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Date: 19980813

Dossier: 96-1942-UI

ENTRE :

DELMER JOHNSTON,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Edmunston (Nouveau-Brunswick) le 22 juillet 1998.

[2] L'appelant interjette appel à l'encontre du règlement du ministre du Revenu national (le « ministre » ) en date du 27 juin 1996 selon lequel l'emploi qu'il a exercé pour la D & B Construction Ltd. (la « compagnie » ) du 24 avril au 20 octobre 1995 et du 20 novembre au 8 décembre 1995 n'était pas un emploi assurable en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ). Le motif du règlement était le suivant :

[TRADUCTION]

[...] il n'y avait pas de contrat de louage de services entre la D & B Construction Ltd. et Delmer Johnston.

Il était dit que la décision se fondait sur l'alinéa 3(1)a) de la Loi.

[3] Les faits établis révèlent que la compagnie exploitait une entreprise consistant à construire, à réparer et à rénover des maisons à New Denmark (Nouveau-Brunswick) et dans les environs. À l'époque pertinente, l'actionnariat de la compagnie était le suivant :

Delmer Johnston (appelant) 35 %

Blaine Johnston (fils de l'appelant) 35 %

Albert Watson (ami et voisin) 30 %

[4] La question à trancher dans cet appel est de savoir s'il existait un véritable contrat de travail entre la compagnie et l'appelant. Le ministre soutient que l'appelant avait sur son propre emploi un contrôle tel qu'il travaillait en fait pour lui-même; subsidiairement, le ministre soutient qu'Albert Watson n'était qu'un actionnaire fictif, de sorte que l'appelant contrôlait en réalité plus de 40 p. 100 des actions émises de la compagnie.

Le droit

[5] Dans le régime établi en vertu de la Loi, le législateur a prévu que certains emplois seraient assurables, c'est-à-dire qu'ils donneraient lieu au versement de prestations au moment de la cessation, et que d'autres seraient des emplois « exclus » , soit des emplois qui, au moment de la cessation, ne donneraient pas droit à des prestations. Des arrangements en matière d'emploi conclus entre des personnes ayant un lien de dépendance entrent dans la catégorie des « emplois exclus » . Des parents et leurs enfants sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance en vertu du paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. De même, sont exclues du régime établi en vertu de la Loi les personnes qui travaillent pour elles-mêmes ainsi que les personnes qui contrôlent plus de 40 p. 100 des actions avec droit de vote de la société pour laquelle elles travaillent. Dans la même veine, les tribunaux ont statué que les personnes exerçant sur une société un degré de contrôle tel qu'elles traitent en fait avec elles-mêmes doivent également être exclues. Il est bien clair que l'objet de cette loi est d'empêcher que, dans le cadre du régime, on doive verser une multitude de prestations fondées sur des contrats de travail factices ou fictifs.

[6] La question de l'exercice sur une société d'un degré de contrôle tel que l'entreprise est en fait celle de l'actionnaire a été examinée dans les jugements suivants :

Calogero Gulizia c. M.R.N., [1996] A.C.I. no 1001

Carmelo Scalia c. M.R.N., [1994] A.C.F. no 798

Yves P. Therrien v. M.N.R., 95 DTC 5672

Bruno Bouillon v. M.N.R. et al., C.A.F., (1996) 203 N.R. 227

[7] Sont particulièrement dignes d'attention les propos suivants tenus par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Carmelo Scalia et M.R.N., dans lequel le juge Marceau dit au paragraphe 4 :

À l'analyse de la preuve, cependant, on constate que le requérant avait sur la compagnie, sur ses activités, sur les décisions de son bureau de direction composé de lui-même, de son neveu et de sa belle-soeur, un ascendant tel qu'entre lui-même et la compagnie ne pouvait exister ce rapport d'indépendance nécessaire à la création d'un véritable lien de subordination.

[8] Sont également à noter les propos suivants tenus par le juge Desjardins, de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Bruno Bouillon c. M.R.N., aux paragraphes 10 et 11 :

J'estime que le premier juge a incorrectement cerné le débat. Il ne s'agit pas, en l'espèce, de déterminer s'il y a eu contrat de louage de service par opposition à un contrat d'entreprise, mais plutôt de décider s'il existait un véritable contrat, quelle que soit sa nature, entre le requérant et le payeur. Or, selon la preuve, ni Jean-Pierre Bouillon, ni Yves Levasseur, ni Raynald Gaudreau n'ont versé d'argent pour l'achat de 20 % des actions du payeur [...]

L'imbroglio ainsi décrit jette un sérieux doute quant à l'existence du payeur comme entité distincte de ses principaux actionnaires, MM. Bruno Bouillon et Ghislain Bélanger. Ceux-ci ont agi comme si le troisième "actionnaire" n'existait pas au point même de l'exclure du dividende. Ils avaient mainmise complète [Carmelo Scalia c. Le ministre du Revenu national] sur le payeur qui n'a joué qu'un rôle de convenance et a servi de paravent à leurs activités. Je conclus à l'inexistence de quelque entente que ce soit entre le requérant et le payeur, et à plus forte raison, à l'inexistence d'un contrat de louage de service. J'en déduis que le requérant travaillait à son propre compte durant les périodes pertinentes.

[9] Le juge Hamlyn, de la C.C.I., a traité d'une question semblable dans l'affaire Calogero Gulizia et M.R.N., et sa décision a été maintenue en appel. Il s'est posé la question suivante et y a répondu comme suit :

En réponse à la question cruciale de savoir à qui appartient l'entreprise, je conclus qu'elle appartient à l'appelant et à son frère.

[10] Voilà donc les lignes directrices que je dois utiliser pour déterminer s'il y avait dans la relation entre l'appelant et la compagnie une indépendance suffisante pour me permettre de conclure à bon droit qu'il existait un contrat de travail.

Les faits

[11] La seule personne à témoigner a été l'appelant, que j'ai trouvé parfaitement honnête et qui est de toute évidence un travailleur industrieux. Je n'ai aucune raison de ne pas croire ce qu'il a dit dans son témoignage. Lui et son fils avaient constitué la compagnie en mai 1984. Ils avaient fait appel à un avocat pour qu'il s'occupe de la constitution de la compagnie et qu'il établisse l'actionnariat indiqué précédemment. L'idée d'inclure Albert Watson était que ce dernier agirait comme une espèce de médiateur ou de conseiller en cas de différend entre le père et le fils. Ainsi, ni le père ni le fils ne pourrait en cas de différend faire quoi que ce soit sans obtenir l'accord de la tierce partie. S'ils n'avaient aucun différend, le père et le fils étaient toutefois libres de faire ce qu'ils voulaient sans consulter la tierce partie, qui n'avait pas d'intérêts financiers dans la compagnie. L'appelant soutenait que, si la compagnie était dissoute, Albert Watson aurait droit à une part dans la distribution des actifs. Cependant, la preuve indiquait clairement qu'Albert Watson n'a pas investi d'argent dans la compagnie et n'a pas reçu d'argent de la compagnie au fil des ans.

[12] Il est ressorti au cours de l'audience qu'aucune action n'avait en fait été émise en faveur des prétendus actionnaires, ce dont les parties ne s'étaient pas rendu compte auparavant. À l'époque de la constitution de la société, on avait négligé de signer les certificats d'actions ainsi que le procès-verbal faisant état de l'émission des actions. Il en avait été de même concernant la nomination de ces personnes aux postes d'administrateurs. Ces trois personnes se présentaient comme étant administrateurs de la compagnie, mais le procès-verbal faisant état de leur nomination n'a jamais en fait été signé. Par contre, toutes les déclarations annuelles déposées auprès du bureau provincial d'enregistrement des sociétés indiquaient que ces trois personnes étaient à la fois actionnaires et administrateurs. Vu la preuve que cela correspondait au plan initial et que ces personnes ont agi à ce titre au fil des ans, la Cour considère que ces personnes ont effectivement tenu les réunions nécessaires pour donner effet à l'émission des actions en leur faveur et à leur nomination aux postes d'administrateurs de la compagnie.

[13] Cela dit, il était néanmoins évident qu'Albert Watson jouait non pas le rôle d'un actionnaire, mais plutôt celui d'un conseiller et ami. Il devait agir au nom de son ami et voisin, l'appelant, et au nom du fils de l'appelant plutôt qu'à son propre bénéfice. Il était davantage un fiduciaire à cet égard.

[14] Dans les faits, aucune réunion officielle n'a jamais eu lieu, mais, de temps à autre, les trois personnes se réunissaient autour d'une table de cuisine pour discuter de certaines questions, pour discuter de contrats qu'elles prenaient. Il est clair qu'Albert Watson ne recevait aucun avantage financier pour cela. Il ne recevait absolument aucune rémunération comme administrateur et tous les prêts d'actionnaires, indiqués dans les livres de la compagnie, étaient des prêts de l'appelant et de son fils.

Conclusion

[15] Il est clair que l'appelant et son fils ont, au fil des ans, traité l'entreprise comme une entreprise leur appartenant. Ils passaient des contrats avec eux-mêmes en réalité, utilisant simplement la tierce partie comme conseiller en cas de différend entre eux. Concernant la tierce partie, aucun intérêt économique distinct ne permettrait de conclure que l'appelant n'avait pas de lien de dépendance avec la compagnie. À toutes fins, l'appelant et son fils contrôlaient la compagnie et passaient des contrats avec eux-mêmes. Je ne suis pas d'avis que le ministre a fait erreur dans la décision à laquelle il est parvenu, à savoir que l'emploi de l'appelant n'était pas un emploi assurable.

[16] Il est toutefois à noter que, les années précédentes, la même situation avait apparemment été acceptée par Revenu Canada, ce qui est devenu déroutant pour l'appelant. L'appelant était également dérouté du fait que, lorsque l'on a mis un terme aux prestations qu'il recevait en vertu de la demande en cause, Revenu Canada a insisté pour qu'il continue de payer les cotisations pour cette année-là et les années subséquentes. Comme le disait le représentant de l'appelant, l'État ne peut gagner sur les deux tableaux. À mon avis, l'appelant n'a pas droit à des prestations dans ces circonstances, mais lui et la compagnie ont droit au remboursement des cotisations ainsi payées.

[17] En conséquence, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour d'août 1998.

« M. H. Porter »

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme le 1er septembre 1999.

Mario Lagacé, réviseur

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