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Date: 19990125

Dossier: 97-1310-IT-G

ENTRE :

NICOLAS STILIADIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 14 janvier 1999, à Toronto (Ontario), par l’honorable juge D. Hamlyn

Motifs du jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1] Le présent appel porte sur les années d’imposition antérieure et postérieure à la faillite de l’appelant en 1993.

FAITS

[2] Le 15 octobre 1992, une pétition en faillite a été présentée contre l’appelant.

[3] Le 14 avril 1993, une ordonnance de séquestre a été rendue contre l’appelant par suite de la pétition en faillite présentée contre lui le 15 octobre 1992.

[4] En octobre 1993, l’appel interjeté par l’appelant à l’encontre de l’ordonnance de séquestre rendue contre lui a été rejeté.

[5] La date de la faillite de l’appelant était le 14 avril 1993.

[6] Au cours de l’année 1993, l’appelant exerçait des activités commerciales et travaillait à son compte.

[7] L’exercice de l’entreprise de l’appelant s’est terminé le 31 décembre.

[8] Au cours de la période allant du 1er janvier au 31 mars 1993, l’appelant a déposé dans un compte bancaire la somme de 56 647 $ à titre de revenus tirés de ses activités commerciales.

[9] Au cours de la période allant du 16 avril au 31 août 1993, l’appelant a déposé dans un compte bancaire la somme de 21 854 $ à titre de revenus tirés de ses activités commerciales.

[10] Au cours de la période allant du 1er septembre au 31 décembre 1993, l’appelant a déposé dans un compte bancaire la somme de 260 $ à titre de revenus tirés de ses activités commerciales.

[11] L’appelant n’a pas produit sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1993 ainsi que l’exigeaient les articles 128 et 150 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

[12] Aux termes du paragraphe 152(7) de la Loi, le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi à l’égard de l’appelant une cotisation, dont l’avis était daté du 26 janvier 1995, pour inclure la somme de 80 000 $ dans ses revenus.

[13] L’appelant a signifié au ministre un avis d’opposition à la cotisation établie pour son année d’imposition 1993; cet avis était daté du 20 mars 1995.

[14] Tout en signifiant son avis d’opposition, l’appelant a produit sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1993, dans laquelle il a déclaré un revenu d’entreprise brut de 21 854,33 $ et un revenu d’entreprise net de 14 132,03 $ tirés de ses activités de réalisateur de film.

[15] La cotisation établie pour l’année d’imposition 1993 de l’appelant a été confirmée par le ministre au moyen d’un avis daté du 31 janvier 1997.

QUESTION EN LITIGE

[16] Il s’agit de savoir si l’appelant a l’obligation de payer l’impôt sur les revenus qu’il a tirés de ses activités de réalisateur de film pendant toute la période où il a exercé ces activités, soit du 1er janvier au 31 décembre 1993, ou s’il doit uniquement payer l’impôt sur les revenus qu’il a tirés de ces activités pendant la première année d’imposition qui a suivi sa faillite, soit la période allant du 15 avril au 31 décembre 1993.

THÈSE DE L’APPELANT

[17] L’obligation de l’appelant de payer l’impôt sur ses revenus gagnés comme travailleur autonome, à laquelle il était assujetti à la date de sa faillite, constituait une réclamation prouvable en matière de faillite aux termes du paragraphe 121(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la “ Loi sur la faillite ”) et, à ce titre, a été suspendue en vertu du paragraphe 69(1) de la Loi sur la faillite.

[18] Le fait que le montant final de ses revenus ne pouvait pas être déterminé avant la fin de l’année civile 1993 n’a pas eu pour effet de soustraire son obligation de payer de l’impôt comme travailleur autonome, à laquelle il était assujetti à la date de sa faillite, du domaine des réclamations prouvables en matière de faillite.

[19] Son obligation de payer de l’impôt est née au moment où il a gagné des revenus, même si le versement du montant d’impôt au receveur général est devenu exigible à une date ultérieure.

[20] Même si son obligation de payer de l’impôt comme travailleur autonome à la date de sa faillite n’était pas un “ engagement présent ” au sens du paragraphe 121(1) de la Loi sur la faillite, étant donné que le montant final de ses revenus ne pouvait pas être déterminé avant la fin de l’année civile, cette obligation était néanmoins un “ engagement futur ” au sens du paragraphe 121(1) de la Loi sur la faillite et constituait par conséquent une réclamation prouvable en matière de faillite.

[21] Si les paragraphes 69(1) et 121(1) et l’article 178 de la Loi sur la faillite ne sont pas conciliables avec le paragraphe 11(1) et les alinéas 128(2)d) et f) de la Loi, selon la maxime “ les dispositions générales ne dérogent pas aux dispositions particulières ”, les dispositions de la Loi ne doivent pas faire obstacle aux dispositions de la Loi sur la faillite et celles-ci doivent l’emporter sur celles-là.

THÈSE DE L’INTIMÉE

[22] Le paragraphe 121(1) de la Loi sur la faillite définit les réclamations prouvables en matière de faillite comme “ [t]outes créances et tous engagements, présents ou futurs, auxquels le failli est assujetti à la date à laquelle il devient failli, ou auxquels il peut devenir assujetti avant sa libération, en raison d’une obligation contractée antérieurement à cette date, sont réputés des réclamations prouvables dans des procédures entamées en vertu de la présente loi ”.

[23] Comme le revenu d’entreprise de l’appelant ne peut être déterminé avant la fin de l’exercice, soit le 31 décembre 1993, son estimation de l’impôt qui est indiquée dans sa déclaration de revenus pour la première année d’imposition qui a suivi sa faillite (et, finalement, son impôt payable établi par la cotisation), ne peut non plus être déterminée avant la fin de son exercice. Cela étant, un montant d’impôt payable par l’appelant sur son revenu imposable tiré de ses activités de réalisateur de film ne constitue pas une réclamation prouvable au sens de la Loi sur la faillite.

LA LOI

[24] L’objet de la Loi sur la faillite est de permettre aux débiteurs (faillis) d’être libérés de leurs dettes, sous réserve de conditions raisonnables, et de prévoir la distribution de leurs biens à leurs créanciers, selon un ordre prescrit[1].

[25] L’objet de la Loi sur la faillite garantit également que tous les biens qui appartiennent au failli à la date de la faillite sont dévolus au syndic pour qu’il les réalise et les distribue aux créanciers[2].

[26] La loi prévoit que toutes créances et tous engagements auxquels le failli est assujetti à la date de la faillite ou auxquels il peut devenir assujetti avant sa libération sont réputés des réclamations prouvables en matière de faillite[3].

[27] Le paragraphe 69(1) de la Loi sur la faillite suspend toutes les réclamations prouvables en matière de faillite à la date où le débiteur devient failli.

[28] Le paragraphe 178(1) de la Loi sur la faillite énumère certaines dettes dont le failli n’est pas libéré par une ordonnance de libération. Le paragraphe 178(2) prévoit que, sous réserve du paragraphe (1), une ordonnance de libération libère le failli de toutes les réclamations prouvables en matière de faillite.

[29] Lorsqu’un particulier devient en faillite dans une année courante, l’année d’imposition se termine la veille du jour de la faillite et une nouvelle année d’imposition commence le jour de la faillite et se termine le 31 décembre de cette même année[4].

[30] L’impôt est payable sur le revenu imposable pour chaque année d’imposition. Le revenu imposable d’un contribuable pour une année d’imposition est son revenu pour l’année calculé conformément à la Loi[5].

[31] L’année d’imposition d’un particulier est l’année civile[6].

[32] Les revenus qu’un particulier propriétaire unique d’une entreprise tire de celle-ci pour une année d’imposition sont réputés les revenus qu’il en tire au cours des exercices se terminant dans cette année[7].

ANALYSE

[33] L’obligation de payer de l’impôt sur le revenu découle de l’application de la Loi.

[34] L’obligation fiscale d’un contribuable est déterminée en fonction de ses revenus imposables.

[35] De l’impôt sur le revenu imposable est payable pour chaque année d’imposition. L’obligation de payer de l’impôt prend naissance lorsque le contribuable tire un revenu imposable dans une année d’imposition et cette obligation est continue[8].

[36] Lorsqu’un contribuable est propriétaire d’une entreprise, le revenu qu’il tire de celle-ci pour une année d’imposition est réputé son revenu d’entreprise pour les exercices de l’entreprise qui se terminent dans l’année d’imposition en question.

[37] L’année d’imposition d’un particulier failli dans une année civile est toutefois traitée de façon particulière. Il y a deux années d’imposition. Lorsque survient la faillite, l’année d’imposition en cours se termine et une nouvelle année d’imposition commence.

[38] En fixant une date qui définit deux années d’imposition dans la même année civile (une année d’imposition antérieure à la faillite et une année d’imposition postérieure à la faillite), la Loi reconnaît le changement de statut du failli.

[39] Lorsque survient la faillite, les biens du failli sont dévolus au syndic de la faillite. En réalité, cette dévolution met fin par elle-même à l’exercice en cours. Toutes les dettes sont réputées des réclamations prouvables en matière de faillite. Le paragraphe 69(1) de la Loi sur la faillite suspend toutes les réclamations prouvables en matière de faillite.

CONCLUSION

[40] Je conclus que l’obligation fiscale de l’appelant pour la période allant du 1er janvier au 13 avril 1993 est une réclamation présente prouvable en matière de faillite. Le calcul de l’impôt payable par l’appelant après la faillite ne modifie pas l’obligation qui est née et qui s’applique avant la faillite.

DÉCISION

[41] L’appel est admis et la cotisation est renvoyée au ministre au motif que l’application cumulative de la Loi de l’impôt sur le revenu et de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité a pour effet de suspendre l’obligation de l’appelant de payer l’impôt sur ses revenus gagnés (une réclamation présente prouvable en matière de faillite) entre le 1er janvier et le 13 avril 1993.

[42] L’appelant a droit à ses dépens entre parties.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de janvier 1999.

“ D. Hamlyn ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de septembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Bankruptcy and Insolvency Law of Canada, Houlden et Morawetz, 3e édition, Carswell, pages 1-3 et 1-4.

[2]               Ibid., page 3-9.

[3]               Paragraphe 121(1) de la Loi sur la faillite.

[4]               Alinéas 128(2)d) et 128(1)d) de la Loi.

[5]               Paragraphes 2(1) et 2(2) de la Loi.

[6]               Article 249 de la Loi.

[7]               Article 11 de la Loi.

[8]               Cohen c. Canada, [1997] A.C.I. no 588 (Q.L.) (C.C.I.), pages 8 et 15.

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