Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20000525

Dossier: 2000-459-EI

ENTRE :

JOAN BEATON,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

RONALD CARL BEATON,

intervenant.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1] Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national selon laquelle l'appelante n'exerçait pas un emploi assurable pour son frère, soit l'intervenant, au cours des périodes allant du 5 mai au 31 juillet 1996, du 4 mai au 31 juillet 1997 et du 1er juin au 31 juillet 1998. Le fondement de cette décision était que l'appelante et son frère avaient un lien de dépendance au sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage ou de l'alinéa 5(2)i) de la Loi sur l'assurance-emploi. Jusqu'ici, tout est clair, évidemment. Le paragraphe 5(3) de la Loi sur l'assurance-emploi se lit comme suit :

(3) Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

b) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[2] Selon la Cour d'appel fédérale, l'alinéa b) confère un pouvoir administratif discrétionnaire. Il n'est pas nécessaire de réitérer les nombreux jugements de notre cour et de la Cour d'appel fédérale sur les principes à suivre dans un appel relatif à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. Si le ministre ou la personne autorisée à exercer le pouvoir discrétionnaire du ministre a agi d'une manière capricieuse ou illicite ou de mauvaise foi, n'a pas observé les principes de justice naturelle, a tenu compte de faits qui n'auraient pas dû être pris en considération, a fait fi de faits qui auraient dû être pris en compte ou a agi suivant un principe de droit erroné, pour ne mentionner que quelques-uns des facteurs, la façon dont ce pouvoir a été exercé peut être annulée, et la cour peut intervenir dans la décision qui avait été rendue. Par contre, si le ministre n'a pas agi d'une manière justifiant que la cour annule la façon dont le pouvoir discrétionnaire a été exercé, la cour ne peut substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du ministre, même si elle pouvait arriver à une conclusion différente.

[3] Les faits invoqués par le ministre étaient les suivants :

[TRADUCTION]

a) le payeur est le frère de l'appelante;

b) le payeur a acheté des biens locatifs à Port Hawkesbury (Nouvelle-Écosse), soit :

1) un immeuble de six logements, situé au 210, rue Reynolds et acheté en 1991;

2) un duplex, situé au 8, promenade Tamarac et acheté en 1992;

c) le payeur n'habitait pas en Nouvelle-Écosse à l'époque où les immeubles ont été achetés ou durant les périodes en question et il vit actuellement en Colombie-Britannique;

d) le payeur a embauché l'appelante comme gérante d'immeubles pour la première fois en 1994;

e) avant 1994, le payeur comptait sur des membres de la famille, y compris l'appelante, et sur des amis pour veiller à ce que l'on s'occupe de ses biens locatifs, ce qui incluait percevoir les loyers, effectuer les dépôts bancaires, faire de la publicité, montrer et louer les appartements vacants, payer les factures et faire en sorte que les immeubles restent en bon état;

f) avant 1994, le payeur ne rétribuait aucune des personnes veillant à ce que l'on s'occupe de ses biens locatifs, y compris pour l'entretien;

g) depuis 1994, lorsque l'appelante n'était pas inscrite dans le livre de paye du payeur, ce dernier continuait à compter sur des membres de la famille, y compris l'appelante, et sur des amis pour veiller à ce que l'on s'occupe de ses biens locatifs, y compris pour l'entretien;

h) le payeur a retenu les services d'un locataire pour le passage de l'aspirateur dans les aires communes de ses biens locatifs, à un homme à tout faire pour les réparations et l'entretien, à une entreprise pour l'enlèvement de la neige et à une personne pour l'accomplissement de travaux dans la cour;

i) lorsque l'appelante n'était pas inscrite dans le livre de paye du payeur, les locataires avaient pour instructions de téléphoner directement à l'homme à tout faire s'il se posait un problème exigeant l'attention de cet homme;

j) l'appelante habite avec sa mère dans la maison familiale, située à Mabou, soit à 42 milles de Port Hawkesbury, où se trouvent les biens locatifs;

k) le numéro de téléphone de la maison familiale est utilisé à longueur d'année pour la publicité relative aux appartements vacants des immeubles du payeur;

l) l'appelante a eu un salaire de 1 400 $ par mois en 1996 et en 1997, et son salaire est passé à 1 600 $ par mois en 1998;

m) l'appelante fournissait des services pendant environ 20 heures par semaine, outre qu'elle était de garde pendant environ 30 heures par semaine d'après l'estimation du payeur;

n) les heures pendant lesquelles l'appelante était de garde, soit des heures pour lesquelles elle était payée, étaient plus nombreuses que les heures pendant lesquelles elle travaillait effectivement;

o) l'homme à tout faire du payeur n'était pas payé pour être “ sur appel ” durant les périodes où l'appelante n'était pas inscrite dans le livre de paye du payeur et il présentait au payeur des factures basées sur son taux horaire de 10 $ pour chaque heure travaillée;

p) le salaire de l'appelante était excessif;

q) avant et après les périodes en question, l'appelante a fourni pour le payeur des services pour lesquels elle n'a pas été payée;

r) l'appelante fournissait des services pour le payeur en tant qu'employée pendant suffisamment de semaines chaque année pour être admissible à des prestations d'assurance-emploi et, en tant que soeur du payeur, elle continuait à fournir des services pendant le reste de l'année, c'est-à-dire à rendre des services à son frère;

s) l'appelante était liée au payeur au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

t) l'appelante avait un lien de dépendance avec le payeur;

u) compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il n'est pas raisonnable de conclure que l'appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[4] Les faits énoncés ci-dessus sont exacts pour l'essentiel, sous réserve d'un certain nombre d'observations formulées par l'avocat de l'appelante.

[5] L'alinéa f) n'est pas totalement exact. Le frère de l'appelante avait à dépenser de l'argent pour l'entretien.

[6] L'alinéa g) est légèrement inexact. M. Beaton ne faisait pas appel à des membres de sa famille pour les principaux travaux d'entretien.

[7] L'avocat de l'appelante dit que l'alinéa n) est ambigu. Je suis d'accord. La formulation aurait pu être plus heureuse. La même observation pourrait être faite au sujet de l'alinéa o).

[8] Le frère de l'appelante embauchait l'appelante pour la gestion de deux immeubles dont il était propriétaire pendant environ trois mois par année, soit habituellement de mai à juillet. Cela représente une période suffisante pour que l'appelante soit admissible à des prestations d'assurance-emploi. Il était allégué que l'on avait besoin de l'appelante davantage pour ces mois-là parce qu'il y a avait alors plus de changements de locataires.

[9] La pièce A-7 est une liste des travaux accomplis par l'appelante. Cette liste englobe une grande variétés d'activités, y compris enlever du papier peint, nettoyer des appartements, faire des travaux de peinture, laver des vitres, veiller à la propreté des terrains, payer des factures, faire de la publicité à l'égard d'appartements vacants, montrer des appartements à des locataires potentiels et être “ sur appel ” pour les locataires. Nul doute que l'appelante remplissait un bon nombre de ces fonctions, mais son emploi semble avoir été sporadique et, comparativement à ce qu'il en est dans le cas d'une relation employeur-employé plus classique, semble avoir été marqué au coin du laisser-faire. Il semble que l'appelante ait été libre d'aller et venir à sa guise. Elle n'avait pas d'heures fixes; elle a témoigné que ses heures allaient de 20 à 40 par semaine. Il semble qu'elle déterminait elle-même son horaire ainsi que son programme d'activités.

[10] Je n'ai rien vu dans la preuve qui justifierait que j'intervienne dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. Je ne pense pas que le ministre ait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière déraisonnable, capricieuse ou illicite. Les légères inexactitudes quant aux faits sur lesquels le ministre s'est fondé ne vicient pas sa décision et ne touchent pas réellement au coeur de la question. Quand un homme embauche sa soeur comme gérante d'immeubles trois mois par année pour un nombre indéterminé d'heures par semaine, je ne pense pas qu'il soit déraisonnable de conclure que des personnes sans lien de dépendance n'auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable, eu égard aux facteurs énoncés à l'alinéa 3(1)c) de la Loi sur l'assurance-chômage et à l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi.

[11] Pour la période allant du 1er janvier au 31 octobre 1994, on avait obtenu une décision selon laquelle l'emploi était assurable. Cette décision se fondait sur de la correspondance échangée avec le bureau de district de Toronto du ministère du Revenu national. Il est difficile de dire jusqu'à quel point cette décision était éclairée ou de quels faits avait été saisi le fonctionnaire de Toronto, M. Bendelac. Cela ne donne toutefois pas lieu à une préclusion pour les périodes ultérieures.

[12] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de mai 2000.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.A.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 14e jour de septembre 2000.

Benoît Charron, réviseur

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