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Date: 19990114

Dossier: 96-2405-UI

ENTRE :

ROSANNA BANCHERI,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel d'Anna Bancheri 96-650-UI les 27 et 28 avril 1998 à Toronto (Ontario) par l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Toronto (Ontario) les 27 et 28 avril 1998. Par consentement des parties, il a été entendu sur preuve commune avec l'appel d'Anna Bancheri (96-650(UI)).

[2] L'appelante interjette appel contre le règlement d'une question par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) en date du 11 octobre 1996 selon lequel l'emploi qu'elle a exercé pour 928199 Ontario Ltd., faisant des affaires sous le nom de Kingsway Paving & Interlock (la “ compagnie ”), du 4 avril au 2 septembre 1994 n'était pas un emploi assurable en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage (ci-après appelée la “ Loi ”). Les motifs du règlement étaient les suivants :

[TRADUCTION]

Vous n'exerciez pas un emploi en vertu d'un contrat de louage de services, car il n'y avait pas de relation employeur-employé entre 928199 Ontario Limited, faisant des affaires sous le nom de Kingsway Paving & Interlock, et vous-même. En outre, si vous aviez été considérée comme ayant exercé un emploi en vertu d'un contrat de louage de services, votre emploi aurait été exclu des emplois assurables parce que vous aviez un lien de dépendance avec 928199 Ontario Limited, faisant des affaires sous le nom de Kingsway Paving & Interlock, et que vous n'êtes pas réputée ne pas avoir eu de lien de dépendance avec elle.

[3] Les faits établis révèlent que l'appelante est l'épouse d'Angelo Bancheri, qui, avec son frère, Gabriele Bancheri, et sa mère, Anna Bancheri, détenait à l'époque pertinente toutes les actions en circulation de la compagnie. Ainsi, en vertu de l'article 3 de la Loi et du paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, en tant que personnes liées l'appelante et la compagnie sont, en droit, réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Donc, l'emploi en cause est, sous réserve de l'exception énoncée au sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, considéré comme un “ emploi exclu ”, c'est-à-dire que ce n'est pas un emploi qui, au moment de sa cessation, donne lieu au versement de prestations d'assurance-chômage. Le ministre a prétendument déterminé dans son règlement de la question que l'emploi en cause n'entre pas dans le cadre de l'exception, et l'appelante a interjeté appel de cette décision.

[4] L'appelante met également en doute la validité de la décision elle-même. La décision a prétendument été rendue au nom du ministre par un fonctionnaire de son ministère. La question soulevée est de savoir si ce fonctionnaire était investi des pouvoirs nécessaires pour rendre une telle décision au nom du ministre, soit aux termes du Règlement sur la délégation de pouvoirs pris par le ministre en vertu de la Loi, soit aux termes de la Loi d'interprétation, L.R.C., ch. 123, ou aux termes d'un autre texte. On fait valoir que, en l'absence de tels pouvoirs conférés expressément ou implicitement, le règlement de la question est nul et non avenu, et il n'y a rien dont l'appelante pourrait interjeter appel.

[5] Je me propose de traiter de cet appel en deux parties, c'est-à-dire que je parlerai d'abord du fond de la décision, puis de la question de compétence. Évidemment, l'examen du premier point n'est pas strictement nécessaire si je conclus que le règlement de la question est nul et non avenu. Toutefois, les parties ont passé deux jours à débattre les questions de fait et, par souci de prudence, je pense que les parties sont en droit de connaître la position de la Cour sur ces questions.

PARTIE 1 — Les questions de fond

Le droit

[6] Dans le cadre du régime établi par la Loi, le Parlement a prévu que certains emplois sont assurables et donnent droit à des prestations s’ils cessent, et que d’autres emplois, qui sont “ exclus ”, ne donnent droit à aucune prestation s’ils cessent. Lorsque des personnes qui ont un lien de dépendance concluent une convention d’emploi, il s’agit d’un “ emploi exclu ”. Des conjoints, des parents et leurs enfants, des frères, et des sociétés contrôlées par ces personnes sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance suivant le paragraphe 251(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui régit cette situation. Cette disposition législative a manifestement pour but d’éviter au régime d’avoir à payer une multitude de prestations fondées sur des conventions d’emploi factices ou fictives.

[7] La rigueur de cette disposition a toutefois été atténuée par le sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, lequel prévoit qu’un emploi dans un cas où l’employeur et l’employé sont des personnes liées est réputé être exercé sans lien de dépendance et peut donc être considéré comme un emploi assurable, s’il remplit toutes les autres conditions, c’est-à-dire, si le ministre est convaincu, compte tenu de toutes les circonstances (y compris les points qui sont mentionnés) qu’il est raisonnable de conclure qu’ils auraient conclu entre eux un contrat à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu (en fait)un lien de dépendance. Il pourrait être utile que je reformule la façon dont je comprends ce sous-alinéa. Pour les personnes qui sont liées, la Loi exclut tout droit à des prestations d’assurance, à moins qu’on ne puisse convaincre le ministre que la convention d’emploi est bel et bien la même qu’auraient conclue des personnes non liées, c'est-à-dire des personnes qui n’ont manifestement aucun lien de dépendance. Le Parlement a jugé que, s’il s’agit d’un contrat de travail à peu près semblable, il devrait en toute équité être inclus dans le régime. Toutefois, c’est le ministre qui décide. Sauf s’il est convaincu qu’il y a lieu de l’inclure, l’emploi reste exclu et l’employé n’a pas droit à des prestations.

[8] L’article 61 de la Loi porte sur les appels au ministre et sur le règlement de questions par celui-ci. On lit au paragraphe 61(6) que :

[...] le ministre doit, avec toute la diligence voulue [...] régler la question soulevée par la demande [...]

[9] Le ministre est donc tenu de régler la question. La Loi l’exige. Si le ministre n’est pas convaincu, l’emploi reste exclu et l’employé n’a pas droit aux prestations. Si toutefois il est convaincu, sans plus de cérémonie et sans prise d’aucune mesure par le ministre (sauf la communication de la décision), l’employé a droit à des prestations, pourvu qu’il remplisse les autres exigences. Il ne s’agit pas d’un pouvoir discrétionnaire au sens que, si le ministre est convaincu, il peut alors juger que l’emploi est assurable. Il doit “ régler la question ” et, selon ce qu’il décide, aux termes de la Loi l’emploi est réputé soit comporter un lien de dépendance, soit ne pas en comporter. En ce sens, le ministre n’a pas à proprement parler de pouvoir discrétionnaire à exercer car, en prenant sa décision, il doit agir de façon quasi judiciaire et il n’a pas le droit de faire le choix qui lui plaît. Il ressort des décisions de la Cour d’appel fédérale sur cette question que le même critère s’applique à une multitude d’autres fonctionnaires qui prennent des décisions quasi judiciaires dans de nombreux domaines différents. Voir Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361, Attorney General of Canada v. Jencan Ltd. (1997), 215 N.R. 352 et Her Majesty the Queen v. Bayside Drive-In Ltd. (1997), 218 N.R. 150.

[10] Le rôle de ce tribunal est alors, en cas d’appel, de réviser la décision du ministre et de décider s’il l’a prise légalement, c'est-à-dire conformément à la Loi et aux principes de la justice naturelle. Dans l’affaire Her Majesty the Queen v. Bayside et al. (précitée), la Cour d’appel fédérale a relevé certains points à considérer par le présent tribunal lorsqu’il entend de tels appels : (i) le ministre a-t-il agi de mauvaise foi ou en s’appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié? (ii) le ministre a-t-il omis de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes comme il est expressément tenu de le faire aux termes du sous-alinéa 3(2)c)(ii)? ou (iii) le ministre a-t-il tenu compte d’un facteur non pertinent?

[11] La Cour d’appel fédérale a ensuite ajouté :

Ce n’est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l’on peut dire qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une façon contraire à la loi, et [...] que le juge de la Cour de l’impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s’il n’y avait pas eu entre eux de lien de dépendance.

[12] On m'a fait valoir que les faits énoncés sur lesquels s’est fondé le ministre étaient dans bien des cas erronés ou avaient été mal interprétés. Encore une fois, ce que je ne dois pas oublier, à l’examen de ces arguments, c’est qu’il n’appartient pas à ce tribunal de substituer son opinion concernant la preuve à celle du ministre. Toutefois, si la façon dont ce dernier en est arrivé à la décision était illégale à la lumière des jugements mentionnés ci-dessus, je pourrais ne pas tenir compte des parties concernées des faits énoncés et je devrais alors me demander s’il se dégage des faits qui restent des motifs justifiant les décisions. Si ces motifs sont en soi suffisants pour que le ministre prenne une décision, même si le tribunal pourrait ne pas l’agréer, la décision doit être maintenue. Si par ailleurs, d’un point de vue objectif et raisonnable, il ne reste plus rien sur lequel le ministre pourrait légalement fonder une telle décision, celle-ci peut alors être infirmée, et le tribunal peut examiner la preuve qui lui a été présentée en appel et rendre sa propre décision. Bref, si le ministre dispose de suffisamment de faits pour prendre sa décision, c’est à lui qu’il appartient de régler la question et, s’il “ n’est pas convaincu ”, il n’appartient pas au présent tribunal de substituer à celle du ministre sa propre opinion au sujet de ces faits et de dire que le ministre aurait dû être convaincu. De même, si le ministre était convaincu, il n’appartient pas au présent tribunal de substituer à celle du ministre sa propre opinion selon laquelle il n’aurait pas dû être convaincu (scénario peu probable de toute façon). C’est seulement si la décision est prise d’une manière inappropriée et qu’elle est déraisonnable d’un point de vue objectif, compte tenu des faits qui ont été légitimement présentés au ministre, que le tribunal peut intervenir.

[13] Je puis m’appuyer à ce sujet sur un certain nombre de décisions de diverses cours d’appel canadiennes et de la Cour suprême du Canada dans des affaires connexes concernant diverses procédures relevant du Code criminel, décisions qui ont été examinées par la suite par les tribunaux et qui sont à mon avis analogues à la présente espèce. La norme de contrôle en ce qui concerne la validité d’un mandat de perquisition a été établie par le juge Cory (alors juge d’appel) dans l’affaire Times Square Book Store, Re (1985), 21 C.C.C. (3d) 503 (C.A.), où il a dit qu’il n’appartient pas au juge qui fait le contrôle d’examiner ou considérer de novo l’autorisation relative à un mandat de perquisition et que ledit juge ne saurait substituer sa propre opinion à celle du juge qui a accordé le mandat. Il s’agit plutôt, au stade du contrôle, de déterminer d’abord s’il existait ou non une preuve sur la foi de laquelle un juge de paix, agissant judiciairement, pouvait conclure qu’un mandat de perquisition devait être délivré.

[14] La Cour d’appel de l’Ontario a repris et développé ce point de vue dans l’affaire R. v. Church of Scientology of Toronto and Zaharia (1987), 31 C.C.C. (3d) 449 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée. En suggérant que le tribunal faisant le contrôle examine “ l’ensemble des circonstances ”, la Cour d’appel a affirmé à la page 492 :

[TRADUCTION]

Manifestement, s’il n’y a pas de preuve sur laquelle appuyer une telle conviction (c’est-à-dire qu’une infraction criminelle a été commise), on ne peut dire que dans ces circonstances le juge de paix doit être convaincu. Il y aura cependant des cas où une telle preuve (établissant des motifs raisonnables) existera bel et bien et où le juge de paix pourrait être convaincu, mais où il ne le sera pas et n’exercera pas sa discrétion en délivrant un mandat de perquisition. Dans de telles circonstances, le juge qui fait le contrôle ne doit pas dire que le juge de paix aurait dû être convaincu et qu’il aurait dû délivrer le mandat. De même, si le juge de paix dit dans de telles circonstances qu’il est convaincu, et s’il délivre le mandat, le juge qui fait le contrôle ne doit pas dire que le juge de paix n’aurait pas dû être ainsi convaincu.

[15] La Cour suprême du Canada a entériné ce point de vue dans R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421. Le défunt juge Sopinka, traitant de la question de la révision de la délivrance d’une autorisation d’écoute électronique, a affirmé :

Bien que le juge qui exerce ce pouvoir relativement nouveau ne soit pas tenu de se conformer au critère de l’arrêt Wilson, il ne devrait pas réviser l’autorisation de novo. La façon appropriée est établie dans les motifs du juge Martin en l’espèce. Il affirme [...]

[TRADUCTION] Si le juge du procès conclut, d’après les documents dont disposait le juge ayant accordé l’autorisation, qu’il n’existait aucun élément susceptible de le convaincre que les conditions préalables pour accorder l’autorisation existaient, il me semble alors que le juge du procès doit conclure que la fouille, la perquisition ou la saisie contrevient à l’art. 8 de la Charte.

Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l’autorisation. Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l’autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision, conclut que le juge qui a accordé l’autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir. Dans ce processus, la fraude, la non-divulgation, la déclaration trompeuse et les nouveaux éléments de preuve sont tous des aspects pertinents, mais au lieu d’être nécessaires à la révision leur seul effet est d’aider à décider s’il existe encore un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l’autorisation.

[16] Cette approche semble avoir été adoptée par à peu près toutes les cours d’appel au pays. (Voir R. v. Jackson (1983), 9 C.C.C. (3d) 125 (C.A. C.-B.); R. v. Conrad et al. (1989), 99 A.R. 197; 79 Alta. L.R. (2d) 307; 51 C.C.C. (3d) 311 (C.A.); Hudon v. R. (1989), 74 Sask. R. 204 (C.A.); R. v. Turcotte (1988), 60 Sask. R. 289; 39 C.C.C. (3d) 193 (C.A.); R. v. Borowski (1990), 66 Man. R. (2d) 49; 57 C.C.C. (3d) 87 (C.A.); Bâtiments Fafard Inc. et autres c. Canada et autres (1991), 41 QAC 254 (C.A.); Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général) et autres (1991), 104 R.N.-B. (2e) 1; 261 A.P.R. 1; 55 C.C.C. (3d) 133 (C.A.); R. v. Carroll and Barker (1989), 88 N.S.R. (2d) 165; 225 A.P.R. 165; 47 C.C.C. (3d) 263 (C.A.); R. v. MacFarlane (K.R.) (1993), 100 Nfld. & P.E.I.R. 302; 318 A.P.R. 302; 76 C.C.C. (3d) 54 (C.A. Î.-P.-É.). Il me semble s’agir d’une approche qui s’applique très bien au contrôle de la décision du ministre, laquelle est une décision quasi judiciaire.

[17] Je vais maintenant examiner en détail la manière dont l'appelante, par l'intermédiaire de son représentant, conteste la décision du ministre. Tout d'abord, le représentant de l'appelante affirme que les règles de justice naturelle n'ont pas été respectées en ce que l'appelante ne savait pas quels faits avaient été présentés au ministre à l'époque où la décision a été rendue et qu'elle n'a donc pas pu apporter quoi que ce soit à cette décision. Évidemment, la procédure suivie dans ce genre d'appels est plutôt étrange. À cet égard, le juge Bowman a dit dans l'affaire Persaud v. M.N.R., [1998] A.C.I. no 11 :

Étrangement, l'appelant est pour la première fois informé de la teneur de ce qu'on appelle les hypothèses lorsque le procureur général dépose une réponse à l'avis d'appel. Si je comprends bien, elles ne sont en général pas communiquées à l'appelant avant que le règlement soit rendu, et l'appelant (à cette étape il est un requérant) n'a pas la possibilité de les réfuter ou d'indiquer pourquoi le règlement qui lui est défavorable ne devrait pas être rendu. Au risque d'affirmer l'évidence même, cette omission constitue manifestement une atteinte fondamentale à l'un des préceptes les plus fondamentaux de la justice naturelle. Puisque nous savons de source sûre que pour arriver à la conclusion qu'il est convaincu ou qu'il n'est pas convaincu, le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire, il est essentiel que le principe voulant que l'autre partie soit entendue soit respecté. En outre, l'omission de donner les motifs au moment où le pouvoir discrétionnaire est exercé est en soi une violation d'une autre règle cardinale de justice naturelle.

[18] Toutefois, dans la situation dont il s'agit en l'espèce, nous avons peut-être une meilleure idée du déroulement du processus que ce n'est habituellement le cas, car les fonctionnaires ayant pris part à l'enquête, à l'examen et à la prise de la décision ont été appelés comme témoins. C'était peut-être un événement rare. Quoi qu'il en soit, ils se sont présentés, ont expliqué ce qu'ils avaient fait et pourquoi, et ont produit leurs rapports écrits. Tous ces renseignements n'ont été mis à la disposition de l'appelante ou de son représentant que peu avant l'audition de cet appel, lorsqu'ils ont demandé et obtenu une ordonnance de la Cour obligeant le ministre à les leur communiquer. Avant cela, tout ce qu'ils avaient, c'était la réponse à l'avis d'appel, laquelle, là encore, ils n'ont reçue qu'après avoir interjeté appel.

[19] Il a donc été soutenu que, avant que le ministre rende sa décision, on ne leur a communiqué guère d'informations dont ils auraient pu se servir pour contribuer utilement à la prise de cette décision et ils n'ont eu que des possibilités limitées de faire des observations au ministre. En l'espèce, toutefois, cette allégation sonne un peu faux, car l'appelante a été extraordinairement lente à répondre aux demandes de renseignements que lui avaient adressées des fonctionnaires de Revenu Canada. L'appelante a fait appel au ministre de l'évaluation initiale par une lettre en date du 13 décembre 1995 qui est parvenue au bureau du chef des appels le 8 avril 1996. Le 28 mai 1996, on a envoyé à l'appelante et à la compagnie une lettre d'explication du processus, avec un questionnaire qu'on leur demandait de remplir et de renvoyer. Au 24 septembre, ce questionnaire n'avait pas été renvoyé et, ce jour-là, on a expédié à la compagnie et à l'appelante une lettre par courrier certifié les informant que, s'ils ne renvoyaient pas le questionnaire au plus tard le 4 octobre, on rendrait une décision fondée sur l'information disponible. D'après le témoignage de William McCallum, le fonctionnaire qui avait rédigé cette lettre, une réponse a été reçue le 1er octobre 1996, le questionnaire rempli y étant joint. M. McCallum a terminé son rapport, y faisant une recommandation au ministre, le 2 octobre. Il dit qu'il n'y avait rien dans le questionnaire rempli qui l'avait fait changer d'idée au sujet des faits. Il estimait que la situation exposée par l'appelante n'était pas étayée par les faits. Il avait fait une enquête poussée, et son rapport a été déposé parmi les documents faisant partie de la pièce A-1.

[20] J'ai du mal à conclure que l'appelante a été privée de ses droits en matière de justice naturelle, c'est-à-dire de faire des observations au ministre au sujet de la décision qu'il s'apprêtait à rendre, alors qu'il a fallu courir après elle simplement pour obtenir d'elle les renseignements dont elle disposait. Pour qu'une telle contestation soit admise par la Cour, il me semble qu'il faudrait à tout le moins que la partie appelante ait fait preuve d'une certaine diligence, ce qui n'est guère le cas en l'espèce. Donc, je ne pense pas qu'une telle contestation de la décision du ministre puisse être admise en l'espèce, ne serait-ce que pour cette seule raison. Il ne faut pas croire pour autant que la Cour appuie la procédure plutôt curieuse suivie par Revenu Canada, procédure dans laquelle les faits qui doivent être communiqués au ministre pour lui permettre de rendre sa décision ne sont pas communiqués à la partie appelante de manière qu'elle puisse présenter au ministre des observations sur ces faits. Toutefois, il convient probablement davantage que cette question soit examinée dans le cadre d'une affaire plus appropriée.

[21] Les faits sur lesquels on dit que le ministre s'est fondé pour parvenir à sa décision sont énoncés dans la réponse à l'avis d'appel, signée par l'avocat au nom du sous-procureur général du Canada. Ils sont évidemment énoncés aussi, de façon plus détaillée, dans le rapport susmentionné au ministre rédigé et signé par William McCallum. Je ne vois pas de différence importante entre ces deux documents, si ce n'est que le rapport fait état d'un examen du compte T2 de la compagnie pour les années 1991 à 1994 et de ses revenus bruts pour 1991 à 1995 selon son dossier de TPS. Le rapport contient en outre un résumé du dossier T1 de l'appelante faisant état de son revenu pour les années 1988 à 1995. Bien qu'il s'agisse là de renseignements supplémentaires par rapport à l'information communiquée par l'avocat au nom du sous-procureur général dans la réponse à l'avis d'appel et que la Cour s'inquiète un peu de ce que la décision ait peut-être été fondée sur autre chose que l'information ainsi communiquée, je ne pense pas que, en l'espèce, les renseignements supplémentaires aient fait une différence. À part cela, il y avait dans le rapport plusieurs pages de renseignements qui se rapportaient simplement à la question de savoir s'il s'agissait d'un contrat de louage de services ou d'un contrat d'entreprise, soit un point que le ministre a maintenant concédé.

[22] Je n'entends pas exposer en détail les faits qui sont énoncés dans la réponse à l'avis d'appel, car je peux simplement dire que l'appelante était essentiellement d'accord sur ces faits, tout comme son beau-frère, qui a témoigné pour la compagnie. L'appelante contestait un ou deux petits points, par exemple, l'affirmation du ministre selon laquelle elle n'allait à la banque qu'une fois par mois pour payer les factures. Elle a dit qu'elle y allait plus souvent que cela. Elle a prétendu en outre qu'elle était supervisée par son époux en ce sens qu'elle devait lui dire ce qu'elle faisait chaque jour. Pour l'essentiel, toutefois, elle était d'accord sur les faits énoncés dans la réponse à l'avis d'appel.

[23] Je ne vois rien dans les faits ou dans la preuve qui permette d'affirmer que la décision a été rendue de mauvaise foi ou qu'elle se fondait sur un objectif ou un motif inapproprié. Je ne vois rien qui permette d'affirmer que des facteurs non pertinents ont été pris en considération ou qu'on n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes. En fait, l'enquêteur a fait plus que le strict minimum en essayant d'obtenir des renseignements de l'appelante. De plus, il me semble que toutes les questions dont le ministre était censé tenir compte en ce qui concerne les circonstances de l'emploi ont bien été prises en considération, y compris la rétribution versée, les modalités d'emploi, ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli.

[24] Il ressort notamment de la preuve que les chèques faits à l'appelante ne correspondent pas au montant total qui est censé lui avoir été payé au cours de la période en question. L'appelante a témoigné qu'il doit manquer des chèques. Cependant, on n'a rien produit pour étayer cette assertion.

[25] J'ai en outre remarqué que la paye n'était pas versée régulièrement. Parfois, il y avait un retard considérable par rapport à la période à laquelle la paye se rapportait et elle était alors versée en une somme forfaitaire, qui a atteint 3 397,50 $ dans un cas. D'autres fois, l'appelante était payée d'avance, mais il ne s'agissait pas du genre d'avance qu'un employé ordinaire pourrait recevoir. J'ai constaté qu'elle recevait un salaire fixe, indépendamment du nombre d'heures travaillées ou de ce qu'elle avait effectivement accompli. Elle n'a pu expliquer ses fonctions d'une manière très détaillée, et on avait l'impression qu'elle répondait simplement au téléphone quelques fois par jour et qu'elle faisait parfois des commissions pour la compagnie. Elle n'a nullement indiqué que ses fonctions étaient très nombreuses, et pourtant elle était payée 500 $ par semaine pour ce travail.

Conclusion

[26] À mon avis, le ministre avait, d'un point de vue objectif et raisonnable, suffisamment de raisons d'arriver à la conclusion que les parties n'auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu entre elles un lien de dépendance. Compte tenu de l'ensemble de la preuve qui m'a été présentée, l'appelante n'est pas parvenue à mon avis à démontrer qu'il y avait une erreur donnant lieu à contrôle dans la décision du ministre — si c'était bien sa décision.

PARTIE 2 — La question de compétence

Point en litige

[27] La preuve révèle que, en fait, ce n'était pas le ministre personnellement qui avait rendu la décision mais qu'il s'agissait plutôt d'une décision prétendument rendue par une certaine “ J. M. Cleaver, chef de la division des appels, pour le ministre du Revenu national ”. En réalité, la décision n'a pas été rendue ni signée par cette personne. Le règlement de la question a été fait par un certain R. Barned, qui a témoigné qu'il était chef d'équipe en matière d'appels, qu'il avait examiné le rapport établi et signé par W. S. McCallum et revu par S. K. Brochu et qu'il avait ensuite, au moyen d'un timbre de caoutchouc, apposé sur le rapport et sur les lettres avisant l'appelante et la compagnie du règlement de la question un cachet portant la signature de Jackie Cleaver. Il prétendait que Jackie Cleaver lui en avait délégué le pouvoir. À cet égard, il a produit une formule type en blanc intitulée “ Délégation de pouvoir ”, laquelle n'est pas celle dont il est question puisqu'elle a été établie en janvier 1997. Il a dit toutefois que la délégation de pouvoir qui lui avait été faite était semblable à tous égards. Il n'a pas produit cette délégation. La formule de 1997 se lit comme suit (pièce A-6) :

Pièce 7041.3-A

DÉLÉGATION DE POUVOIR

Destinataire:________________________________ Date: ________________________________

(Directeur adjoint des Appels intérimaire)

En raison des exigences administratives et opérationnelles, et afin d'assurer la conduite efficace des opérations de la division des Appels, vous êtes par la présente autorisé, dans le cadre de vos fonctions, à délivrer les documents suivants dans les circonstances appropriées:

Référence

Sujet

Documents visés

Loi sur

l'assurance-emploi

paragraphe 93(3)

Demandes qu'il soit statué sur une question ou appel;

CPT 100, CPT 101 ou par lettre

Notifications du Ministre

Régime de pensions

du Canada

paragraphe 27(5)

Demandes qu'il soit statué sur une question ou appel; CPT100 ou par lettre

Notifications du Ministre

Tout en exerçant mes pouvoirs et en exécutant mes fonctions à cet égard, vous vous assurerez que les mesures que vous prendrez seront conformes aux instructions de l'administration centrale ou aux instructions locales et que vous aurez obtenu l'approbation de l'administration centrale dans les cas qui exigent un renvoi obligatoire.

La délivrance de ces documents sera réalisée en apposant un cachet portant ma signature. Je vous confie un cachet qui ne doit servir qu'à cette seule fin. Pour éviter toute perte ou mauvaise utilisation de ce cachet, vous saurez, j'en suis sûr, prendre les mesures de sécurité et de contrôle dont nous avons convenu. Il est également important de verser au dossier une note qui explique l'utilisation de ce cachet.

À moins d'être révoquée, cette nouvelle délégation de pouvoirs et de fonctions demeurera en vigueur aussi longtemps que vous serez titulaire de votre poste.

____________________________________

Directeur adjoint des Appels

________________________________________________________________________________________________

Jan. 1997 Politiques de la direction générale des appels 7041.3-A

Délégation de Pouvoir

[28] La preuve ne me persuade nullement qu'une formule semblable a jamais en fait été remplie et signée par Jackie Cleaver pour la période en question. L'avocat du ministre fait valoir que cette question n'a été soulevée qu'à l'audition de l'appel. Cependant, il me semble que M. Barned a été sommé au préalable de se présenter devant la Cour et de témoigner, et on aurait pensé qu'il pourrait avoir jugé à propos d'apporter avec lui sa délégation de pouvoir, puisque sa décision était mise en doute, plutôt qu'une formule établie deux ans plus tard. En toute déférence, je considère que son témoignage était simplement trop vague sur ce point pour me convaincre qu'il y a officiellement eu une subdélégation de pouvoir en sa faveur.

[29] Le fait que Jackie Cleaver avait le pouvoir de régler la question au nom du ministre n'est pas en litige. La question est de savoir si elle avait assez de pouvoir pour subdéléguer cette fonction. Si tel était le cas, il est clair qu'une décision a été rendue. Si elle ne détenait pas de pouvoir de subdélégation, prétend-on, la décision ainsi rendue était nulle et non avenue et il n'y a donc aucun règlement contre lequel on peut interjeter appel.

Le droit

[30] Pour commencer, la partie III de la Loi définit le mot “ ministre ” comme désignant le ministre du Revenu national. À l'article 61 de la Loi, le législateur confère au ministre le pouvoir de régler diverses questions, y compris celle dont il s'agit dans la présente espèce. À l'article 64 de la Loi, le législateur habilite le sous-ministre à exercer les pouvoirs et fonctions conférées au ministre en vertu de la partie III de la Loi.

[31] L'article 24 de la Loi d'interprétation renferme les dispositions suivantes :

(2) La mention d'un ministre par son titre ou dans le cadre de ses attributions, que celles-ci soient d'ordre administratif, législatif ou judiciaire, vaut mention :

a) de tout ministre agissant en son nom ou, en cas de vacance de la charge, du ministre investi de sa charge en application d'un décret;

b) de ses successeurs à la charge;

c) de son délégué ou de celui des personnes visées aux alinéas a) et b);

d) indépendamment de l'alinéa c), de toute personne ayant, dans le ministère ou département d'État en cause, la compétence voulue.

[...]

(4) La mention d'un fonctionnaire public par son titre ou dans le cadre de ses attributions vaut mention de ses successeurs à la charge et de son ou leurs délégués ou adjoints.

(5) Les attributions attachées à une charge peuvent être exercées par son titulaire effectivement en poste.

[32] Le paragraphe 3(1) de la Loi d'interprétation se lit comme suit :

3. (1) Sauf indication contraire, la présente loi s'applique à tous les textes, indépendamment de leur date d'édiction.

[33] Suivant l'article 75 de la Loi,le ministre peut, avec l'approbation du gouverneur général en conseil, prendre des règlements. Le paragraphe 75(2) se lit comme suit :

Le ministre peut prendre des règlements autorisant tout fonctionnaire désigné ou toute catégorie de fonctionnaires désignée à exercer des pouvoirs ou fonctions que la présente partie confère au ministre.

Cela engloberait manifestement le règlement d'une question en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi, soit en fait un règlement d'une question en vertu de l'article 61 de la Loi.

[34] Le 11 juin 1992, a été pris un règlement prévoyant la délégation des pouvoirs ou fonctions conférés au ministre du Revenu national en vertu de la partie III de la Loi sur l'assurance-chômage, soit le Règlement sur la délégation de pouvoirs ou fonctions (Loi sur l'assurance-chômage, partie III). L'article 5 de ce règlement se lit comme suit :

Le directeur de la Division des appels et des renvois,

le directeur de la Division de la politique et des programmes,

le chef de la Section des arrêts et des appels

ou le fonctionnaire qui occupe le poste de chef des Appels d'un bureau de district du ministère du Revenu national (Impôt),

peut exercer les pouvoirs ou fonctions que confèrent au ministre les articles 61 et 71 de la Loi. [Le soulignement est de moi.]

[35] J'ai présenté cet article de cette manière pour que, à l'analyse, il soit clair que les directeurs de deux divisions et le chef d'une section du ministère sont expressément autorisés à agir. J'en conclus qu'il s'agit de postes supérieurs précis au sein de l'administration centrale du ministère et qu'il n'y en a qu'un dans chaque cas. Outre les personnes occupant ces postes précis, le “ fonctionnaire ” (terme non défini dans le règlement) qui occupe le poste de chef des appels d'un bureau de district est autorisé à agir. Je suppose qu'il y a un grand nombre de ces personnes qui travaillent dans les bureaux de district du ministère dans l'ensemble du Canada. Se pose alors la question de savoir si n'est visée qu'une personne expressément nommée à un de ces postes en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, soit en l'espèce Jackie Cleaver, nommée au bureau de London (Ontario), ou si cette personne peut “ subdéléguer ” ses pouvoirs à une autre personne, qui devient alors chef des appels intérimaire du bureau en question. Autrement dit, la personne à qui le pouvoir d'agir au nom du ministre a été délégué par règlement pris par le ministre avec l'approbation du gouverneur général en conseil peut-elle de son côté simplement désigner, soit officiellement et par écrit, soit officieusement, quelqu'un d'autre pour agir en leur nom. Je suppose que cela laisse entière la question de savoir pourquoi, si un fonctionnaire du ministère peut simplement désigner soit officiellement et par écrit ou officieusement quelqu'un d'autre pour agir en leur nom. Je suppose que cela laisse entière la question de savoir pourquoi, si un fonctionnaire du ministère peut simplement désigner quelqu'un d'autre pour agir au nom du ministre sans plus de formalités, le ministre lui-même est tenu de prendre un règlement avec le consentement du gouverneur général en conseil pour accomplir la même chose.

[36] Il faut également se rappeler ici qu'il s'agit non pas simplement de signer au nom d'une personne ayant déjà rendu la décision, mais plutôt de régler une question au nom d'une personne expressément désignée pour agir au nom du ministre. En outre, ce type particulier de règlement d'une question a été qualifié, par la Cour d'appel fédérale, d'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par le ministre, exercice à l'égard duquel les tribunaux doivent manifester beaucoup plus de retenue en appel que ce n'est normalement le cas. L'impact du règlement de la question dans ce genre de cas est donc beaucoup plus grand que dans le cas d'une mesure de type purement administratif.

[37] L'arrêt Carltona Ltd. v. Commissioners of Works and Others, [1943] 2 All E.R. 560 (C.A.), rendu à l'époque de la Seconde Guerre mondiale, et la jurisprudence subséquente établissement clairement que la common law présuppose que les fonctionnaires d'un ministère agissent au nom du ministre. La Chambre des lords disait dans l'arrêt Carltona :

[TRADUCTION]

[...] Les fonctions imposées aux ministres et les pouvoirs qui leur sont conférés sont normalement exercés par des fonctionnaires responsables au sein du ministère, et ce, en vertu de l'autorité des ministres. Le gouvernement ne pourrait remplir ses fonctions si tel n'était pas le cas. Constitutionnellement, la décision d'un tel fonctionnaire est évidemment celle du ministre. Le ministre est responsable. C'est lui qui doit répondre devant le Parlement de tout ce que ses fonctionnaires font en vertu de son autorité et, si le ministre choisissait pour une affaire importante un fonctionnaire d'un rang si peu élevé dans la hiérarchie qu'on ne pourrait s'attendre qu'il accomplisse le travail de façon compétente, le ministre aurait à en répondre devant le Parlement. Tout le système d'organisation et d'administration des ministères est basé sur le point de vue selon lequel les ministres, étant responsables devant le Parlement, veilleront à ce que les fonctions importantes soient confiées à des fonctionnaires d'expérience. S'ils ne le font pas, c'est devant le Parlement qu'il faut les prendre à partie.

[38] Dans l'affaire Metropolitan Borough and Town Clerk of Lewisham v. Roberts, [1949] 2 K.B. 608, à la page 621, lord Denning a dit :

[TRADUCTION]

[...] J'estime qu'il est maintenant tout à fait clair qu'un ministre chargé de fonctions administratives, par opposition à des fonctions législatives, a le droit d'agir par l'intermédiaire de tout fonctionnaire autorisé de son ministère. Le Ministre n'est pas tenu de s'occuper personnellement de la question. Cela est implicite dans les rouages modernes du gouvernement. [...]

[39] Dans l'arrêt La Reine c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238, le juge Dickson (titre qu'il portait alors) a dit, au nom de la Cour suprême du Canada :

A mon avis, le procureur général a l'autorité implicite de déléguer son pouvoir de donner des instructions aux termes du par. (1) de l'art. 605. Je ne pense pas que ce paragraphe exige que dans chaque cas le procureur général interjette appel personnellement ou donne lui-même à l'avocat des instructions à cette fin. Bien qu'il existe une règle générale d'interprétation de la loi selon laquelle une personne doit exercer personnellement le pouvoir discrétionnaire dont elle est investie (delegatus non potest delegare), elle peut être modifiée par les termes, la portée ou le but d'un programme administratif donné. Le pouvoir de délégation est souvent implicite dans un programme qui donne au ministre le pouvoir d'agir. Comme le remarque le professeur Willis dans “Delegatus Non Potest Delegare”, (1943), 21 Can. Bar Rev. 257 à la p. 264:

[TRADUCTION] ... dans leur application du principe delegatus non potest delegare aux organismes du gouvernement, les tribunaux ont préféré le plus souvent s'éloigner de l'interprétation étroite du texte de loi qui les obligerait à y voir le mot “personnellement”, et adopter l'interprétation qui convient le mieux aux rouages modernes du gouvernement qui, étant théoriquement le fait des représentants élus mais, en pratique, celui des fonctionnaires ou des agents locaux, leur commandent sans aucun doute d'y voir l'expression “ou toute personne autorisée par lui”.

Voir aussi S. A. DeSmith, Judicial Review of Administrative Action, 3e éd., à la p. 271. Lorsque l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire est confié à un ministre du gouvernement, on peut alors supposer que les mesures nécessaires seront prises par les fonctionnaires responsables du ministère et non par le ministre lui-même: Carltona Ltd. v. Commissioners of Works [[1943] 2 All E.R. 560 (C.A.)]. De nos jours, les fonctions d'un ministre du gouvernement sont si nombreuses et variées qu'il serait exagéré de s'attendre à ce qu'il les remplisse personnellement. On doit présumer que le ministre nommera des sous-ministres et des fonctionnaires expérimentés et compétents et que ceux-ci, le ministre étant responsable de leurs actes devant la législature, s'acquitteront en son nom de fonctions ministérielles dans les limites des pouvoirs qui leur sont délégués. Toute autre solution n'aboutirait qu'au chaos administratif et à l'incurie.

[40] Dans l'arrêt Harrison, précité, la Cour suprême n'avait rien trouvé dans le Code criminel qui allait à l'encontre de l'idée selon laquelle les fonctions imposées au procureur général devaient être exercées par des fonctionnaires responsables des ministères concernés.

[41] La Cour suprême du Canada a réexaminé cette question en 1977 dans une affaire en matière d'immigration, Ramawad c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1978] 2 R.C.S. 375. Après s'être référé aux propos précités du juge Dickson, le juge Pratte a dit :

[...] “Le pouvoir de délégation est souvent implicite dans un programme qui donne au ministre le pouvoir d'agir”. L'existence de ce pouvoir ou, en d'autres termes, la présomption que l'acte sera posé non pas par le Ministre mais par des fonctionnaires responsables de son ministère dépend toutefois de l'intention du législateur que l'on peut déterminer à partir du texte de la loi comme de l'objet du pouvoir discrétionnaire conféré au Ministre.

Dans la Loi sur l'immigration, le Parlement reconnaît l'existence de plusieurs niveaux d'autorité : le gouverneur en conseil, le Ministre, le directeur, le fonctionnaire supérieur à l'immigration, l'enquêteur spécial et le fonctionnaire à l'immigration. La Loi définit clairement les pouvoirs conférés à chaque niveau par le Parlement. Dans certains cas, la Loi permet que l'autorité puisse être exercée par plusieurs niveaux. Par exemple, l'art. 12 prévoit que les agents de la paix doivent exécuter tout mandat rendu en vertu de la Loi en vue de l'arrestation, la détention ou l'expulsion “s'ils en sont requis par le Ministre, le sous-ministre, le directeur, un enquêteur spécial ou un fonctionnaire à l'immigration”. De même le par. 36(2) autorise “le Ministre, le directeur, un enquêteur spécial, ou un fonctionnaire à l'immigration” à donner des directives à l'égard de l'expulsion d'une personne frappée d'une ordonnance d'expulsion.

De même, les règlements d'application de la Loi font une distinction nette entre les pouvoirs conférés au Ministre et les pouvoirs conférés aux fonctionnaires.

Bien entendu, dans la Loi et le Règlement, les fonctions les plus importantes ont été réservées au pouvoir discrétionnaire du Ministre alors que les pouvoirs dans les autres domaines ont été délégués directement à des fonctionnaires spécifiquement désignés.

L'économie générale de la Loi et du Règlement révèle clairement l'intention du Parlement et du gouverneur général en conseil, savoir que les pouvoirs conférés au Ministre doivent être exercés par lui plutôt que par des fonctionnaires agissant en vertu d'une délégation implicite, sous réserve bien sûr de dispositions législatives contraires. En d'autres termes, la législation en question, en raison de sa structure particulière et peut-être aussi de son objet, ne permet absolument pas de dire, comme c'était le cas dans Harrison, que le pouvoir de délégation du Ministre est implicite. Bien au contraire.

À l'appui de cela, je citerai l'art. 67 de la Loi qui dispose:

“Le Ministre peut autoriser le sous-ministre ou le directeur à remplir et exercer les devoirs, pouvoirs et fonctions qu'il est ou qu'il peut être tenu de remplir ou d'exercer aux termes de la présente loi ou des règlements et tout devoir, pouvoir ou fonction rempli ou exercé par le sous-ministre ou par le directeur sous l'autorité du Ministre est réputé l'avoir été par le Ministre.”

Cet article a nécessairement pour effet d'interdire au Ministre de déléguer des pouvoirs qui lui ont été conférés à des personnes qui n'y sont pas mentionnées.

Je conclus donc que le pouvoir discrétionnaire confié au Ministre par l'al. 3Gd) du Règlement doit être exercé par lui ou, si elle est dûment autorisée, par une des personnes mentionnées à l'art. 67, ce qui exclut l'enquêteur spécial qui a rendu l'ordonnance d'expulsion en cause.

[42] Dans une affaire semblable, Yorkton Restaurant Venture Capital Corp. v. Saskatchewan (Minister of Economic Development), 118 D.L.R. (4th) 735, le juge Gunn de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a résumé comme suit la façon dont il voyait les règles de droit applicables :

[TRADUCTION]

La délégation d'autorité ou de pouvoir peut être explicite ou implicite. Les tribunaux se sont montrés disposés à reconnaître le pouvoir implicite de délégation de ministres qui ne peuvent personnellement régler tous les problèmes que peut poser l'application des lois dont ils sont responsables. Il faut toutefois être plus circonspect dans le cas d'une délégation implicite faite par des sous-ministres et par des organismes, notamment lorsque le pouvoir que l'on cherche à exercer comporte un élément de jugement et un élément discrétionnaire, et qu'il touche les droits de citoyens.

La Loi n'autorise explicitement aucune délégation expresse. La Interpretation Act permet une délégation au sous-ministre, mais n'autorise aucune subdélégation par le sous-ministre. Le ministre ne s'est pas personnellement conformé à l'art. 23. Le sous-ministre a donné la réponse à l'avis d'opposition, mais, dans cette réponse, il a indiqué que le “ "ministère" ne pouvait faire autrement que de poursuivre le processus de retrait d'enregistrement. Voilà qui semble faire abstraction des pouvoirs discrétionnaires conférés au ministre (art. 16).

Un document de retrait d'enregistrement n'est signé ni par le ministre ni par le sous-ministre. Tout cela doit être considéré dans le contexte des pouvoirs discrétionnaires du ministre et en tenant compte du fait que la Loi vient limiter sévèrement le droit d'en appeler d'une décision du ministre. Or, le législateur a évidemment compétence pour ce faire, mais il faut que le ministre soit plus circonspect dans l'exercice de ses pouvoirs si les citoyens à qui appartiennent ces droits ne peuvent en appeler.

L'intérêt de ce jugement tient évidemment au fait que les droits du citoyen d'en appeler dans la situation dont il s'agit en l'espèce sont également plutôt limités.

[43] Je me réfère en outre au jugement rendu par la Section de première instance de la Cour fédérale dans l'affaire Doyle v. M.N.R., 89 DTC 5483, où la juge Reed se trouvait devant une situation semblable. Dans l'affaire Doyle il s'agissait d'une délégation des pouvoirs du ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le pouvoir ainsi délégué était celui prévu au paragraphe 225.1(5) de cette loi. Le règlement pris en vertu de cette loi prévoyait la délégation de divers pouvoirs et fonctions à différents fonctionnaires du ministère. Il n'y avait toutefois dans le règlement aucune mention du paragraphe 225.1(5). Se posait alors la question de savoir si, compte tenu du code en matière de délégation établi dans le règlement, la common law avait encore un rôle à jouer dans un cas où aucune délégation expresse d'un pouvoir ou d'une fonction n'était prévue dans le règlement. En concluant que le principe de la délégation implicite s'appliquait bel et bien à l'article en question, la savante juge a dit :

Il se peut fort bien que les articles énumérés expressément à l'article 900 du Règlement soient soumis à des règles particulières et que, dans leur cas, un régime de délégation habilitant des directeurs généraux autres que ceux qui se trouvent expressément identifiés dans le Règlement à exercer les pouvoirs détenus par le ministre sous le régime d'un article particulier soit invalide parce que contraire au règlement.

[44] Bien que n'ayant pas directement tranché cette question, il semble bien que la savante juge inclinait à estimer que, s'il existe en vertu de la Loi un régime réglementaire prévoyant que des pouvoirs et fonctions particuliers doivent être exercés au nom du ministre par des fonctionnaires désignés, tout autre régime de délégation de ces mêmes pouvoirs et fonctions (par exemple, en vertu de la common law ou de la Loi d'interprétation) serait invalide, parce que contraire au règlement.

[45] Je suis porté à adopter ce point de vue en l'espèce. Quand la Cour suprême du Canada dit que la délégation de pouvoirs est explicite ou implicite, il me semble que ces deux sortes de délégation s'excluent mutuellement pour ce qui est des mêmes pouvoirs et fonctions. Autrement dit, si des pouvoirs précis sont délégués à des fonctionnaires particuliers ayant des titres précis désignés, ces pouvoirs et fonctions ne peuvent faire l'objet d'une subdélégation. Le régime établi par la voie législative ou réglementaire envisage des désignations expresses, et si, malgré cela, on pouvait s'autoriser de la common law ou des dispositions de la Loi d'interprétation pour procéder à d'autres désignations à l'égard de postes hiérarchiquement inférieurs, il faudrait s'interroger sur la raison d'être du régime mis en place par la voie législative ou réglementaire, car ce régime serait alors inutile et superflu. Il me semble qu'en prévoyant que le ministre pouvait prendre des règlements permettant la délégation de ses pouvoirs et fonctions avec l'assentiment du gouverneur général en conseil, le législateur entendait mettre un frein aux pouvoirs de délégation par ailleurs généralement reconnus, et c'est ce qui a été fait en l'espèce par la promulgation de tels règlements. Il serait ridicule que le ministre soit tenu d'obtenir l'assentiment du gouverneur général en conseil pour prendre des règlements opérant la délégation de ses pouvoirs et que la personne à qui il a ainsi délégué ses pouvoirs puisse sans plus de formalités subdéléguer ces mêmes pouvoirs. Dans une telle situation, la personne désignée aurait plus de pouvoirs de délégation que le ministre lui-même, ce qui ne peut évidemment avoir été envisagé par le législateur.

[46] La Loi d'interprétation s'inscrit dans l'ordre général des choses. En fait, elle incorpore le principe de common law énoncé dans l'arrêt La Reine c. Harrison, précité. À mon avis, elle ne s'applique pas dans toute sa large portée lorsqu'il existe un régime de délégation exprès établi par une loi ou par un règlement pris en vertu d'une loi, puisqu'un tel régime serait inutile, car essentiellement il n'y aurait aucune limite à la subdélégation. Or, l'article 3 de la Loi d'interprétation dit que celle-ci s'applique à tous les textes, sauf indication contraire dans un texte particulier. À mon avis, l'établissement d'un régime de délégation explicite manifeste bel et bien une indication contraire.

[47] Il me semble qu'il y a une distinction fondamentale à établir entre un régime de délégation explicite, qu'il soit créé par la voie législative ou par la voie réglementaire, et un régime de délégation implicite. Dans le premier cas, le législateur ou encore le ministre et le gouverneur général en conseil ont déterminé exactement le degré de délégation de pouvoir qui aura lieu. Tel n'est pas le cas dans un régime de délégation implicite, de sorte que la common law et la Loi d'interprétation admettent le recours au bons sens et au sens pratique par souci de commodité administrative. Des pouvoirs peuvent alors être délégués et subdélégués aux fonctionnaires du ministère se trouvant au niveau hiérarchique approprié, selon ce que permettent les circonstances. Quant à savoir si un pouvoir particulier a été délégué au-delà de ce niveau, voilà qui est probablement une question de fait relevant en définitive des tribunaux. Ainsi, déléguer au concierge la prise d'une importante décision administrative ou quasi judiciaire, comme dans l'exemple du représentant de l'appelante, dépasserait sans aucun doute la limite de ce qui est permis et serait jugé non valable par les tribunaux.

[48] En résumé, un régime implicite de délégation de pouvoirs ne saurait en droit primer un régime explicite de délégation établi par la voie réglementaire ou par la voie législative. Non seulement ce dernier type de régime vient de l'autorité législative suprême du pays, mais il deviendrait simplement superfétatoire si l'on permettait que sa portée soit élargie ou qu'un autre régime l'emporte sur lui. Il semble que, si le législateur ou le ministre ou le gouverneur général en conseil, selon le cas, avaient voulu que le régime ait une portée plus large que celle expressément prévue, ils auraient très facilement pu l'indiquer par l'adjonction de termes comme “ ou leur délégué ”. Comme ils ne l'ont pas fait, il faut présumer qu'ils ne voulaient pas qu'il en soit ainsi, sinon le régime établi serait inutile.

[49] Dans ces situations, il faut donc se demander si le pouvoir ou la fonction entrait dans le cadre d'un régime de délégation explicite établi par règlement. Dans l'affirmative, ce pouvoir ou cette fonction ne saurait faire l'objet d'une subdélégation. Dans la négative, ce pouvoir ou cette fonction entre peut-être dans le cadre d'un régime implicite de délégation et de subdélégation fondé soit sur la common law, soit sur les dispositions de la Loi d'interprétation. Il peut bien en être ainsi, comme l'indique le jugement Doyle, précité, d'un pouvoir et d'une fonction qui ont été créés par une loi, mais qui ne sont mentionnés dans aucun régime de délégation explicite. Ainsi, bien qu'un régime de délégation implicite ne puisse primer un régime explicite, il peut le compléter dans les cas où le régime explicite est muet sur une fonction ou un pouvoir particuliers.

Application du droit à la présente espèce

[50] Il est clair qu'en l'espèce un régime explicite de délégation de pouvoirs est en place. Le Règlement fait expressément référence aux décisions rendues en vertu de l'article 61 de la Loi et permet explicitement que le pouvoir de rendre ces décisions soit délégué au “ fonctionnaire qui occupe le poste de chef des Appels d'un bureau de district du ministère du Revenu national (Impôt) ”. De toute évidence, Mme Cleaver était une personne occupant ce poste au bureau de London à l'époque en cause. Tel n'était pas le cas de M. Barned. Le pouvoir de ce dernier provenait simplement d'une prétendue subdélégation par Mme Cleaver. Monsieur Barned n'avait pas été nommé à ce poste par la Commission de la fonction publique ou en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Il occupait un poste de chef d'équipe, et tout prétendu pouvoir d'agir au nom de Mme Cleaver venait simplement du fait que cette dernière l'avait autorisé à agir en son nom durant son absence. Or, il se peut que cela l'ait habilité à ce faire pour ce qui est de l'administration quotidienne du bureau. Toutefois, étant donné le régime explicite de délégation établi par la Loi et le Règlement, cette autorisation n'allait pas en droit jusqu'à lui permettre de rendre des décisions en vertu de l'article 61 de la Loi, ni en particulier de régler une question en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii).

[51] En outre, la nature même du Règlement lui-même me convainc que la subdélégation de pouvoirs et fonctions n'était pas envisagée par le ministre ou le gouverneur général en conseil. En effet, s'il y avait possibilité de subdélégation, un examen du Règlement révélerait que les articles 4 à 11, inclusivement, sont tout à fait inutiles. Car, si les termes “ fonctionnaire qui occupe le poste de sous-ministre adjoint ” devaient se voir attribuer le sens que propose ici l'avocat de la Couronne, la personne occupant ce poste pourrait simplement subdéléguer tous les pouvoirs qu'elle voudrait en vertu de la partie III, et il ne serait nullement besoin d'autres règlements déléguant des pouvoirs précis à des fonctionnaires particuliers. Tout cela pourrait alors être accompli administrativement par le fonctionnaire concerné. Le fait même de prendre des règlements précis doit vouloir dire qu'il en faut plus que cela. Je crois qu'en voulant s'empresser de faciliter l'application d'une loi par des fonctionnaires d'un ministère, on doit veiller à ne pas permettre que des considérations de commodité administrative l'emportent sur le sens et l'objet véritables de la législation.

[52] À mon avis, le régime de délégation établi en vertu de la Loi est explicite, c'est-à-dire que l'on a formellement et clairement spécifié quels pouvoirs et fonctions sont attribués à quels fonctionnaires, et ce régime est exclusif. De par sa nature même, il exclut tout régime implicite, sauf peut-être dans les cas où, comme dans l'affaire Doyle, précitée, il y a des pouvoirs ou fonctions dont le règlement applicable ne parle pas. Dans la mesure où les pouvoirs ou fonctions y sont mentionnés, la délégation de ces pouvoirs et fonctions est limitée.

[53] Je tiens compte de deux autres décisions auxquelles l'avocat m'a renvoyé, que je me dois d'examiner. Tout d'abord, dans l'arrêt Swyryda v. The Queen, 81 DTC 5109, également de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, le juge Noble a statué que le directeur de l'impôt du bureau de district de la Saskatchewan, qui était, selon le règlement pris en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, la personne désignée pour agir au nom du ministre pour ce qui était de la signification d'une demande formelle, pouvait subdéléguer ce pouvoir à un autre fonctionnaire de son ministère. Je constate que le savant juge a souligné le fait que la fonction en question était purement administrative et s'exerçait dans le cours normal de l'application de ladite loi. Il me semble que ce cas se distingue nettement de l'exercice au nom du ministre d'un pouvoir discrétionnaire qui touche les droits d'un citoyen ayant des droits d'appel très limités. Je constate aussi que, dans cette affaire-là, le juge s'est appuyé sur le paragraphe 244(13) de la Loi de l'impôt sur le revenu et qu'il a dit expressément qu'il n'était donc pas nécessaire de faire référence à la Loi d'interprétation.

[54] On m'a également renvoyé à la décision Tremblay c. Canada (ministre du Revenu national), [1996] A.C.I. no 245, rendue par mon collègue le juge Robichaud. Dans cette affaire-là, le cachet du chef des appels sur la notification envoyée à la partie appelante y avait été apposé par un autre fonctionnaire du ministère. Le jugement ne dit pas que la décision avait été rendue par quelqu'un d'autre que la personne autorisée à cette fin aux termes du règlement, mais simplement que son cachet a été apposé sur la lettre de notification par quelqu'un d'autre. Cette affaire peut donc manifestement être distinguée de la présente espèce, où la preuve établit clairement que la décision a été rendue par quelqu'un d'autre que la personne désignée dans le Règlement. Il est bien établi en droit que la signature elle-même peut être apposée sur une décision dans le cadre de l'exercice d'une fonction d'écriture, comme c'est souvent le cas dans les tribunaux, où il arrive souvent que le greffier de la cour signe les ordonnances rendues par un juge. Je ne vois rien dans cette affaire-là qui se rapporte aux questions plus fondamentales dont je suis saisi en l'espèce.

[55] Enfin, l'avocat du ministre fait valoir que les termes “ fonctionnaire qui occupe le poste de figurant dans le Règlement signifient que suivant le Règlement quelqu'un peut parfois remplacer le chef des appels dans un bureau de district. Il soutient que cette formulation est plus large que ne le serait la simple expression “ chef des appels d'un bureau de district ” et que cela veut donc dire que le chef des appels peut désigner des personnes pour agir à sa place. En toute déférence, j'estime que cet argument ne tient pas. Rien ne l'étaye. La formulation “ fonctionnaire qui occupe le poste de ” n'est pas propre à ce seul article du Règlement. On la trouve dans divers articles du Règlement, à partir de l'article 3, qui se rapporte au sous-ministre adjoint. Si cet argument devait être accepté, là encore les articles qui suivent l'article 3 seraient inutiles. Les écluses seraient ouvertes, et ces articles seraient superfétatoires, comme je l'ai déjà fait remarquer. À mon avis, ces divers postes ou titres énumérés dans le Règlement sont des postes officiels établis au sein de la fonction publique. Par diverses procédures, comme la nomination par la Commission de la fonction publique, des personnes sont nommées à ces postes. Il est possible que ce ne soit pas les seuls postes qu'elles occupent dans la fonction publique, mais elles sont officiellement nommées à ces postes. Par exemple, la personne occupant le poste de sous-ministre adjoint (Impôt) peut aussi occuper d'autres postes. Ce qui est envisagé par le Règlement, il me semble, c'est une nomination officielle au poste en question et non pas simplement une suppléance. Les termes “ fonctionnaire qui occupe le poste ” ne désignent pas une personne agissant à titre temporaire en l'absence du titulaire officiel du poste. Je conviens que les termes choisis sont curieux. Cependant, toute autre interprétation ferait du régime de délégation établi un non-sens. Si le ministre avait voulu que les titulaires de ces divers postes puissent subdéléguer leurs pouvoirs, il aurait très facilement pu le préciser par l'inclusion de termes comme “ ou leurs délégués ”, qui figurent dans la version française (mais pas dans la version anglaise) du paragraphe 24(4) de la Loi d'interprétation. Le ministre ne l'a pas fait, et ce serait de la pure fiction que de dire qu'il entendait le faire.

Conclusion

[56] Je conclus que M. Barned n'avait pas en droit le pouvoir de procéder au prétendu règlement qui fait l'objet de l'appel en l'espèce. Ce n'était pas un fonctionnaire occupant le poste de chef des appels d'un bureau de district du ministère du Revenu national. Ce n'était certainement pas non plus un des autres fonctionnaires désignés par le Règlement pour rendre des décisions en vertu de l'article 61 de la Loi.

[57] La prétendue subdélégation de pouvoirs par Mme Cleaver à M. Barned, quelle que soit la forme qu'elle ait prise — ce qu'on ignore en fait —, est dépourvue d'effet juridique en ce qui concerne cette affaire, car Mme Cleaver n'avait pas en droit le pouvoir d'effectuer une telle subdélégation.

[58] Il ressort clairement de la preuve que ce n'est pas Mme Cleaver qui a rendu la décision. Elle ne s'est jamais penchée sur la question et, en l'espèce, il ne s'agit pas d'un cas où une signature a été apposée en son nom après qu'elle eut rendu la décision. La décision a été rendue uniquement par M. Barned. Comme le représentant de l'appelante, je trouve qu'il est curieux que M. Barned n'ait pas utilisé son propre nom en agissant au nom de Mme Cleaver. Il y a quelque chose de presque subreptice à apposer le cachet au nom de Mme Cleaver, alors que la décision n'a pas été rendue par cette dernière, et à ne pas révéler le nom de la personne qui a en fait rendu la décision au nom de Mme Cleaver. En soi, cela n'influe pas sur mon jugement, mais je me demande bien pourquoi on a procédé de la sorte. J'ai pris bonne note du fait que c'est simplement par hasard que l'on a découvert en l'espèce que Mme Cleaver n'est pas la personne qui a effectivement rendu la décision et exercé le pouvoir discrétionnaire au nom du ministre.

[59] Je dois maintenant considérer l'effet qu'ont mes conclusions sur le prétendu règlement d'une question que l'appelante a porté en appel. L'avocat du ministre m'exhorte dans les circonstances à statuer que le règlement de la question est nul et non avenu, qu'il n'existe pas, et qu'il n'y a donc rien qui puisse faire l'objet d'un appel. Le représentant de l'appelante souligne le coût de l'audience de deux jours et insiste sur les difficultés que cela créerait pour l'appelante s'il lui fallait recommencer son appel sans que ce soit sa faute. Je comprends ce point de vue, mais je dois me prononcer sur l'aspect juridique de l'affaire, et il convient davantage que d'autres que moi se penchent sur ce genre d'arguments. À mon avis, c'est la position de l'avocat du ministre qui est la bonne. La situation s'apparente à celle devant laquelle se trouvait le juge Pratte dans l'affaire Ramawad, précitée, où il a dit, après avoir statué que l'enquêteur spécial n'avait pas le pouvoir délégué de rendre la décision qu'il avait rendue :

[...] on ne peut considérer la décision [...] comme une décision du Ministre. Elle est donc invalide.

Donc, tout ce qui en découlait était nul.

[60] Il en va de même dans la présente affaire. Je statue que le prétendu règlement qui est l'objet de l'appel en l'espèce n'était pas valide. Il ne s'agit donc pas d'une décision du ministre et il est sans effet. Il n'y a en conséquence rien qui puisse faire l'objet d'un appel, et les parties reviennent à la case départ.

[61] Comme le règlement de la question n'est pas valable, il ne convient pas qu'il soit infirmé, confirmé ou modifié en vertu du paragraphe 70(2) de la Loi.

Signé à Calgary (Alberta) ce 14e jour de janvier 1999.

“ Michael H. Porter ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de février 1999.

Erich Klein, réviseur

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