulière. Lorsque la signification d'un texte est claire, notre cour n'a pas compétence pour en atténuer les conséquences. Bien que notre cour puisse être en droit d'interpréter le libellé d'une loi adoptée par le législateur, elle ne peut le déformer pour le rendre conforme à ce qu'elle peut considérer comme raisonnable[6].

[12] Je suis également d'avis que l'affaire Hansen se distingue de la présente espèce aussi bien en fait qu'en droit. Dans cette cause-là, il s'agissait de savoir si le droit de Mme Hansen de former une demande d'indemnisation à l'égard d'un terrain qui avait été exproprié aux fins d'une route était prescrit parce que le délai d'un an prévu à l'article 25 de la loi intitulée Expropriation Act[7] était écoulé. La commission appelée Expropriation Compensation Board (la “ commission ”) avait décidé que le ministère, étant lié par la préclusion, ne pouvait se fonder sur le délai. L'appel était interjeté contre cette décision. Pour ce qui est des faits relatifs à l'affaire Hansen, au cours d'une réunion entre les avocats tenue en juin 1995, le négociateur du ministère avait déclaré à l'avocat de Mme Hansen que le délai d'un an commencerait à courir à compter de la date de possession, soit le 8 août, plutôt qu'à compter de la date du paiement comme le spécifiait la disposition pertinente, soit le 21 juillet. Le juge MacKenzie, de la Cour d'appel, a conclu que cette déclaration n'était pas ambiguë et que c'était une déclaration de fait destinée à être suivie et ayant été suivie et il a statué que la commission avait eu raison de conclure que les éléments de la préclusion promissoire avaient été établis. Cet arrêt n'aide guère l'appelant, car la préclusion à laquelle il a été conclu concernait une déclaration de fait, qui avait été suivie par Mme Hansen à son détriment. Tel n'est pas le cas dans la présente espèce, dans laquelle les déclarations de M. Gravelle (et d'autres représentants de Revenu Canada) reflétaient l'interprétation du ministère quant aux dispositions pertinentes de la Loi.

[13] Il a également été argué que le délai prévu au paragraphe 261(3) de la Loi est un délai de nature procédurale pouvant être prorogé d'un commun accord ou en établissant qu'il y a préclusion, et ce, sur la foi des propos suivants tenus par le juge MacKenzie dans l'arrêt Hansen :

[TRADUCTION]

En vertu de l'article 25, aux termes duquel une instance ne peut être introduite après l'expiration du délai d'un an, le propriétaire est réputé avoir accepté un paiement anticipé comme règlement intégral en l'absence de toute autre demande présentée dans le délai imparti. À mon avis, cela n'équivaut pas à l'extinction de la demande, qui est simplement réputée avoir été réglée. Cette distinction peut être subtile, mais je pense que le libellé de l'article 25 fixe un délai de nature procédurale qui peut être prorogé d'un commun accord ou en établissant qu'il y a préclusion.

Je ne saurais convenir de l'argument présenté sur la foi de ces propos. Premièrement, l'appelant n'a pas établi la preuve d'une préclusion. Deuxièmement, le délai prévu au paragraphe 261(3) de la Loi est un délai de nature fondamentale et non pas simplement de nature procédurale et il ne peut être prorogé. Ce paragraphe dispose : “ Le remboursement n'est versé que si la personne en fait la demande dans les deux ans [...] ”. Comme l'a fait remarquer l'avocat de l'intimée, cette disposition prévoit clairement l'extinction de tous les droits au remboursement. De plus, rien n'indique que l'appelant a été mal informé par un fonctionnaire de Revenu Canada sur le délai fixé pour la présentation d'une demande de remboursement. Ainsi, il est difficile de trouver un fondement à l'argument selon lequel Revenu Canada a consenti effectivement à proroger le début du délai à la date de la décision Taylor et Redmond. En outre, même si l'appelant avait pu établir que Revenu Canada avait conclu une forme d'accord avec lui, un tel accord viserait en fait à déterminer la taxe autrement qu'en conformité avec la loi et serait illégal[8].

[14] Je dois ajouter à ce qui précède qu'aucune disposition de la Loi ne permet au ministre ou encore à la Cour fédérale ou à notre cour de proroger ou de modifier les délais spécifiés dans une disposition législative comme le paragraphe 261(3) ou d'y déroger[9].

Argument relatif à la préclusion

[15] Aucune preuve n'indique qu'un fonctionnaire ou représentant de Revenu Canada a fourni à l'appelant de l'information erronée sur son droit à un remboursement général. Cependant, à la fin de 1995, toutes les personnes qui avaient acheté les habitations condominiales en cause savaient que la position de Revenu Canada était qu'elles n'avaient pas droit au remboursement. De plus, malgré l'absence d'une preuve directe à cet égard, il est raisonnable de conclure que l'appelant était au courant de cette position et qu'il croyait que la position de Revenu Canada indiquait implicitement qu'il ne devrait pas faire une demande parce qu'elle ne serait pas acceptée. Il est également justifié de conclure que, tout comme bien d'autres personnes, l'appelant a agi en conséquence et a conclu que faire une demande serait une perte de temps. Ainsi, se fondant sur l'exactitude de la position exprimée par Revenu Canada, il a omis de présenter sa demande dans le délai imparti.

[16] Bien qu'il soit clair qu'il a agi à son détriment par suite des déclarations faites par des employés de Revenu Canada quant aux dispositions pertinentes de la Loi, l'appelant ne peut avoir gain de cause. L'issue estoppel (préclusion fondée sur la chose jugée) a été examinée dans un certain nombre de causes, et le principe qui peut s'en dégager est que la Couronne ne peut être liée par une déclaration en matière d'interprétation du droit faite par l'un de ses employés ou représentants. Dans l'arrêt M.R.N. c. Inland Industries Limited[10], la Cour suprême du Canada a examiné certains articles de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant la déductibilité de cotisations au titre de services passés à un régime de pension initialement accepté par le ministère du Revenu national pour fins d'enregistrement, mais à l'égard duquel des déductions ont ultérieurement été refusées. Parlant pour la Cour, le juge Pigeon a en fait disposé de toute question de préclusion en disant :

[...] Toutefois, il me paraît clair qu'une approbation donnée sans que les conditions prescrites par la loi ne soient remplies ne lie pas le ministre.

Ce principe a été appliqué dans l'affaire Stickel c. M.R.N.[11],par le juge Cattanach, qui a dit :

En bref, les fins de non-recevoir [la préclusion] sont soumises à une règle générale: elles ne peuvent aller à l'encontre des lois d'application générale.

[17] Le raisonnement à la base du principe exprimé dans ces causes a été succinctement résumé par le juge Bowman dans l'affaire Goldstein c. La Reine[12] :

On dit parfois que la préclusion n'est pas recevable contre la Couronne. Cette affirmation n'est pas exacte et semble provenir d'une mauvaise application du terme préclusion. Le principe de la préclusion lie la Couronne, tout comme d'autres principes de droit. La préclusion du fait du comportement, telle qu'elle s'applique à la Couronne, comprend des déclarations de faits de fonctionnaires de la Couronne sur lesquelles le sujet s'est fondé et en fonction desquelles il a agi, à son détriment. La doctrine n'a aucune application lorsqu'une interprétation particulière d'une loi a été communiquée à un sujet par un fonctionnaire de l'État, que le sujet s'est fondé sur cette interprétation à son détriment et que le gouvernement a ensuite retiré ou modifié l'interprétation. Dans un tel cas, un contribuable cherche parfois à invoquer la doctrine de la préclusion. Ce n'est pas approprié, non pas parce que ces déclarations donnent lieu à une préclusion qui ne lie pas la Couronne, mais plutôt parce qu'aucune préclusion ne peut se poser lorsque de telles déclarations ne sont pas conformes au droit. Bien que la préclusion soit maintenant un principe de droit positif, elle prend son origine dans le droit de la preuve et, en tant que telle, se rapporte aux déclarations de faits. Elle n'a aucun rôle à jouer lorsque des questions d'interprétation du droit sont en cause, car la préclusion ne peut déroger au droit.

[18] La question dont je suis saisi est de savoir si les déclarations que des fonctionnaires de Revenu Canada ont faites à divers propriétaires d'habitations condominiales au sujet de l'assujettissement à la taxe de la fourniture de leurs habitations étaient des déclarations de fait ou de droit. Ces déclarations portaient essentiellement que l'acquisition des habitations condominiales était assimilée à une opération d'achat-vente, qu'elle ne représentait pas une fourniture exonérée et qu'elle était donc à juste titre assujettie aux 7 p. 100 de TPS. À mon avis, il s'agissait non pas de déclarations de fait, mais plutôt d'une opinion quant à l'interprétation appropriée des dispositions pertinentes de la Loi. Dans de telles circonstances, l'appelant ne peut faire valoir la préclusion afin d'empêcher le ministre de se fonder sur les dispositions du paragraphe 261(3) de la Loi pour rejeter sa demande de remboursement.

[19] L'appelant a en outre demandé à notre cour de modifier la cotisation — de manière que le solde de 18 252,34 $ lui soit remis avec intérêts au motif que le ministre s'est enrichi d'une manière injustifiée — ou de rendre une ordonnance disant qu'une remise de taxes selon l'article 23 de la Loi sur la gestion des finances publiques est justifiée dans les circonstances. Cette demande déborde la compétence de notre cour. Dans l'affaire Lamache Estate c. La Reine[13], l'avocat de la partie appelante demandait une “ directive relativement à une reddition de comptes ” à l'égard des 3 733,11 $ d'impôt payé qui n'avaient pas été portés au crédit du contribuable ou remboursés à ce dernier. Le juge en chef adjoint Christie, de la C.C.I., a dit :

[...] En supposant même qu'il soit possible d'intenter une action en reddition de comptes relativement à cette somme d'argent, je doutais que notre cour ait cette compétence et je me suis reporté à son pouvoir de statuer sur un appel. L'article 171 de la Loi prévoit :

171(1) La Cour canadienne de l'impôt peut statuer sur un appel

a) en le rejetant, ou

b) en l'admettant et

(i) annulant la cotisation

(ii) modifiant la cotisation, ou

(iii) déférant la cotisation au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

Réflexion faite, je suis encore plus convaincu que la cour n'a pas la compétence mentionnée. La Cour canadienne de l'impôt est une pure création de la loi et sa compétence se limite à ce qui lui est conféré expressément par le Parlement et à ce qui se déduit nécessairement de ce qui lui est conféré expressément. [...]

Dans l'affaire McMillen Holdings Limited c. M.R.N., 87 DTC 585 (C.C.I.) l'appelante a demandé une directive pour obliger l'intimé à payer des intérêts sur un dividende remboursé en vertu du paragraphe 129(1) de la Loi. [...]

Le juge Rip a statué que la cour n'avait pas la compétence voulue. Il a dit, aux pages 591 et 592, (les renvois à "la Loi" visent la Loi de l'impôt sur le revenu) :

L'article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt permet à la Cour d'entendre les appels portés devant elle sur les questions découlant de l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu et de diverses autres lois. Le paragraphe 171(1) de la Loi précise la façon dont la Cour peut exercer cette compétence pour entendre et juger les appels interjetés en vertu de la Loi. L'article 13 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt confère tout simplement à la Cour l'ensemble des pouvoirs, des droits et des privilèges accordés à une cour supérieure d'archives en ce qui a trait à l'audition des témoins, à la production des documents et, d'une façon générale, à l'exercice de sa compétence, c'est-à-dire entendre des appels, mais l'article 13 n'élève pas la compétence de la Cour à celle d'une cour supérieure d'archives. S'agissant des questions découlant de l'application de la Loi, la Cour est dûment compétente pour entendre et juger les appels interjetés au sujet des cotisations d'impôt. Je n'insisterai jamais assez sur le fait que la compétence première de la Cour est d'entendre et de juger les appels sur les questions découlant de l'application de la Loi et que toute poursuite intentée contre l'État en vertu de l'application de la Loi, sans toutefois qu'il s'agisse de l'appel d'une cotisation, n'est pas un appel découlant de l'application de la Loi, seul cas où la Cour est compétente.

[20] Par conséquent, pour les motifs mentionnés ci-dessus, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de septembre 2000.

“ A. A. Sarchuk ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 12e jour de février 2001.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Voir L.C. 1997, ch. 10, paragraphes 71(1) et (2).

[2]               Décisions en date du 22 août 2000 (nos de dossier de la Cour 2000-356(GST)I, 2000-604(GST)I et 2000-645(GST)I).

[3]               C.C.I., no 96-705, 27 juillet 1998 ([1998] G.S.T.C. 80).

[4]               C.F., 1re inst., no T-1761-86, 27 avril 1992, à la page 12 ([1992] 54 F.T.R. 32, aux pages 38-39).

[5]               Diane Hansen et al v. The Queen in right of the Province of British Columbia, as represented by the Minister of Transportation and Highways, 2000 BCCA 338.

[6]               Affaire Altrincham Electric Supply Limited. v. Sale Urban District Council, [1936] 154 L.T. 379, à la page 388, citée par le juge Estey qui l'approuvait dans l'arrêt Wanklyn et al v. M.N.R., [1953] 2 R.C.S. 58.

[7]        R.S.B.C. 1996, ch. 125. L'article 25 se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Si une demande visant la détermination d'une indemnisation n'est pas faite à la commission dans l'année suivant un paiement fait en vertu de l'article 20, le propriétaire dont le terrain a été exproprié est réputé avoir accepté ce paiement en règlement intégral de sa demande d'indemnisation et il ne peut introduire une instance pour que soit déterminée une indemnisation.

[8]               Voir par exemple l'arrêt Cohen c. La Reine, C.A.F., 3 juin 1980 (80 DTC 6250).

[9]               Au sujet du délai spécifié au paragraphe 256(3) de la Loi, voir les observations formulées dans l'affaire Domjancic c. La Reine, C.A.F., no A-385-96, 14 avril 1997 ([1997] G.S.T.C. 30), juges Stone et Robertson et juge suppléant Gray, et C.C.I., no 95-2808(GST)I, 1er avril 1996 ([1996] G.S.T.C. 52), juge Hamlyn.

[10]             [1974] R.C.S. 514, à la page 523 (72 DTC 6013, à la page 6017).

[11]             [1972] C.F. 672, à la page 685 (72 DTC 6178, à la page 6185).

[12]             C.C.I., no 94-840(IT)I, 1er mars 1995, à la page 11 (96 DTC 1029, à la page 1034).

[13]             C.C.I, no 88-902(IT), 19 octobre 1990 (91 DTC 9).

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