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Date: 20000802

Dossier: 1999-4496-IT-I

ENTRE :

DONALD FRANK ROBINSON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1] L'appel en l'instance, interjeté sous le régime de la procédure informelle, se rapporte à une cotisation, établie aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) relativement à l'année d'imposition 1997 de l'appelant, dans laquelle le ministre du Revenu national (“ le ministre ”) a refusé la déduction des paiements de pension alimentaire et d'entretien effectués au cours de l'année.

[2] À toutes les périodes pertinentes, M. Robinson était divorcé de Doris Robinson. Geoffrey Robinson, un enfant de l'appelant et de Mme Robinson, est né le 27 juillet 1977.

[3] En 1996, Geoffrey Robinson s'est adressé à la Division provinciale de la Cour de l'Ontario pour obtenir une ordonnance obligeant son père à lui verser une pension alimentaire. Dans sa requête, Geoffrey Robinson a déclaré que son père avait négligé ses responsabilités financières au cours des 13 dernières années et que c'est sa mère qui avait subvenu à ses besoins au cours de ces années. [TRADUCTION] “ Cependant, ma situation financière s'est récemment détériorée pour des raisons indépendantes de ma volonté. Ma mère n'est plus en mesure de subvenir à mes besoins. Je dois entreprendre des études universitaires à l'automne de 1996 et mes dépenses seront très élevées ”. À l'époque où il a présenté sa requête, Geoffrey Robinson gagnait 50 $ par semaine et vivait avec sa mère.

[4] Le 11 décembre 1996, la Cour de l'Ontario a ordonné à l'appelant de verser à son fils, à compter du 13 décembre 1996, une pension alimentaire de 300 $ par mois indexable en vertu des paragraphes 34(5) et (6) de la Loi sur le droit de la famille de la province. L'appelant devait verser directement à son fils les montants prévus pour les mois de décembre 1996, janvier 1997 et février 1997. Au cours de l'année 1997, l'appelant a versé chaque mois à son fils la somme de 300 $. C'est la somme des montants, soit 3 600 $, que l'appelant a déduit à titre de paiement de pension alimentaire ou d'entretien dans le calcul de son revenu pour l'année 1997.

[5] L'intimée reconnaît que l'appelant a effectué les paiements de 300 $ par mois à son fils en application d'une ordonnance d'un tribunal. L'appelant soutient qu'il est tenu, aux termes de l'ordonnance, de faire les paiements directement à son fils pour subvenir à ses besoins pendant ses études universitaires. Geoffrey Robinson a atteint l'âge de la majorité en 1997.

[6] Dans son avis d'appel, l'appelant prétend qu'il est victime de discrimination parce qu'il a effectué les paiements directement à son fils plutôt qu'à son ancienne épouse.

[7] Aux termes de l'alinéa 60b) de la Loi, un contribuable peut, dans certains cas, déduire dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition les montants versés à un conjoint ou à un ancien conjoint pour le bénéfice des enfants issus du mariage. Est énoncée dans cette disposition une formule servant à déterminer le montant qu'un contribuable peut déduire au titre de la pension alimentaire pour enfant versée au cours d'une année d'imposition à son conjoint ou à son ancien conjoint qui est le parent de l'enfant dont le contribuable est le parent naturel.

[8] Au paragraphe 60.1(1), il est précisé que, pour l'application de l'alinéa 60b), dans le cas où une ordonnance ou un accord, ou une modification s'y rapportant, prévoit le paiement d'un montant par le contribuable à une personne ou à son profit, au profit d'enfants confiés à sa garde ou à la fois au profit de cette personne et de ces enfants, le montant ou une partie de celui-ci est réputé, une fois payable, être payable à la personne et à recevoir par elle et, une fois payé, avoir été payé à la personne et reçu par elle. En d'autres termes, lorsque le montant n'est pas payé à l'ancien conjoint mais au profit d'un enfant dont cette personne a la garde, le montant est néanmoins réputé avoir été versé au conjoint de façon que le contribuable qui a versé le montant puisse déduire celui-ci comme il y est autorisé en vertu de prévu de l'alinéa 60b). Au procès, la question à trancher ne consistait plus qu'à déterminer si la mère de Geoffrey Robinson avait la garde de celui-ci au cours de l'année 1997 lorsque l'appelant a effectué les paiements en conformité avec l'ordonnance du tribunal[1].

[9] Il n'existe aucune preuve que l'appelant, son épouse et son fils, Geoffrey Robinson, ne résidaient pas en Ontario au cours de l'année 1997. En vertu de la Loi sur la majorité et la capacité civile de l'Ontario, quiconque atteint l'âge de 18 ans atteint l'âge de la majorité et cesse d'être une personne mineure[2]. Aux termes de la partie III de la Loi portant réforme du droit de l'enfance de l'Ontario, qui porte sur la garde, la visite et la tutelle, la mention d'un enfant indique un enfant qui est mineur[3]. Dans la Loi sur le divorce du Canada, un “ "enfant à charge" [désigne l'] enfant des deux époux ou ex-époux qui, à l'époque considérée, [...] a moins de seize ans [...] ”.

[10] On a fait référence à plusieurs affaires, qui sont pertinentes en l'espèce. Dans l'affaire Guardo c. M.R.N.[4], un appel de novo d'une décision de la Cour, l'appelant a déduit les paiements effectués à son fils majeur. La Cour supérieure du Québec avait ordonné à M. Guardo d'effectuer les paiements à son fils pendant qu'il poursuivait ses études à l'Université de Montréal. Les paiements étaient faits directement au fils qui avait quitté la maison de sa mère afin de se rapprocher de l'Université. La Section de première instance de la Cour fédérale a confirmé la décision de la C.C.I. et a rejeté l'appel pour le motif que l'ancienne conjointe de M. Guardo n'avait plus la garde du fils.

[11] Dans l'arrêt La Reine c. Curzi[5], le juge Noël, tel était alors son titre, a effectué une analyse détaillée de la jurisprudence ainsi que du sens du terme anglais custody et de son équivalent français “ garde ”. Dans l'affaire Curzi, le tribunal avait ordonné à l'appelant de faire des versements hebdomadaires à son fils majeur qui fréquentait un collège. Comme en l'espèce, le fils de l'appelant ne résidait plus avec sa mère, l'ancienne conjointe de l'appelant, mais la C.C.I. a admis l'appel (décision non publiée). Le ministre a interjeté appel devant la Section de première instance de la Cour fédérale dans le cadre d'un procès de novo et l'appel de la Couronne a été accueilli. Dans l'affaire Curzi, l'appelant résidait au Québec et était assujetti aux dispositions du Code civil. Le juge Noël a conclu que le fils s'était soutiré de la garde de l'ancienne conjointe de l'appelant et que le paragraphe 60.1(1) ne s'appliquait donc pas.

[12] Dans l'affaire Sadler c. Canada[6], une décision de la Cour, le contribuable a réussi à obtenir la déduction des paiements de pension alimentaire effectués à ses enfants. Ces derniers étaient majeurs, vivaient à la maison et fréquentaient l'université. Mon collègue le juge Bell a admis l'appel après avoir conclu que la mère avait la garde des enfants. Ces derniers remettaient à la mère une partie de l'argent reçu du père. Ils dormaient dans la maison de la mère et y prenaient leurs repas. Les enfants étaient à la charge de la mère et elle assumait la responsabilité de leur bien-être.

[13] Pour l'application de la Loi sur le divorce, le terme anglais custody et son équivalent français “ garde ” comprennent “ le soin, l'éducation et tout autre élément qui s'y rattache ”[7]. Le New Shorter Oxford English Dictionary définit le terme custody de la façon suivante : “ garde; protection, soin, tutelle ”. Le juge Noël s'est efforcé de définir la notion insaisissable de garde dans l'affaire Curzi :

La définition du terme "enfant à charge" prévue à la Loi sur le divorce évoque dans certains de ses aspects une notion semblable à celle envisagée par l'obligation alimentaire prévue au Code civil. En effet, un enfant peut être considéré comme étant à la charge de ses parents tant et aussi longtemps qu'il ne peut subvenir à ses propres besoins, quel que soit son âge.

La notion de "garde" ou "custody" évoque toute autre chose. Dans le cadre d'un divorce, l'un ou l'autre des ex-conjoints se voit confier la garde des enfants. Une ordonnance de garde crée un droit en faveur du parent qui se la voit attribuer. C'est celui ou celle qui a la garde des enfants qui a la responsabilité ultime quant à l'éducation des enfants [...]

Cependant, ce droit de garde n'est pas perpétuel et une ordonnance de garde ne pourrait être opposée à un enfant majeur et émancipé qui choisit de son propre chef de se soutirer de l'autorité parentale. Le fait qu'un enfant puisse, dans ces circonstances, demeurer un enfant à charge dans la mesure où, ayant quitté le foyer parental, il ne peut subvenir à ses propres besoins ne fait pas en sorte qu'il demeure sous la garde du parent qu'il a choisi de quitter. La notion de garde a comme prérequis l'existence de l'autorité parentale laquelle ne peut être exercée à l'encontre d'un enfant majeur et émancipé qui choisit de s'y soustraire. Le juge de première instance ne pouvait donc conclure que Stéphane demeurait sous la garde de sa mère au seul motif qu'il était dans le besoin après avoir quitté le domicile de sa mère ou que l'ordonnance de garde prononcée en 1977 n'avait pas, au moment pertinent, formellement été révoquée.[8]

[14] En vertu des paragraphes 31(1) et (2) de la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario :

(1) Le père et la mère sont tenus de fournir des aliments à leur enfant non marié qui est mineur ou qui suit un programme d'études à temps plein, dans le mesure de leurs capacités.

(2) L'obligation prévue au paragraphe (1) ne s'applique pas à l'enfant de seize ans ou plus qui s'est soustrait à l'autorité parentale.

[15] Même si l'article 31 de la Loi sur le droit de la famille ne mentionne pas expressément le terme garde, les termes “ s'est soustrait à l'autorité parentale ” peuvent être raisonnablement interprétés comme signifiant que l'enfant s'est soutiré de la garde. Si un tribunal, qui a été saisi d'une demande d'ordonnance d'un enfant adulte visant à obtenir le versement d'une pension alimentaire pour poursuivre des études universitaires (ce qui peut l'obliger à quitter sa résidence habituelle), rend l'ordonnance demandée, rien, dans celle-ci, ne laisse sous-entendre que l'un des conjoints exerce “ l'autorité parentale ” sur l'enfant (ou en a la “ garde ”). La preuve de l'exercice de l'autorité parentale doit être faite au procès, comme ce fut le cas dans l'affaire Sadler.

[16] La notion de garde suppose que l'enfant se soumet à l'autorité parentale et qu'il est à la charge de la personne concernée dans une certaine mesure. C'est une question qui doit être tranchée sur la foi des faits établis et qui n'est pas nécessairement fonction de l'âge, quoique, comparativement à un enfant mineur, il est plus difficile pour un enfant adulte d'établir qu'il est assujetti à la garde de l'un des parents. Il faut déterminer entre autres choses si l'enfant adulte, comme c'est le cas en l'espèce, a accepté d'être assujetti à la garde de l'un des parents par ses actions. Si l'enfant habite à la maison, par exemple, a-t-il accepté de respecter les règles établies par le parent avec lequel il vit? Un enfant qui est aux études et qui a quitté le foyer pour se rapprocher de l'école peut quand même être assujetti à l'autorité de l'un des parents. Dans l'affaire Sadler, l'un des enfants a témoigné que les parents payaient leurs frais d'inscription à l'université, qu'eux-mêmes aidaient aux tâches ménagères et qu'ils devaient faire preuve d'une “ courtoisie élémentaire ”, c'est-à-dire qu'ils devaient appeler leur mère lorsqu'ils rentraient tard à la maison et prendre des dispositions avec elle pour que des invités restent chez elle. Dans une situation du genre, il est assez évident, dans l'affaire Sadler, que la mère avait la garde des enfants.

[17] Dans l'appel en l'instance, Geoffrey Robinson a présenté une requête dans le but d'obtenir une aide financière de son père parce que sa mère ne pouvait pas lui donner suffisamment d'argent pour lui permettre de poursuivre ses études, même si elle lui fournissait un foyer. Geoffrey n'a pas témoigné. Aucune preuve n'a été produite pour établir le degré de protection, de tutelle ou de garde, le cas échéant, que la mère de Geoffrey exerçait sur lui; de même, rien ne permet de déterminer si Geoffrey avait continué de s'assujettir à l'autorité de sa mère, un point qui revêt peut-être encore plus d'importance. Il faut faire la distinction entre un enfant qui vit à la maison avec un parent parce qu'il est assujetti à son autorité et un enfant qui vit avec un parent parce qu'il veut économiser de l'argent.

[18] Même si j'avais conclu que Mme Robinson avait la garde de Geoffrey, cela ne m'amènerait pas nécessairement à conclure, je crois, que l'appelant peut déduire les paiements de pension alimentaire. Dans l'affaire Miguelez c. Canada[9], on avait refusé la déduction de paiements que l'appelant effectuait directement à sa fille majeure. Le juge Lamarre a conclu que la mère n'avait pas la garde de sa fille au cours de la période pertinente. Elle a déclaré que deux conditions doivent être remplies lorsqu'une personne effectue des paiements à une personne qui n'est pas un conjoint ou un ancien conjoint[10].

Si les paiements de pension alimentaire ne sont pas faits à l’ancien conjoint du débiteur alimentaire, comme dans le cas présent, ils seront déductibles pour l’appelant si deux conditions sont remplies. D'une part, ces paiements doivent être faits au profit de cet ancien conjoint ou d’enfants confiés à sa garde. D'autre part, l’accord écrit prévoyant le versement de ces sommes doit prévoir explicitement que les dépenses engagées par l’appelant pour subvenir aux besoins de son enfant dont la garde est confiée à son ancien conjoint seront réputées être des paiements effectués à titre d’allocation payable périodiquement et reçus par l’ancien conjoint. Ceci veut dire que dans l’accord écrit, l’ancien conjoint accepte d'inclure les sommes ainsi versées à une autre personne qu'elle dans son revenu et que le débiteur accepte d’en prendre la déduction dans le calcul de son revenu.

Ici, l’appelant ne rencontre à mon avis aucune des conditions exigées. D’une part, à la lecture de l’entente du 5 juillet 1992, il n’est pas du tout clair que Beatriz Miguelez accepte d’inclure les sommes versées à sa fille Maia dans son revenu.

[19] Le juge Lamarre faisait référence au paragraphe 60.1(2) de la Loi qui précise que, dans le cas où l'ordonnance prévoit que les paragraphes 60.1(2) et 56.1(2) s'appliquent à un montant payé ou payable en vertu de ces dispositions, le montant est réputé être un montant payable par le contribuable à cette personne et à recevoir par celle-ci à titre d'allocation périodique, que cette personne peut utiliser à sa discrétion.

[20] Dans l'ordonnance en cause en l'espèce, il n'y a aucune mention des paragraphes 60.1(2) ou 56.1(2). Même s'il n'est pas nécessaire, à mon avis, que l'ordonnance (ou l'accord écrit) mentionne expressément que les paragraphes 60.1(2) et 56.1(2) s'appliquent, l'ordonnance (ou l'accord écrit) devrait clairement indiquer que telle était l'intention du tribunal (ou des parties). L'ordonnance en cause en l'espèce est muette à ce sujet.

[21] Lorsqu'un enfant adulte, dont un parent a la garde, s'adresse à un tribunal pour que l'autre parent lui verse une pension alimentaire, le parent qui a la garde devrait être partie à la requête. De cette manière, le juge saisi de la requête a l'occasion d'entendre toutes les parties concernées et, s'il le juge justifié, de rendre l'ordonnance appropriée aux termes du paragraphe 60.1(2) de la Loi.

[22] L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d'août 2000.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de janvier 2001.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               L'ordonnance du tribunal obligeant l'appelant à effectuer les paiements à Geoffrey Robinson est datée du 11 décembre 1996; par conséquent, la disposition législative qui était en vigueur avant avril 1997 est celle qui s'applique.

[2]               L.R.O. 1990, chap. A.7, art. 1.

[3]               L.R.O. 1990, chap. C.12, par. 18(2).

[4]               C.F., 1re inst., no T-1222-91, 28 décembre 1998 ([1998] 99 DTC 5150 (C.F., 1re inst.)).

[5]           C.F., 1re inst., no T-1183-92, 8 février 1994 ([1994] 94 DTC 6417 (C.F., 1re inst.)).

[6]               [1997] A.C.I. no 725 (Q.L.).

[7]               L.R.C. 1985, ch. 3 (2e suppl.), art. 2, par. 1.

[8]               Curzi, précitée, aux pages 9 et 10 (DTC : note 5, à la page 6421).

[9]               C.C.I., no 97-3534 (IT), 14 mai 1998 ([1999] C.T.C. 2665 (C.C.I.)).

[10]             À la page 12 (C.T.C. : aux pages 2672 et 2673).

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