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Date: 19980624

Dossier: 96-2809-IT-G

ENTRE :

HANSEN HOLDINGS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Lorsqu'elle a produit ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1993 et 1994, l'appelante a déduit des pertes agricoles de 169 866 $ et de 154 357 $ respectivement. Dans de nouvelles cotisations établies à l'égard de l'appelante pour les années 1993 et 1994, le ministre du Revenu national a refusé ces déductions de pertes agricoles mais, se fondant sur l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu, il a admis pour chaque année la déduction d'une perte agricole restreinte de 8 750 $. Le passage pertinent du paragraphe 31(1) dit ceci :

31(1) Lorsque le revenu d'un contribuable, pour une année d'imposition, ne provient principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source, aux fins des articles 3 et 111, ses pertes, si perte il y a, pour l'année, provenant de toutes les entreprises agricoles exploitées par lui, sont réputées être le total formé

a) [ ... ]

Le reste du paragraphe 31(1) énonce une formule suivant laquelle une entreprise agricole peut déduire jusqu'à 8 750 $ si son revenu ne provient principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source. L'appelante a interjeté appel des nouvelles cotisations. Donc, la seule question en litige est de savoir si, dans les années d'imposition 1993 et 1994, le revenu de l'appelante provenait principalement de l'agriculture ou d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source.

[2] Gerry Hansen est l'unique actionnaire de l'appelante et il travaille dans le domaine des maisons mobiles depuis environ 30 ans. Dans les années 1980, l'appelante exploitait une entreprise d'aménagement de parcs pour maisons mobiles. L'unique actionnaire de Carefree Homes, société liée exploitant une entreprise de vente de maisons mobiles, est Diane Hansen, l'épouse de Gerry Hansen. L'appelante aménageait des parcs pour maisons mobiles en partie dans le but de créer pour Carefree Homes des possibilités de vendre des maisons mobiles. Appelé à témoigner dans le présent appel, Gerry Hansen a décrit le mode de fonctionnement de l'appelante.

[3] Dans les années 1980, M. Hansen entretenait de bonnes relations avec certains groupes autochtones de l'île de Vancouver. L'appelante offrait d'aménager un parc pour maisons mobiles sur des terres appartenant aux autochtones, à condition que ces derniers partagent les frais d'aménagement, et louent ensuite les lots du parc à des personnes qui avaient besoin d'un endroit où installer leur maison mobile. L'appelante assumait 45 p. 100 des frais d'aménagement et les autochtones propriétaires des terres en assumaient 55 p. 100. Pour pouvoir commencer l'aménagement, l'appelante prêtait aux autochtones leur part de 55 p. 100 des frais. En d'autres termes, l'appelante prenait en charge initialement tous les frais d'aménagement et obtenait le droit exclusif de vendre les maisons mobiles qui seraient installées sur les lots aménagés.

[4] Lorsque l'aménagement était terminé (les rues asphaltées et les lots dotés des services d'eau, d'égout et d'électricité), l'appelante transférait à Carefree Homes son droit exclusif de vendre des maisons mobiles pour le parc. Chaque fois qu'une maison mobile était vendue, Carefree Homes remboursait à l'appelante une partie de sa part de 45 p. 100 des frais d'aménagement, et l'acheteur de la maison mobile concluait un bail avec le groupe autochtone propriétaire du parc en vue d'y occuper un lot pendant une période d'au moins dix ans. À l'entrée en vigueur du bail, les autochtones amortissaient leur part de 55 p. 100 des frais d'aménagement de chaque lot, qu'ils remboursaient à l'appelante au cours de la durée du bail. C'est grâce aux loyers versés par les propriétaires des maisons mobiles que les autochtones pouvaient payer leur part des frais d'aménagement.

[5] Lorsque tous les lots étaient loués et des maisons mobiles neuves y installées, l'appelante avait récupéré de Carefree Homes la totalité de sa part de 45 p. 100 des frais d'aménagement, et elle recevait des autochtones une série de paiements destinés à lui rembourser le reste des frais d'aménagement, à savoir 55 p. 100. Le remboursement des frais d'aménagement comportait un élément de profit.

[6] Selon M. Hansen, l'appelante et Carefree Homes ont effectué, à partir du milieu des années 1980 jusqu'à 1993, l'aménagement d'environ 20 parcs semblables à celui décrit précédemment. Chaque parc contenait environ 25 ou 30 lots. L'appelante a aménagé son dernier parc en 1993 parce que tous les bons terrains appartenant à des groupes autochtones ayant des relations amicales avec M. Hansen avaient alors été aménagés par elle. D'autres terrains étaient disponibles dans l'intérieur de la Colombie-Britannique, mais M. Hansen n'était pas disposé à s'éloigner des régions urbaines de Victoria ou de Vancouver.

[7] M. Hansen a acheté son premier cheval en 1991. Il s'était associé à Ted Dawes, qui savait ce que c'était que d'avoir et de faire courir des chevaux de course. Avant 1991, M. Hansen n'avait jamais été propriétaire de chevaux. Les deux associés ont acquis d'autres chevaux, mais comme M. Dawes ne voulait pas que l'entreprise prenne de l'expansion, M. Hansen a racheté la part de M. Dawes. M. Hansen commençait à s'intéresser à la course attelée par opposition à la course de purs-sangs. Le 1er avril 1992 (le premier jour de l'exercice financier de 1993 de l'appelante), M. Hansen a transféré en faveur de l'appelante l'entreprise de course de chevaux dont il était propriétaire. Pendant toutes les périodes pertinentes par la suite, l'appelante a exploité une entreprise de course et d'élevage de chevaux. L'entretien de chevaux pour la course constitue de l' « agriculture » selon la définition de ce terme énoncée à l'article 248 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[8] Dès le début, l'entreprise de chevaux de l'appelante a perdu de l'argent. Les états financiers de l'appelante ne permettent pas de déterminer le montant de ces pertes parce qu'il n'y a pas d'états des résultats distincts pour l'entreprise de chevaux et l'entreprise d'aménagement de parcs pour maisons mobiles. L'appelante a cependant produit la pièce A-9, où figurent les résultats financiers de l'entreprise de chevaux pour les années 1996, 1997 et 1998. De plus, M. Hansen a passé en revue dans son témoignage les faits tenus pour acquis par le ministre du Revenu national au paragraphe 7 de la réponse à l'avis d'appel et il a confirmé les allégations faites aux alinéas 7f), g) et n). Tenant compte du fait que l'appelante n'a acquis l'entreprise de chevaux qu'au début de son exercice financier 1993, les résultats de cette entreprise dans les années 1993, 1994, 1996, 1997 et 1998 sont les suivants (ceux de l'année 1995 manquant) :

1993

1994

1996

1997

1998

Revenus

57 523

58 986

22 892

54 361

83 685

Dépenses

227 390

213 343

175 044

223 987

158 391

Perte

169 867

154 357

152 152

169 626

74 706

[9] Si l'on se reporte aux pièces A-1 et A-2 (les déclarations de revenus de l'appelante pour les exercices financiers se terminant le 31 mars 1993 et le 31 mars 1994), le revenu brut de l'appelante était en 1993 de 917 795 $ et, en 1994, de 224 894 $. Si les revenus tirés de l'entreprise de chevaux seulement étaient chaque année d'environ 58 000 $, comme l'indique le tableau ci-dessus, l'appelante a tiré de son entreprise d'aménagement un revenu brut d'environ 860 000 $ en 1993 et 166 000 $ en 1994. En d'autres termes, tant en 1993 qu'en 1994, l'appelante a tiré de son entreprise de chevaux des revenus nettement inférieurs aux revenus qu'elle a tirés de son entreprise d'aménagement.

[10] Pour ce qui est des années 1993 et 1994 (les deux seules années visées par l'appel), quels que soient les critères appliqués, on peut difficilement qualifier l'entreprise de chevaux de l'appelante de source de revenu, et encore moins de source principale de revenu. Au contraire, cette entreprise faisait une saignée importante aux revenus de l'entreprise d'aménagement, et les montants ainsi perdus l'appelante les aurait peut-être conservés s'il en avait été autrement. L'avocat de l'appelante m'a exhorté au cours de sa plaidoirie à considérer les pertes subies par l'entreprise de chevaux en 1993 et en 1994 comme des pertes qu'une entreprise, quelle qu'elle soit, peut s'attendre à subir lorsqu'elle démarre. J'aurais peut-être été enclin à envisager les pertes sous cet angle si l'intimée avait refusé en totalité la déduction des pertes subies par l'entreprise de chevaux pour le motif qu'elle n'avait aucune attente raisonnable de profit, qu'elle n'était pas une entreprise et que, par conséquent, elle ne constituait pas une source de revenu. L'intimée a cependant admis la déduction d'une perte agricole restreinte en vertu de l'article 31. Par conséquent, en ce qui concerne les appels visant les années 1993 et 1994, nous acceptons la proposition que l'entreprise de chevaux de l'appelante avait une attente raisonnable de profit, qu'elle était une entreprise et que, par conséquent, elle était une source de revenu. Voir Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213, aux pages 5215 et 5216. À mon avis, les pertes subies lors du démarrage sont un facteur pertinent à prendre en considération en déterminant de façon générale si une nouvelle entreprise commerciale a une attente raisonnable de profit (voir Tonn et al. v. The Queen, 96 DTC 6001), mais ce facteur n'est pas pertinent pour ce qui est de déterminer s'il s'agit d'une source principale de revenu au sens de l'article 31.

[11] Une longue série de décisions, commençant par l'arrêt Moldowan, qui a été expliqué et appliqué à maintes reprises par la Cour d'appel fédérale, a établi que, pour déterminer si une entreprise agricole constitue une source principale de revenu, les facteurs les plus pertinents à prendre en considération sont le temps consacré à l'activité en cause, les capitaux investis et la rentabilité présente et future. Dans l'arrêt The Queen v. Donnelly, 97 DTC 5499, le juge Robertson, qui a rendu le jugement unanime de la Cour d'appel, a écrit ceci aux pages 5500 et 5501 :

Pour déterminer si l'agriculture est la principale source de revenu d'un contribuable, il faut établir une comparaison favorable entre cette source de revenu et l'autre source de revenu du contribuable sous l'angle des capitaux investis, du temps consacré à chacune et de la rentabilité présente et future. Il s'agit d'un critère à la fois relatif et objectif. Ce n'est pas une simple question de proportion. Ces trois facteurs doivent être soupesés et aucun d'eux n'est décisif. Malgré tout, il ne saurait y avoir de doute que le facteur de la rentabilité est le principal obstacle auquel se heurtent les contribuables qui cherchent à convaincre les tribunaux que l'agriculture est leur principale source de revenu. Il en est ainsi parce que les contribuables ont la charge de prouver que le revenu net qu'ils pourraient raisonnablement s'attendre de tirer de l'agriculture est considérable par rapport à leur autre source de revenu : il s'agit invariablement d'un revenu d'emploi ou de profession libérale.

[12] Pour ce qui est du « temps consacré » à l'entreprise, je porte mon attention sur M. Hansen parce que l'appelante est une société et que M. Hansen a été le seul dirigeant ou employé de l'appelante à témoigner. Il ne s'occupe pas personnellement des chevaux. Il n'y a aucune preuve qu'il les panse ou monte dans le sulky pour les entraîner comme trotteurs ou ambleurs. L'appelante n'est propriétaire d'aucune ferme ou écurie ni d'aucun autre bâtiment où abriter des chevaux, de sorte que M. Hansen n'a pas besoin d'entretenir de bâtiment de ce genre. La pièce A-9 indique que tous les chevaux sont mis en pension quelque part puisqu'il y a des dépenses de « loyer et pension » . En 1993, l'appelante a terminé l'aménagement de son dernier parc pour maisons mobiles et en a tiré des revenus d'environ 1 000 000 $. Voir les pièces A-1 et R-1. Bien que l'appelante n'ait commencé l'aménagement d'aucun autre parc après 1993, elle a sérieusement tenté d'entreprendre l'aménagement d'un parc à Tsawwassen, juste au sud de Vancouver. Au cours de son exercice financier se terminant le 31 mars 1996 (pièce A-4), l'appelante a investi 164 000 $ dans cette tentative, à laquelle elle n'a mis fin qu'en raison de difficultés avec la municipalité. M. Hansen a dû consacrer beaucoup de temps à cette tentative d'aménagement puisqu'il paraît être le seul employé de l'appelante ayant l'expérience requise pour aménager un parc pour maisons mobiles.

[13] M. Hansen est membre de certaines associations d'éleveurs et de certaines associations de gens s'intéressant à la course au trot. Il lit des livres sur les lignées de chevaux et il prend part à l'achat et à la vente de chaque cheval. Il emploie deux entraîneurs et essaie d'être présent aux courses auxquelles ses chevaux participent. Tout bien considéré, cependant, je conclus qu'au cours des années visées par les appels, M. Hansen a consacré au moins autant de temps à son entreprise d'aménagement de parcs pour maisons mobiles qu'à son entreprise de chevaux. Il faut se rappeler que, même au cours de la période après 1993, où l'appelante n'a en fait commencé l'aménagement d'aucun nouveau parc, les propriétaires des parcs qui avaient déjà été aménagés devaient encore à l'appelante une portion importante de leur part de 55 p. 100 des frais d'aménagement, et l'appelante ne pouvait recouvrer ces montants que sur un certain nombre d'années par le truchement des baux conclus par les propriétaires. Le recouvrement de ces montants était essentiel à la survie de l'appelante. Son bilan au 31 mars 1994 (pièce A-2) et la note d'accompagnement no 2 montrent que les prêts non remboursés de 945 000 $ sont presque égaux aux bénéfices non répartis de 959 000 $. J'en déduis que M. Hansen était préoccupé par le recouvrement de ces prêts importants et qu'il y consacrait une partie de son temps.

[14] Il ne fait aucun doute que l'appelante a investi plus de capitaux dans son entreprise d'aménagement de parcs que dans son entreprise de chevaux. La pièce A-10 est une liste des chevaux dont elle était propriétaire chaque année de 1993 à 1997. À la fin de chaque année, le montant investi par l'appelante dans les chevaux n'a jamais dépassé 127 000 $. Pour les années 1993 et 1994, ce montant était de 124 600 $ et de 89 600 $ respectivement. Au cours des mêmes années, les montants dus à l'appelante pour l'aménagement de parcs pour maisons mobiles effectué les années précédentes étaient de 1 063 588 $ et de 945 028 $. Voir les pièces A-1 et A-2. Étant donné que l'appelante n'avait ni ferme, ni grange, ni écurie, ni piste d'entraînement, les capitaux qu'elle a engagés dans l'entreprise de chevaux se sont limités presque entièrement aux chevaux eux-mêmes, et ces investissements étaient peu importants par rapport aux capitaux investis dans son autre entreprise, dont les activités s'étalaient sur une longue période.

[15] La rentabilité de l'entreprise de chevaux de l'appelante reste à prouver. Le tableau reproduit précédemment (au paragraphe 8) indique très clairement que des pertes considérables ont été subies en 1993, 1994, 1996, 1997 et 1998. Dans l'arrêt Donnelly, le juge Robertson, de la Cour d'appel, se réfère au critère à appliquer pour déterminer la source principale de revenu et au critère de l'attente raisonnable de profit, et il écrit ceci à la page 5499 :

[ ... ] Ainsi qu'il est expliqué un peu plus loin, le critère juridique applicable pour déterminer si l'agriculture est la principale source de revenu d'un contribuable est plus exigeant sur le plan de la preuve.

Puis il écrit, à la page 5501 :

L'analyse du facteur de la rentabilité permet de dissiper les doutes qui subsistent quant à savoir si la principale source de revenu d'un contribuable est l'agriculture. Il existe une différence entre le genre de preuve qu'un contribuable doit produire concernant la rentabilité en vertu de l'article 31 de la Loi et le genre de preuve applicable à l'expectative raisonnable de profit. Dans ce dernier cas, le contribuable n'a qu'à démontrer qu'il a ou avait une expectative de profit, que ce soit un dollar ou un million de dollars. Il est bien établi en droit fiscal que les termes « expectative raisonnable de profit » et « expectative de bénéfices raisonnables » ne sont pas synonymes. En ce qui concerne la rentabilité prévue à l'article 31, toutefois, le montant est pertinent parce qu'il permet de comparer un revenu agricole potentiel avec le revenu que le contribuable a effectivement tiré de l'autre occupation. Autrement dit, nous cherchons des éléments de preuve de nature à appuyer une conclusion d'expectative raisonnable de bénéfices « considérables » en provenance de l'agriculture.

[16] Dans les présents appels, aucune preuve n'a été produite qui puisse appuyer la conclusion que l'appelante pouvait avoir ou aurait une attente raisonnable de tirer des profits, qu'ils soient considérables ou non, de son entreprise de course de chevaux sous harnais. Pendant toutes les périodes pertinentes, le revenu de l'appelante provenait principalement de son entreprise

d'aménagement de parcs pour maisons mobiles. Les appels pour les années 1993 et 1994 sont rejetés avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juin 1998.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 16e jour de décembre 1998.

Erich Klein, réviseur

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