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Date: 19990928

Dossier: 98-1125-UI; 98-184-CPP

ENTRE :

ACCU-TEL MESSAGE CENTRES INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge O’Connor, C.C.I.

[1] Les présents appels ont été entendus à Toronto (Ontario) le 11 août 1999.

[2] Ont témoigné Stephen Riley, propriétaire et président de l’appelante, Scott D. Meades (le « travailleur » ) et Gail Young, agente de Revenu Canada.

[3] Les hypothèses qui suivent sont tirées de la réponse à l’avis d’appel relative à l'assurance-chômage. La réponse relative aux pensions est presque identique, si ce n’est qu’on y renvoie au Régime de pensions du Canada et à un emploi ouvrant droit à pension :

[TRADUCTION]

10. L’appelante a demandé à l’intimé de régler la question de savoir si, pendant qu’il travaillait pour elle, du 10 février au 17 septembre 1997, Scott D. Meades (le « travailleur » ) exerçait un emploi assurable au sens de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi » ).

11. L’intimé a informé l’appelant qu’il avait été déterminé que le travail accompli par le travailleur pour l’appelante pendant la période en cause était un emploi assurable au motif que le travailleur était employé aux termes d’un contrat de louage de services.

12. Pour arriver à sa décision, l’intimé s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

a) l’appelante exploite un centre d’appels offrant des services de messagerie, de téléavertisseur, de télécopieur, de messagerie vocale et de télémarketing;

b) le travailleur a été engagé par l’appelante pour fournir des services dans le domaine des communications téléphoniques et de la messagerie informatisée, services comprenant les communications téléphoniques personnelles, la messagerie informatisée et la saisie de données, la radiomessagerie, la transmission par télécopieur, l’audiomessagerie et le télémarketing;

c) le travailleur fournissait ces services dans les locaux de l’appelante;

d) l’appelante fournissait au travailleur un local ainsi qu’un terminal d’ordinateur relié au système téléphonique et de téléréponse de l’appelante;

e) l’équipement mis à la disposition du travailleur et dont il est fait mention au paragraphe précédent avait une valeur approximative de 250 000 $;

f) le travailleur et l’appelante ont conclu une entente écrite (l’ « entente » );

g) aux termes de cette entente, le travailleur était embauché par l’appelante pour une période d’un an;

h) l’appelante établissait et affichait un calendrier hebdomadaire de travail que devait respecter le travailleur et les autres personnes qui fournissaient, pour l’appelante, des services comparables;

i) lorsque le travailleur ne pouvait effectuer un quart de travail particulier, il pouvait changer de quart avec un autre travailleur de l’appelante, avec l’approbation de celle-ci;

j) le travailleur était payé 7 $ de l’heure;

k) le taux de rémunération du travailleur était fixé par l’appelante;

l) le travailleur était payé à la quinzaine, en fonction du nombre réel d’heures de travail;

m) le travailleur a fourni ses services à temps plein et de manière continue;

n) le travailleur a reçu une formation de l’appelante;

o) le travailleur était tenu de se présenter chez l’appelante quinze minutes avant le début de son quart de travail;

p) aux termes de l’entente, l’appelante se réservait le droit de mettre fin en tout temps à l’emploi du travailleur;

q) aux termes de l’entente, le travailleur ne pouvait divulguer à quiconque des renseignements sur les activités de l’appelante, ni pendant la période d'emploi chez l'appelante ni par la suite;

r) le travailleur n’a engagé aucune dépense reliée à l’exécution de ses tâches;

s) le travailleur ne pouvait réaliser de profit ni subir de perte en fournissant les services de l’appelante;

t) les heures de travail du travailleur étaient également contrôlées par l’appelante au moyen d’un système d’ouverture et de fermeture de session dans l’ordinateur ainsi que du système téléphonique, qui enregistrait la durée de chaque appel;

u) l’appelante a mis fin à l’emploi du travailleur avant l'expiration de la période prévue dans l’entente;

v) le travail du travailleur faisait partie intégrante de l'entreprise de l’appelante;

w) le travailleur ne faisait pas de représentation, de publicité ou de travail de promotion à titre de travailleur individuel;

x) le travailleur était employé par l’appelante aux termes d’un contrat de louage de services.

[4] Dans son témoignage, M. Riley a indiqué qu’il avait fait l’acquisition de la compagnie de l’appelante à la fin de 1991, alors que tous les employés étaient réellement des employés et non des entrepreneurs indépendants. En 1995, il a estimé qu’il serait beaucoup plus efficace pour les travailleurs d’avoir un statut d’entrepreneur indépendant; cela leur permettrait entre autres d’établir de meilleures relations et d’effectuer du travail de meilleure qualité. C’est ainsi qu’on a demandé à chaque travailleur de signer une entente (comme celle de la pièce A-2) dans laquelle le travailleur est qualifié d'entrepreneur indépendant. La pièce A-2 se lit comme suit :

[TRADUCTION]

ENTENTE CONTRACTUELLE

ENTRE : Accu-Tel Message Centres Inc.

ET : Scott Meades (travailleur contractuel)

Scott Meades(le « travailleur » ) s’engage à fournir des services à Accu-Tel Message Centres Inc. ( « Accu-Tel » ) à titre d’entrepreneur indépendant. La proposition qui suit, une fois acceptée par le travailleur, deviendra l’entente régissant la prestation de tels services.

Sous réserve des conditions énoncées ci-après, Accu-Tel retiendra les services du travailleur à titre d’entrepreneur indépendant et non d’employé, pendant une période d’une durée déterminée de douze mois, commençant le 10 février 1997 et finissant le 9 février 1998, pour fournir des services dans le domaine des communications téléphoniques et de la messagerie informatisée, services pouvant comprendre, sans s’y limiter, les services énumérés à l’annexe « A » (les « services » ). Le travailleur s’engage à offrir des services de qualité professionnelle conformes aux normes et pratiques généralement acceptées dans le domaine commercial et dans celui des télécommunications, et à les fournir à la satisfaction d’Accu-Tel.

Au cas où la présente entente ne serait pas prolongée de manière officielle en conformité avec les clauses exposées ci-après, et où le travailleur fournirait les services au-delà de la période prévue de 12 mois, toute prolongation se fera à l’heure uniquement, et Accu-Tel pourra y mettre fin sans avis préalable ni aucune obligation de sa part, si ce n’est celle de payer les services déjà fournis.

La présente entente n'a pas pour effet de donner au travailleur le droit d’obtenir des avantages ou des privilèges d’Accu-Tel, ni de le rendre admissible à de tels avantages ou privilèges.

Le travailleur s’engage à présenter à Accu-Tel un tableau de ses heures de disponibilité une semaine à l'avance. Le travailleur comprend et accepte qu’Accu-Tel essaiera dans la mesure du possible de tenir compte de ses heures de disponibilité mais qu'Accu-Tel ne peut lui garantir toutes les heures demandées.

Pour les services fournis par le travailleur et eu égard à toutes les autres obligations assumées par celui-ci aux termes de la présente entente, Accu-Tel lui versera une rémunération brute de 9 $ l’heure, moins des frais d’utilisation de l'équipement de 2 $ l’heure, soit un taux de rémunération nette de 7 $ l’heure pour la durée de l'entente. Le travailleur fournit, toutes les deux semaines, un relevé des heures consacrées à la prestation des services visés par la présente entente.

S'il prévoit toucher un revenu annuel brut de plus de 30 000 $, le travailleur doit fournir un numéro d’inscrit aux fins de la TPS et facturer la TPS.

Le travailleur prend à sa charge tous ses frais de déplacement et autres dépenses, exception faite des frais qu'Accu-Tel a préalablement convenu de rembourser.

S'il obtient, pendant la prestation des services visés par la présente entente, des renseignements exclusifs d’Accu-Tel, ou encore des renseignements sur les activités commerciales, l'équipement ou les produits de clients d’Accu-Tel, le travailleur traite ces renseignements comme des renseignements à caractère confidentiel et s'abstient de les divulguer, que ce soit pendant ou après la période visée par la présente entente, à des concurrents d’Accu-Tel ou à toute autre personne.

Pendant la période visée par la présente entente, le travailleur est libre de fournir des services à d’autres personnes ou entreprises, pour autant que les services fournis à d’autres ne fassent d’aucune manière concurrence aux services assurés aux termes de la présente entente et que le travailleur consacre en priorité son temps à la prestation des services d’Accu-Tel, de sorte que les heures que le travailleur s’est engagé à faire pour le compte d’Accu-Tel le soient effectivement.

La présente entente peut être résiliée par l’une ou l’autre des parties en cas d’inobservation d’une clause de l'entente, si l’inobservation n’est pas corrigée, s’il y a lieu, dans les 15 jours suivant la remise d'un avis écrit signifié par la partie lésée à l'autre partie. Toutes les clauses de la présente entente se rapportant aux droits exclusifs, à la divulgation et à la confidentialité demeurent en vigueur après la résiliation de l’entente.

Le défaut, par l’une ou l’autre des parties, de faire rigoureusement respecter les clauses, conditions ou engagements prévus dans la présente entente, en une ou plusieurs occasions, est réputé être une renonciation, par cette partie, à tout droit prévu dans la présente entente, y compris le droit d’exiger de nouveau le respect rigoureux de ces clauses, conditions ou engagements.

Les clauses et conditions susmentionnées constituent l’intégralité de la présente entente, et aucune autre clause ou condition, expresse ou tacite, à moins qu’elle ne soit stipulée dans la présente entente, ne s’applique.

La présente entente ne peut être prolongée qu'avec le consentement mutuel écrit des parties.

______________________ _____________________

Travailleur contractuel Accu-Tel Message Centres Inc.

Accepté le 12 février 1997.

M. Riley a en outre expliqué que le travailleur remettait périodiquement le tableau de ses heures de disponibilité et que, si le travail l’exigeait, les services du travailleur étaient retenus pendant ces heures-là. M. Riley a déclaré que le travail à effectuer était simple, que le travailleur était responsable de son travail, aux termes de l’entente, et qu'il facturait l’appelante chaque semaine. De plus, comme le stipule l’entente, le taux de rémunération du travailleur était de 9 $ l’heure moins 2 $ pour les frais d’utilisation de l’équipement de l’appelante. M. Riley a fait remarquer qu’il n’y avait pas de paie de vacances et que le travailleur était libre de se faire remplacer s’il ne pouvait se présenter au travail aux heures qui lui avaient été assignées. M. Riley a ajouté que le travailleur était libre de travailler ailleurs et que, en fait, M. Meades avait travaillé pour une autre société d’informatique comparable à l’appelante, ainsi que dans le domaine de la construction.

[5] Gail Young a témoigné principalement sur les faits se rapportant à la question de savoir si le ministre est empêché par préclusion de rendre une décision sur le statut d’un employé après avoir censément omis de répondre par écrit à certains questionnaires sur les employés, questionnaires que l’appelante avait remplis. Mme Young a déclaré que, en réalité, les questionnaires en question avaient été demandés par le ministère à la suite d’une vérification des affaires de l’appelante. M. Riley a nié cela. Dans son témoignage, Mme Young a déclaré qu’elle avait en outre téléphoné à M. Riley pour l'informer que les travailleurs en cause entraient dans la catégorie des employés plutôt que dans celle des entrepreneurs indépendants, et elle a ajouté que M. Riley lui avait répondu qu’il allait s'occuper de cette question à la lumière de cette précision. L’avocat de l’appelante a réussi à établir que Mme Young n’avait pas rencontré M. Riley en personne et qu’elle aurait fort bien pu parler à n’importe qui au téléphone lorsqu’elle avait censément apporté cette précision à M. Riley, si bien qu’il ne fallait pas tenir compte de son témoignage.

[6] Dans son témoignage, le travailleur a déclaré qu’il avait eu une entrevue avec Kim D. Lowen, un cadre supérieur de l’appelante. Il a également déclaré que, avant sa première affectation, il avait présenté le tableau de ses heures de disponibilité, lesquelles étaient, au début, de 19 h à minuit en semaine et n’importe quand pendant les fins de semaine. M. Meades a déclaré qu’il ne demandait à faire changer ses heures que lorsqu’il voulait s’absenter et qu’il se faisait alors remplacer par des collègues. Il a également déclaré qu’il avait dû demander la permission de prendre congé à deux superviseurs qui, en fait, étaient des collègues, mais qui se qualifiaient eux-mêmes de superviseurs. Il devait suivre une procédure d’ouverture de session au début de sa période de travail et une autre de fermeture de session, à la fin. Il a indiqué qu’il avait reçu deux semaines de formation. Il a en outre précisé qu’il ne travaillait pas à l’ordinateur hors des locaux de l’appelante, que tout son travail était accompli sur place avec l’équipement de l’appelante et qu’il n’avait par ailleurs jamais travaillé dans la construction pendant la période en cause. Il a également déclaré que, à la fin de ses études, il avait demandé à faire changer ses heures pour travailler le jour et que cette demande n’avait pas été acceptée initialement. Il a confirmé qu’on ne l’avait pas informé des commissions qu’il pouvait obtenir s’il accroissait le volume d’affaires de l’appelante. On lui a montré les pièces R-1 et R-2, qui sont des notes de service de l’appelante. Elles sont libellées comme suit :

[TRADUCTION]

À l’ATTENTION DU PERSONNEL

OBJET : SERVICE À LA CLIENTÈLE

Ces derniers mois, nous avons observé un sérieux relâchement dans le service à la clientèle — 8 ou 9 sonneries plus 1 ou 2 minutes de mise en attente sont devenues monnaie courante. À tel point que nous avons récemment perdu 2 clients importants en raison du mauvais service à la clientèle (en l’occurrence RLP JOHNSON & DANIEL et FREEWAY PAVING). Cela représente une perte d’environ 1 000 $ par mois, ou 12 000 $ par an. Que diriez-vous de perdre 12 000 $ par an? Est-ce que cela vous irriterait? Que FERIEZ-vous?

Nous avons récemment réglé la question de l’absentéisme et des retards, et nous allons maintenant nous attaquer au problème grandissant de « l'INDIFFÉRENCE à l’égard de la clientèle » . Notre fonction première est de « répondre aux appels » — cela signifie qu’il faut répondre au plus tard à la quatrième sonnerie et que la mise en attente ne doit pas dépasser 30 secondes. Nous avons bâti notre réputation et cette entreprise sur LA QUALITÉ DU SERVICE. Nous n’avons pas l’intention de laisser quelques individus peu soucieux d'éthique de travail détruire une réputation que d’autres ont bâtie à force de vigilance et d'acharnement au travail. Il est impératif d’agir sans délai.

nous allons désormais suivre de près et évaluer chaque individu afin de mettre un terme au relâchement actuel et d’améliorer considérablement notre « performance en matière de service à la clientèle » . Nos efforts collectifs doivent tous tendre vers ce but, sans exception. ceux et celles qui ont des problèmes d'attitude, d’absentéisme et de ponctualité seront éCARTés de l’ « horaire de TRAVAIL d’ACCU-TEL » .

« S. M. Riley »

S. M. RILEY

PRÉSIDENT

Le 4 juin 1997

À L’ATTENTION DE TOUS LES MEMBRES DU PERSONNEL

OBJET : STATISTIQUES SUR LES OPÉRATEURS ET SERVICE À LA CLIENTÈLE

Notre seule raison d’être est d'assurer le « service à la clientèle »

Voilà ce que notre « clientèle » attend de nous :

- des appels auxquels l’on répond avec toutes les formules de politesse d’usage (lesquelles sont précisées à l’écran);

- décrocher au plus tard à la quatrième sonnerie;

- moins de 30 secondes de mise en attente;

- demander à l’interlocuteur de « patienter un moment s’il vous plaît » ;

- nom et numéro de téléphone (plus indicatif régional) correctement notés;

- détailS des messages correctement orthographiés;

- voix agréable et professionnelle au téléphone;

- transmission rapide des messages reçus;

- donner à l'interlocuteur une impression d’empressement et d’engagement de votre part.

Si toutes les conditions susmentionnées sont remplies, nous n’aurons pas la quantité de plaintes de la clientèle que nous avons eue ces derniers mois. Le client vous paye pour que vous fournissiez un service professionnel et acceptable, et il est en droit de le recevoir!

Ce que nous attendons des membres du personnel :

- % de rotation : minimum 95 %

- % d’appels perdus : maximum 40 %

- % de messages : minimum 50 %

- % de communications établies : minimum 95 %

- durée moyenne de l’appel : maximum 6 minutes

- nombre moyen de sonneries : maximum 1,8

- durée moyenne de mise en attente : maximum 36 secondes

Ce sont là les statistiques au regard desquelles votre travail sera jugé. Nous fournissons actuellement une formation supplémentaire à tous les opérateurs et nous les évaluons. Si vous avez une quelconque difficulté, veuillez communiquer avec KIM le plus tôt possible.

jE vous remercie d'avance de votre dévouement,

« Kim D. Lowen »

KIM D. LOWEN

directrice

[7] Le travailleur a déclaré qu’il n’avait jamais remis de factures, même si l’appelante a bel et bien produit un exemple de facture sous la cote A-4. Il n’est pas certain que cette pièce ait été rédigée par le travailleur, et les seules initiales qui y figurent sont « KL » , ce qui semble correspondre aux initiales de Kim Lowen, la directrice de l’appelante. En contre-interrogatoire, le travailleur a confirmé qu’il savait qu’aucune retenue n’était faite par l’appelante et qu’il avait formulé une demande de règlement au ministère, et que, à la suite de cela, le ministère avait déterminé que son statut était celui d’un employé.

OBSERVATIONS

[8] L’avocat de l’appelante se fonde essentiellement sur le libellé de l’entente (pièce A-2) où le travailleur est considéré comme un entrepreneur indépendant. Il déclare aussi qu’il y avait très peu de contrôle. Quant aux instruments de travail, le travailleur devait payer un certain montant pour l’utilisation de l’équipement. Le travailleur avait aussi des chances de profit et un risque de perte. Plus le nombre d’heures de travail était grand, plus sa paye était élevée. Dans les cas où le travailleur causait des pertes à l’appelante, celle-ci se réservait le droit d’exiger un remboursement raisonnable du travailleur.

En outre, le facteur d’intégration n’est pas si important.

[9] L’avocat invoque également la notion de préclusion en equity [ « equitable estoppel » ]. Je cite les propos suivants tirés des observations écrites de l’avocat :

[TRADUCTION]

Il est soumis que le principe de préclusion en equity s'applique en l’espèce. En omettant de rendre des décisions après une longue période, et malgré les demandes faites par l’appelante relativement à l'état de cette question, Revenu Canada a laissé croire à l’appelante que ses entrepreneurs indépendants étaient bien des entrepreneurs indépendants. L’appelante a demandé le règlement de bonne foi et elle s’est fondée sur cette interprétation et cette conviction quant au statut du travailleur, en raison de la conduite de Revenu Canada. Étant donné qu'il savait que l’appelante engageait alors des entrepreneurs indépendants en se fondant sur cette interprétation, le ministère devait savoir que l’appelante s’appuierait sur ces circonstances et continuerait d’embaucher des travailleurs selon la formule existante. En omettant de rendre une décision en temps opportun, Revenu Canada admettait tacitement que la relation existante était bien celle voulue par l'appelante. Revenu Canada ne saurait maintenant insister sur les droits que lui accorde expressément la loi et rendre rétroactivement une décision défavorable et coûteuse à l’endroit de l’appelante.

Le rejet éventuel du présent appel aurait de fâcheuses conséquences financières pour l’appelante. En outre, comme elle s'est fiée à la conduite de Revenu Canada, l’appelante n’a pas été en mesure de profiter de certaines initiatives en matière de formation offertes aux « employeurs » par Développement des ressources humaines Canada. Si cet appel est rejeté, l’appelante aura manqué certaines occasions. Les principes d’equity ne devraient pas permettre de telles injustices.

[10] L’avocate du ministre déclare que l’entente ne décide pas de tout. Elle renvoie au témoignage du travailleur ainsi qu'aux pièces produites, et elle conclut que, lorsque l’on examine la relation dans son ensemble, il s’agissait d’un contrat de louage de services. Au sujet de la question de la préclusion, l’avocate a mentionné la décision que le juge Bowman, de la Cour, a rendue dans l’affaire Goldstein v. Canada, 96 DTC 1029, et elle a conclu que le simple fait que le ministre n’a pas répondu aux questionnaires que lui aurait soumis l’appelante ne donnait pas lieu à une préclusion en l’espèce.

ANALYSE ET DÉCISION

[11] Il ressort de la preuve que l’appelante désirait que ses travailleurs soient des entrepreneurs indépendants à partir de 1995. Cette formule était souhaitable dans la plupart des cas, car elle dispensait l’entreprise de verser des cotisations à l'a.-e. et au RPC et d’effectuer des retenues à ce titre. Il est également vrai que le travailleur était au courant de cela en signant l’entente et qu’il savait qu’aucune retenue n’était faite. Néanmoins, il faut considérer la relation entre les parties dans son intégralité. Je reconnais qu’il faut d’abord examiner l’entente, comme point de départ, et qu’il faut ensuite déterminer si la preuve infirme les clauses de l’entente - laquelle assimile le travailleur à un entrepreneur indépendant - ou si elle permet de conclure à l'existence de cette relation.

[12] Les critères du contrôle, de la propriété des instruments de travail, des chances de profit et des risques de perte ainsi que de l’intégration sont bien connus, et ils ont bien été analysés dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.).

[13] Il ressort du témoignage du travailleur que le degré de contrôle était considérable. Le travailleur avait initialement présenté ses heures de disponibilité, et ces heures sont demeurées les mêmes à quelques exceptions près. Je crois aussi que le témoignage du travailleur est plus crédible que celui de M. Riley, en particulier lorsqu'il y a divergence entre les deux.

[14] Les instruments de travail et les locaux appartenaient à l’appelante, même si le travailleur se voyait facturé un petit montant pour l’utilisation du matériel de l’appelante. Le travailleur n’avait pas de chance de profit, et il ne risquait de subir des pertes que s’il endommageait le matériel. Qui plus est, le travail du travailleur faisait partie intégrante de l'entreprise de l’appelante. Par conséquent, d’après l’ensemble de la preuve, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y avait un contrat de louage de services. De plus, en tenant compte de la décision Goldstein et de plusieurs autres décisions sur cette question, je conclus qu’il n'y avait pas préclusion. Par conséquent, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de septembre 1999.

« T. P. O'Connor »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 21e jour de juin 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

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