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Date: 19990115

Dossier: 95-2459-UI

ENTRE :

ROBERT RANGER,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

LES ATTACHES PREMIER LTÉE,

DIVISION DE CT INDUSTRIES,

intervenante.

Appel entendu le 21 avril 1998 à Montréal (Québec) par l’honorable juge Alain Tardif

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s’agit de l’appel d’une décision en date du 25 octobre 1995.

[2] En vertu de cette décision, le travail exécuté par l'appelant entre le 1er mai 1994 et le 9 janvier 1995 pour l’entreprise faisant affaires sous le nom et raison sociale “Les Attaches Premier Ltée” n’était pas un travail assurable pour le motif qu’il n’existait pas de relation employeur-employé entre la compagnie et ce dernier.

[3] L’appelant a longuement témoigné.

[4] Norbert Massé, responsable de territoires pour la compagnie “Les Attaches Premier Ltée”; Philippe Corbet et Camille Leblond, tous deux agents indépendants au moment de la période en litige, ont également témoigné.

[5] La preuve testimoniale complétée d'une preuve documentaire a établi que la compagnie recrutait ses vendeurs au moyen d’annonces dans les journaux et par le biais de références et/ou bouche à oreilles.

[6] Une fois recrutés, les intéressés, dont l’appelant, étaient invités à suivre une formation intensive s’échelonnant sur une période dont la durée pouvait varier entre trois et cinq jours. Lors de cette formation, la compagnie expliquait et décrivait ce en quoi consistait le travail, proposait et suggérait certaines méthodes de vente et proposait une véritable formation de vendeur. La compagnie décrivait et expliquait aussi sa conception de la nature de l’encadrement et de la relation contractuelle entre elle et ce qu’elle appelait les agents indépendants.

[7] Suite aux représentations, explications et à la période de formation dont il n’a pas été possible de connaître la durée exacte en ce qui a trait à l'appelant, un contrat fut signé entre les parties.

[8] Robert Ranger et la compagnie sont intervenus à un contrat produit sous la pièce A-1 comme “Plan de rémunération du nouvel agent”, identifié par un numéro auquel était attribué un territoire, aussi défini par un numéro. Le contrat (pièce A-1) regroupait différentes sections soit notamment une rubrique ayant trait aux généralités, l’une relative à l’avance bimensuelle, une troisième traitait de l’allocation pour frais de déplacement, une sur le relevé mensuel de paiement et finalement une sur les crédits de promotion.

[9] La convention a été signée le 22 avril 1994 par l’appelant et le 4 mai par la compagnie.

[10] À ce document était annexée une convention d’agents indépendants; il s’agissait d’une convention très explicite complétée par une “Annexe A” relative aux produits, à la catégorie de clients et aux limites territoriales.

[11] Suite à la formation et l’entraînement de quelques jours, les vendeurs, dont l’appelant, étaient laissés à eux-mêmes avec la possibilité, par contre, d’obtenir rapidement, facilement et fréquemment les services de support technique et les conseils de collègues expérimentés.

[12] Quant à l’appelant, il a bénéficié de la collaboration soutenue de M. Philippe Corbet, alors agent indépendant pour la même compagnie. La preuve a démontré que ce dernier avait été très disponible et avait collaboré étroitement avec l'appelant.

[13] Après avoir accepté par sa signature les exigences contractuelles, l’appelant a entrepris le travail. Suite à la formation, les nouveaux vendeurs, dont l'appelant, bénéficiaient, dans un deuxième temps, pour une durée indéterminée, d'une phase dite de transition. Au cours de cette période de transition, qui en l’espèce a duré quelques semaines, l’appelant a reçu deux sortes de compensation soit un montant de 12 $ par jour pour couvrir les dépenses effectuées dans le cadre du travail de vendeur et une avance remboursable sur ses éventuelles commissions.

[14] Pour avoir droit au per diem de 12 $ et à l’avance sur commissions, l’appelant, comme tous les autres vendeurs en situation semblable, devait compléter quotidiennement un rapport d’activités décrivant le nombre d’appels de sollicitation, le nombre de démonstrations effectuées et finalement le nombre et le montant des ventes réalisées.

[15] Une fois la phase de transition écoulée, le support et l'encadrement étaient relâchés et le vendeur devait s’assumer; le per diem de 12 $ cessait et les avances sur commissions prenaient fin.

[16] Les vendeurs recevaient exclusivement des commissions dont le pourcentage variait d’un item à l’autre. En contrepartie des commissions convenues, les vendeurs devaient supporter et payer seuls toutes les dépenses relatives aux ventes effectuées, en autres, tous les frais d’utilisation du véhicule soit essence, huile, assurances et entretien. Ils assumaient en outre seuls tous les frais de repas et toutes les dépenses relatives à la promotion et publicité. Ils étaient seuls responsables des frais d’appels et d’utilisation d’un bureau s’ils jugeaient utile d’en avoir un.

[17] La compagnie mettait, au siège social, des espaces disponibles à la disposition des vendeurs. Ces derniers pouvaient s’y rendre et les utiliser dans le cadre de leur travail.

[18] Ils devaient aussi payer le coût de remplacement des outils de démonstration dont le premier inventaire leur avait été fourni par la compagnie.

[19] La preuve a établi que la compagnie fournissait la valise et son contenu, le catalogue descriptif de l’inventaire disponible et finalement les formules et bons de commandes.

[20] L’appelant a indiqué qu’il préférait travailler à partir de chez lui. Le matin, il se rendait directement chez les clients sollicités. La plupart du temps, les commandes étaient acheminées par la poste dont les frais étaient, encore là, à sa charge exclusive.

[21] La prépondérance de la preuve a établi clairement que le travail exécuté à titre de vendeur par l’appelant était assujetti à des risques réels de pertes et à une chance réelle de profits dont l’importance découlait du rendement, de l’efficacité et du temps consacré. En d’autres termes, l’appelant aurait très bien pu travailler, n’avoir aucun revenu et subir même des pertes si, à titre d’exemple, il avait dû investir dans la promotion, utiliser sa voiture et faire beaucoup d’interurbains. Par contre, il pouvait aussi espérer des revenus appréciables en étant dynamique, entreprenant, déterminé et astucieux.

[22] Là où il est difficile de faire une démarcation c'est au niveau du lien de subordination. À la lumière des explications fournies par l’appelant, il ressort qu’il a toujours été encadré d’une façon serrée et continue par un ou des représentants de la compagnie qui versait les commissions. J’ai d’ailleurs remarqué à plusieurs reprises que l’appelant avait une conception très personnelle de son travail. Sa perception et sa compréhension des choses ont sans doute expliqué qu’il s’est toujours senti subordonné, surveillé et contrôlé dans l’exercice de son travail.

[23] L’appelant, homme discipliné et méthodique, a expliqué qu’il avait complété un rapport d’activités quotidiennes durant toute la période où il avait été vendeur; j’ai remarqué à quelques reprises que l’appelant avait sa propre compréhension de certaines réalités qui furent décrites d’une façon fort différente par les trois témoins de la compagnie intervenante.

[24] Peut-on conclure que la compréhension et perception de l’appelant sont déterminantes? Je ne le crois pas d’autant plus que l’appelant avait évidemment un intérêt certain à interpréter les faits comme il l’a fait lors de son témoignage, tout en étant fondamentalement honnête. Il en est ainsi au niveau de la nature de la relation juridique. Si la preuve n’avait été constituée que du seul témoignage de l’appelant, le Tribunal aurait dû conclure à partir de la preuve constituée d'une version subjective des modalités d'exécution du travail.

[25] L’interprétation de l’appelant devient beaucoup moins convaincante lorsque les faits sont appréciés avec l’ensemble de la preuve disponible; bien plus, la version de l'appelant devient contestable et équivoque. La prépondérance de la preuve a établi que les vendeurs étaient très autonomes dans et lors de l’exercice du travail. Ils étaient seuls maîtres de l’organisation de leurs cédules; ils bénéficiaient d’une autonomie totale. Ils n’avaient pas de permission à demander à qui que ce soit pour prendre des congés ou vacances. Ils pouvaient faire des affaires avec d’autres entreprises; ils n’étaient pas limités ou exclusifs aux affaires de la compagnie Les Attaches Premier Ltée.

[26] À cet égard, le témoignage de M. Camille Leblond a été significatif; il a indiqué qu’il exploitait sa propre affaire avec l’objectif premier de donner satisfaction à tous ses clients. Pour atteindre son but, il n’hésitait pas à leur vendre d’autres produits ou à élargir sa gamme de services et produits non offerts par la compagnie “Les Attaches Premier Ltée”. Il a aussi indiqué que la compagnie acceptait que les vendeurs puissent offrir d’autres produits; selon ce témoin, la compagnie n’exigeait aucunement l’exclusivité du temps et des services des vendeurs.

[27] Certes, l’appelant ne se croyait pas autonome, libre et indépendant dans et pour l’exercice de son travail comme vendeur. Dans son esprit, il exécutait son travail de vendeur comme un salarié qui exécute les ordres de son patron selon et suivant des exigences précises et déterminées.

[28] La prépondérance de la preuve a cependant démontré qu’il s’agissait là d’une interprétation probablement justifiée et motivée par l’expérience vécue lors des semaines de formation ou d’un emploi antérieur à titre de salarié.

[29] Dans son esprit, il n’exploitait pas sa propre entreprise et était assujetti à l’autorité des représentants de la compagnie et ce, de façon très spécifique quant aux procédés de ventes et divers comptes rendus. La preuve a démontré que cette dépendance et subordination découlaient beaucoup plus de sa compréhension que de la réalité.

[30] Le Tribunal a également pu constater que l’appelant confondait objectifs avec suggestions et directives, support avec subordination, soutien et encadrement avec surveillance et contrôle. Le Tribunal doit statuer à partir de l’ensemble de la preuve disponible constituée, dans ce cas-ci, du témoignage de plusieurs personnes et de documents pertinents.

[31] Tous les témoins avaient certes un intérêt à décrire le travail litigieux selon leur propre évaluation, conception et interprétation et cela, tout en étant très honnêtes; il n'est pas inhabituel d'avoir une conception différente d'une relation juridique découlant pourtant des mêmes faits.

[32] Le Tribunal doit tout mettre en oeuvre pour identifier des données objectives qui permettent de faire certains discernements entre les réalités et les appréciations subjectives des personnes directement concernées.

[33] Il est normal que les témoins décrivent leur travail comme ils le conçoivent. Tout en étant honnêtes et de bonne foi; il est aussi possible que des témoins décrivent le même travail de façon fort différente. Il appartient alors au Tribunal de trancher à partir des éléments et données objectives disponibles et de s’en remettre à ce que la prépondérance de la preuve commande comme conclusion.

[34] En l’espèce, je suis d’avis que la preuve documentaire soutient la thèse voulant que les vendeurs, dont l’appelant, étaient des vendeurs entrepreneurs indépendants et autonomes. En soi, cela ne serait pas déterminant puisque la jurisprudence a souvent rappelé que la détermination de la nature d’un contrat de travail s'apprécie à partir des faits et circonstances entourant l’exécution du travail litigieux.

[35] À cet égard, ce Tribunal n’a aucune raison d’écarter de la preuve le témoignage de Messieurs Massé, Corbet et Leblond. Ces témoignages confirment la réalité documentaire du dossier. La preuve tant testimoniale que documentaire démontre une prépondérance marquée à l’effet que le travail exécuté par l’appelant ne constituait pas, au moment de la période en litige, un contrat de louage de services. La compagnie “Les Attaches Premier Ltée” recrutait des vendeurs autonomes. Les intéressés devaient recevoir une formation particulière. Durant la période de formation, l’encadrement était, sur certains aspects, comparable à celui caractérisant généralement un contrat de louage de services. Je ne crois pas cependant qu’il faille retenir les données de cette période puisqu’il s’agissait là d’une période particulière, transitoire et de très courte durée. D'ailleurs, lors d'une période de formation, la personne recevant la formation n'a pas à exécuter une prestation de travail habituelle. D'autre part, la rémunération n'est pas fonction du travail exécuté mais essentiellement une prime de soutien et encouragement. Après la formation, les vendeurs étaient des travailleurs indépendants et autonomes.

[36] Pour ces motifs, je rejette l’appel de l’appelant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de janvier 1999.

“ Alain Tardif ”

J.C.C.I.

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