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Date: 19980710

Dossier: 96-456-IT-G

ENTRE :

RULAND REALTY LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Dans cet appel, la question est de savoir si l'appelante, lors du calcul de son revenu en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) pour l'année d'imposition 1990, était en droit de déduire un montant de 26 089 145 $ au titre de la réduction de valeur d'acomptes versés relativement à des terrains à aménager, y compris des frais d'aménagement préliminaires engagés à cet égard. Les frais d'aménagement représentent principalement des frais d'intérêt sur de l'argent emprunté pour verser les acomptes.

[2] Les avocats ont déposé un exposé conjoint des faits partiel dans lequel ils conviennent de l'historique des événements ayant conduit à l'appel. Ce document est long, mais je le reproduis ici intégralement, car il énonce de façon opportune la plupart des faits pertinents.

[TRADUCTION]

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS PARTIEL

Aux fins de l’appel, les parties, par l'intermédiaire de leurs avocats respectifs, conviennent par les présentes des faits qui suivent. Les parties pourront présenter des éléments de preuve supplémentaires non incompatibles avec les faits dont il est convenu ci-dessous :

1. L'appelante a été constituée sous le régime des lois de l'Ontario, et l'adresse de son établissement principal est le 4950, rue Yonge, bureau 1914, North York (Ontario) M2N 6K1.

2. La fin de l'exercice de l'appelante était le 31 octobre.

3. Rudolph Bratty (“ M. Bratty ”) est le président et un administrateur de l'appelante depuis la constitution de cette dernière et a toujours détenu 100 p. 100 des actions avec droit de vote de l'appelante. Les actions sans droit de vote de l'appelante sont détenues par les enfants de M. Bratty. C’était ce dernier qui, au bout du compte, était responsable des activités de l'appelante.

4. Durant toute la période pertinente aux fins de la question en litige dans le présent appel, l'appelante exploitait une entreprise consistant à acheter des terrains en vue de les aménager et de les revendre ainsi qu'une entreprise de construction d'habitations.

5. Infinity était une compagnie détenue et contrôlée par Stan Leibel (“ M. Leibel ”).

6. Tout comme l'appelante, Infinity exploitait une entreprise consistant à acheter des terrains en vue de les aménager et de les revendre ainsi qu'une entreprise de construction d'habitations.

7. Au cours de la période allant de 1987 à 1989, les familles Bratty et Leibel ont participé conjointement à de nombreux projets immobiliers, y compris les six qui se rapportent à l’appel. Tous les projets étaient entrepris conjointement et financés conjointement, à parts égales, par les intérêts Bratty et Leibel.

8. Lorne Leibel (le fils de M. Leibel) était autorisé par M. Bratty et M. Leibel à chercher de nouveaux projets et à négocier et à signer des conventions d'achat-vente au nom de l'appelante et d'Infinity. Lorne Leibel avait en outre les contrats de construction et de gestion relatifs à chaque projet.

9. On constituait une compagnie pour chaque opération immobilière.

10. En ce qui a trait aux six conventions d'achat-vente (les “ conventions ”) en cause dans le présent appel, six compagnies ont été mises sur pied, avec un capital nominatif seulement, soit des compagnies dans lesquelles M. Bratty et M. Leibel détenaient une participation de 50 p. 100 chacun.

Conventions initiales d'achat-vente

11. Lorne Leibel, en fiducie (ou, dans le cas de la Fort Myers Construction Inc., Douglas Klassen en tant que mandataire [de Lorne Leibel en fiducie]) a signé chaque convention d'achat-vente au nom de la compagnie particulière en cause. Voici les détails des six conventions :

Date

Acheteur

Vendeur

Terrain

Prix

24 mai 1988

Del Cruz

Construction Inc.

Geminian Builders

Limited

61 lots — ville de

Vaughan

11 305 000 $

17 mars 1989

Ft. Myers Construction Inc.

Cambria

Enterprises Inc.

277 lots — ville de Richmond Hill

53 900 000 $

27 mai 1988

San Jose Construction Inc.

K.J. Beamish

Construction Co.,

Limited

91 lots — ville de

Richmond Hill

11 232 000 $

8 juin 1988

Santa Barbara

Construction Inc.

Woodchester

Building Corporation

140 lots — ville de

Richmond Hill

18 752 000 $

17 février 1989

Steamboat

Springs

Construction Inc.

Landgroup Holdings

Inc.

154 lots — ville de

Richmond Hill

35 000 000 $

16 février 1989

Winding River

Construction Inc.

Merbanco Group

Limited

133 lots — ville de

Mississauga

20 043 200 $

Une copie de chacune de ces conventions figure dans le recueil conjoint de documents des parties.

12. Aux termes de chaque convention, un acompte devait être versé par l'acheteur à la signature de la convention, et d'autres acomptes devaient être versés à l'exécution de diverses phases, par le vendeur. Les acomptes devaient être portés au crédit de l'acheteur ou appliqués au prix d'achat à la date de clôture ou d'exécution de la convention. Les acomptes devaient être détenus par le vendeur jusqu'à ce que la convention soit exécutée ou qu'il y soit par ailleurs mis fin.

13. Chacune des conventions était assujettie à une ou plusieurs des conditions suivantes :

(i) l'enregistrement d'un plan de lotissement répondant aux exigences de la Loi sur l'aménagement du territoire avant une date spécifiée;

(ii) le zonage de lots pour la construction d'habitations unifamiliales;

(iii) l'obligation de satisfaire à des exigences en matière de permis de viabilisation avant une date spécifiée;

(iv) l'interdiction, pour le vendeur, de modifier sensiblement la taille ou l'emplacement des lots, à moins que l'acheteur n'accepte les modifications.

Les conventions prévoyaient que, s'il n'était pas satisfait à certaines des conditions précitées y figurant, les conventions devenaient nulles et non avenues, et le vendeur devait remettre à l'acheteur tous les acomptes versés conformément aux conventions.

14. Les acomptes versés aux termes de ces conventions étaient intégralement financés par une banque. Le financement était garanti ou soutenu par l'appelante et Infinity, conjointement et solidairement. Des chèques étaient faits sur un ou des comptes de compensation détenus à la Banque Toronto-Dominion.

15. Les conventions ont été signées aux fins de l'aménagement de terrains, c'est-à-dire de la construction de maisons sur les lots et de la vente des lots.

Cession de conventions d'achat-vente

16. En novembre ou décembre 1989 ou à peu près, M. Bratty et M. Leibel ont décidé de diviser certains de leurs projets immobiliers conjoints pour séparer leurs participations.

17. Aux fins de cette division ou séparation de participations, l'appelante a pris certaines conventions d'achat-vente par voie de cession, y compris les six conventions susmentionnées, et une compagnie de M. Leibel a pris d'autres conventions d'achat-vente par voie de cession.

18. L'appelante a signé des “ conventions de cession ” en date du 20 décembre 1989 avec chacune des compagnies suivantes : Del Cruz Construction Inc., Ft. Myers Construction Inc., San Jose Construction Inc., Santa Barbara Construction Inc., Steamboat Springs Construction Inc. et Winding River Construction Inc. (les “ cédants ”). Aux termes des conventions de cession, les cédants acceptaient de céder à l'appelante leurs participations dans les conventions d'achat-vente, y compris le droit aux acomptes et le bénéfice de ceux-ci, en contrepartie du “ prix de cession ” devant être payé par l'appelante.

19. Le “ prix de cession ” était défini comme suit :

[TRADUCTION]

“ l'ensemble des éléments suivants :

(i) les acomptes;

(ii) tous les frais d'aménagement (les “ frais d'aménagement ”) payés par l'acheteur ou le cédant concernant le projet, y compris, sans limiter la portée générale de ce qui précède, les frais de construction, les frais de commercialisation, les frais d'arpentage, les frais d'ingénieur et les frais d'architecte;

(iii) les intérêts payés ou dus par le cédant à ses banquiers ou autres prêteurs à l'égard du financement des éléments indiqués aux alinéas (i) et (ii) des présentes — tout ce qui précède devant être réglé et accepté par les parties aux présentes à la date de la cession. ”

Le prix de cession relatif à chacune des conventions devait être payé comme suit aux termes de chacune des conventions de cession : l'appelante devait prendre en charge les dettes contractées par ou pour le cédant à l'égard du financement des éléments indiqués aux alinéas (i) et (ii) ci-dessus, jusqu'à concurrence du montant de ces dettes contractées par le cédant.

20. La “ date de la cession ” était définie comme étant “ le 30 avril 1990 ou une date antérieure ou ultérieure pouvant être convenue par les parties aux présentes ”.

21. Au moment de la cession des conventions, l'intention de l'appelante était de clore les opérations, qu'elles aient été renégociées ou par ailleurs modifiées, de construire des maisons sur les lots et de vendre ceux-ci pour gagner un revenu.

22. Le 30 avril 1990, l'appelante et chacun des cédants ont signé des conventions (les “ conventions d'exécution ”) aux termes desquelles ils convenaient de s'acquitter de leurs obligations respectives prévues aux conventions de cession.

23. Des copies des conventions de cession et des conventions d'exécution figurent dans le recueil conjoint de documents des parties.

État des conventions au 31 octobre 1990

24. Au 31 octobre 1990, les acomptes versés conformément aux conventions étaient les suivants :

Del Cruz 1 045 250 $

Ft. Myers 7 500 000 $

San Jose 1 994 520 $

Santa Barbara 3 315 755 $

Steamboat Springs 5 000 000 $

Winding River 2 004 320 $

20 859 845 $

Des détails sont présentés dans les résumés de chaque projet qui figurent dans le recueil conjoint de documents des parties.

25. Au 31 octobre 1990, les conventions n'avaient pas été exécutées, et on n'avait pas renoncé aux acomptes connexes.

26. Au 31 octobre 1990, l'intention de l'appelante était de renégocier chacune des six conventions, et l'appelante n'avait pas encore pris la décision de se retirer de l'un quelconque des six projets.

27. Au 1er juillet 1990, la juste valeur marchande des lots en cause dans l’appel correspondait à ce qui est indiqué dans le rapport d'évaluation de Dennis J. Seward, qui était l’onglet 8 de la pièce 1 lors de l'interrogatoire préalable de Rudolph Bratty. Au 31 octobre 1990, la juste valeur marchande des lots en cause n'avait pas augmenté par rapport au 1er juillet 1990. Au 31 octobre 1990, la juste valeur marchande des conventions relatives aux lots en cause était nulle.

28. Dans les états financiers non consolidés et les états financiers consolidés de l'exercice de l'appelante se terminant le 31 octobre 1990, le montant de 26 089 145 $ a été indiqué au titre de la réduction de valeur des acomptes versés sur les terrains à aménager et des frais d'aménagement préliminaires et ce montant a été passé en charges dans l'état des résultats. Sur ce montant, une somme de 20 859 845 $ représentait les acomptes versés conformément aux conventions, et une somme de 5 229 300 $ se rapportait aux frais d'aménagement préliminaires, soit 5 195 463 $ d'intérêts courus sur la dette impayée relative au financement bancaire des acomptes et 33 837 $ de frais de publicité, de frais d'architecte, de commissions d'engagement, de frais juridiques et de frais divers.

29. Les états financiers non consolidés et les états financiers consolidés ont été établis par KPMG Peat Marwick Thorne. Les états financiers consolidés ont été, de l'avis de KPMG Peat Marwick Thorne, établis en conformité avec les principes comptables généralement reconnus.

30. La note 9 figurant aux états financiers consolidés se lit comme suit :

[TRADUCTION]

9. Réduction de valeur d'acomptes sur terrains à aménager et de frais d'aménagement préliminaires;

En novembre 1989, la compagnie a signé plusieurs conventions visant l'achat de terrains à leur valeur marchande à des compagnies partiellement détenues par des membres immédiats de la famille des actionnaires. Par la suite, en raison d'une baisse du marché immobilier, on a estimé que si les conventions devaient se conclure, les terrains devant être acquis avaient des valeurs inférieures aux prix d'acquisition. Ainsi, les acomptes sur les terrains et les frais d'aménagement préliminaires connexes en sus des valeurs estimées ont été passés en charges dans l'état des résultats.

Le passage pertinent de la note 10 se lit comme suit :

[TRADUCTION]

10. Passif éventuel :

Le passif éventuel de la compagnie est le suivant :

(i) Comme l'indique la note 9, si les conventions existantes devaient se conclure sans aucun ajustement, les acquisitions totales de terrains représenteraient au total 280 000 000 $. La valeur marchande en fin d'exercice est d'environ 132 000 000 $, ce qui donnerait lieu à une perte globale éventuelle de 148 000 000 $. Des acomptes en espèces de 28 200 000 $ applicables à ces conventions ont été passés en charges dans l'état des résultats. La direction entend renégocier ces conventions et, par conséquent, la probabilité d'une conclusion de ces opérations est impossible à déterminer, tout comme l'importance des pertes supplémentaires, le cas échéant.

Traitement fiscal

31. Lors du calcul du revenu tiré de son entreprise pour l'année d'imposition 1990, l'appelante a déduit le montant susmentionné de 26 089 145 $ au titre de la réduction de valeur des acomptes sur les terrains à aménager et des frais d'aménagement préliminaires.

32. Le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'année d'imposition 1990 de l’appelante de façon à refuser la déduction des 26 089 145 $ correspondant à cette réduction de valeur.

33. L'appelante s'est opposée à la nouvelle cotisation par voie d'avis d'opposition en date du 31 octobre 1994.

34. L'appelante a interjeté le présent appel, plus de 90 jours s'étant écoulés après la signification de l'avis d'opposition sans que le ministre ait avisé l'appelante qu'il avait annulé ou ratifié la nouvelle cotisation ou qu'il en avait établi une nouvelle.

État actuel des conventions

35. Voici un résumé de l'état actuel des six projets en cause :

Del Cruz — renonciation à l'acompte le 4 novembre 1991;

Ft. Myers — renonciation à l'acompte le 12 novembre 1992;

San Jose et Santa Barbara — les deux conventions se sont conclues par étapes à partir de 1991.

Les premiers permis de construction relatifs à ces projets ont été délivrés en octobre 1991.

Steamboat Springs — renonciation à l'acompte en 1994;

Winding River — le 2 juillet 1991, le vendeur considérait que l'on avait renoncé à l'acompte, mais cela était contesté par l'acheteur.

[3] Le paragraphe 27 mentionne le rapport d'évaluation de Dennis J. Seward. M. Seward est un évaluateur immobilier dont la compétence ne fait pas de doute. En 1990, il avait reçu pour instructions de l'appelante d'évaluer les six biens qui ont donné lieu à l’appel, de même que certains autres biens. Ses estimations de la valeur des biens au 1er juillet 1990 ont servi de base à la réduction de valeur indiquée par l'appelante dans ses états financiers de l'exercice se terminant le 31 octobre 1990. M. Seward a témoigné que, à son avis, les six biens devraient être considérés comme ayant les mêmes valeurs au 31 octobre 1990. Comme la baisse de valeur entre les prix d'achat spécifiés dans les conventions d'achat-vente et l'évaluation du 31 octobre 1990 dépasse dans chaque cas la somme des acomptes et des frais d'aménagement préliminaires, il se disait d'avis que les conventions, au 31 octobre 1990, n'avaient aucune valeur. Cela aussi a été expressément convenu entre les parties[1].

[4] C’est M. Rudolph Bratty qui dirige l'entreprise de l'appelante. Il a beaucoup d'expérience dans le domaine de la promotion immobilière et a fait de l'appelante une grande et prospère entreprise immobilière intégrée.

[5] Les conventions qui ont conduit à l’appel dont la Cour a été saisi ont été, pour reprendre les termes de M. Bratty, un gros échec. La raison en est, évidemment, la récession marquée qui a touché le marché immobilier à la fin des années 80. Les terrains qui faisaient l'objet des conventions avaient tous été achetés à des promoteurs à l'étape du plan de lotissement provisoire. Les conventions prévoyaient que l'acheteur effectuerait un versement initial, puis d'autres paiements à des étapes spécifiées de l'achèvement du processus d'aménagement, le solde final étant payable à la date de clôture, après l'enregistrement d'un plan de lotissement. Des clauses exigeaient en outre que les vendeurs aient franchi certaines étapes importantes à des dates spécifiées.

[6] À l'été 1990, les six biens visés par ces conventions avaient tellement perdu de valeur qu'ils valaient moins que les sommes qu'il restait à payer pour clore les opérations d'achat. Le mieux qu'on pouvait espérer, c'était que les vendeurs n'arrivent pas à respecter les échéances prévues dans leurs conventions respectives, auquel cas l'appelante serait dégagée de l'obligation de conclure les opérations et pourrait intenter des poursuites pour que les acomptes lui soient remis. Le pire qui pouvait arriver, c'était que les vendeurs respectent à temps leurs obligations et que l'appelante doive alors décider soit de conclure les marchés, auquel cas il lui faudrait payer à la date de clôture plus que ce que valaient les terrains, outre les 26 millions de dollars qu'elle avait déjà payés, soit de manquer à son obligation de conclure les opérations et de renoncer aux acomptes, auquel cas elle pourrait être poursuivie en dommages-intérêts. M. Bratty a témoigné que, relativement à chacun des six projets, il s'attendait à ce que les vendeurs se conforment aux modalités des contrats. Évidemment, vu la baisse importante des valeurs marchandes, ils avaient financièrement tout avantage à agir de la sorte. Au bout du compte, malgré des efforts pour renégocier les contrats concernant le prix ou la date de clôture, l'appelante a renoncé aux acomptes relatifs à quatre des six projets entre 1991 et 1994. Dans l'un de ces cas, la renonciation a été contestée, et cette question n'était toujours pas réglée au moment du procès. Les deux autres projets, San Juan et San Bernadino, ont été menés à terme selon des modalités renégociées quant aux dates de clôture. L'appelante a fini par subir des pertes à l'égard de ces deux projets.

[7] À l'été 1990, le comptable de l'appelante, M. Goldstein, de Peat Marwick Thorne (maintenant KPMG), conscient de la baisse importante des valeurs immobilières, avait abordé avec M. Bratty la question de la valeur de ces six biens, ainsi que la possibilité que l'on doive réduire la valeur des acomptes en fin d'exercice. C'est par suite de cette discussion qu'on avait retenu les services de M. Seward pour l'évaluation des biens immobiliers en cause. M. Goldstein a témoigné qu'il avait passé beaucoup de temps à examiner la question de savoir si la réduction était nécessaire pour bien rendre compte de la situation financière de l'appelante dans les états de 1990. Il avait conclu que tel était le cas et en avait avisé M. Bratty. M. Goldstein est l'auteur des notes 9 et 10 figurant aux états financiers consolidés[2]. Il a témoigné que la note 9 expliquait la raison d'être de la réduction; la note 10 mettait en garde contre les pertes supplémentaires pouvant être subies si l'appelante concluait les opérations selon les modalités existantes.

[8] M. Van Weelden est un comptable agréé d'expérience. Depuis un certain nombre d'années, il est l'un des trois associés responsables de la pratique professionnelle dans le cabinet KPMG pour l'agglomération torontoise. À ce titre, il donne notamment des avis aux autres associés du cabinet sur des questions de comptabilité et de vérification. Il a présenté un témoignage d'opinion pour l'appelante quant à l'application des principes comptables généralement reconnus (PCGR) au traitement de ces acomptes dans les comptes de l'appelante à la fin de l'exercice 1990. Les avocates de l'intimée ont naturellement mis en doute son objectivité à cet égard, étant donné qu'il avait été appelé à témoigner sur l'opportunité d'avis donnés par un de ses associés. Toutefois, je suis convaincu non seulement que M. Van Weelden est compétent pour exprimer une opinion sur l'application des PCGR dans le contexte de l'espèce, mais aussi qu'il a témoigné objectivement.

[9] Voici l'opinion de M. Van Weelden telle qu'elle est exprimée dans l'exposé écrit de sa déposition :

[TRADUCTION]

[...] la réduction de valeur ou passation en charges des frais accumulés de 26 089 145 $ de la Ruland à l'égard des conventions de cession dans ses états financiers pour l'exercice se terminant le 31 octobre 1990 a été faite conformément aux principes comptables généralement reconnus[3].

M. Van Weelden était arrivé à cette conclusion après avoir examiné le Manuel de l'ICCA, ainsi qu'une autre publication de l'Institut Canadien des Comptables Agréés, intitulée La vérification des sociétés immobilières, et le CIPREC Handbook, soit une série de lignes directrices publiées par l'Institut canadien des compagnies immobilières publiques en vue d'améliorer la qualité de la communication des renseignements financiers dans le secteur immobilier. À partir de ces sources, il avait conclu que l'appelante ne pouvait garder inscrits à l'actif de son bilan les acomptes et les frais d'aménagement que si elle pouvait démontrer qu'elle en tirerait ultérieurement un avantage économique. Cela, elle ne pouvait le faire, car les soldes impayés relatifs aux conventions dépassaient considérablement la valeur des terrains s’y rapportant. Le témoignage de M. Van Weelden n'a pas été ébranlé lors du contre-interrogatoire, et j'accepte son témoignage comme une déclaration faisant autorité quant à l'application des PCGR à la question en cause.

[10] Je conclus que, à la fin de l'exercice 1990, les droits de l'appelante aux termes de ces conventions d'achat-vente n'avaient aucune valeur pour elle et qu’elle était ainsi exposée à un passif éventuel très important, comme l'indique la note 10 figurant aux états financiers. M. Bratty entendait chercher à renégocier ces conventions, mais n'avait aucune raison de croire qu'il pourrait le faire à l’avantage de l’appelante. Son pouvoir de négociation était très limité, voire inexistant, et les événements ultérieurs ont montré que cette tentative de sa part n’a guère été fructueuse. À l'été 1990, il considérait, ce qui était bien raisonnable de sa part, que les sommes payées conformément aux conventions, ainsi que les frais financiers connexes, étaient irrécouvrables. En procédant à la réduction de valeur, l'appelante a agi suivant l'avis de ses comptables, soit un avis qui était conforme aux PCGR.

[11] La position adoptée pour le ministre du Revenu national dans la cotisation établie à l'égard de l'appelante était exprimée comme suit par le vérificateur de Revenu Canada, dans son rapport de vérification :

[TRADUCTION]

[...] on pourrait faire valoir qu'il serait approprié de ne pas constater la baisse de valeur et de communiquer plutôt au lecteur les renseignements relatifs à cette situation par une note aux états financiers semblable à celle qui a été incluse dans les états financiers de la Ruland pour les années applicables et qui donne les détails de la situation, notamment la baisse manifeste de la valeur marchande des terrains en cause dans les diverses conventions.

Lors de l'interrogatoire préalable auquel il a été soumis, il a expliqué ce passage comme suit :

[TRADUCTION]

Q. Qu'essayiez-vous de dire par l'énoncé que je viens de vous lire?

R. J'essayais de dire que je n'étais pas convaincu que les PCGR exigeraient une constatation de la réduction de valeur.

Thèse de chacune des parties

[12] L'avocat de l'appelante fait valoir la cause de cette dernière en invoquant deux arguments distincts, qu'il a décrits comme étant deux voies convergeant vers la même conclusion. Le premier argument est que l'appelante, par suite de la baisse de la valeur d'un actif acquis dans le cadre de ses opérations commerciales courantes, devait tenir compte de cette perte dans le calcul de son bénéfice de l'année dans laquelle elle reconnaissait, en tant qu'“ entreprise ”, que la perte s'était produite. À l'appui de cette thèse, l’avocat invoquait la décision rendue par le président Jacket, titre qu'il portait alors, dans l'affaire Associated Investors[4], ainsi que l'arrêt de la Cour suprême du Canada Canadian General Electric Co. Ltd. v. M.N.R.[5] Le second argument de l'appelante est que les conventions en question sont des éléments d'inventaire entre les mains de l'appelante, soit des éléments détenus dans le cadre normal de son entreprise, et que les principes de common law ainsi que l'article 10 de la Loi exigent que, pour le calcul du revenu, ils soient évalués en fin d'exercice au prix coûtant ou à la juste valeur marchande, selon le moindre des deux.

[13] La thèse de l'intimée est que les conventions ne représentaient pas des éléments d'inventaire entre les mains de l'appelante à la fin de l'exercice 1990 de cette dernière et que c'étaient plutôt simplement des conventions en vertu desquelles l'appelante pouvait acquérir les terrains à une date ultérieure. Les acomptes versés par les acheteurs initiaux conformément aux conventions ne correspondent pas à une dépense engagée par l'appelante pour acheter des éléments d'inventaire, car ils ne font pas partie du prix d'achat des terrains avant la date de clôture; jusqu'à la date de clôture, ils représentent simplement une garantie, soit des paiements pouvant devoir être remboursés à l'appelante si les opérations ne sont pas exécutées et que ce ne soit pas la faute de l'acheteur.

[14] Concernant les deux aspects de l'argumentation de l'appelante, l'intimée soutient que le principe de réalisation empêche la constatation d'une perte relative aux conventions avant la réalisation de cette perte par une vente ou autre disposition. À l'appui de cette thèse, l'avocate invoque les jugements Edward Collins & Sons, Ltd. v. C.I.R.[6]et Dobieco Ltd. v. M.N.R.[7], ainsi que la dissidence exprimée par le juge Iacobucci dans l'arrêt Friesen c. Canada[8].

[15] La thèse de l'intimée concernant la partie “ intérêts ” du coût d'acquisition des conventions est que cet élément doit être considéré non pas comme un coût des conventions, mais comme un coût de préacquisition des terrains, et que le paragraphe 18(2) en empêche la déduction dans le calcul du revenu de l'appelante. Dans l'argumentation écrite qui a été déposée, l'avocate de l'intimée mentionne ceci au sujet de la partie “ intérêts courus ” du prix de cession :

[TRADUCTION]

Le but de l'appelante était d'acquérir les lots comme éléments d'inventaire, et les intérêts courus que l'appelante a pris en charge représentaient un coût de préacquisition relatif à ce bien. Aux fins comptables et fiscales, ces frais ne seraient pas passés en charges au moment où ils ont été engagés, mais seraient d'abord inscrits à l'actif jusqu'à ce que les terrains soient acquis, puis ils seraient ajoutés au coût en capital des terrains. Comme elle n'avait pas acquis les terrains à la fin de son année d'imposition 1990, l'appelante n'était pas en droit de se prévaloir du paragraphe 10(1) pour réduire ce coût de préacquisition.

[16] Peu après l'audition du présent appel, la Cour suprême du Canada a rendu un jugement dans l'affaire Canderel Ltd. c. Canada[9], ainsi que dans les deux affaires connexes Toronto College Park Ltd. c. Canada[10] et Ikea Ltd. c. Canada[11]. J'ai eu le loisir d'examiner les observations écrites des avocats des deux parties quant à l'application de cette trilogie à l’affaire qui nous intéresse.

Les dispositions législatives

[17] Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

9(1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

10(1) Aux fins du calcul du revenu tiré d'une entreprise, les biens figurant dans un inventaire sont évalués au coût supporté par le contribuable ou à leur juste valeur marchande, le moins élevé de ces deux éléments étant à retenir, ou de toute autre façon permise par les règlements.

10(1.1)Pour l'application du paragraphe (1), le coût, pour un contribuable, d'un fonds de terre figurant dans l'inventaire d'une entreprise exploitée par le contribuable comprend les montants visés aux alinéas 18(2)a) et b) concernant ce fonds de terre au titre desquels aucun montant n'est déductible par le contribuable ou, en application du paragraphe 18(3), par un autre contribuable vis-à-vis duquel le contribuable était une personne, corporation ou société visée à la division 18(3)b)(ii)(A), (B) ou (C), si ces montants n'ont pas été inclus dans le coût d'un bien pour cet autre contribuable.

18(1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a) un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

b) une somme déboursée, une perte ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie;

[...]

e) un montant au titre d'une provision, d'une éventualité ou d'un fonds d'amortissement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie;

[...]

18(2) Par dérogation à l'alinéa 20(1)c), dans le calcul du revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, un montant n'est déductible quant à une dépense engagée par le contribuable au cours de l'année au titre :

a) d'intérêts sur une dette concernant l'acquisition d'un fonds de terre, ou

[...]

que si [... Les exceptions ne sont pas pertinentes.]

18(3) Au paragraphe (2),

[...]

b) “ intérêts sur une dette concernant l'acquisition d'un fonds de terre ” comprend :

(i) les intérêts payés ou payables au cours d'une année relativement à de l'argent emprunté qu'il n'est pas possible de rattacher à un fonds de terre déterminé, mais qui peuvent néanmoins être raisonnablement considérés (compte tenu de toutes les circonstances) comme des intérêts sur de l'argent emprunté et utilisé à l'égard de l'acquisition d'un fonds de terre,

(ii) les intérêts payés ou payables au cours de l'année par le contribuable sur de l'argent emprunté qui peut raisonnablement être considéré (compte tenu de toutes les circonstances) comme ayant été utilisé pour aider, directement ou indirectement :

(A) une autre personne avec laquelle le contribuable a un lien de dépendance,

(B) une corporation dont le contribuable est un actionnaire désigné, ou

(C) une société sur le revenu ou la perte de laquelle la part du contribuable est d'au moins 10%,

à acquérir un fonds de terre qui sera utilisé ou détenu par cette personne, corporation ou société autrement que de la manière prévue aux alinéas (2)c) ou d), sauf lorsque l'aide prend la forme d'un prêt à cette personne, corporation ou société sur lequel le contribuable exige un taux d'intérêt raisonnable.

248(1) Dans la présente loi,

“biens” signifie des biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels et comprend, sans restreindre la portée générale de ce qui précède,

a) un droit de quelque nature qu'il soit, une action ou part,

[...]

“inventaire” S'entend de la description des biens dont le prix ou la valeur entre dans le calcul du revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise pour une année d'imposition ou serait ainsi entré si le revenu tiré de l'entreprise n'avait pas été calculé selon la méthode de comptabilité de caisse. S'il s'agit d'une entreprise agricole, le bétail détenu dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise fait partie de cette description de biens;

Analyse

[18] Pour les motifs qui suivent, je suis parvenu à la conclusion que les participations de l'appelante dans les conventions d'achat-vente, participations qui sont décrites dans les conventions de cession comme étant les “ participations cédées ”, sont des éléments d'inventaire entre les mains de l'appelante. Une règle législative établie par l'article 10 de la Loi régit la façon dont une baisse de valeur d'éléments d'inventaire doit être traitée lors du calcul du revenu. La Cour suprême du Canada a indiqué clairement que, lorsqu'il y a une règle législative qui régit le traitement d'une opération, les tribunaux doivent l'appliquer.[12] En l’espèce, donc, c'est l'article 10 de la Loi, plutôt qu'un principe commercial ou une règle de common law, qui doit être appliqué.

[19] Ma conclusion selon laquelle les acomptes[13] sont des éléments d'inventaire découle de l'arrêt de la Cour suprême du Canada Friesen[14]. Dans cette affaire-là, la Cour examinait le sens de la définition législative du mot “ inventaire ”, définition dont le passage pertinent précise qu'un inventaire est une “ [...] description des biens dont le prix ou la valeur entre dans le calcul du revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise pour une année d'imposition [...] ”. La majorité avait statué que, pour être visé par cette définition, un bien doit être pertinent aux fins du calcul du revenu pour une année seulement et pas nécessairement pour l'année considérée. Le juge Major avait, au nom de la majorité, rejeté l'argument selon lequel un actif, soit dans cette affaire-là un terrain, pouvait être considéré comme un élément d'inventaire seulement pour l'année de la disposition; il disait[15] :

[...] Si le législateur avait voulu exiger que le bien entre dans le calcul du revenu au cours d'une année particulière, de manière à constituer un bien figurant dans un inventaire pour cette même année, il aurait ajouté la phraséologie nécessaire pour exprimer clairement cette volonté.

[20] Les acomptes en question sont des actifs acquis par l'appelante à titre courant. Cela n'est pas en litige. L'appelante aurait pu en disposer d'un certain nombre de façons. Dans le cas des projets San Jose et Santa Barbara, elle avait obtenu le titre sur les terrains en exécutant les opérations d'achat-vente et, à ce stade, les acomptes sont devenus des éléments du nouvel actif, soit le terrain, tout comme des pièces deviennent une partie du stock de produits finis d'un fabricant. L'appelante a subi des pertes sur la vente des maisons dans ces projets, et le coût des acomptes, comme élément du coût des lots, était pertinent aux fins du calcul de ces pertes.

[21] Dans le cas des projets Del Cruz, Ft. Myers et Steamboat Springs, on a renoncé aux acomptes entre 1991 et 1994. L'intimée ne nie pas que l'appelante pouvait prendre ces pertes en considération à la disposition des acomptes par voie de renonciation. Il s'ensuit qu'il s'agit d'actifs correspondant au sens attribué par le législateur au terme “ inventaire ”. De même, si on avait disposé de l'un quelconque des acomptes, notamment par une autre cession, leur coût initial aurait été pertinent aux fins du calcul du revenu pour l'année de la disposition. Sur la foi de l'arrêt de la Cour suprême Friesen, c'est tout ce qui est nécessaire pour en faire des éléments d'inventaire.

[22] Les avocates de la Couronne soutenaient qu’en l’espèce l'appelante ne détenait pas d'éléments d'inventaire jusqu'à ce que les opérations se concluent et qu'elle devienne propriétaire du terrain. Je n'accepte pas cet argument, car il fait fi du libellé de la Loi définissant les termes “ biens ” et “ inventaire ”. Dans le cas des projets San Jose et Santa Barbara, l'appelante a effectivement pour la première fois détenu le terrain comme élément d'inventaire après l'exécution des opérations d'achat-vente. Avant l'exécution de ces opérations, elle détenait un actif différent, soit une part, qui s'est intégré au terrain au moment de la clôture. Son coût est devenu un élément du coût du terrain.

[23] Ce résultat est à mon avis renforcé par la conclusion de la majorité des juges de la Cour dans l'arrêt Friesen, à savoir que, pour l’application de la Loi, un bien est soit un élément d'inventaire, soit une immobilisation. Comme le disait le juge Major[16] :

[...] La Loi crée ainsi un système simple qui ne reconnaît que deux catégories générales de biens. La qualification d'un bien comme bien figurant dans un inventaire ou comme bien en immobilisation est fondée principalement sur le type de revenu qui sera tiré de ce bien.

[24] Il est indubitable que les acomptes n'ont en l’espèce pas le caractère d'une immobilisation et que, au moment de la disposition, ils donneraient lieu à des revenus et non à des gains en capital. M. Bratty a témoigné que l'appelante, outre qu'elle construit des habitations, a par le passé loti des terrains, acheté et vendu des conventions d'achat-vente du genre de celles qui sont en cause dans le présent appel et qu'elle a acheté et vendu des lots à bâtir. Si l'appelante avait vendu ces acomptes par une autre cession, il se serait agi d'une opération au titre du revenu et non au titre du capital. Je n'ai pas compris que l'avocate de l'intimée contestait cela.

[25] L'avocate de l'intimée faisait valoir dans son argumentation que, même si les acomptes étaient considérés comme des éléments d'inventaire, la composante “ intérêts ” de leur coût ne peut être l'objet d'une réduction de valeur du fait de l'interdiction prévue au paragraphe 18(2) de la Loi. Ce paragraphe, sous réserve de certaines exceptions qui ne s'appliquent pas ici, interdit la déduction de frais d'intérêt engagés par un contribuable relativement à l'acquisition de terrains. L'avocate soutient que la partie du “ prix de cession ” payé par l'appelante qui représente des intérêts courus, ainsi que tous intérêts courus depuis les cessions, est visée par cette interdiction et doit être “ inscrite à l'actif, puis ajoutée au coût en capital des terrains une fois ceux-ci acquis ”. Le paragraphe 10(1.1) prévoit expressément la capitalisation d'intérêts, dont la déduction est interdite par le paragraphe 18(2).

[26] L'avocat de l'appelante soutenait que la composante “ intérêts ” du prix de cession ne représente pas en fait des intérêts mais est simplement un élément du prix d'achat, calculé par rapport à une obligation de verser des intérêts contractée par les vendeurs avant la cession. Cet argument, ainsi formulé, aurait plus de poids si les cédants et l'appelante traitaient ensemble sans lien de dépendance. Il n'aide pas non plus l'appelante relativement aux intérêts courus sur les prix de cession, puisque les cessions ont eu lieu. Ces sommes correspondent à des obligations de verser des intérêts contractée par l'appelante elle-même.

[27] Le traitement comptable que l'appelante a accordé à ces sommes, soit à la fois les obligations de verser des intérêts antérieures à la cession, qu'elle a contractées relativement aux prix de cession, et les intérêts postérieurs à la cession, qu'elle a subis elle-même, a été de les capitaliser comme coûts des acomptes qu'elle a inscrits à l'actif de son bilan. Le fait que ce soit le traitement approprié de ces éléments est implicite dans l'opinion de M. Van Weelden selon laquelle “ [...] la réduction de valeur ou passation en charges des frais accumulés de 26 089 145 $ de la Ruland à l'égard des conventions de cession [...] a été faite conformément aux principes comptables généralement reconnus ”. M. Van Weelden savait évidemment que le montant de 26 089 145 $ incluait les intérêts antérieurs et postérieurs à la cession; il n'a pas été contre-interrogé quant à l'opportunité de capitaliser ces intérêts en tant que partie du coût des acomptes.

[28] L'argument de l'avocate de l'intimée n'est pas que les intérêts ne devraient pas être capitalisés, car il est clair qu'ils devraient l'être. L'avocate de l'intimée soutient simplement qu'ils ne doivent pas être capitalisés avant l'acquisition des terrains, car, à son avis, c'est à ce moment-là que l'appelante a pour la première fois eu un élément d'inventaire dont le coût en capital pouvait être augmenté des intérêts. J'ai déjà conclu toutefois que les acomptes étaient des éléments d'inventaire, et il s'ensuit qu'ils ont été correctement inscrits comme coût incluant la composante “ intérêts ”. Il est vrai que le paragraphe 10(1.1) ne s'appliquerait pas de manière à permettre une capitalisation avant l'exécution des opérations d'achat et l'acquisition des terrains. Cependant, l'application des principes comptables généralement reconnus donne lieu au même résultat à l'égard de la capitalisation des intérêts comme coût des acomptes avant l'exécution des opérations. Il n'y a aucune disposition législative ni aucun principe jurisprudentiel qui soit incompatible avec ce traitement de la composante “ intérêts ”, et ce traitement est conforme aux principes commerciaux bien établis, comme en fait foi l'opinion de M. Van Weelden, et est donc admissible[17].

[29] L'appel est admis, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juillet 1998.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de janvier 1999.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]               Exposé conjoint des faits, paragraphe 27.

[2]               Ces notes ont été reproduites dans l'exposé conjoint des faits, au paragraphe 30.

[3]               Pièce A-5, p. 3.

[4]               Associated Investors of Canada Ltd. v. M.N.R., [1967] 2 R.C.É. 96.

[5]               [1962] R.C.S. 3.

[6]               (1924) 12 T.C. 773.

[7]               63 DTC 1063 (C. de l’É.)

[8]               [1995] 3 R.C.S. 103.

[9]               [1998] 1 R.C.S. 147.

[10]             [1998] 1 R.C.S. 183.

[11]             [1998] 1 R.C.S. 196.

[12]             Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, page 326; arrêt Canderel Ltd. c. Canada, précité.

[13]             J'utilise ce terme pour désigner les actifs correspondant aux participations cédées dont l'appelante avait fait l'achat.

[14]             Précité.

[15]              Précité, page 121.

[16]             Précité, page 121.

[17]             Canderel Ltd. c. Canada, précité, pages 174 et 175.

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