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Date : 19971114

Dossier : 89-2827-IT

ENTRE :

HANS ZAHN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

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Comparutions

Avocat de l'appelant : Me Gordon Aylward

Avocat de l'intimé : Me Peter J. Leslie

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Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à St. John’s (Terre-Neuve) le 23 janvier 1992)

Le juge Margeson, C.C.I.

[1] Il s'agit de l'affaire Hans Zahn, 89-2827(IT). La question en litige se rapporte à une perte d'entreprise subie dans les années d'imposition 1984 et 1985.

[2] Dans le témoignage qu'il a présenté à la Cour, l'appelant a déclaré qu'il avait commencé à présenter des spectacles en 1976. Il présentait des spectacles à plein temps et gagnait ainsi sa vie. Il était commandité par des compagnies. Étant donné que la population était peu importante, la possibilité de réaliser un bénéfice était restreinte.

[3] Au cours des premières années, l'appelant travaillait à temps partiel comme artiste dans un restaurant. Il a travaillé ainsi pendant quatre ans et demi; il avait du succès et il pouvait réaliser un bénéfice. Il avait la formation voulue. En 1962, il est allé en Europe et il est devenu membre d'une société allemande de magiciens. Il était le protégé d'un artiste bien connu en Allemagne, un illusionniste européen.

[4] L'appelant a déclaré que ce n'est pas ce qu'on fait dans ce genre d'entreprise qui compte, mais la façon dont on le fait.

[5] Toutefois, aux fins de l'impôt sur le revenu, il reste néanmoins à savoir s'il existait une attente raisonnable de profit. L'appelant a affirmé qu'il essayait de réaliser un bénéfice : “Et je n'en ai pas encore réalisé.”

[6] L'un des problèmes qui se pose à Terre-Neuve a trait à la population. “Il n'y a pas assez de gens.” L'appelant voulait vivre et travailler à Terre-Neuve. Il exerce une autre profession en plus d'être un artiste.

[7] Son propre procureur lui ayant demandé s'il était possible de réaliser un bénéfice, l'appelant a répondu par l'affirmative.

[8] La question à trancher est de savoir s'il existait une attente raisonnable de profit. La preuve a-t-elle démontré l'existence de pareille attente dans les années en question?

[9] L'appelant avait songé à faire du travail éducatif pour d'autres artistes, des vidéos éducatifs sur l'illusionnisme. Cependant, il veut également présenter des spectacles. “Il faut être un artiste”, a-t-il dit, “pour être capable de produire ces vidéos et de les vendre.”

[10] En 1986, 1987 et 1988, l'appelant a produit des déclarations; il s'agissait d'“estimations”. Les déclarations ont été admises en preuve sous les cotes R-1, R-2 et R-3. En 1997, il y avait un revenu brut de 2 000 $ et une perte de 3 000 $. En 1988, il y avait un revenu brut de 2 000 $ et une perte prévue de 3 000 $. En 1989, il y avait un revenu brut de 800 $ et une perte prévue de 1 500 $.

[11] En 1984, les dépenses déduites s'élevaient en tout à 14 052,39 $ et le revenu brut était de 2 395 $, de sorte qu'il y avait une perte nette de 11 657,39 $. En 1985, le revenu brut était de 2 640 $. Les dépenses totales s'élevaient à 14 143,37 $ et une perte nette de 11 503,37 $ a été déduite. L'année 1985 était l'une des années en litige.

[12] L'appelant a constitué une compagnie en vue de faire du travail pour d'autres magiciens en 1980 et en 1981. Il croyait que la compagnie pouvait réaliser des bénéfices. Voici ce qu'il a dit : “Il est clair que je puis tirer un bénéfice de ma propre entreprise”, c'est-à-dire de son métier de magicien. “Il n'est pas facile de réaliser un bénéfice dans ce secteur-là” a-t-il dit, mais je crois comprendre qu'il s'attend à être en mesure de réaliser éventuellement un bénéfice. On a demandé à l'appelant à quel moment il s'attendait à réaliser un bénéfice. Il n'a pas répondu. “Cette compagnie”, a-t-il dit, “me verserait un salaire en 1985 et en 1986 et elle réaliserait un bénéfice.”

[13] L'appelant a produit sous la cote A-1 les déclarations de Videonics Limited pour les années 1985 et 1986. Il a soutenu de façon générale que compte tenu des ressources de la compagnie et du travail qu'il faisait, il existait une preuve selon laquelle il était possible de gagner sa vie dans ce secteur.

[14] On a interrogé l'appelant au sujet de certains aspects des états financiers de 1984. Ces états indiquaient un loyer de 2 499,10 $. L'appelant a témoigné qu'il s'agissait du loyer que son entreprise de spectacles devait payer pour l'utilisation de locaux chez lui.

[15] Les frais liés aux matériaux et aux fournitures s'élevaient à 1 977,34 $. L'appelant travaillait à d'autres genres de spectacles. Il travaillait avec des perroquets. Il a affirmé que cela prend du temps.

[16] On a reporté l'appelant aux frais de téléphone de 2 972,84 $, aux frais de déplacement de 4 033 $, aux frais bancaires et aux frais d'intérêts de 2 055,72 $, au coût en capital et aux frais liés au véhicule et au matériel. La déduction pour amortissement était de 278,11 $ pour le véhicule et de 1 445,53 $ pour le matériel.

[17] On a demandé à l'appelant quels étaient ses projets d'avenir pour cette entreprise et il a déclaré qu'il voulait être finalement capable de travailler à plein temps, d'en faire un emploi à plein temps. C'est à ce but qu'il visait.

[18] Pendant le contre-interrogatoire, l'appelant a dit que des pertes étaient subies chaque année, comme il en est fait mention dans les pièces R-1, R-2 et R-3.

[19] On a également reporté l'appelant aux états financiers de la compagnie de 1985 et de 1986 qui ont été versés sous la cote A-1. L'appelant a dit qu'il avait retiré un revenu de 5 000 à 10 000 $ de la compagnie. “Je crois que c'est du moins à peu près cela”, a-t-il dit.

[20] On a demandé à l'appelant quel était le revenu de la compagnie en 1989. Il ne le savait pas; il ne pouvait pas donner de réponse. Voici ce qu'il a dit : “Je ne sais pas quel était le revenu de la compagnie, mais les estimations se rapportent aux coûts; la compagnie réalisera un bénéfice.” L'appelant ne savait pas si ses estimations auraient compris la déduction pour amortissement, mais il croyait que cela lui aurait permis de retirer de l'argent de la compagnie à titre de conseiller.

[21] L'appelant a dit qu'il exploite une entreprise de spectacles depuis 1969. Il n'a jamais déclaré de bénéfice tiré de l'entreprise de spectacles dans une déclaration de revenu. On lui a posé la question suivante : “En l'absence de la corporation, l'entreprise de spectacles réaliserait-elle un bénéfice?” Voici ce qu'il a répondu : “Il est possible de réaliser un modeste bénéfice, mais c'est fort difficile de nos jours.”

[22] La preuve montrait qu'en 1984, le revenu brut était de 2 395 $ et qu'en 1985, le revenu brut était de 2 640 $; ce revenu provenait fondamentalement de banquets, de promotions et de représentations.

[23] Pendant le réinterrogatoire, l'appelant a dit qu'il retirait l'argent de la corporation à titre d’honoraires.

Arguments de l'appelant

[24] Dans ses plaidoiries, l'avocat de l'appelant a dit que l'entreprise est une entreprise légitime, qu'il ne s'agit pas simplement d'un passe-temps. Il souscrivait à l'alinéa 8(1) de la réponse à l'avis d'appel (la “réponse”). Le paragraphe 8 énonce fondamentalement ce sur quoi le ministre s'est appuyé pour décider de rejeter les pertes :

[TRADUCTION]

8a) les activités que l'appelant exerçait en sa qualité de magicien ont toujours donné lieu à des pertes, et ce, depuis le début, en 1979;

[25] En ce qui concerne les années 1984 et 1985, à l’égard desquelles la réponse indiquait qu'il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit, l'avocat n'était pas d'accord. Il a dit que, dans ce cas-ci, la preuve montrait qu'il y avait une attente raisonnable de profit. En ce qui concerne l'alinéa 8c) :

[TRADUCTION]

l'appelant ne compte pas sur ses activités de magicien à titre de principale source de revenu;

L'appelant a dit qu'il ne savait pas réellement quel était l'argument du ministre dans ce cas-ci. L'appelant n'était pas d'accord pour dire qu'il s'agissait simplement d'un passe-temps.

[26] L'appelant a cité l'arrêt Moldowan v. The Queen, 77 DTC 5213. Il a convenu qu'afin d'avoir une source de revenu, il doit y avoir une entreprise. Il doit y avoir une attente raisonnable de profit; c'est un critère objectif. Certains critères se rapportent aux possibilités de profit et de perte, aux mesures envisagées par le contribuable et à la déduction pour amortissement. Lorsqu'il est tenu compte de tous les facteurs tels qu'ils sont énoncés dans l'arrêt Moldowan, précité, ainsi que de la situation qui existe dans ce cas-ci, à savoir que même si l'appelant n'a pas encore réalisé de bénéfice, il y avait une attente raisonnable de profit, un nombre suffisant d'éléments de preuve montrent l'existence d'une attente raisonnable de profit.

[27] L'avocat s'est également reporté à la décision Coupland v. The Queen, 88 DTC 6252, en particulier à la dernière page. Il s'est servi de ce jugement pour démontrer que l'arrêt Moldowan, précité, s'applique, lorsque la Cour dit ceci :

[...] L'avocat du demandeur a fait référence à certains arrêts qui ont conclu que des contribuables lançant une entreprise pouvaient subir des pertes pendant une période pouvant aller jusqu'à dix ans avant qu'un profit ne puisse être raisonnablement attendu de leur entreprise. Ces décisions concernent la formation d'un troupeau de vaches laitières et l'élevage du bétail, une activitié [sic] qui, par sa nature même, ne prend son essor que sur une longue période. L'établissement d'un terrain de camping n'a pas ce caractère. Pour une telle entreprise, une longue période de démarrage n'est pas nécessaire.

[28] L'avocat s'est également reporté au paragraphe 23 du jugement Madronich v. M.N.R., 89 DTC 5093. Selon ce jugement, il se peut qu'il faille de 30 à 40 ans pour réaliser un bénéfice.

[29] Dans cette affaire-là, des activités de reboisement étaient exercées. Le fait que la récolte finale devait avoir lieu environ 30 ou 40 ans plus tard n'a pas empêché la Cour fédérale de conclure qu'il y avait une attente raisonnable de profit, et ce, pas seulement en théorie.

[30] L'appelant a également soutenu que la déclaration de la compagnie indiquait qu'un bénéfice pouvait être réalisé dans l'avenir s'il retirait des honoraires de la compagnie. Si l'on examine les déclarations de la compagnie et si l'on utilise l'argent que l'appelant avait l'intention de retirer de cette entreprise à titre d’honoraires versés à un conseiller, il y avait une attente raisonnable de profit.

[31] L'avocat était prêt à concéder que les seules dépenses admises devraient être celles qui étaient prouvées, comme l'intimé l'a fait valoir. Initialement, les pertes ont été rejetées, puis certaines pertes ont été admises, puis d'autres n'ont pas été admises.

Arguments de l'intimé

[32] L'avocat a dit que seules les années 1984 et 1985 sont ici en cause. Il s'est également reporté au jugement Coupland, précité, mais de toute évidence pour des raisons différentes de celles de l'appelant. Il a soutenu que cela veut dire autre chose que ce que l'appelant allègue.

[33] L'avocat a affirmé que dans ce cas-là, il fallait un certain temps aux fins du démarrage, contrairement à ce qui se produit dans le genre d'entreprise ici en cause. Dans ce cas-ci, rien ne montrait qu'il fallait beaucoup de temps pour démarrer. Quoi qu'il en soit, jusqu'en 1989, l'entreprise aurait été exploitée pendant 17 ans, et chaque année une perte était déclarée. Dans ce genre d'entreprise, il serait complètement ridicule de croire qu'il soit possible d'attendre aussi longtemps pour réaliser un bénéfice.

[34] On n'a établi l'existence d'aucun plan d'action cohérent montrant qu'il était raisonnable de s'attendre à un profit dans un délai raisonnable. L'appelant pouvait tout au plus soutenir qu'il pouvait espérer retirer dans l’avenir un salaire de Videonics pour compenser ses pertes. Cette déclaration ne montre pas que la corporation réaliserait des bénéfices pour compenser les pertes subies par l'appelant.

[35] L'idée d'une attente raisonnable de profit était tout au plus une opinion ou un espoir. Aucun élément de preuve tangible ne laissait entendre qu'il était raisonnable de s'attendre à réaliser un bénéfice dans un délai raisonnable.

[36] En outre, l'avocat se demandait si le salaire que l'appelant retirait de l'entreprise pouvait être considéré comme un revenu. Cela n'avait rien à voir avec la question de savoir si l'entreprise de magicien donnait lieu à une attente raisonnable de profit. Il s'agissait d'une entreprise privée distincte de l'entreprise en question.

[37] Il y avait deux entreprises distinctes. Des actifs différents étaient utilisés dans les deux entreprises et le revenu d'une entreprise ne peut pas compenser les pertes subies par l'autre. Ce revenu ne peut pas être ajouté au revenu de l'entreprise de magicien de façon à indiquer l'existence d'un bénéfice.

[38] Il suffit de comparer les pertes par rapport au revenu généré par l'entreprise de magicien. La réponse est évidente. Il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit.

[39] Quel était le plan d'action précis, qui doit exister selon l'arrêt Moldowan, précité? En l'espèce, il n'y avait pas de plan d'action précis. L'appelant espérait uniquement réaliser un bénéfice. Les seuls plans qui existaient se rapportaient à l'entreprise de la compagnie et non à l'entreprise de spectacles. Par conséquent, même si l'on espérait réaliser un bénéfice, cela n'avait rien à voir avec l'entreprise de spectacles.

[40] L'avocat a convenu que l'appelant avait de l'expérience en tant qu'artiste, mais l'entreprise n'était pas rentable. Après 17 années de pertes, la preuve de la rentabilité devrait être accablante. Or, dans ce cas-ci, il n'existait aucune preuve de ce genre.

Analyse et décision

[41] Il s'agit ici de savoir s'il était raisonnable de s'attendre à tirer un bénéfice de l'entreprise de spectacles que l'appelant exploitait pendant les années 1985 et 1986, compte tenu des jugements qui ont été mentionnés ainsi que d'autres jugements et compte tenu des règles énoncées dans l'arrêt Moldowan, précité.

[42] La preuve montre clairement que l'entreprise de spectacles a toujours donné lieu à des pertes, et ce, depuis le début en 1979. La Cour ne dispose d'aucun élément de preuve lui permettant de conclure qu'il y avait une attente raisonnable de profit.

[43] De fait, si l'on examine les états financiers qui ont été produits, et leur exactitude n'a pas été remise en question, le montant du revenu brut, en 1984, était de 2 395 $. En 1985, il n'était que de 2 640 $. Par contre, les pertes totales étaient de 7 964 $ et de 7 182,27 $. À coup sûr, afin de convaincre la Cour qu'il y avait une attente raisonnable de profit, il aurait fallu beaucoup plus d'éléments de preuve.

[44] L'appelant exerçait un autre emploi; la Cour conclut que l'entreprise de spectacles n'était pour lui qu'un passe-temps. Cependant, même s'il ne s'agissait pas simplement d'un passe-temps, la preuve ne révèle pas qu'il était raisonnable de s'attendre à un profit dans un délai raisonnable.

[45] Malgré l'arrêt Moldowan et les autres jugements qui ont été mentionnés, la Cour ne peut pas conclure que l'appelant a prouvé selon la prépondérance des probabilités qu'il y avait une attente raisonnable de profit. Par conséquent, l'appel est rejeté et les cotisations sont ratifiées.

“ T. E. Margeson ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de novembre 1997.

Traduction certifiée conforme ce 16e jour d’avril 1998.

Benoît Charron, réviseur

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