Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19981027

Dossier: 96-1925-IT-I

ENTRE :

GILLES FILLION,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1] Il s’agit d’un appel concernant le crédit d’impôt pour déficience physique grave et prolongée, prévu à l’article 118.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[2] La cause de la déficience est la fibrose kystique des deux enfants de l’appelant. Le crédit est demandé par le père des enfants en vertu du paragraphe 118.3(2) de la Loi.

[3] L’année fiscale en cause est l’année 1994.

[4] Les docteurs Georges B. Rivard et André M. Cantin, madame Denise Harvey et l’appelant ont témoigné à la demande de l’avocate de l’appelant. Aucun témoin n’a témoigné pour l’intimée.

[5] Les enfants de l’appelant et de sa conjointe, madame Denise Harvey sont Marc-André et Patricia. Le premier est né en 1981, le deuxième, en 1984. Madame Harvey a expliqué que Patricia avait neuf mois quand il fut découvert que les deux enfants souffraient de fibrose kystique. Jusqu’à ce moment, on considérait Marc-André comme souffrant d’asthme chronique. Les tests sur Patricia ayant montré qu’elle souffrait de fibrose kystique, on les fit également subir à Marc-André qui a manifesté les mêmes symptômes.

[6] Madame Harvey a expliqué que le traitement exige deux fois par jour des séances d’inhalothérapie et de tapotement. Il faut compter 30 minutes pour le traitement d’inhalothérapie. En plus du traitement lui-même, il y a la préparation de l'aérosol et le nettoyage du compresseur à la fin à la fin de la session. Il faut aussi compter 30 minutes pour le tapotement. Ce qui fait un total de quatre heures pour les deux enfants. En plus de ces traitements, il faut tous les jours négocier avec les enfants pour que les traitements soient suivis et les médicaments pris.

[7] Si la famille prévoit une activité, il faut apporter les compresseurs et autres appareils nécessaires à l’inhalothérapie et au tapotement. S’il y a des sorties familiales, il faut prévoir de gros bagages. Les parents n’ont jamais pris de vacances seuls depuis les 18 ans qu’ils sont mariés.

[8] Les enfants sont susceptibles aux infections pulmonaires et il arrive souvent aux parents d’avoir à aller les chercher à l’école parce qu’ils souffrent de toux trop forte. Madame Harvey a estimé de 25 à 40 jours par année scolaire. Les enfants participent aux activités physiques de l’école avec modération. Au début, la famille se rendait une fois par mois au Centre Hospitalier de l'Université Laval ( « CHUL » ) à Québec. Ensuite, ce fut à tous les deux mois. Maintenant, elle s’y rend à tous les trois mois. La famille habite dans la région de Charlevoix.

[9] La mère des enfants explique que la fibrose kystique a des effets sur le système respiratoire mais a aussi des effets sur la digestion des aliments. Le pancréas ne produit pas les enzymes nécessaires à la digestion ce qui fait qu’à moins de prise de médicaments la personne ne digère pas. La capacité d’évacuation intestinale est donc différente d’une autre personne. Pour les enfants l’utilisation des toilettes de l’école est un grand problème car les selles ont une odeur nauséabonde. De plus, cette absence de digestion cause des maux de ventre. La prise d’enzymes obtempère à cette non-assimilation des aliments, mais pas en totalité car il faut doser la quantité d’enzymes prises pour ne pas causer plus de problèmes. Cette difficulté d’assimilation des aliments fait que les enfants doivent manger en plus grande quantité. Malgré cela, ces enfants demeurent plus petits et plus frêles que les autres enfants. En ce qui concerne l’évacuation intestinale, alors qu’une personne normale le fait environ une fois par jour, pour eux il faut penser à deux ou trois fois par jour.

[10] Le docteur Rivard est un des médecins traitants des enfants de l’appelant. Il est médecin pédiatre oeuvrant au CHUL depuis 1976. Il est co-directeur de la clinique de fibrose kystique. Cette clinique est composée de quatre pédiatres et d'autres professionnels dont notamment une travailleuse sociale. Ces professionnels constituent une équipe. Les enfants peuvent être vus par l’un ou l’autre des pédiatres mais le cas de chacun est discuté à des réunions hebdomadaires où les professionnels participent. Le docteur Rivard a produit comme pièce A-5, un rapport médical sur chacun des deux enfants.

[11] Les enfants Fillion ont commencé à être vus à cette clinique en mai 1985. Le docteur Rivard a expliqué qu’il faut quotidiennement des suppléments pancréatiques, des vitamines et parfois des antibiotiques. Dans ce dernier cas, ce sera quotidien s’il y a des infections respiratoires autrement la prise d’antibiotiques sera intermittente. Dans le cas des enfants Fillion, pour des raisons médicales, il y a prise d’antibiotique tous les jours. Ces antibiotiques sont mélangés à l’aérosol. Il faut deux fois par jour un traitement d’inhalothérapie et un traitement de physiothérapie. Ce dernier traitement consiste à frapper sur le thorax et le dos des enfants. Quand les enfants sont jeunes, le traitement est habituellement donné par les parents. Quand l’enfant vieillit, il peut se le donner lui-même à l’aide d’un appareil ou encore il peut demander à un ami de le lui faire.

[12] Marc-André a été hospitalisé en juin 1994, sa capacité respiratoire ayant alors diminué à 39 pour-cent. Par la suite elle est remontée à 65 pour-cent. Patricia n’a aussi été hospitalisée qu’une fois et c’était pour des polypes nasaux qui n’étaient pas vraiment reliés à la fibrose kystique. Toutefois, depuis 1991 elle souffre de bronchite chronique et sa capacité respiratoire est à 60 pour-cent.

[13] Le docteur Rivard explique qu'il s’agit d’une maladie sévère qui causait autrefois des décès précoces. Aujourd’hui l’espérance de vie a été prolongée mais au prix d’une morbidité plus importante. L’adhérence des parents et des enfants aux traitements quotidiens est vitale. Les enzymes pancréatiques doivent être prises à chaque repas et collation. Il en va de même du surplus vitaminique. En ce qui concerne l’évacuation intestinale, elle est abondante et nauséabonde et survient deux à trois fois par jour. L’usage des toilettes publiques est perturbant et dérangeant. Cette difficulté de digestion a des effets sur la croissance, sur le nombre des selles et cause des maux de ventre.

[14] Les certificats complétés par le docteur Pierre Bigonesse et produits comme pièces A-2 et A-3 indiquaient que les enfants pouvaient exercer chacune des activités décrites au questionnaire, formule T2201A(F). Ces activités sont ainsi décrites : vue, marcher, élocution, facultés mentales, ouïe, se nourrir et s’habiller, élimination. Le médecin a de plus répondu négativement à la question à savoir si la déficience était suffisamment grave pour limiter en tout temps ou presque, les activités essentielles de la vie quotidienne même en utilisant des appareils appropriés, des médicaments ou en suivant une thérapie. Le docteur Rivard a dit qu’il aurait probablement répondu de même au questionnaire parce qu'à son avis le questionnaire ne posait pas toutes les questions pertinentes. Il dit que le questionnaire antérieur comportait dans la description de la déficience une case intitulée autre qui permettait au médecin de préciser la nature de la déficience. Le questionnaire antérieur, complété en 1990 par le docteur Rivard, a été déposé comme pièce I-1. Le document se référait à une lettre annexée qui a été déposée comme pièce A-4 et qui exprime très bien les problèmes et le temps excessif qu'une personne sujette à cette maladie doit consacrer pour assurer sa capacité respiratoire.

[15] Le docteur Rivard ajoute que le questionnaire actuel ne prévoit pas la fonction de respirer qui est en cause dans la fibrose kystique. Pour obtenir un maintien de cette fonction à un degré bien en deçà de la normale, un individu doit y consacrer plus de deux heures par jour. Il faut aussi ajouter le temps des parents. En plus de l’individu qui subit le traitement le parent doit y participer. Le parent doit porter une attention constante à son enfant.

[16] Le docteur Cantin a témoigné à titre de témoin expert. Il est pneumologue pour les adultes et s’occupe des patients à l’âge adulte souffrant de fibrose kystique. Il est également un chercheur à la faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke. Quoique tout le rapport de cinq pages du docteur Cantin est d’un grand intérêt et serait à citer, je citerai deux extraits de ce rapport pour les fins de ces motifs :

Qu’est-ce que la fibrose kystique :

La fibrose kystique est la maladie héréditaire fatale la plus fréquente au Canada. Elle est causée par un défaut dans le gène fibrokystique localisé sur le chromosome 7. Environ une personne sur vingt au Canada est porteuse d'un gène fibrokystique anormal. Lorsque les deux conjoints d'un couple sont porteurs d'un gène défectueux, il y a un risque de un sur quatre d'avoir un enfant porteur de la maladie fibrose kystique. Pour chaque 2,000 naissances, un enfant sera porteur de cette maladie.

La fibrose kystique atteint tous les tissus dont la fonction implique la production de sécrétions. Parmi les organes les plus touchés dans la fibrose kystique, il y a les poumons, le pancréas, les intestins et le système reproducteur. Les symptômes de cette maladie sont causés par une augmentation importante de la viscosité des sécrétions provoquant une obstruction de ces différents organes avec éventuellement une destruction tissulaire et une insuffisance fonctionnelle de ces multiples organes.

...

Temps à consacrer pour le traitement de la fibrose kystique :

Le traitement habituel d'un patient de fibrose kystique comprend des sessions d'inhalothérapie, de physiothérapie, la prise de nombreux médicaments et l'aérosolisation d'antibiotiques et de bronchodilatateurs ainsi que de mucolytiques par inhalothérapie. Le tout exige les temps suivants :

- aérosolisation d'antibiotiques, 20 minutes, 2 à 3 fois par jour;

- aérosolisation de Pulmosyme (mucolytique), 20 minutes, 1 fois par jour;

- cession de physiothérapie respiratoire par drainage postural, 30 minutes, 2 fois par jour;

- prises de nombreux médicaments par comprimés ainsi que parfois des injections d'insuline, 5 minutes, 4 fois par jour;

- prises de suppléments alimentaires et diète hypercalorique, 5-10 minutes par repas.

Total du temps consacré au traitement quotidien de la fibrose kystique : 2-3 heures.

Cet estimé du temps nécessaire pour traiter la fibrose kystique ne tient pas compte des nombreux traitements aux antibiotiques qui sont de plus en plus administrés par voie intraveineuse à domicile. Il s'agit donc d'un estimé réaliste et relativement conservateur.

[17] Le paragraphe 118.4(1) de la Loi se lit comme suit :

Pour l’application du paragraphe 6(16), des articles 118.2 et 118.3 et du présent paragraphe :

a) une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d’affilée ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’elle dure au moins 12 mois d’affilée;

b) la capacité d’un particulier d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée seulement si, même avec des soins thérapeutiques et l’aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ouincapable d’accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif;

c) sont des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier :

(i) la perception, la réflexion et la mémoire,

(ii) le fait de s’alimenter et de s’habiller,

(iii) le fait de parler de façon à se faire comprendre, dans un endroit calme, par une personne de sa connaissance,

(iv) le fait d’entendre de façon à comprendre, dans un endroit calme, une personne de sa connaissance,

(v) les fonctions d’évacuation intestinale ou vésicale,

(vi) le fait de marcher;

d) il est entendu qu’aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n’est considérée comme une activité courante de la vie quotidienne.

[Le souligné est de moi].

[18] L'avocate de l'appelant a fait valoir que même si la respiration n'était pas décrite à l'alinéa 118.4(1)c) de la Loi, il fallait la considérer au même titre que les activités décrites à cet alinéa et qu'autrement cela irait à l'encontre de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle a donc fait valoir que pour assurer leur capacité respiratoire les enfants prenaient chaque jour un temps excessif.

[19] L'avocate de l'intimé a informé la Cour qu'il n'a jamais été une vue de l'intimée que la capacité respiratoire ne constituait pas une activité essentielle puisqu'elle est à la base de toutes les activités mentionnées à l'alinéa 118.4(1)c) de la Loi. Elle se réfère toutefois aux décisions de cette Cour dans les cas de diabète juvénile où il a été trouvé que l'enfant pouvait exercer les activités essentielles de la vie quotidienne à l'aide de médicaments.

[20] Je me réfère à la décision la plus récente en cette matière de la Cour d'appel fédérale dans Johnston c. La Reine, [1998] A.C.F. No. 169 (Q.L.) (C.A.F.), qui a porté son attention sur ce qui peut constituer un temps excessif, en regard des activités essentielles à la vie quotidienne. Je cite les paragraphes 16 à 18 :

[16] Pour avoir droit au crédit d'impôt prévu à l'art.118.3, le contribuable atteint d'une déficience physique grave et prolongée doit établir que sa capacité d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limité de façon marquée.

[17] Il a déjà été défini que l'expression « limitée de façon marquée » renvoyait à l'incapacité d'une personne, en tout temps ou presque, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne. En outre, on considère que la capacité d'une personne est limitée de façon marquée si cette dernière doit consacrer un temps excessif pour accomplir une telle activité.

[18] On n'a pas défini ce qui constitue un temps excessif pour accomplir les activités courantes de la vie quotidienne. À mon avis, l'expression « temps excessif » renvoie à un temps beaucoup plus long que celui que doivent normalement consacrer à ces activités des personnes en santé. Il implique une différence marquée d'avec ce que l'on considère normal.

   [Le souligné est de moi]

[21] Je suis d'avis que la preuve a clairement démontré, sans l'ombre d'un doute, que les enfants de l'appelant doivent consacrer, pour assurer leur capacité respiratoire, un temps beaucoup plus long que celui que doivent normalement consacrer les personnes en santé.

[22] En conséquence l'appel est accordé avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour d'octobre, 1998.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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