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Date: 19980223

Dossier: 97-330-UI

ENTRE :

SOPHIE BENOIT,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

GUAY, LABELLE & ASSOCIÉS INC.,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Charron, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu le 7 janvier 1998 à Montréal (Québec), dans le but de déterminer si l’appelante a exercé un emploi assurable, au sens de la Loi sur l’assurance-chômage (la « Loi » ) du 8 mai 1995 au 3 avril 1996, lorsqu’elle était à l’emploi de Guay, Labelle & Associés Inc. (le « payeur » ).

[2] Par lettre du 11 décembre 1996, l’intimé informa l’appelante que cet emploi n’était pas assurable pour le motif qu’il n’était pas exercé en vertu d’un contrat de louage de services.

Exposé des faits

[3] Les faits sur lesquels s’est basé l’intimé pour rendre sa décision sont énoncés au paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel comme suit :

« a) le payeur exploitait une entreprise de recherche et d’évaluation de cadre; (admis)

b) les actionnaires de la société étaient Michel Guay et Gaétan Labelle qui détenaient 50 % des actions chacun; (admis)

c) l’appelante a été embauchée comme représentante autonome; (nié)

d) l’appelante devait rechercher et développer la clientèle; (admis)

e) le 8 mai 1995, l’appelante signait un contrat avec le payeur; (admis)

f) l’appelante était rémunérée uniquement à commission par le payeur; (nié)

g) le contrat prévoyait des avances sur commission de 2 500 $ par mois, à l’appelante, qui étaient des prêts de la part du payeur; (nié tel que rédigé)

h) l’appelante n’avait pas d’horaire, ni de quota d’heures de travail à respecter par semaine; (nié)

i) l’appelante assumait les frais de son automobile, les frais de repas et de représentation, sans remboursement du payeur; (nié)

j) l’appelante, dans sa déclaration d’impôt fédérale, réclamait des dépenses pour frais d’utilisation de sa résidence, de téléphone, d’amortissement, d’automobile et de bureau; (admis)

k) l’appelante pouvait travailler pour un autre payeur, autre qu’un compétiteur du payeur; (nié)

l) l’appelante n’avait pas droit à des vacances ou des congés de maladie de la part du payeur; (nié)

m) l’appelante oeuvrait dans le cadre d’un contrat d’entreprise; (admis)

n) il n’existait pas de contrat de louage de services entre l’appelante et le payeur. » (nié)

[4] L’appelante a reconnu la véracité des faits allégués aux alinéas du paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel, sauf ceux qu’elle a niés ou déclaré ignorer, comme il est indiqué entre parenthèses, à la fin de chaque alinéa.

Témoignage de Sophie Benoit

[5] Conseillère en ressources humaines, l’appelante travaille pour Guay, Labelle & Associés Inc. durant la période de temps susmentionnée. Sa principale tâche est de rechercher et développer la clientèle. Par contrat sous seing privé en date du 8 mai 1995, il est entendu qu’elle bénéficiera « d’un statut de représentante des ventes autonome afin de desservir la clientèle de Guay, Labelle & Associés Inc. et toutes nouvelles clientèles s’y rajoutant. Cette entente est sujette à une période de probation de trois mois et d’une durée d’un an renouvelable à chaque année » (pièce A-3).

[6] La rémunération de l’appelante sera faite au moyen d’avances mensuelles de 2 500 $ chacune déduites des commissions gagnées. Ces « avances sont réputées constituer des prêts consentis au représentant autonome et ne doivent pas être considérées comme un salaire, une paie ou quelque autre forme de compensation ou de rémunération » . Les avances sont payées les 1er de chaque mois.

[7] Une commission de 20 % sera versée et calculée sur les ventes effectuées. Le représentant autonome est responsable de ses impôts fédéral et provincial.

[8] Les vacances prises seront aux frais du représentant autonome et fixées durant la période la moins active. Les frais de déplacement sont à la charge du représentant autonome.

[9] Le 21 mars 1996, l’appelante a reconnu devoir au payeur la somme de 1 300 $ à être remboursée à même les honoraires facturés par elle à ce dernier. Advenant une cessation de son emploi, l’appelante doit rembourser immédiatement la totalité du solde dû (pièce A-1).

[10] Dans sa déclaration d’impôt fédéral, l’appelante a réclamé des frais pour l’utilisation de sa maison, de son téléphone, de son bureau et de sa voiture. Cette dernière oeuvrait dans le cadre d’un contrat d’entreprise (alinéa 5m).

[11] L’appelante prétend être soumise à un horaire de travail qu’elle devait respecter : du lundi au vendredi, de 8 h 30 à 17 h 00. Le matin, elle faisait des appels téléphoniques et exécutait des mandats par la suite. Quand une réceptionniste était en vacances, elle répondait au téléphone à sa place, sur l’heure du midi, sans rémunération. Quand elle faisait passer des tests à des gens, elle le faisait sans rémunération. Quand elle entrait en retard, on lui reprochait son manque de ponctualité. Voilà le genre de contrôle qu’elle subissait et la discipline qu’elle devait suivre. Quand elle devait sortir pour effectuer des prospections et sollicitations, un des associés l’accompagnait; c’est lui qui décidait du prix et signait le contrat et arrêtait la méthode de travail à suivre. Ensuite, elle devait remplir des feuilles, rédiger des rapports et suivre une formation. Sophie Benoit affirme qu’il lui était interdit de travailler pour d’autres employeurs. Elle n’avait pas le droit de fixer la date de ses vacances. En pratique, elle était liée au payeur par un contrat de louage de services. Les avances qu’elle a reçues du payeur n’étaient rien d’autre qu’un salaire. Enfin, elle n’était pas, selon elle, embauchée comme représentante autonome, mais simplement comme une employée à salaire. L’appelante a une maîtrise en relations industrielles de l’Université de Montréal. Avant son emploi auprès du payeur, l’appelante a travaillée pour la Standard Life.

[12] En 1995, Sophie Benoit fait une déclaration de revenus à Revenu Canada : elle déclare un revenu d’entreprise et non pas d’emploi. Elle réclame des frais de repas et de représentation (2 416,50 $), des frais d’automobile (1 589,05 $), des frais de bureau (275 $) et des frais de téléphone (370 $) (pièce I-3).

[13] Au moment de son départ de l'entreprise du payeur, Sophie Benoit reçoit de ce dernier la somme de 54,15 $ et les deux parties s’échangent une quittance finale et complète de ce qu’ils peuvent se devoir mutuellement (pièce I-1). Au cours de ses relations de travail avec le payeur, l’appelante a toujours réclamé le paiement de son travail au moyen d’un compte pour « Honoraires professionnels » (pièce I-4).

Témoignage de Benoit Côté

[14] Côté est le conjoint de Sophie Benoit. Avant 1995, il fréquentait l’Université de Montréal et son épouse allait le conduire le matin, mais après l’engagement de Sophie par le payeur, elle cessa de le faire parce que, devant travailler à 8 h 30 chez le payeur, elle ne le pouvait plus. Sophie travaillait cinq jours par semaine, du lundi au vendredi. Elle finissait de travailler à 17 h 00. Le midi, il a parfois téléphoné à Sophie chez le payeur et c’est elle qui répondait au téléphone.

Témoignage de Michel Guay

[15] Michel Guay est l’un des deux actionnaires du payeur. Sophie Benoit a postulé un emploi chez le payeur et elle fut embauchée à cause des allégations contenues dans son curriculum vitae (pièce INT-1). Son statut chez le payeur était celui de représentante autonome, à sa propre demande, parce qu’elle avait travaillé à contrat dans d’autres firmes. Elle disait qu’elle connaissait bien son travail. Son départ fut lent et elle ne répondait pas aux attentes que le payeur fondait sur elle. Elle demandait beaucoup d’aide en termes de formation. Le payeur chargea madame Jubinville de l’aider à monter ses dossiers, parce qu’elle avait beaucoup de difficulté et lui donna des mandats d’exécution pour lui permettre d’acquitter sa dette envers le payeur. Vu l’aide additionnelle qu’il devait lui fournir, il baissa sa commission à 10 % et lui demanda de signer une reconnaissance de dette (pièce A-1) le 21 mars 1996.

[16] Le mandat confié à Sophie Benoit était d’aller sur la route vendre des contrats de service. Après cinq mois, l’appelante n’avait pas obtenu suffisamment de contrats et sa dette augmentait toujours. Le plan conçu pour la rescaper ne fonctionnait pas. Les parties réglèrent leurs comptes, signèrent une quittance finale et complète (pièce I-1) et l’appelante quitta le payeur.

Analyse des faits en regard du droit

[17] Il y a lieu maintenant de déterminer si l’activité de l’appelante est incluse dans la notion d’emploi assurable, c’est-à-dire s’il existe un contrat de travail ou non.

[18] La jurisprudence a énoncé quatre critères indispensables pour reconnaître un contrat de travail. La cause déterminante en cette matière est celle de City of Montreal c. Montreal Locomotive Works Ltd. [1947] 1 D.L.R. 161. Ces critères sont les suivants : 1) le contrôle; 2) la propriété des instruments de travail; 3) la possibilité de profit et le risque de perte. 4) La Cour d’appel fédérale y a ajouté le degré d’intégration dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., mais cette énumération n’est pas exhaustive.

[19] Or, la preuve a démontré que le travail exécuté par l’appelante n’était pas sous la direction du payeur et qu’il n’existait aucun lien de subordination entre eux. En vertu du contrat passé le 8 mai 1995, l’appelante a été embauchée comme représentante autonome. L’appelante elle-même l’admet malgré ses nombreuses explications obscures pour tenter de prouver le contraire. La rémunération de Sophie Benoit se fait au moyen d’une commission de 20 % sur les ventes. Dans son rapport d’impôt fédéral, l’appelante décrit son occupation comme découlant d’un contrat d’entreprise. Ses vacances sont à ses frais; ses déplacements aussi.

[20] Les instruments et locaux dont elle se sert pour remplir ses fonctions sont les siens propres : sa résidence lui sert de bureau et elle réclame une partie du loyer dans son rapport d’impôt fédéral; son téléphone, sa voiture, son ordinateur sont ses instruments de travail et elle n’a aucune hésitation à en réclamer le coût dans sa déclaration d’impôt; elle réclame ses repas au restaurant comme étant des dépenses de travail.

[21] L’appelante réclame le paiement de sa rémunération en envoyant des comptes pour honoraires professionnels à son payeur. Lors de son départ, l’appelante et le payeur règlent leurs comptes et échangent une quittance finale de tout compte.

[22] Sophie Benoit réclame maintenant un statut de travailleuse à salaire, malgré qu’elle ait signé une convention où elle est décrite comme représentante autonome (pièce A-3); et, malgré son admission de l’alinéa 5m) de la Réponse à l’avis d’appel, où l’on dit que « l’appelante oeuvrait dans le cadre d’un contrat d’entreprise » .

[23] La rémunération de l’appelante était directement proportionnelle à ses efforts : si elle dénichait de nombreux et lucratifs contrats, elle gagnait beaucoup d’argent; sinon, elle gagnait peu. Il y avait donc risque de perte, mais aussi chance de gagner beaucoup.

[24] Le fardeau de la preuve repose sur les épaules de l’appelante. Elle doit démontrer, selon la prépondérance de la preuve, qu’il y avait effectivement, entre elle et le payeur, un contrat de louage de services, mais elle ne l’a pas fait. Toute la preuve de l’appelante dépend de la crédibilité des témoins.

[25] Or, la preuve documentaire soutient la version du payeur et n’a pas été contredite. En effet, les efforts de l’appelante n’ont fait que contribuer à jeter de la confusion et de la contradiction sur son témoignage.

[26] Par conséquent, l’appel est rejeté et la décision rendue par l’intimé est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de février 1998.

« G. Charron »

J.S.C.C.I.

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