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Date: 19980203

Dossier: 96-3721-IT-I

ENTRE :

TIPSTER INVESTMENTS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel interjeté par Tipster Investments Ltd. (“ Tipster ”) contre la cotisation no 8649272 du 8 février 1995.

[2] Les faits essentiels ne sont pas contestés. Tipster est une corporation privée dont le contrôle est canadien. Pendant toute la période pertinente, Gordon F. Roper (“ M. Roper ”) était président, unique actionnaire et administrateur de la corporation. Dans sa déclaration de revenu T2 pour l'exercice ayant pris fin le 30 décembre 1991, Tipster a déduit une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise (la “ PDTPE ”) de 10 540,12 $, laquelle a été admise. Ce montant était fondé sur une perte au titre d'un placement d'entreprise (la “ PTPE ”) de 14 053,50 $ calculée conformément à l'alinéa 38c) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) comme suit :

Perte au titre d'un placement d'entreprise (PTPE) 14 053,50 $

x ,75

Perte déductible au titre d'un placement

d'entreprise (PDTPE) 10 540,12 $

La différence de 3 513 $ (en chiffres arrondis)1 représente la fraction non déductible de la perte au titre d'un placement d'entreprise.

[3] Le 28 décembre 1993, par une résolution de l'administrateur, Tipster a déclaré un dividende en capital2, de 45 543,95 $, payable le 30 décembre 1993, à l'égard de ses actions ordinaires de catégorie A, représentant le solde de son compte de dividende en capital. Selon les exigences de la Loi, Tipster a présenté au ministre du Revenu national (le “ ministre ”) un formulaire T2054 — Choix concernant un dividende en capital en vertu du paragraphe 83(2), une copie certifiée conforme de la résolution, et un tableau illustrant la façon dont le solde du compte de dividende en capital de Tipster avait été calculé3.

[4] L'intimée et l'appelante ne sont pas en désaccord en ce qui concerne les postes qui forment le solde du compte de dividende en capital (le “ CDC ”) au 30 décembre 1993. Toutefois, l'intimée soutient que le montant qui ne constitue pas une PDTPE pour 1991 aurait dû être déduit de ce solde4. L'omission de le faire voulait dire que le dividende en capital déclaré par Tipster était plus élevé que le solde du CDC, d'un montant de 3 512,83 $. Par conséquent, le ministre a établi l'impôt fédéral net, d'un montant de 2 634,62 $, calculé conformément au paragraphe 184(2) de la Loi, comme étant l'excédent du montant du dividende déclaré qui était assujetti à l'impôt prévu à la partie III.

[5] Tipster soutient que le dividende en capital qui a été déclaré est égal au solde de son CDC au 30 décembre 1993, de sorte qu'il n'y avait pas de montant excédentaire assujetti à l'impôt prévu à la partie III. Cet argument est fondé sur l'interprétation qu'elle donne aux définitions de “ perte au titre d'un placement d'entreprise ” et de “ compte de dividende en capital ” :

[TRADUCTION]

La Loi exclut clairement la “ perte au titre d'un placement d'entreprise ” (telle que cette expression est définie à l'alinéa 39(1)c) de la Loi) de la “ perte en capital ” (telle que cette expression est définie à l'alinéa 39(1)b) de la Loi). La définition de “ compte de dividende en capital ” figurant au paragraphe 89(1) de la Loi ne fait pas mention d'une “ perte au titre d'un placement d'entreprise ” ou de l'alinéa 39(1)c).

[6] Le représentant de Tipster invoque entre autres les arguments suivants :

[TRADUCTION]

Compte tenu du principe selon lequel en interprétant une loi, il faut présumer que chaque mot, chaque expression, chaque clause et chaque disposition sont employés d'une façon délibérée afin de produire un résultat particulier (Qit-Fer et Titane Inc. v. Canada (1992) 1 CTC 39, et (1996) 2 CTC 30 (C.A.F.)), et étant donné que l'expression “ compte de dividende en capital ” figurant au paragraphe 89(1) est définie d'une façon fort détaillée, il est possible de présumer que le législateur a délibérément exclu toute mention de la perte au titre d'un placement d'entreprise de la définition de “ compte de dividende en capital ”5.

[...] L'alinéa 39(1)c) définit la perte au titre d'un placement d'entreprise de façon à retrancher expressément de la perte en capital, telle qu'elle est définie à l'alinéa 39(1)b), une perte subie dans certaines circonstances précises. Par conséquent, si l'article 39 est considéré en entier, il est clair qu'une perte en capital n'inclut pas une perte au titre d'un placement d'entreprise6.

[...] L'alinéa 39(1)c) retranche la perte au titre d'un placement d'entreprise de la perte en capital; or, la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise n'est jamais retranchée de la perte en capital déductible. Pour que l'article 38 s'applique correctement, une perte en capital doit être déterminée après qu'il a été tenu compte de l'article 39 en entier, c'est-à-dire après qu'on a retranché la perte au titre d'un placement d'entreprise7.

[...] l'appelante soutient que la “ déduction ” de la “ perte au titre d'un placement d'entreprise ” qui est faite de la “ perte en capital ” en vertu de l'article 39 est permanente8.

Le représentant soutient que l'interprétation prônée est conforme aux règles contemporaines d'interprétation en droit fiscal9 et étaye la conclusion selon laquelle la définition de la perte en capital figurant au paragraphe 248(1) et à l'article 39 exclut une PTPE de sorte qu'une PTPE n'entre pas en ligne de compte dans le calcul du CDC.

[7] L'intimée soutient qu'une PTPE est une perte en capital et qu'elle doit donc entrer en ligne de compte dans le calcul du CDC de l'appelante (défini au paragraphe 89(1) de la Loi). À cet égard, l'intimée invoque les arguments suivants :

[TRADUCTION]

La PTPE doit en premier lieu être admissible à titre de perte en capital (“ afin d'être admissible en vertu de l'alinéa 39(1)c) [définition de la PTPE], la perte doit également être visée par l'alinéa 39(1)b) [définition de perte en capital] ”), et elle n'est pas exclue de la définition de la perte en capital.

La définition de “ compte de dividende en capital ” figurant au paragraphe 89(1) ne fait pas expressément mention de la PTPE, mais il est fait mention de l'excédent d'une perte en capital subie par la corporation au cours de cette période sur le total de la perte en capital déductible de la corporation correspondante.

Une PDTPE ne ressemble pas à une perte en capital déductible ordinaire. Une PDTPE peut être déduite de toutes les sources de revenus. La fraction inutilisée de la PDTPE peut être reportée prospectivement pendant sept ans et rétrospectivement pendant trois ans. Si la PDTPE n'a pas été utilisée au bout de sept ans, elle est reportée pour une période indéfinie à titre de perte en capital nette10.

Les dispositions relatives à la PTPE visaient à encourager les investissements dans les corporations exploitant une petite entreprise en accordant à pareilles pertes un traitement fiscal plus généreux que dans le cas des pertes en capital ordinaires.

Le CDC tient compte des “ divers surplus libres d'impôt accumulés par les corporations privées ”. Ces surplus peuvent être répartis à titre de dividendes libres d'impôt entre les actionnaires qui résident au Canada.

Les règles permettant de déterminer le solde du CDC sont énoncées au paragraphe 89(1) de la Loi. On calcule le CDC (en partie) en soustrayant la fraction non déductible (25 p. 100) des pertes en capital de la fraction non imposable (25 p. 100) des gains en capital.

Étant donné qu'une PDTPE est une perte en capital, une perte autre qu'une PDTPE est une perte en capital non déductible qu'il faut soustraire de la fraction non imposable des gains en capital. Par conséquent, la perte autre qu'une PDTPE de 3 513 $ subie par Tipster au 30 décembre 1991 doit être incluse dans le calcul en vue de réduire le solde du CDC de Tipster au 30 décembre 1993. En outre, l'intimée soutient que le dividende en capital déclaré, d'un montant de 45 543,95 $, excédait d'un montant de 3 512,83 $ le solde du CDC au 29 décembre 1993. L'intimée a donc calculé correctement l'impôt prévu à la partie III, d'un montant de 2 634,62 $ (75 p. 100 de l'excédent).

Conclusion

[8] Les arguments qui ont été invoqués pour le compte de Tipster sont fondés sur la prémisse selon laquelle il convient d'interpréter l'article 39 de la Loi comme établissant qu'“ une perte en capital n'inclut pas une perte au titre d'un placement d'entreprise ”. Cette prémisse n'est pas exacte. Si les dispositions des articles 38 et 39 sont examinées dans le contexte de la loi et compte tenu de l'objet de la loi et de l'intention du législateur, il est évident que l'alinéa 39(1)c) n'a pas pour effet de “ retrancher ” la PTPE de la perte en capital pour l'application de la Loi, comme on l'a soutenu. Le texte législatif en question prévoit clairement qu'afin d'être admissible à titre de PTPE, un montant doit d'abord donner lieu à une perte en capital. Si une opération ne donne pas lieu à une perte en capital, ou si une perte en capital est réputée nulle, par exemple conformément à l'alinéa 40(2)g) de la Loi, il n'y a pas de PTPE. L'alinéa 39(1)c) ne fait que créer une sous-catégorie de perte en capital pour certains genres de biens afin d'encourager les investissements dans des corporations exploitant une petite entreprise en accordant à pareilles pertes un traitement fiscal plus généreux que celui qui s'applique aux pertes en capital ordinaires11.

[9] J'examinerai maintenant le paragraphe 89(1) de la Loi. Les gains en capital ne sont qu'en partie imposables. Soixante-quinze pour cent seulement des gains en capital sont inclus dans le revenu à titre de gains en capital imposables et 75 p. 100 seulement des pertes en capital peuvent être déduites des gains en capital imposables. La fraction non imposable de pareils gains en capital est incluse dans un compte appelé le compte de dividende en capital. Le CDC vise à tenir compte de cette fraction non imposable de la valeur de la corporation. Par opposition aux autres genres de dividendes, un dividende provenant du CDC est libre d'impôt dans le cas d'un actionnaire résidant au Canada. Pareil dividende en capital ne peut pas excéder le CDC de la corporation immédiatement avant que le dividende devienne payable en vertu de l'alinéa 83(2)a) de la Loi. Cette restriction existe parce que le CDC est un compte fictif dans lequel est inscrit le montant auquel correspond la valeur libre d'impôt de la corporation.

[10] En l'espèce, l'interprétation prônée par l'appelante aurait pour effet de nier le but des dispositions de la Loi relatives au CDC parce que la disposition de certains genres de biens donnant lieu à une perte autre qu'une PDTPE ne serait pas représentée dans le solde du CDC. Toutefois, la formule du CDC a expressément été établie de façon à inclure la fraction non déductible de tous les genres de pertes en capital et à réduire le montant correspondant à la valeur non imposable de la corporation. Si la fraction non admissible était exclue du calcul du CDC comme l'appelante semble le soutenir, comment cette fraction de la perte serait-elle prise en considération en ce qui concerne le montant global libre d'impôt de la valeur de la corporation? Aux fins du CDC, les pertes calculées qui sont visées par la définition de la PTPE ne peuvent pas être distinguées des autres pertes.

[11] En ce qui concerne l'argument qui a été invoqué pour le compte de Tipster au sujet de l'intention visée par le législateur à l'égard des articles 38 et 39, je fais uniquement remarquer qu'on n'a pas identifié ou expliqué ce qui selon Tipster constitue le but ou l'objet des dispositions pertinentes. Bien que l'arrêt Notre-Dame de Bon-Secours12 dise clairement qu'en interprétant les lois fiscales, il faut suivre les règles ordinaires d'interprétation, l'interprétation doit être fondée sur le contexte de la loi et sur l'intention du législateur. L'inclusion du montant de la perte autre qu'une PDTPE dans le calcul du solde du CDC est conforme au but du CDC fictif et ne contredit pas le but des dispositions relatives aux PTPE (soit, l'application de la PDTPE à tous les genres de revenus). Comme l'a fait remarquer l'avocate de l'intimée, les règles permettant de déterminer le solde du CDC sont expressément énoncées au paragraphe 89(1) de la Loi, qui prévoit que le CDC est calculé (en partie) en soustrayant la fraction non déductible (25 p. 100) des pertes en capital de la fraction non imposable (25 p. 100) des gains en capital. Contrairement à la position que l'appelante a prise, pour que la perte autre qu'une PDTPE puisse être déduite du solde du CDC, il n'était pas nécessaire que le législateur mentionne expressément la PDTPE ou la PTPE. Il suffisait d'inclure les pertes en capital et les pertes en capital déductibles dans la définition du CDC. À mon avis, la cotisation établie par l'intimée est conforme à l'objet et au but des dispositions pertinentes. L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de février 1998.

“ A. A. Sarchuk ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 26e jour de juin 1998.

Mario Lagacé, réviseur

ANNEXE “ A ”

Tipster Investments Ltd.

Compte de dividende en capital au 30 décembre 1993

Nombre
d'actions

Prix à la disposition

PBR

Gain (perte)

Southernera Res. Ltd.

5 000

25 750,00

7 635,00

18 115,00 $

Truax Res. Corp.

20 000

15 760,50

10 000,00

5 760,50 $

Paloma Petroleum Ltd.

5 000

29 500,00

19 600,00

9 900,00 $

Alberta Energy Co. Ltd.

2 000

20 300,00

19 000,00

1 300,00 $

Dangerfield Resources Inc.

10 000

11 661,00

11 098,66

562,34 $

Saxon Petroleum Ltd.

Dorset Exploration Ltd.

Pipestone Petes Inc.

Oiltec Resources Ltd.

Atcor Resources Ltd. CIA

30 000

8 000

10 000

1 000

3 030

11 200,00

127 185,00

7 477,10

1 237,72

14 716,10

10 798,50

53 000,00

10 220,00

1 000,00

11 710,00

401,50 $

74 185,00 $

(2 742,90) $

237,72 $

3 006,10 $

Vero Resources Ltd.

Paragon Petroleum Corp.

Clarinet Resources Ltd.

Montant non imposable (25 %)

Dividende du CDC reçu
289872 Alberta Ltd. -
7 juin 199313

Montant reporté prospectivement de l'année 1992 et des années antérieures

Solde au 30 décembre 1993

10 000

5 000

50 000

37 660,00

15 796,25

18 057,00

18 130,00

1,00

1,00

19 530,00 $

15 795,25 $

18 056,00 $

164 106,51 $

41 026,62 $

2 739,00 $

1 778,33 $

45 543,95 $



1                Le montant précis de la PDTPE qui n'a pas été admise varie dans les plaidoiries du ministre parce que les chiffres ont été arrondis. Ce manque de précision donne lieu à de légers écarts dans les calculs effectués par le ministre.

2                Le dividende en capital est défini au paragraphe 83(2) de la Loi.

3                Le calcul effectué par Tipster se trouve à l'annexe 1 jointe à la réponse à l'avis d'appel, dont une copie figure à l'annexe “ A ” des présentes.

4                Selon le ministre, le solde du CDC au 30 décembre 1993 devrait être de 42 031,12 $.

5                Paragraphe 1, page 2 des observations écrites de l'appelante.

6                Ibid., paragraphe 3.

7                Ibid, paragraphe 6.

8                Paragraphe 1, page 1, réponse de l'appelante aux observations écrites de l'intimée.

9                Corporation Notre-Dame de Bon-Secours v. Communauté urbaine de Québec and City of Quebec, Bureau de révision de l'évaluation foncière du Québec and the Attorney General of Quebec, 95 DTC 5017 (C.S.C.).

10              Cette règle figure dans la définition de “ perte en capital nette ” au paragraphe 111(8) de la Loi.

11              Bulletin d'interprétation IT-484R2. Ce bulletin décrit correctement la PTPE comme suit :

                Une perte au titre d'un placement d'entreprise est fondamentalement une perte en capital qui résulte de la disposition d'une action ou d'une dette d'une société exploitant une petite entreprise à laquelle s'applique le paragraphe 50(1) ou en faveur d'une personne avec laquelle le contribuable n'avait aucun lien de dépendance. Les trois quarts du montant de cette perte constituent une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise.

                Contrairement aux pertes en capital déductibles ordinaires, une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise pour une année d'imposition donnée peut être déduite de toutes les sources de revenus pour l'année en question. En règle générale, une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise qui ne peut pas être déduite durant l'année où elle est subie est considérée comme une perte autre qu'une perte en capital. Celle-ci peut être déduite du revenu imposable des trois années avant et des sept années après l'année où elle est subie. Si cette perte n'est pas déduite à la fin de la période de report de sept ans, nous la considérerons comme une perte en capital nette, pouvant être déduite des gains en capital imposables d'un nombre indéfini d'années après qu'elle a été subie.

                Les pertes en capital ordinaires déductibles pour une année d'imposition donnée peuvent être déduites uniquement des gains en capital imposables réalisés dans l'année en question. Si le montant des pertes en capital déductibles est supérieur à celui des gains en capital imposables, la différence constitue une perte en capital nette pouvant être reportée aux trois années avant et à un nombre indéfini d'années après qu'elle a été subie et déduite uniquement des gains en capital imposables.

12              Précité.

13              Montant non imposable à 100 %.

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