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Date: 19980903

Dossier: 96-1916-UI

ENTRE :

603418 ONTARIO INC.,

s/n J.P. MOTOR SALES

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

RICHARD SCOTT,

intervenant.

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience

à Toronto (Ontario), le 5 juin 1998.)

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Le présent appel a été interjeté sous le régime de la Loi sur l'assurance-chômage (maintenant Loi sur l'assurance-emploi). L'appelante est une compagnie constituée qui exploite depuis 15 ans une entreprise de vente de voitures appelée J.P. Motor Sales dans la ville de Burlington (Ontario). L'appelante est gérée par son principal actionnaire, Larry Pattinson, qui a témoigné en l'espèce. Durant la période allant du 28 avril 1994 au 12 janvier 1995, l'appelante et Richard Scott (l'intervenant), qui a également témoigné, ont entretenu une relation commerciale. La question est de savoir si cette relation commerciale correspondait à une relation employeur-employé (auquel cas M. Scott était un employé de l'appelante) ou si M. Scott était un entrepreneur indépendant ayant conclu avec l'appelante un arrangement en coentreprise.

[2] Le ministre du Revenu national a déterminé qu'il y avait une relation employeur-employé et que l'appelante, à titre d'employeur, était tenue de verser les cotisations qui auraient permis à M. Scott de présenter une demande de prestations d'assurance-chômage relativement à la prétendue période d'emploi. En ce qui concerne ce genre de litige, la jurisprudence est bien établie. L'arrêt de principe est Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553. Notre cour, ainsi que la Cour d'appel fédérale, a à maintes reprises commenté cet arrêt. Bien que certains critères aient été élaborés dans l'arrêt Wiebe Door, que j'examinerai plus loin, le présent appel sera tranché essentiellement en fonction des faits.

[3] En avril 1994, M. Scott a rencontré M. Pattinson et lui a dit avoir de l'expérience comme vendeur de voitures, ayant travaillé pour d'autres marchands d'automobiles au cours des cinq ou dix années précédentes. En outre, M. Scott exploitait ce qu'il appelait une entreprise d'importation et d'exportation; il s'agissait en fait d'une entreprise d'exportation non constituée en personne morale, qu'il exploitait à titre d'entreprise individuelle sous le nom d' « Inter Can » . M. Scott avait tenté de développer les affaires d'Inter Can et avait établi ce qu'il croyait être de bons contacts au Costa Rica. Il a laissé entendre à M. Pattinson qu'ils pourraient conclure une entente aux termes de laquelle M. Scott obtiendrait des voitures destinées à une clientèle choisie résidant à l'extérieur du Canada. L'appelante achèterait les voitures tandis que M. Scott veillerait à leur transport à l'étranger; lorsque les voitures seraient payées, M. Scott et l'appelante partageraient les bénéfices. Les témoignages de M. Pattinson et de M. Scott concordent à l'égard des faits susmentionnés. Ils ont tous deux reconnu que lors de leur rencontre, à la fin d'avril 1994, la proposition susmentionnée avait été acceptée et que la relation commerciale entre M. Scott et l'appelante avait commencé à ce moment-là.

[4] M. Scott prétend qu'il est un employé. Il a déclaré que sa première rencontre avec M. Pattinson avait eu lieu un vendredi et que ce dernier, après avoir appris que M. Scott était un vendeur de voitures d'expérience, lui avait dit : « Nous serons samedi, demain. C'est une journée chargée. Présentez-vous au bureau, vous pourrez immédiatement commencer à vendre des voitures. » D'après son témoignage, M. Scott s'était présenté le jour suivant et, moins de deux heures après être arrivé sur les lieux, il avait vendu une voiture. Impressionné, M. Pattinson l'avait engagé sur-le-champ.

[5] La pièce A-6 est un classeur contenant 12 documents. M. Pattinson a déclaré qu'Inter Can et lui avaient établi une relation commerciale et qu'il n'avait pas engagé M. Scott. Il avait convenu d'effectuer des opérations commerciales avec Inter Can. Certains des documents contenus dans la pièce A-6 semblent confirmer cette affirmation, plus particulièrement l'onglet 8, qui est une copie de l'enregistrement du nom commercial Inter Can par M. Scott. L'enregistrement a été effectué le 20 mai 1994 et les deux témoins conviennent que leur relation commerciale a débuté le 28 avril 1994, soit environ trois semaines avant l'enregistrement du nom commercial.

[6] L'onglet 9 de la pièce A-6 renferme une série de bordereaux de commissions remis à Inter Can par l'appelante, indiquant le nombre de véhicules (avec mention du modèle et de l'année) qui ont été vendus par M. Scott dans un mois donné et faisant état du calcul de la commission gagnée après déduction de certains montants. La plupart des bordereaux de commissions sont adressés à Inter Can et visent les mois d'avril à décembre 1994.

[7] En outre, l'onglet 11 de la pièce A-6 renferme une série de chèques émis par J.P. Motor Sales, la plupart étant libellés à l'ordre d'Inter Can. Un ou deux de ces chèques sont libellés au nom de Richard Scott Inter Can, plus particulièrement un chèque daté du 30 juin 1994 au montant de 4 097,03 $. La plupart des autres chèques sont toutefois simplement libellés au nom d'Inter Can et semblent représenter tous les chèques que l'appelante a remis à M. Scott sous son nom commercial au cours de la période allant d'avril 1994 à janvier 1995. De plus, la pièce A-5 est une liste de relevés bancaires relatifs à un compte ouvert au nom d'Inter Can à la succursale de la Banque de Montréal située à Burlington. Tous les chèques susmentionnés ayant été émis par J.P. Motor Sales ont été déposés dans ce compte. Divers chèques ont été tirés sur ce compte à différentes fins, notamment semble-t-il pour permettre à M. Scott d'obtenir les fonds nécessaires au paiement de ses frais de subsistance. Le fait que les mots Inter Can apparaissaient un peu partout sur les bordereaux de commissions et sur les chèques et à l'égard du compte bancaire a incité l'appelante à prétendre que M. Scott et elle n'avaient pas conclu un contrat d'emploi.

[8] Bien que l'arrangement proposé par M. Scott à M. Pattinson ait comporté deux volets, un seul a donné lieu à des activités commerciales importantes, soit la vente de voitures. L'autre activité, consistant à trouver des voitures susceptibles d'intéresser des acheteurs étrangers, à acheter ces voitures et à les exporter aux fins de revente à ces acheteurs étrangers, n'a jamais démarré. D'après le témoignage non contredit de M. Pattinson, aucune voiture n'a été vendue dans le cadre de cette seconde activité.

[9] La preuve a établi que M. Scott et ses contacts au Costa Rica avaient eu de nombreux entretiens téléphoniques. Les factures téléphoniques ont été déposées en preuve pour confirmer ce fait. Je déduis de la déposition des deux témoins que, selon l'arrangement qui avait été conclu, puisque M. Scott n'avait pas les fonds suffisants pour exporter à lui seul des voitures, il se chargerait de l'exportation tandis que l'appelante avancerait l'argent permettant d'acheter les voitures et veillerait avec M. Scott à ce qu'elles soient expédiées à l'étranger, Inter Can et l'appelante partageant les bénéfices moitié-moitié. Je dis bien que c'est ce que j'en « déduis » , puisque aucune vente n'ayant été conclue, l'exportation de voitures n'a généré aucune bénéfice susceptible de partage. Il semble cependant d'après une preuve secondaire que M. Scott se soit procuré de nombreuses motocyclettes qu'il a ensuite expédiées à des acheteurs étrangers, peut-être au Costa Rica (quoique la preuve n'ait pas clairement permis d'établir ce fait). M. Scott a bien déclaré qu'il avait réellement pris des dispositions pour acheminer des conteneurs à divers endroits en Ontario où on les remplissait d'articles qu'on expédiait ensuite à l'étranger. Je crois qu'il a dit que c'est ce qui était arrivé au printemps et à l'automne 1994, et de nouveau en janvier et en février 1995. M. Scott se livrait donc dans une certaine mesure à l'exportation de véhicules par l'intermédiaire d'Inter Can, mais il s'agissait probablement de motos et non de voitures. La seconde activité sur laquelle l'arrangement portait n'a par conséquent jamais généré de bénéfices.

[10] Les prétentions de l'appelante et de l'intervenant sont en opposition directe. L'avocate de l'appelante prétend que les arguments de ces deux parties doivent être examinés ensemble comme s'ils formaient un tout, et que l'appelante a conclu un contrat avec Inter Can seulement. Pour étayer cet argument, l'avocate a montré que les chèques étaient (dans presque tous les cas) libellés au nom d'Inter Can, que les bordereaux de commissions avaient été établis au nom d'Inter Can, que M. Scott avait déposé l'argent dans le compte bancaire d'Inter Can et que, par conséquent, les échanges de fonds qui avaient lieu se faisaient entre l'appelante et Inter Can.

[11] M. Scott prétend toutefois qu'il était uniquement vendeur de voitures. Il reconnaît qu'il rêvait par ailleurs de devenir exportateur de voitures et qu'il aurait besoin des ressources financières de l'appelante si une telle entreprise parvenait à démarrer. Mais parce que l'entreprise n'a pas démarré, ajoute-t-il, il s'est retrouvé vendeur de voitures tout comme les autres vendeurs qui étaient « employés » par l'appelante. M. Pattinson a reconnu qu'il avait bel et bien eu au moins deux autres vendeurs à son service et qu'il leur avait délivré des feuillets T4 à la fin de l'année. Certaines retenues à la source sur leur revenu de commissions avaient été effectuées au titre des cotisations d'assurance-chômage, des cotisations au Régime de pensions du Canada et de l'impôt sur le revenu. M. Pattinson a toutefois déclaré qu'il n'avait pas procédé à ces retenues dans le cas de M. Scott parce que celui-ci lui avait demandé de ne pas le faire, puisqu'il était entrepreneur indépendant. Se pliant aux exigences de M. Scott, il avait donc libellé les chèques de ce dernier au nom d'Inter Can. M. Pattinson a déclaré ceci : « C'est ainsi qu'il voulait que les choses se passent; je devais me faire à cette idée » .

[12] Je ferai maintenant des observations sur certains éléments de preuve qui ont été contestés. M. Pattinson déclare que M. Scott n'avait pas de fonctions particulières, ce qui était le cas pour les autres vendeurs. Plus précisément, une sorte de tableau de service était affiché dans la salle de montre de l'appelante : les vendeurs devaient indiquer leurs heures de présence dans la salle de montre (ils avaient une certaine latitude dans le choix des heures), celle-ci étant ouverte de 9 h à 21 h la semaine et de 9 h à 18 h les samedis. Bien entendu, quelqu'un devait être présent dans la salle de montre durant les heures d'ouverture. Ces heures étaient réparties entre les vendeurs, mais M. Pattinson a déclaré que M. Scott, contrairement aux autres vendeurs, n'était pas tenu de s'inscrire au tableau de présence; on établissait un horaire à son égard, mais il pouvait appeler au bureau et se faire excuser, auquel cas il ne faisait pas l'objet des mesures disciplinaires prévues pour les vendeurs ordinaires. M. Scott a déclaré qu'il devait bel et bien s'inscrire au tableau de service, qu'il était à cet égard traité comme les autres vendeurs, qu'on fixait ses heures de présence dans la salle de montre et qu'il devait s'y présenter pendant les heures d'ouverture du concessionnaire pour servir le public.

[13] Je suis enclin à retenir le témoignage de M. Scott plutôt que celui de M. Pattinson sur le point susmentionné. Il recevait la même commission que les autres vendeurs. Les activités d'exportation étaient au point mort et il me semble plus raisonnable d'affirmer qu'on devait s'attendre à ce qu'il fasse la même chose que les autres vendeurs. L'onglet 9 de la pièce A-6 confirme le témoignage de M. Scott plutôt que celui de M. Pattinson. J'ai examiné l'onglet 9, qui renferme les bordereaux de commissions établis au nom d'Inter Can et, en particulier, un état indiquant qu'à partir d'avril, la vente d'une Camaro rapportait une commission de 436 $. M. Scott a déclaré que M. Pattinson avait convenu que la commission qui lui était versée pour la vente d'une voiture était la même que celle touchée par les autres vendeurs, soit l'équivalent de 25 p. cent des bénéfices.

[14] Les divers bordereaux de commissions datés du mois de mai au mois de décembre 1994 indiquent que M. Scott a vendu 10 véhicules en mai, 19 en juin, 14 en juillet, 11 en septembre, 20 en octobre, 7 en novembre et 9 en décembre. On n'a pas établi le nombre moyen de ventes réalisées par un vendeur habile dans la région, mais le nombre de véhicules vendus par M. Scott m'apparaît impressionnant. De mai à octobre, il a vendu en moyenne au moins 10 véhicules par mois, ou au moins deux par semaine. En outre, en juin et en octobre, il en a vendus 19 et 20 respectivement. Je serais porté à croire qu'il pouvait réaliser ces ventes uniquement pendant ses heures de présence obligatoire dans la salle de montre. Le nombre de ventes tend à démontrer que l'objet principal de la relation commerciale était la vente de voitures et non leur exportation.

[15] D'autres éléments de preuve sont également incompatibles : M. Pattinson déclare que M. Scott voulait qu'on lui verse un revenu brut, sans retenues à la source, et que les paiements avaient pour cette raison été effectués au nom d'Inter Can. M. Scott a déclaré s'être plaint du fait qu'il n'y avait aucune retenue à la source. Sur ce point, je retiens le témoignage de M. Pattinson, parce que la façon dont il payait M. Scott ne concordait pas avec la façon dont il rémunérait ses autres vendeurs. Je ne vois pas pourquoi il verserait un revenu brut à M. Scott, si ce n'est à la demande de ce dernier. Je ne crois pas M. Scott et je ne crois pas non plus qu'il se soit plaint de la situation au cours de cette période. Il s'est plaint longtemps après avoir cessé d'occuper son emploi et s'être rendu compte que s'il l'avait fait plus tôt et avait accepté les retenues à la source, il aurait eu le droit de recevoir des prestations d'assurance-chômage. Ainsi, quant à ces éléments incompatibles, qui ne sont pas négligeables, je retiens le témoignage de M. Pattinson selon lequel les chèques avaient été libellés au nom d'Inter Can à la demande de M. Scott.

[16] J'essaie d'imaginer ce que ces hommes ont pensé le jour où ils ont conclu l'entente. Tout homme d'affaires caresse un rêve. Avant même de rencontrer M. Pattinson, M. Scott entretenait le rêve d'exporter des véhicules. En fait, ce qu'il avait à offrir à M. Pattinson, c'était son idée d'entreprise d'importation et d'exportation. Il avait besoin de quelqu'un qui avait les capitaux dont ce dernier disposait, et il lui avait mentionné qu'il exportait déjà des motocyclettes et qu'ils devraient tous deux se lancer dans l'exportation d'automobiles. Je crois que M. Scott avait alors réussi à vendre son rêve à M. Pattinson et que, si leur entreprise avait démarré, les choses se seraient peut-être bien déroulées. Le fait qu'il ne se soit rien passé n'est qu'un aléa parmi tant d'autres dans le monde des affaires.

[17] Les dépositions des témoins divergent sur un troisième point, même s'il est moins important : une Sunbird a été vendue vers le mois de novembre dans des circonstances exceptionnelles. Il s'agit d'une étrange histoire. Apparemment, M. Scott avait vendu une Sunbird à un client qui avait versé un acompte. N'ayant pas les fonds nécessaires pour effectuer un paiement intégral, le client avait dit qu'il reviendrait dans une semaine ou deux avec l'argent, pour prendre possession de la voiture. Lorsque le client est revenu chez le concessionnaire, l'automobile n'y était plus : elle avait été volée. On a alors alerté la police, qui a retrouvé la voiture près de Waterdown, un peu au nord de Burlington; elle avait subi peu de dommages. Le bordereau de commissions d'Inter Can de novembre 1994 énumère les ventes; dans le coin inférieur gauche, il y est fait mention de frais relatifs à la récupération de la voiture, soit des frais de 25 $ pour le service de dépanneuse, des frais quelconques (l'écriture est illisible) s'élevant à 233 $, des frais de 325 $ se rapportant à une demande de travail et un autre montant de 107 $, pour un total de 690 $. Selon le témoignage de M. Scott, que je retiens sur ce point, son client était toujours désireux d'acheter la Sunbird, ce qu'il a fait après que la voiture eut été réparée. Il voulait essayer le véhicule pour s'assurer que le voleur ne l'avait pas endommagé. Quoi qu'il en soit, il a de fait acheté la Sunbird, de sorte que l'acompte qu'il avait versé a été porté en réduction du prix d'achat. La réparation de la voiture ayant occasionné des dépenses de 690 $, M. Pattinson a défalqué la moitié de cette somme (soit 345 $) de la commission de M. Scott du mois de novembre, ce dont il est fait mention dans l'état des commissions.

[18] De la façon dont M. Pattinson a décrit cet événement, il croyait qu'il avait agi régulièrement et que tout le monde devrait comprendre : M. Scott devrait accepter la déduction de 345 $ qui a été effectuée sur ses commissions de novembre. Ce dernier a toutefois déclaré qu'il s'était opposé à une telle pratique une première fois à ce moment-là puis de nouveau par lettre expédiée après que les deux hommes eurent mis fin à leur relation commerciale. Sur ce point, on n'a présenté aucun témoignage d'expert quant à la pratique suivie par les concessionnaires d'automobiles; j'aurais toutefois pensé que les dépenses occasionnées par un vol constituaient un risque assurable pris en charge par le concessionnaire et que le vendeur ne serait pour sa part tenu de prendre quelque frais que ce soit à sa charge. Dans une telle situation, alors que l'acheteur n'avait versé qu'un acompte et qu'il préférait attendre quelques jours avant de payer le solde, le vol de la voiture devenait soudain pour celui qui l'avait vendue un risque qu'il devait assumer dans une proportion de 50 p. cent. En pareilles circonstances, il vaudrait mieux que le vendeur ne vende jamais de voitures, à moins qu'elles ne soient emportées au moment même où les ventes sont conclues. Le bon sens s'oppose à M. Pattinson sur ce point et je suis enclin à croire que M. Scott aurait contesté la diminution de sa commission de 345 $.

[19] Je cite ces exemples de témoignages contradictoires parce qu'une des choses qui rend ce genre de cause difficile à trancher est le fait que, lorsque les gens se présentent à la barre des témoins plus de deux ou trois ans après que les événements se sont produits, ce qui est réellement arrivé -- en 1994 en l'occurrence -- devient moins clair en raison du passage du temps et les témoins ont tendance à se rappeler les événements passés de la façon qu'ils veulent bien s'en rappeler. Bien que je ne mette en doute ni l'intégrité ni l'honnêteté de MM. Pattinson et Scott, les passages de leurs dépositions qui se contredisent sont intéressés. Dans un cas, je suis davantage porté à croire M. Pattinson que M. Scott, et dans un autre cas, c'est le contraire. Il est important de percevoir l'essentiel de ce qui s'est réellement produit, dans le cadre des activités de J.P. Motor Sales, entre les deux hommes au cours des huit derniers mois de 1994. Ceci m'amène aux critères énoncés dans l'arrêt Wiebe Door, lesquels sont maintenant bien établis.

[20] Quant à la question de savoir si les deux volets de l'arrangement qui a été conclu devraient être examinés ensemble, comme le soutient l'appelante, ou séparément, comme le soutiennent l'intimée et l'intervenant, je suis d'avis que ces deux volets sont distincts. Je conclus que la relation que M. Scott avait avec l'appelante pouvait comporter deux parties : il était entrepreneur indépendant quant à la coentreprise d'exportation de voitures, mais employé pour ce qui est de la vente au Canada de voitures fabriquées ici. En effet, M. Scott devait initialement jouer deux rôles, mais il a dû en laisser tomber un, pour ce qui est de la coentreprise d'exportation de voitures, puisqu'il n'a jamais pu conclure de transaction. Selon le témoignage de M. Pattinson quant à la question de l'exportation, M. Scott n'a réussi à conclure qu'un seul contrat : il devait envoyer une voiture au Costa Rica et l'acheteur ne s'était engagé à payer qu'après la livraison de la voiture. Je retiens son témoignage sur cette question. Il n'aurait pas été prudent d'accepter un paiement à la livraison à l'étranger pour un bien aussi important qu'une voiture. M. Pattinson a rejeté cette idée, trouvant cela trop déraisonnable. Outre ce rejet, qui semble s'être produit autour de novembre 1994, deux des facteurs ayant précipité la fin de la relation commerciale semblent être d'une part le fait que le conteneur devant transporter la voiture soit, d'après les dépositions des deux témoins, demeuré sur le terrain de l'appelante de quatre à six semaines, d'autre part le fait que M. Scott ait dû prendre les frais d'entreposage du conteneur à sa charge.

[21] Dans la mesure où l'arrangement comprenait deux volets, seul le volet comportant une relation employeur-employé a généré des affaires. Malgré les arguments présentés par l'avocate de l'appelante, qui a très soigneusement suivi le flux monétaire sous forme de chèques libellés au nom d'Inter Can et déposés dans le compte de cette dernière, Inter Can n'est qu'une entreprise individuelle (M. Scott étant payé directement) et non une société. Une fois déposé dans le compte d'Inter Can, l'argent appartenait à M. Scott, qui pouvait en faire ce qu'il voulait.

[22] Si l'on applique les critères de l'arrêt Wiebe Door, le critère de la propriété des instruments de travail étaye l'existence d'une relation employeur-employé puisque M. Scott se rendait au bureau d'affaires de l'appelante, qui lui fournissait un bureau et le téléphone. Les contrats de vente devaient être établis au nom de l'appelante et les voitures étaient sur le terrain de celle-ci. Même s'il pouvait traiter des affaires à l'extérieur de l'établissement de l'appelante, M. Scott pouvait aussi bien gagner sa vie en restant chez le concessionnaire et en vendant des véhicules à ceux et celles qui s'y présentaient. En ce qui a trait aux chances de bénéfice et au risque de perte, M. Scott recevait une commission de 25 p. cent sur les bénéfices provenant de chaque voiture vendue au Canada. Il n'a effectué aucune dépense d'investissement; il n'était tenu ni d'investir dans l'appelante, ni d'acheter de voitures, ni de fournir quelque garantie ou de faire quelque promesse quant à la performance des automobiles. C'était l'appelante qui s'occupait de tout cela.

[23] Par conséquent, il n'y n'avait aucun risque de perte pour M. Scott; seule l'appelante assumait ce risque. Celle-ci était tenue de décider si elle devait acheter telle voiture à tel prix convenable et si cette voiture pouvait être revendue à profit. L'appelante devait recruter des vendeurs compétents qui pourraient vendre ces voitures et, d'après les chiffres fournis par M. Scott, l'appelante avait retenu les services d'un vendeur compétent en engageant ce dernier. M. Scott n'avait aucun risque de perte, uniquement des chances de bénéfice.

[24] Quant à la question du contrôle, on en a exercé très peu, le travail d'un vendeur d'expérience comme M. Scott nécessitant peu de contrôle. Il avait de cinq à dix ans d'expérience dans la vente de voitures. Il en a vendu une moins de deux heures après s'être présenté chez le concessionnaire le 28 avril. Tout vendeur oeuvrant dans l'industrie automobile a besoin d'une certaine latitude; M. Scott avait acquis les habiletés nécessaires. Comme l'avocat de l'intimée l'a mentionné, la Cour d'appel fédérale déclarait dans l'arrêt The Attorney General of Canada v. Gayle Hennick, 179 N.R. 315, que ce qui importe n'est pas tant l'exercice réel du contrôle que le droit d'exercer le contrôle. Je suis convaincu qu'en ce qui concerne la vente de voitures au Canada, l'appelante avait le droit d'exercer un contrôle sur M. Scott puisqu'elle pouvait répartir ses heures au tableau de service et qu'elle pouvait refuser les contrats que lui présentait M. Scott à l'égard des clients éventuels. L'appelante devait approuver les contrats de vente; M. Scott n'avait pas le pouvoir de conclure une vente par lui-même ni aucune latitude à cet égard.

[25] Enfin, pour ce qui est du critère d'intégration, l'appelante était engagée dans la vente de voitures se trouvant sur le terrain de Burlington. Cette dernière payait toujours les voitures qu'elle achetait aux fins de revente et avait entière discrétion quant au choix des voitures qu'elle mettrait en vente sur le terrain. Des personnes comme M. Scott et les deux autres vendeurs (appelés Shawn et Robert) n'avaient pas voix au chapitre et leur rôle se limitait à la vente des voitures que l'appelante achetait aux fins de revente. En outre, l'appelante avait dû signer la demande d'inscription présentée par M. Scott puisque la Loi sur les commerçants de véhicules automobiles (Ontario) ne permet pas au vendeur inscrit de conclure des affaires partout dans la province. L'inscription lie le vendeur à un concessionnaire particulier, et l'appelante était tenue de signer la demande de M. Scott. Quant au critère de l'intégration, l'entreprise n'était aucunement celle de M. Scott. Il était rémunéré sous forme de commissions, lesquelles lui étaient versées en sa qualité d'employé et non en tant qu'entrepreneur indépendant.

[26] Quant à la question de savoir ce que les parties à l'entente pensaient au moment où leur relation commerciale a commencé, l'avocate de l'appelante a soutenu qu'elles avaient conclu un contrat de consultation. Bien que ce soit le terme employé à l'onglet 8 de la pièce A-6 qui a été produite par l'appelante (il s'agit de l'enregistrement du nom commercial Inter Can), je ne puis accepter cet argument parce qu'il me semble que, dans le cadre des activités commerciales auxquelles ils se sont livrés, M. Scott et M. Pattinson n'avaient pas besoin de se consulter. En fait M. Pattinson avait en matière commerciale un meilleur jugement que M. Scott. Il a été assez prudent pour refuser l'offre de M. Scott de vendre une voiture au Costa Rica à une personne qui ne devait payer qu'à la livraison. En l'occurrence, l'appelante, en tant qu'entreprise exploitée depuis une quinzaine d'années, ne cherchait pas à consulter quelqu'un, elle cherchait des vendeurs, et, essentiellement, elle a trouvé un vendeur efficace en la personne de M. Scott. C'est à ce titre qu'on a utilisé ses services et qu'on l'a rémunéré, et il était à cet égard sur un pied d'égalité avec les autres vendeurs, même si le feuillet T4 qui lui a été remis à la fin de l'année était d'un type différent. Ce qui compte dans ce genre de litige, c'est l'essentiel de la relation commerciale existant entre les intéressés. Je conclus qu'il s'agissait en l'espèce d'une relation employeur-employé; je rejette l'appel interjeté par le concessionnaire et maintiens le règlement du ministre selon lequel M. Scott a exercé un emploi assurable durant la période allant du 28 avril 1994 au 12 janvier 1995.

[27] À mon avis, M. Scott (l'intervenant) a en avril 1994 invité l'appelante à adopter la position selon laquelle leur relation n'était pas une relation employeur-employé, de façon à recevoir une rémunération exempte des retenues à la source. Par conséquent, si l'appelante devait, par suite du présent jugement, subir un préjudice au plan financier en raison de la prétention de M. Scott selon laquelle il était un employé, je recommanderais que l'appelante se voit accorder une forme quelconque de redressement, lequel pourrait être accordé à l'égard des intérêts ou des pénalités.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de septembre 1998.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 21e jour d'avril 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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