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Date: 20000327

Dossier: 98-1305-IT-G

ENTRE :

MICHAEL NORWOOD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de l'ordonnance

Le juge McArthur, C.C.I.

[1] L'appelant demande à la Cour, par voie de requête présentée en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, de conclure que le ministre du Revenu national a basé une cotisation sur des documents obtenus au moyen de perquisitions et de saisies abusives qui ont porté atteinte aux droits de l'appelant reconnus par l'article 8 de la Charte. Cette cour doit d'abord décider s'il y a eu une perquisition ou une saisie abusive et, dans l'affirmative, quelle réparation, le cas échéant, devrait être accordée. L'audition de l'appel a été ajournée indéfiniment pendant le règlement de la requête. La preuve a été présentée au cours d'une période de deux jours et l'argumentation a eu lieu le troisième jour. Les parties au litige ont présenté des observations écrites détaillées ainsi que de nombreux textes faisant autorité. Koshy E. Koshy, Tom Armour et Kevin O'Reilley ont été appelés à témoigner par l'appelant.

[2] Les faits qui sont pertinents selon moi à la question de savoir si l'article 8 de la Charte a été violé sont les suivants. Après une vérification, le ministre du Revenu national a ajouté au revenu de l'appelant les montants de 4 867 $, de 41 493 $ et de 65 806 $ pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993, respectivement. Au début de février 1995, l'appelant a été informé que Revenu Canada procéderait à une vérification à son sujet et à celui de 450344 Ontario Inc.[1] (la “ société ”) en vertu de l'article 231.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu. La société exploite un restaurant et un bar (le “ Silver Dollar ”). Le vérificateur du ministre, M. O'Reilley, s'est présenté aux bureaux du cabinet d'expertise comptable représentant l'appelant et la société, Connelly, Koshy & Frouin (“ CKF ”). Le vérificateur a traité avec deux comptables, M. Koshy, C.A., et un employé, M. Armour, C.G.A.[2] On a demandé au vérificateur d'utiliser un bureau qu'on lui avait assigné et de demander les documents dont il avait besoin à M. Armour. Plusieurs grandes boîtes de chèques payés et d'autres documents demandés ont été fournis au vérificateur.

[3] M. O'Reilley a commencé sa vérification dans les bureaux des comptables vers la mi-février 1995. Son bureau assigné n'avait pas de téléphone. Le 23 mars, alors qu'il savait que M. Koshy et M. Armour étaient absents d'Ottawa, il est entré dans le bureau de M. Armour afin d'utiliser le téléphone. Pour faire cela, il devait aller dans un bureau attenant qui était libre et qui avait un téléphone. Il devait ouvrir la porte du bureau de M. Armour qui était fermée mais non verrouillée. Après avoir terminé son appel et avant de quitter le bureau, il a vu un dossier sur une tablette de rangement qui était identifié sur sa couverture comme un dossier de la société. Il a apporté le dossier dans son bureau et a photocopié des notes manuscrites (les “ notes ”) apparemment prises par M. Armour au cours de l'entretien initial avec l'appelant le 11 décembre 1992. Il a ensuite rapporté le dossier à son endroit original dans le bureau de M. Armour sans en faire mention à l'appelant ni à ses comptables. Les inscriptions sur la note qui ont attiré l'attention du vérificateur comprennent :

[TRADUCTION]

2. Droits d'entrée pour les nouveaux venus – 2 $ par personne

Budget de Mike donné à son épouse

Environ 1 000 $ par semaine

c.-à.-d. revenu non déclaré

13. Sources d'argent – en espèces

– Tables de billard

– Machines à sous de type récréatif

– Machines à poker

– 2 $, huard (illisible)

– Revenu non déclaré

– Mike doit penser à déclarer son revenu à l'avenir[3]

[4] Quatre ans plus tard, au cours d'un échange de documents, l'appelant et ses représentants se sont rendu compte de l'existence et du contenu des notes qui ont entraîné la présentation de la présente requête. L'appelant crie à l'injustice et à la violation de l'article 8 de la Charte. L'intimée soutient que la perquisition et la saisie représentaient une fouille acceptable du point de vue administratif en vertu de l'article 231.1 de la Loi dont la disposition est constitutionnellement valide. L'appelant ne conteste pas la constitutionalité de l'article 231.1, mais soutient que le vérificateur a outrepassé l'autorité qui lui a été accordée. Les alinéas 231.1(1)a), c) et d) sont ainsi formulés :

231.1(1) Une personne autorisée peut, à tout moment raisonnable, pour l'application et l'exécution de la présente loi, à la fois :

a) inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d'un contribuable ainsi que tous documents du contribuable ou d'une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit à tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

b) [...]

à ces fins, la personne autorisée peut :

c) sous réserve du paragraphe (2)[4], pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est gardé un bien, est faite une chose en rapport avec une entreprise ou sont tenus ou devraient l'être des livres ou registres;

d) requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, du bien ou de l'entreprise ainsi que toute autre personne présente sur les lieux de lui fournir toute l'aide raisonnable et de répondre à toutes les questions pertinentes à l'application et l'exécution de la présente loi et, à cette fin, requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, de l'accompagner sur les lieux.

[5] Les dispositions de l'article 231.1 accordent des pouvoirs très étendus à un vérificateur de Revenu Canada. M. O'Reilley avait le droit d'entrer dans les bureaux du comptable, d'avoir accès aux documents pertinents du contribuable et de demander au contribuable et à ses comptables de lui offrir une aide raisonnable. Est-ce que cela comprend le droit d'entrer dans le bureau fermé d'un comptable en son absence et de prendre un dossier posé sur une tablette qui ne lui avait pas auparavant été offert et qu'il n'avait pas demandé? Je ne crois pas.

[6] M. O'Reilley a indiqué dans son témoignage qu'avant d'entrer dans le bureau privé de M. Armour, il y avait été conduit par une employée du cabinet d'expertise comptable. Il ne pouvait se rappeler d'autre détail au sujet de cette personne que son sexe. Il croyait également que la porte du bureau de M. Armour était ouverte, mais n'en était pas très sûr. M. Koshy a déclaré qu'il avait interrogé son personnel et que personne ne se rappelait avoir conduit M. O'Reilley au bureau de M. Armour. De plus, d'après la preuve je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la porte du bureau de M. Armour était fermée avant que M. O'Reilley y entre. M. Armour a de vieilles habitudes et il est reconnu pour toujours fermer sa porte lorsqu'il quitte le bureau.

[7] M. O'Reilley a replacé le dossier sans mentionner à M. Armour au cours des nombreuses discussions qui ont suivi l'incident qu'il avait pris le dossier et retiré un document en son absence. Il s'agit probablement de l'un de ces cas où une personne honnête cherchant à se rappeler des événements qui se sont déroulés il y a quatre ans considère ces événements à la lumière de ses propres intérêts actuels et souhaite présenter son comportement antérieur sous l'angle le plus favorable possible.

[8] Je crois qu'on s'attend à ce que les vérificateurs de Revenu Canada adoptent une approche plus franche et une norme plus élevée. Au cours de plusieurs rencontres avec l'appelant et ses représentants après le 23 mars 1995, les agents du ministère du Revenu national n'ont jamais mentionné qu'ils avaient en leur possession des copies de ces notes qui compromettaient la position de l'appelant. Ce n'est pas un cas où on a fait preuve de bonne foi. Cela renforce la conclusion selon laquelle les notes ont été obtenues clandestinement et sans apparence de droit. Leur comportement était celui de quelqu'un qui a quelque chose à cacher. Je ne crois pas que les actions de M. O'Reilley soient très éloignées du fait d'entrer dans un endroit avec une clé en pleine nuit. Ce type de comportement n'est pas prévu par les alinéas 231(1)c) et d) de la Loi malgré les pouvoirs étendus accordés à un vérificateur. Un type de comportement a été établi lorsque M. O'Reilley est entré dans les bureaux de CKF. On lui a fourni tous les documents qu'il avait demandés lorsqu'il les a demandés. L'appelant et ses représentants étaient en droit de s'appuyer sur cette procédure et de ne pas être soumis à des fouilles de dossier secrètes. CKF fait l'objet d'une moyenne de 20 vérifications de Revenu Canada par année et, lorsqu'on leur demande des documents, ils ont coutume de les fournir.

[9] L'avocat de l'intimée a soutenu que la fouille portait sur les livres et les registres de la société qui exploitait le Silver Dollar et que l'appelant n'avait pas un intérêt personnel dans la confidentialité des livres de la compagnie. La société était à son tour la propriété de 947014 Ontario Inc., et l'appelant possédait toutes les actions des compagnies 450344 et 947014. L'avocat de l'intimée a exhorté la Cour à examiner le contexte. Il a déclaré qu'il s'agissait d'une vérification de la société et qu'il ne pouvait y avoir de demandes exagérées de confidentialité. L'article 231 exige la divulgation. Il croit qu'il ne s'agissait pas d'un dossier personnel de l'appelant qui a été fouillé par M. O'Reilley, mais un dossier appartenant à 450344. L'avocat a insisté sur le fait que le facteur le plus important est qu'il s'agit d'une vérification menée en vertu de dispositions législatives. Il n'existe pas de secret professionnel entre un comptable et son client. Il a ajouté qu'il s'agissait d'une fouille civile et non criminelle.

[10] Je n'ai aucune difficulté à conclure que la vérification s'étendait à l'appelant personnellement. La pièce A-2 est une lettre datée du 6 février 1995 de M. O'Reilley adressée à la société 450344 qui comprend :

[TRADUCTION]

M. Norwood,

L'objet de la visite est d'examiner vos livres et vos registres et d'obtenir des renseignements supplémentaires qui pourraient être nécessaires relativement aux déclarations de revenus de société et à vos déclarations de revenus personnelles. [...]

De plus, la pièce A-6 est une note de service datée du 27 mai 1996 de M. O'Reilley adressée à M. Koshy déclarant :

[TRADUCTION]

Comme vous l'avez demandé, vous trouverez en annexe des copies des annexes et des formulaires pertinents à la vérification relative à 450344 Ontario Inc. (s/n Silver Dollar) et à Michael Norwood.

[11] L'intimée a soulevé le fait que M. Armour était employé par la société 729024 Ontario Inc. qui était contrôlée par CKF. Cela n'a aucun effet sur la procédure actuelle. Elle, 729024, était une société silencieuse pour les besoins internes de CKF. L'appelant croyait à tout moment qu'il faisait affaire avec CKF en général et en particulier avec M. Koshy et son employé, M. Armour.

[12] L'intimée a soulevé la question de savoir si l'appelant avait un droit personnel à la confidentialité. Je suis d'avis que les notes ne constituent pas des dossiers financiers ni ne sont “ les livres et registres d'un contribuable ainsi que tous documents [...] qui [...] peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer [...] ”.[5] Les notes ne contiennent pas des renseignements qui devraient figurer dans les livres et les registres. Elles semblent n'être que des remarques de M. Armour prises pendant une conversation privée et personnelle entre un comptable et son client. Ce serait incompatible avec la perception du public de la primauté du droit et de l'obligation d'agir de bonne foi qu'un fonctionnaire de Revenu Canada perquisitionne et saisisse secrètement un document et utilise ensuite son contenu afin d'établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant. Je n'adhère pas à la position de l'intimée selon laquelle s'il existait un droit à la confidentialité, le droit était celui de la société et non celui de M. Norwood qui est celui qui a présenté la présente requête. L'intimée a soutenu que le contexte est primordial et, qu'en vertu du paragraphe 231.1(1), le vérificateur avait le droit d'obtenir le dossier. Je crois que la vision du contexte par l'appelant est plus exacte. Il est le président et l'unique actionnaire de la société et de 947014. Du point de vue d'un profane, il mêle les actions qu'il pose à titre personnel avec celles qu'il pose au nom des sociétés. De toute évidence, la vérification le concernait personnellement. Les notes, dont il nie l'exactitude, font partie d'un échange très personnel entre un client et son comptable qu'il espérait confidentiel. En vertu des règles de l'éthique professionnelle de l'Institut des comptables agréés de l'Ontario[6], les comptables agréés ne peuvent

[TRADUCTION]

[...] divulguer ou utiliser toute information confidentielle concernant les affaires de tout client, ancien client, employeur ou ancien employeur, sauf [...]

(c) lorsqu'une telle information doit être divulguée par ordre d'une autorité légale ou, dans l'exercice correct de leurs fonctions, par le Conseil, le comité d'éthique professionnelle ou tout sous-comité, le comité de discipline, le comité d'appel ou le comité d'inspection professionnelle : [...] [7]

Cette exigence s'applique à tout comptable non agréé qui est employé par un comptable agréé[8]. Si la conversation a eu lieu, l'appelant ne peut de toute évidence être considéré avoir parlé au nom de la société uniquement. Il s'agit d'un concept indéfendable.

[13] La Cour a conclu dans l'arrêt R. c. McKinlay Transport[9] que l'intérêt privé qu'un contribuable possède à l'égard de documents comptables est relativement bas vis-à-vis de celui du ministre. Je ne crois pas que les notes constituent des documents comptables envisagés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt McKinlay.

[14] Je ne crois pas que le paragraphe 231.1(1) prévoit que le vérificateur du ministre puisse entrer dans le bureau privé d'un comptable, par une porte fermée, en son absence et prendre un dossier qui se trouve sur une étagère. Je ne crois pas qu'il y a été conduit par une employée de CKF. La Loi a défini une ligne de conduite à suivre que M. O'Reilley aurait pu adopter afin d'obtenir accès au bureau de M. Armour et à ses dossiers pertinents[10].

[15] Maintenant qu'il est conclu que le vérificateur a outrepassé le pouvoir qui lui avait été accordé en vertu de l'article 231.1, les droits de l'appelant en vertu de l'article 8 de la Charte ont-ils été violés et, si oui, quelle réparation, le cas échéant, devrait être accordée? L'article 8 et les paragraphes 24(1) et (2) sont ainsi formulés :

8 Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

24(1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

[16] Comme il a été précédemment déclaré, l'avocat de l'intimée soutient que, pour qu'une demande en vertu de la Charte soit intentée, un droit personnel doit avoir été violé. Dans ses observations écrites, il a déclaré :

[TRADUCTION]

Une analyse de l'article 8 exige deux enquêtes distinctes : i) la conduite de l'État attaquée a-t-elle porté atteinte aux attentes raisonnables de confidentialité du requérant? ii) Si oui, cette atteinte était-elle raisonnable? Il revient au requérant de démontrer que son attente raisonnable de confidentialité individuelle est en jeu. S'il ne peut le faire, il n'est pas besoin d'aller plus loin dans cette démarche. Si le requérant peut démontrer une attente raisonnable de confidentialité, il doit alors démontrer que les fouilles constituaient une atteinte déraisonnable à cette attente de confidentialité.

L'avocat a déclaré que c'était ici que l'argument de l'appelant échouait et a renvoyé la Cour aux principes découlant de l'arrêt Edwards c. La Reine[11]. Selon ces principes, l'article 8 doit protéger un droit personnel ou celui d'une personne à la confidentialité et la Cour doit décider si la fouille était raisonnable en examinant l'ensemble des circonstances.

[17] Dans l'arrêt Edwards, comme la Cour a conclu qu'aucun droit personnel n'avait été touché par la conduite de la police au moment d'une fouille dans les bureaux d'une tierce partie, elle a décidé que le requérant ne pouvait contester l'admissibilité de la preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte. Je souscris au raisonnement de l'arrêt R. v. Jarvis[12]. Après avoir révisé les lignes directrices de l'arrêt Edwards et en se basant sur d'autres jugements, le juge Fradsham de la cour provinciale de l'Alberta a conclu que Jarvis, un contribuable, avait une attente raisonnable de confidentialité relative à ses documents qui se trouvaient en la possession de son comptable. La Cour a conclu que les documents appartenaient à Jarvis et avaient été remis par lui à son comptable à la suite d'un malentendu selon lequel il ferait l'objet d'une vérification en vertu du paragraphe 231.1(1) de la Loi. La Cour a conclu que Jarvis avait une attente raisonnable de confidentialité en ce qui a trait aux documents qui avaient été saisis dans le bureau de son comptable sans un mandat et que la saisie était déraisonnable. Dans l'affaire Donovan c. La Reine[13], les remarques suivantes de la juge Lamarre Proulx de cette cour sont pertinentes à la situation actuelle :

L'article 8 de la Charte, qui prévoit que chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, s'applique aux inspections administratives. Ces inspections ne doivent pas être abusives. Les normes à appliquer sont différentes de celles qui s'appliquent en matière pénale, comme le montre l'arrêt McKinlay (précité). Dans le contexte réglementaire et administratif, la norme est fixée par rapport à l'attente relative au respect du droit à la protection de la vie privée et au but législatif visé. [...]

[18] Dans l'arrêt Jarvis, la Cour a reconnu l'existence d'une relation confidentielle entre un comptable et son client. Il ne s'agit pas d'un privilège qui est respecté dans la Loi entre un avocat et son client. Ce droit à la confidentialité ne l'emporte pas sur les dispositions de la Loi, mais une procédure appropriée doit être adoptée en vertu de la Loi. L'appelant a indiqué dans son témoignage qu'il s'attendait à ce que les renseignements qu'il avait fournis à son comptable ainsi que le contenu des dossiers soient conservés en toute confidentialité. Cette confidentialité a été reconnue par l'Institut des comptables agréés de l'Ontario aux règles 210.1 et 210.2[14]. Selon la preuve, je suis convaincu que l'appelant lui-même était un client de CKF ainsi que ses sociétés. Conformément à la Loi, en demandant un mandat, le ministre aurait pu obtenir le dossier y compris les notes. L'attente raisonnable de confidentialité doit être déterminée en tenant compte de l'ensemble des circonstances. L'article 231.1 n'accorde pas au représentant du ministre le pouvoir complet de faire ce qu'il souhaite. Il existe une procédure dans la Loi qu'il doit suivre. L'appelant avait une attente raisonnable de confidentialité relativement aux notes. La perquisition et la saisie du vérificateur étaient déraisonnables en vertu de l'article 8 de la Charte.

[19] Avant l'arrêt Gernhart c. La Reine, [2000] 2 C.F. 292 (99 DTC 5749), le ministre était, en vertu du paragraphe 176(1) de la Loi, tenu de transmettre à la Cour canadienne de l'impôt tous les documents pertinents relatifs à un appel. La Cour d'appel fédérale a conclu que le paragraphe 176(1) créait une intrusion importante dans le droit à la confidentialité d'un contribuable et constituait une saisie déraisonnable en violation de l'article 8 de la Charte. La Cour a conclu qu'un contribuable possédait un droit à la confidentialité relativement au contenu d'une déclaration de revenus. En appliquant le raisonnement de l'arrêt Gernhart à la situation en cause, il est logique de conclure que l'appelant possédait un droit à la confidentialité dans le contenu des notes prises par son comptable au cours d'un entretien privé.

[20] Les notes contenaient des renseignements personnels, qu'ils soient exacts ou non. Le vérificateur s'est basé sur ces renseignements. Pendant l'interrogatoire préalable de M. O'Reilley par l'avocat de l'appelant, Me Vanier, en octobre 1999, l'échange suivant au sujet des notes a eu lieu :

[TRADUCTION]

Q. ... Pour ce qui est du no 2[15], qu'est-ce que vous connaissez, comprenez et croyez au sujet de ce qu'indique le no 2?

R. Il semble que le propriétaire gagne environ 1 000 $ par semaine en droit d'entrée et qu'il ne le déclare pas.

Q. D'accord. C'est votre interprétation?

R. Oui.

Q. À quelle date avez-vous obtenu ce document? Est-ce la même date que celle qui est inscrite là, le 28 mars 1995?

R. Oui. M. Koshy était à Shawville à ce moment-là, je crois.

(Transcription, page 41)

[...]

Q. [...] Pour ce qui est de la note 13[16], il y a un autre astérisque là. Que signifie cette note à votre connaissance et selon vos renseignements?

R. Pour moi, elle indique que le propriétaire avait toutes ces sources individuelles de revenu qu'il ne déclare pas et qu'il songe à les déclarer à l'avenir. (Transcription, page 44)

[21] M. O'Reilley a indiqué dans son témoignage que la cotisation finale n'a pas été complétée suivant l'avoir net. Il a déclaré que les renseignements dans les notes étaient utilisés comme fondement pour “ notre cotisation ” et que “ elles nous ont été utiles, oui ”[17]. Il semble que deux questions aient été présentées à la Cour dans l'avis d'appel, à savoir le revenu provenant des tables de billard et la différence entre les reçus des caisses enregistreuses et les déclarations de TPS et de T.V.P. et le revenu déclaré dans les déclarations financières.

[22] L'appelant admet avoir omis de déclarer des revenus provenant des tables de billard d'un montant de 4 867 $ en 1991, de 18 604 $ en 1992 et de 20 028 $ en 1993. Ces montants ont été facilement détectés. Les tables de billard appartenaient à Regent Vending, et les revenus étaient divisés à parts égales avec Regent qui remettait à l'appelant ou à la société un chèque représentant 50 p. 100 de la part. L'intimée déclare qu'elle est parvenue aux montants supplémentaires de 22 889 $ en 1992 et de 45 776 $ en 1993 après une révision des reçus des caisses enregistreuses et des relevés bancaires qui révélaient des différences entre les ventes et les dépôts bancaires après avoir admis un montant de 93 019 $ en charges en trésorerie non documentées.

[23] Dans l'affaire O'Neill Motors Limited c. La Reine[18], le juge Bowman était confronté à la question de savoir quelle réparation, le cas échéant, était offerte à un appelant en vertu de l'article 24 de la Charte en raison des nouvelles cotisations établies en fonction de renseignements et de documents obtenus à la suite d'une perquisition et d'une saisie illégales qui ont porté atteinte aux droits de l'appelant que lui reconnaît l'article 8 de la Charte. Il a conclu que les nouvelles cotisations devraient être annulées, car, en l'absence de telles preuves, le ministre ne pourrait justifier les nouvelles cotisations ou les pénalités. À la page 25, (DTC : à la page 1496), le juge Bowman a ajouté la mise en garde suivante :

Je ne voudrais pas que la conclusion que j'ai tirée en l'espèce soit considérée comme sanctionnant dans tous les cas l'annulation des cotisations établies par le ministre, lorsqu'elles sont en partie fondées sur des renseignements obtenus d'une façon inconstitutionnelle. Il peut y avoir des cas dans lesquels il suffit d'exclure l'élément de preuve, d'autres cas dans lesquels l'élément a peu d'importance ou n'en a aucune aux fins de l'établissement des cotisations ou dans lesquels son utilisation ne déconsidérerait pas l'administration de la justice, alors que dans d'autres cas encore, la solution préconisée dans le jugement Suarez s'imposerait. En exerçant le pouvoir discrétionnaire qui lui est dévolu par l'article 24 de la Charte, la Cour doit veiller à établir l'équilibre entre les droits protégés par la Charte et le fait qu'il est important de maintenir l'intégrité du régime d'autocotisation. Au fur et à mesure que des cas se présenteront, ces facteurs et, sans aucun doute, d'autres facteurs s'appliqueront et il faudra accorder à chacun d'eux son importance relative. Compte tenu des circonstances de l'affaire, j'ai conclu qu'il convient d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de façon à annuler les cotisations.

[24] L'arrêt O'Neill Motors[19] a été confirmé par la Cour d'appel fédérale et le juge Linden a appuyé cette déclaration en affirmant à la page 190 (DTC : à la page 6428) :

Je tiens particulièrement à souligner les termes employés par le juge de la Cour de l'impôt, qui emportent ma complète adhésion, selon lesquels ce genre de mesure de redressement extrême ne doit pas être accordé automatiquement, mais être réservé aux cas de graves atteintes aux droits pour lesquels les autres réparations s'avèrent insuffisantes.

Quelle réparation, le cas échéant, est offerte à l'appelant? L'appelant soutient que les nouvelles cotisations étaient fondées sur les renseignements obtenus par la violation de l'article 8 de la Charte et que, par conséquent, elles devraient être annulées entièrement. Il appuie sa position sur l'arrêt O'Neill Motors. La situation dans cet appel différait de celle de la présente affaire puisqu'un exposé conjoint des faits incluait l'admission selon laquelle les cotisations ne pourraient être maintenues sans la présence d'éléments de preuve viciés. Cette admission était essentielle à la décision du juge Bowman d'annuler les nouvelles cotisations.

[25] Les faits dans le présent appel peuvent être facilement distingués et ne peuvent justifier la réparation de l'arrêt O'Neill Motors qui, à mon avis, serait excessive. En résumé, M. O'Reilley est entré dans le bureau de M. Armour à un moment où il savait que ce dernier était à l'extérieur de la ville pour une journée. Bien qu'il ait possiblement utilisé le téléphone de M. Armour, il a alors agi d'une manière qu'il savait, ou du moins qu'il aurait dû savoir, exiger une autorisation appropriée. Sans autorisation, il a pris un dossier sachant que celui-ci concernait la société. Il a apporté ce dossier au bureau qu'on lui a assigné et a retiré les notes. Il a rapporté le dossier et n'a pas parlé de l'incident à l'appelant ou à ses représentants. Les renseignements tirés à partir des notes ont aidé à l'enquête et à l'établissement des nouvelles cotisations finales de l'intimée. La preuve n'a pas été dévoilée par le ministre pendant quatre ans. Le cours de l'enquête se situait à l'extérieur de la portée du paragraphe 231.1(1). Des méthodes de rechange en vertu de l'article 231.2 étaient disponibles pour permettre au ministre de perquisitionner et de saisir les dossiers. Cela ne soutient pas la position de l'intimée[20]. La Cour suprême du Canada a fait remarquer dans l'arrêt R. c. Collins[21]que le fait que la preuve aurait pu être obtenue sans une violation de la Charte tend à rendre la violation plus grave.

[26] L'intimée soutient que, même si la Charte a été violée par l'obtention des notes, la preuve ne devrait pas être exclue en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte et cite l'arrêt R. c. Stillman[22]. La Cour dans l'affaire Stillman a examiné la gravité de la violation et la question de savoir si la preuve aurait pu être découverte sans la violation. L'avocat de l'intimée a ajouté que les renseignements contenus dans les notes étaient connus ou qu'il était possible de les obtenir sans les notes. Il n'a pas offert de preuve au soutien de sa déclaration.

[27] La question se limite maintenant à savoir de quelle manière mes pouvoirs discrétionnaires doivent être exercés. La preuve saisie en violation des droits de l'appelant relatifs à la Charte a été utile mais non essentielle à l'établissement de toutes les cotisations. Il n'y a aucun doute que le revenu non dévoilé provenant des tables de billard a été facilement découvert par le vérificateur sans l'aide des renseignements contenus dans les notes. Étant donné les termes généraux employés au paragraphe 24(1) de la Charte, cette cour a le pouvoir discrétionnaire d'accorder une réparation “ convenable et juste ” afin de réparer le dommage subi par l'appelant. L'utilisation des notes aurait, ou du moins aurait pu avoir, des conséquences injustes sur un procès. En particulier, son utilisation afin de maintenir les pénalités imposées aurait, je crois, un effet négatif sur la perception de l'équité par le public et serait “ susceptible de déconsidérer l'administration de la justice ”[23].

[28] Il s'agirait d'un cas approprié pour simplement exclure les éléments de preuve viciés, mais pour les motifs examinés ci-dessous, il ne s'agit pas d'une réparation adéquate. Son utilisation aurait un effet négatif sur l'apparence d'équité par le public même si je suis d'avis que l'appelant n'a pas droit à la réparation supplémentaire de l'annulation de toutes les nouvelles cotisations. Dans l'arrêt O'Neill, la Cour a conclu qu'il ne restait plus de preuve afin de maintenir les nouvelles cotisations. Ce n'est pas le cas en l'espèce. M. O'Reilley a obtenu les éléments de preuve viciés qui l'ont aidé à conclure qu'un revenu n'était pas déclaré. Par l'utilisation des notes, les soupçons du ministre ont été renforcés et ont orienté la décision. À l'origine, la vérification se faisait en fonction de l'avoir net; des propositions ont été faites à l'appelant, de nouvelles cotisations ont été complétées qui ont plus tard été réduites par d'autres nouvelles cotisations finales. Le ministre déclare dans son argument et dans la réponse à l'avis d'appel que sa position s'appuie sur des faits. Il ajoute que les revenus provenant des tables de billard viennent directement de Regent Vending, et la différence de 150 000 $ moins les dépenses estimées provenait des différences dans les dossiers de la société. Cela est en contradiction avec le témoignage de M. O'Reilley au cours de son interrogatoire préalable où il a déclaré qu'il avait utilisé des méthodes suivant l'avoir net en 1992 et en 1993.

[29] Je reconnais que le travail des vérificateurs n'est pas facile. Ils ont besoin d'outils pour accomplir leur travail, et notre régime fiscal repose essentiellement sur le respect volontaire. Afin d'assurer ou d'imposer le respect, Revenu Canada possède une variété de mécanismes dont des vérifications, des enquêtes, des perquisitions et des saisies. Le ministre doit se voir accorder des pouvoirs étendus afin d'administrer la Loi[24]. Il n'y avait pas, dans le cadre de présente affaire, d'enquête criminelle, mais une vérification civile au cours de laquelle le ministre pourrait avoir cru que le contribuable a déclaré en moins ou n'a pas déclaré un revenu imposable. En effet, sans difficulté et sans l'aide des renseignements tirés des notes, le vérificateur a découvert un revenu non déclaré provenant des tables de billard[25]. Le vérificateur a admis que les notes ont aidé ou ont orienté sa recherche de revenus non déclarés supplémentaires. Il est raisonnable de conclure que le vérificateur aurait dû utiliser les réparations supplémentaires prévues à la Loi, particulièrement aux paragraphes 231.2(1) et (3). L'appelant et M. Armour avaient le droit de s'attendre à ce que les notes demeurent confidentielles.

[30] Il n'existe pas de solution parfaite. Le fait de simplement exclure les notes ne règle pas la situation parce que les renseignements viciés ont déjà été utilisés. Le dommage a été fait. En dehors des revenus provenant des tables de billard, le montant en question est remarquablement semblable à celui mentionné dans les notes en tant que revenu non déclaré. Le libellé du paragraphe 24(2) de la Charte est obligatoire, “ ces éléments de preuve sont écartés [...] ” si les conditions établies sont remplies. Le paragraphe 24(1) permet à une personne dont les droits ont été violés d'obtenir une réparation que la Cour estime convenable et juste eu égard aux circonstances. Comme il est déclaré, une simple exclusion de la preuve n'offre pas une réparation significative. Pour utiliser une analogie, trop de sel a été ajouté à la soupe et la recette au complet est désagréable au goût. J'adhère à la déclaration du ministre selon laquelle le fait d'annuler la nouvelle cotisation ternirait l'image de la justice étant donné l'aveu de l'appelant au sujet des revenus provenant des tables de billard.

[31] J'ai examiné les différentes options qui me sont offertes, dont : (i) la conclusion selon laquelle les notes ont été peu utiles à l'établissement des cotisations; (ii) une simple exclusion des notes; (iii) une solution Suarez[26]; et (iv) l'annulation complète de toutes les cotisations. L'intimée reconnaît que les notes ont été utiles. Je crois que la recommandation du ministre de simplement exclure les notes n'est pas une solution pratique parce qu'il est trop tard. Cela est vague et sujet à interprétation et n'impose pas une sanction significative. Il reste que les éléments de preuve viciés ont été utiles au ministre pour l'établissement de la cotisation. Il est presque impossible de préciser à quel point les notes ont nui à l'appelant. Toutefois, pour ce qui est des revenus provenant des tables de billard, l'intimée s'est appuyée au moins sur une partie, si ce n'est la totalité, des notes pour établir les cotisations.

[32] Choisissant une solution de rechange raisonnable, j'accueille la requête de l'appelant, avec dépens, et ordonne que les cotisations soient déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte de l'inclusion dans les nouvelles cotisations des revenus non déclarés liés aux tables de billard d'un montant de 4 867 $ en 1991, de 18 604 $ en 1992 et de 20 028 $ en 1993 ainsi que les intérêts et les pénalités appropriées, et que l'excédent de la cotisation pour chaque année soit annulé. Bien qu'il soit important que les gens paient leurs impôts et qu'ils ne soient pas autorisés à exercer des pratiques d'évasion fiscale et à soustraire des revenus, il est plus important que l'intégrité de notre régime et les droits des contribuables relatifs à la Charte soient protégés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de mars 2000.

“ C. H. McArthur ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 25e jour d'octobre 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               L'appelant était l'unique actionnaire et l'administrateur de 450344 Ontario Inc.

[2]               M. Armour est maintenant un vérificateur de l'impôt à la Direction de la taxe de vente au détail du ministère des Finances du gouvernement provincial.

[3]               Pièce R-1.

[4]               Le paragraphe 231.1(2) fait référence à une maison d'habitation et n'est pas pertinent à la présente requête.

[5]               Alinéa 231.1(1)a).

[6]               Pièce A-3.

[7]               Règle 210.1.

[8]               Règle 210.2.

[9]               (1990) 55 C.C.C. (3d) 530 (C.S.C.).

[10]             Article 231.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[11]              (1996) 104 C.C.C. (3d) 136 (C.S.C.).

[12]             (1997) 195 A.R. 251.

[13]             C.C.I., no 96-3026(IT)G, 15 octobre 1998, à la page 26 (98 DTC 2140, à la page 2150).

[14]             Témoignage de M. Koshy.

[15]             Fait référence aux notes no 2 qui sont ainsi formulées :

          Droits d'entrée pour les nouveaux venus – 2 $ par personne

            – Budget de Mike donné à son épouse

            – Environ 1 000 $ par semaine

                – c.-à.-d. revenu non déclaré

[16]             Fait référence aux notes no 13 qui sont ainsi formulées :

            Sources d'argent – en espèces

            – Tables de billard

            – Machines à sous de type récréatif

            – Machines à poker

            – 2 $, huard (illisible)

            – Revenu non déclaré

            – Mike doit penser à déclarer son revenu à l'avenir

[17]             Page 53 de la transcription.

[18]             C.C.I., no 94-820(IT)G, 9 novembre 1995 (96 DTC 1486).

[19]             [1998] 4 C.F. 180 (98 DTC 6424).

[20]             O'Neill Motors, précité, à la page 6 (DTC : à la page 1488).

[21]             [1987] 1 R.C.S. à la p. 265.

[22]             (1997) 113 C.C.C. (3d) 321 (C.S.C.).

[23]             Paragraphe 24(2) de la Charte.

[24]             McKinlay Transport, précité.

[25]             L'appelant a déclaré qu'il a utilisé les produits provenant des tables de billard afin de payer des dépenses non écrites.

[26]             Suarez v. Commissioner of Internal Revenue, 58 United States Tax Court Reports 792.

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