Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990615

Dossiers: 97-2051-UI; 97-2052-UI

ENTRE :

HÉLÈNE CADIEUX JOHANNY,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET

ENTRE :

CHEZ FRANÇOISE LTÉE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

Intimé,

Et

CHEZ FRANÇOISE LTÉE,

Intervenante.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit de deux appels d'une décision, en date du 3 octobre 1997.

[2] En vertu de cette décision, il fut décidé que le travail exécuté par l'appelante, Hélène Cadieux Johanny, pour le compte et bénéfice de la compagnie Chez Françoise Ltée, du 7 mai au 30 décembre 1995 et du 1er mai 1996 au 4 janvier 1997, était exclu des emplois assurables pour le motif qu'il existait un lien de dépendance entre cette dernière et la compagnie contrôlée par son père, monsieur Jean Cadieux. Il a été convenu de procéder au moyen d'une preuve commune aux deux appels.

[3] Seul monsieur Jean Cadieux, en sa qualité de représentant de la compagnie Chez Françoise Ltée et l'appelante, madame Hélène Cadieux Johanny, ont témoigné.

[4] La preuve a établi que le travail de l'appelante avait déjà fait l'objet d'une évaluation au terme de laquelle il avait été établi que son travail était un travail assurable.

[5] Au moment de l'évaluation du dossier à l'origine des présents appels pour les années 1995 et 1996, l'appelante et son père ont donc été très surpris que l'assurabilité du travail ait fait l'objet d'une nouvelle évaluation. Ils ont même mandaté un avocat pour connaître la pertinence et le pourquoi de la nouvelle enquête relative à l'emploi déjà évalué et qualifié d'assurable par les mêmes autorités. D'ailleurs, je crois utile de reproduire le contenu d'une lettre en date du 25 août 1995 qui exprime bien l'étonnement de l'appelante.

Monsieur R. Gould

Division des appels

Revenu Canada

126, rue Prince William

Saint John, N.B.

E2L 4H9

Monsieur,

J'ai reçu votre lettre du 14 août concernant ma demande de révision de dossier. J'ai rempli le questionnaire attaché à votre lettre. À mon avis, il comporte sensiblement les mêmes questions que Mad. Noëlla Hébert de l'assurance-emploi m'a posées lors d'une entrevue le 20 mai.

Puis-je me permettre de vous rappeler qu'au cours des premières années d'opération de Chez Françoise, je ne contribuais pas à l'assurance-chômage. La Commission a décidé que mon emploi était assurable et depuis ce temps je contribue à l'assurance-chômage. Voici le tableau de la situation :

Ouverture de l'entreprise Mai 1982

Début des contributions à l'assurance-chômage 1987

Vous pouvez donc comprendre mon étonnement devant l'enquête que vous poursuivez et mon étonnement aussi sur les dates choisies du 7 mai 1995 au 30 décembre 1995 – 4 janvier 1996 au 4 janvier 1997. Je n'ai jamais douté de l'assurabilité de mon emploi puisque c'est l'assurance-chômage qui a décidé qu'il était assurable. De plus, je n'ai jamais été avisée avant le printemps '97 que la situation pourrait changer.

...

[6] La qualité du travail exécuté par madame Cadieux Johanny n'a pas été mise en cause; de plus, la rétribution n'a également pas été considérée comme déraisonnable. D'ailleurs, la preuve a démontré que le salaire versé pouvait correspondre à celui payé à une personne détenant les mêmes responsabilités.

[7] Au début de l'audience, le Tribunal a longuement expliqué à l'appelante et à monsieur Cadieux, porte-parole de la compagnie appelante, qu'il était essentiel de démontrer que l'intimé avait agi d'une manière arbitraire lors du processus ayant mené à la décision à défaut de quoi, la détermination devait être confirmée et l'appel rejeté.

[8] Il s'agit là d'un pré-requis fondamental. En matière d'assurabilité où il existe un lien de dépendance, il est tout à fait essentiel de démontrer par une prépondérance de la preuve que l'intimé a mal utilisé le pouvoir discrétionnaire que le législateur lui a confié.

[9] À défaut d'une telle preuve, ce Tribunal n'a pas l'autorité pour modifier la décision résultant de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

[10] Les paramètres de la juridiction de la Cour canadienne de l'impôt en matière d'assurabilité pour les emplois affectés par un lien de dépendance ont été édictés, expliqués et nuancés lors des importantes décisions de la Cour d'appel fédérale dans les affaires suivantes :

Tignish Auto Parts Inc. c. le Ministre du Revenu national

(25 juillet 1994, 185 N.R. 73)

Ferme Émile Richard et Fils Inc. et le Ministre du Revenu national

(1er décembre 1994, 178 N.R. 361)

Procureur Général du Canada et Jolyn Sport Inc.

(24 avril 1997, A-96-96, C.A.F.)

Procureur Général du Canada et Jencan Ltd.

(24 juin 1997, 215 N.R. 352)

Bayside Drive-In Ltd. et Sa Majesté la Reine

(25 juillet 1997, 218 N.R. 150)

[11] À la lecture de ces importantes décisions, il ressort d'une façon non équivoque que ce Tribunal ne peut annuler, modifier ou s'immiscer dans l'appréciation des faits ayant conduit à la détermination sans, au préalable, avoir une prépondérance de la preuve à l'effet que la décision a résulté d'un processus illégal ou carrément déraisonnable.

[12] En d'autres mots, il est absolument essentiel que la preuve démontre que les responsables de la décision ont agi d'une façon capricieuse, téméraire, arbitraire, voire même illégale.

[13] Cette preuve se fait généralement par la démonstration que les responsables des dossiers ont négligé de considérer des éléments ayant une importance déterminante ou ont donné une importance démesurée à certains points dont la valeur et la pertinence étaient douteuses.

[14] Il est aussi possible d'en arriver au même résultat si les appelantes démontrent de la négligence grossière ou de la mauvaise foi lors du traitement de leurs dossiers.

[15] En l'espèce, monsieur Cadieux, ayant bien compris la portée de ce pré-requis, a concentré ses énergies sur les allégués ayant trait au fait que l'appelante, Hélène Cadieux Johanny, n'avait jamais détenu 50 p. 100 des actions telles qu'alléguées comme suit au paragraphe 5(b) de la Réponse à l'avis d'appel :

avant 1988, la travailleuse possédait 50 % de ces actions;

il a aussi insisté sur le fait que le commerce était officiellement et publiquement fermé entre le 1er janvier et le 1er mai de chaque année. Finalement, il a soutenu que le salaire versé était raisonnable, justifié et approprié, eu égard aux responsabilités assumées par madame Cadieux Johanny.

[16] Finalement, il a soulevé avoir été vexé de ne pas avoir été associé, à titre de dirigeant de la compagnie payeuse, au processus ayant mené à la détermination.

[17] Il s'agissait là d'un point très pertinent jusqu'à ce qu'il reconnaisse, lors du contre-interrogatoire, qu'il avait eu des conversations avec certains responsables du dossier, qu'il était présent au moment où l'on avait recueilli la preuve documentaire au moyen de photocopies à ses bureaux. En outre, la preuve a révélé qu'il avait lui-même complété un long questionnaire relatif à l'emploi litigieux dans la phase préalable à la décision.

[18] Tant monsieur Cadieux que l'appelante, madame Hélène Cadieux Johanny, ont témoigné d'une manière honnête, spontanée et leur témoignage a démontré leur bonne foi. D'ailleurs, le Tribunal comprend leur étonnement devant le requestionnement de l'assurabilité de l'emploi qui, selon eux, a toujours été exécuté de la même façon.

[19] Effectivement, il peut être difficile de comprendre pourquoi un emploi déja déterminé assurable fait à nouveau l'objet d'une enquête aux fins d'évaluer s'il s'agit toujours d'un emploi assurable. À cet égard, il est important de comprendre que le monde du travail est en constant changement; il est donc normal pour les autorités de procéder à certaines vérifications périodiques pour voir si des faits nouveaux ont pu modifier le statut. Conséquemment, le présent dossier n'a pas été traité différemment ou injustement du fait d'avoir fait l'objet d'une révision.

[20] Dans un premier temps, je dois décider si l'appelante, madame Cadieux Johanny, a relevé le fardeau de la preuve requis pour me permettre d'analyser l'ensemble des faits relatifs au travail exécuté lors des deux périodes en litige.

[21] La jurisprudence dont il a été fait mention précédemment a indiqué que les erreurs, l'arbitraire ou les manquements devaient affecter les fondements de la détermination.

[22] En l'espèce, quels sont les allégués essentiels qui pouvaient justifier le bien-fondé de la détermination?

[23] Ces faits sont sans contredit les suivants :

f) pendant le reste de l'année, l'auberge est disponible sur demande pour des occasions spéciales;

...

i) à l'extérieur des périodes en litige, la travailleuse continuait à prendre les réservations, à planifier l'organisation nécessaire en vue des heures d'ouverture pour les événements spéciaux, à s'occuper de l'administration de l'appelante ainsi que des préparations nécessaires avant l'ouverture saisonnière de l'auberge;

j) à l'extérieur des périodes en litige, la travailleuse ne recevait aucune rémunération pour ses heures de travail;

k) la travailleuse n'a pas reçu toutes les semaines de salaire inscrites dans le registre de paye de l'appelante;

l) depuis le mois de juillet 1996, la ligne téléphonique de l'appelante communique aussi avec la résidence privée de la travailleuse, celle-ci étant voisine de l'auberge;

m) après la période en litige, soit du 4 au 18 avril 1997, la travailleuse a supervisé et formé dans le domaine de l'hôtellerie un étudiant en stage avec l'appelante, sans recevoir de rémunération de l'appelante;

[24] Les seuls faits mentionnés aux paragraphes f), i) et j) étaient en soi déterminants et justifiaient la détermination. Or, la preuve constituée par les témoignages de madame Cadieux Johanny et de son père a confirmé le bien-fondé de ces allégués qui en soi étaient hautement pertinents pour soutenir la détermination.

[25] D'autre part, tous les griefs reprochés à l'intimé quant au processus discrétionnaire n'ont en rien discrédité ou dilué la valeur déterminante des allégués fondamentaux et pertinents soutenant la détermination.

[26] À ce sujet, il m'apparaît pertinent de rappeler certains extraits du jugement dans la cause Procureur Général du Canada et Jencan Ltd., A-599-96, où le juge en Chef de la Cour d'appel fédérale, l'honorable Julius A. Isaac s'exprimait comme suit :

Le juge suppléant de la Cour de l'impôt a toutefois commis une erreur de droit en concluant que, parce que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, il avait automatiquement le droit de contrôler le bien-fondé de la décision du ministre. Ayant conclu que certaines des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'était fondé avaient été réfutées au procès, le juge suppléant de la Cour de l'impôt aurait dû se demander si les autres faits qui avaient été établis au procès étaient suffisants en droit pour justifier la conclusion du ministre suivant laquelle les parties n'auraient pas conclu un contrat de louage de services à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. S'il existe suffisamment d'éléments pour justifier la décision du ministre, du simple fait qu'une ou plusieurs des hypothèses du ministre ont été réfutées au procès et que le juge en serait arrivé à une conclusion différente selon la prépondérance des probabilités. En d'autres termes, ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la Cour de l'impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un défaut qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse des autres éléments de preuve. La Cour de l'impôt doit donc aller plus loin et se demander si, sans les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il reste suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si la réponse à cette question est affirmative, l'enquête est close.

[27] Conséquemment, je me dois de conclure que la preuve soumise par les appelantes n'a pas démontré d'erreur significative lors du traitement de leurs dossiers. Il eût été peut-être préférable que les personnes responsables de leurs dossiers soient plus explicites sur les motifs de la nouvelle analyse ou évaluation des faits et circonstances relatifs à l'emploi litigieux. Il ne s'agissait pas là cependant d'un impératif, leur seule responsabilité étant d'obtenir les faits et divers éléments nécessaires à la prise d'une décision judicieuse. Or, il appert, à la face même du dossier, qu'il fut rapidement constaté que l'appelante effectuait du travail non rémunéré en dehors des périodes en litige.

[28] Une fois ce fait constaté et corroboré par la preuve documentaire, dont notamment copie du livre des dépôts et du livre des salaires, tout le reste devenait superflu puisqu'il y avait là suffisamment de matière pour justifier et étoffer la conclusion à l'origine de la décision sur laquelle portent les présents appels.

[29] Dans les circonstances, à la lumière de la preuve, je ne peux intervenir compte tenu qu'il n'a pas été établi que la détermination résultait d'abus lors de l'exercice du pouvoir discrétionnaire.

[30] D'autre part, même si l'appelante, madame Cadieux Johanny, avait relevé le fardeau de la preuve requis pour justifier l'intervention du Tribunal, je ne crois pas que les faits établis par la preuve et les admissions quant au travail exécuté en dehors des périodes en litige auraient commandé une conclusion favorable aux appelantes.

[31] En effet, à maintes reprises, j'ai indiqué qu'il était usuel et normal qu'une personne ayant un lien de dépendance avec son employeur soit plus généreuse et plus collaboratrice. Pareilles collaboration et générosité ne doivent cependant pas avoir une telle importance qu'il serait tout à fait inconcevable d'imaginer pareille relation entre des tiers.

[32] En l'espèce, la preuve a mis en lumière que le travail exécuté par l'appelante, madame Cadieux Johanny, en dehors des périodes en litige, débordait largement une générosité ou une collaboration ponctuelle pouvant se justifier par un intérêt très enthousiaste à l'endroit de son emploi.

[33] Quant aux explications voulant que les parties aient convenu que le salaire payé devait inclure les services gratuits effectués en dehors des périodes en litige, cela n'est aucunement pertinent. Bien plus, cela a pour effet de consolider la non assurabilité de l'emploi en question.

[34] Accepter une telle explication serait contraire au but visé par la Loi sur l'assurance-chômage (la “Loi”) de protéger les personnes ayant perdu leur emploi.

[35] En effet, cela voudrait dire qu'une partie du salaire a été payée par anticipation pour un travail différé; or, les prestations d'assurance-chômage sont établies à partir du salaire reçu pour du travail exécuté durant les périodes de travail et non pas pour du travail différé.

[36] En d'autres termes, verser un salaire pour des prestations de travail effectué en différé aurait pour effet direct de gonfler artificiellement les montants possiblement assurables procurant ainsi des prestations plus importantes et ça, au moment où le travail différé est effectué et non rémunéré.

[37] Non seulement une telle entente n'est pas acceptable en matière d'assurabilité, elle disqualifie totalement la nature même d'un véritable contrat de louage de services. La Loi n'assure que les véritables emplois. Un emploi dont le montant de rétribution prévoit l'exécution d'une partie du travail lors des périodes d'arrêt couvertes par les prestations d'assurance-chômage n'est pas un contrat de travail assurable au nom de la Loi.

[38] Un emploi peut faire l'objet d'évaluations multiples aux fins d'y constater si des changements sont survenus depuis la dernière évaluation. Dans la pratique cependant, ce genre d'enquête peut inquiéter, voire même traumatiser ceux et celles qui font l'objet de pareilles investigations. Ils s'imaginent souvent que le système les accuse ou leur reproche d'avoir agi illégalement.

[39] Cette perception est particulièrement répandue auprès de ceux dont l'emploi a déjà été déclaré assurable, souvent à la suite d'ailleurs d'initiatives qu'ils ont eux-mêmes prises pour s'assurer que tout était correct, régulier, conforme et légal.

[40] Dans une société où tout évolue très rapidement et où des changements majeurs interviennent très régulièrement, il est normal, voire même essentiel, que le système puisse prévoir des révisions périodiques.

[41] En l'espèce, eu égard à la preuve et eu égard aux limites de la juridiction de la Cour canadienne de l'impôt en matière d'assurabilité, le Tribunal doit rejeter les appels.

Signé à Ottawa (Canada), ce 15e jour de juin 1999.

“Alain Tardif”

J.C.C.I.

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