Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20000515

Dossier: 98-2052-IT-G

ENTRE :

EMILIO DIRIENZO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

[1] Le présent appel porte sur une cotisation établie en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'appelant à titre d'administrateur et de dirigeant de Can-Am Windows & Doors Manufacturing Inc. (la “ société ”). La responsabilité en cause résulte de l'omission, de la part de la société, d'effectuer et de remettre des retenues à la source concernant l'impôt fédéral et provincial sur le revenu, les cotisations d'assurance-emploi et les cotisations au Régime de pensions du Canada. Le montant total fixé dans la cotisation dépasse 30 000 $.

[2] L'appelant est né en 1972. Il a commencé à oeuvrer pour la société de construction de son oncle Ubaldo DiRienzo en 1991 ou en 1992.

[3] La société a été créée en février 1993 sous le régime des lois de l'Ontario. Elle avait deux administrateurs, soit l'appelant et Luke DiGiovanni. L'appelant faisait entièrement confiance à son oncle. On lui a dit de signer les documents pour la constitution de la société, et il l'a fait sans hésitation. Il n'a jamais été un employé de la société et ne recevait aucun salaire. Son oncle lui a dit de signer une garantie à l'égard d'un prêt de 36 000 $ consenti par la Banque Royale à la société, et il l'a fait. La banque l'a poursuivi à l'égard de cette garantie et a obtenu un jugement, qui n'a pas encore été exécuté.

[4] L'appelant ne prêtait aucune attention aux affaires financières de la société. Il a dit qu'il n'avait pris aucune mesure parce qu'il n'était pas “ concerné ”. Il faisait confiance à son oncle parce que son père aussi lui avait fait confiance. Il avait une confiance naïve et aveugle dans le chef de la famille, qui, croyait-il, le soutiendrait et veillerait à ce qu'il ne subisse aucun tort du fait d'avoir signé quoi que ce soit à la demande de son oncle. Cette confiance était mal placée. Ubaldo DiRienzo était en fait un homme sans scrupules n'ayant aucune hésitation à inciter son neveu de 20 ans, naïf et confiant, à signer une garantie et à devenir président ou administrateur de sa société. Ubaldo DiRienzo était le véritable propriétaire bénéficiaire des actions de la société et était administrateur de fait de la société. L'appelant n'était qu'une marionnette entre les mains de son oncle. Ubaldo DiRienzo n'a pas eu le courage d'assumer la responsabilité de ses propres actes. Il a plutôt choisi de se réfugier derrière un jeune qui lui faisait confiance et qu'il pouvait amener par l'intimidation ou la ruse à faire ce qu'il lui demandait. Ubaldo DiRienzo n'a pas eu la décence de soutenir son neveu, se contentant de l'abandonner au bon vouloir de la banque et du percepteur d'impôt.

[5] Deux choses sont parfaitement claires. Premièrement, l'appelant a droit à une réparation de la part de son oncle, quelle que soit la responsabilité qu'il peut avoir encourue ou quel que soit le préjudice qu'il peut avoir subi parce qu'il a fait ce que son oncle lui demandait. Deuxièmement, le ministre du Revenu national serait en droit de poursuivre l'oncle, Ubaldo DiRienzo, en tant qu'administrateur de fait.

[6] Dans la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire La Reine c. Corsano et al., [1999] 3 C.F. 173 (99 DTC 5658), je ne trouve rien qui empêcherait qu'un administrateur de fait soit tenu pour responsable en vertu de l'article 227.1. Un “ administrateur ” est défini comme suit au paragraphe 1(1) de la loi ontarienne intitulée Loi sur les sociétés par actions :

Indépendamment de son titre, personne qui occupe le poste d'administrateur d'une société.

[7] Une action ou procédure visant le recouvrement d'une somme payable par un administrateur d'une société en vertu du paragraphe 227.1(1) doit être engagée dans les deux années suivant la date à laquelle l'administrateur a cessé pour la dernière fois d'être un administrateur de cette société. Aucun élément de preuve n'indique qu'Ubaldo DiRienzo a cessé d'être un administrateur de la société, en présumant que celle-ci n'ait pas été liquidée.

[8] Les conclusions formulées ci-devant dégagent-elles l'appelant de ses responsabilités en vertu de l'article 227.1? D'une part, on pourrait dire que l'appelant n'a pas exercé le degré de soin, de diligence et d'habileté prévu au paragraphe 227.1(3) puisqu'il n'en a exercé aucun. D'autre part, l'appelant n'était administrateur que de nom; il n'avait ni pouvoir ni responsabilité quant à la façon dont la société était dirigée et n'avait pas son mot à dire à cet égard. On pourrait très bien affirmer d'un ton autoritaire et moralisateur que, si une personne accepte la responsabilité inhérente à un poste d'administrateur de société, elle doit s'attendre à en assumer toutes les conséquences. Je n'ai toutefois pas à me demander ce qu'il en serait dans un monde parfait. Il me faut déterminer les faits qui existent dans un monde bien imparfait dans lequel des jeunes malléables sont intimidés par des chefs de famille dominateurs.

[9] Il existe une multitude de jugements au sujet de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu et de l'article correspondant de la Loi sur la taxe d'accise, soit l'article 323. J'ai notamment examiné l'affaire Dale Holmes c. La Reine, numéro de dossier 1999-2182(IT)I, 19 avril 2000. Le jugement faisant jurisprudence est Soper c. R., [1998] 1 C.F. 124 ([1997] 3 C.T.C. 242).

[10] Depuis l’arrêt Soper, un certain nombre d'autres jugements ont toutefois été rendus, par exemple : Cadrin c. La Reine, C.A.F., no A-112-97, 17 décembre 1998 (99 DTC 5079); La Reine c. Champeval et al., C.F. 1re inst., no T-1258-90, 27 janvier 1999 (99 DTC 5115).

[11] Sur la foi de la preuve, il est clair non seulement que l'appelant n'a rien fait, mais aussi qu'il n'avait pas le pouvoir de faire quoi que ce soit. L'oncle dominait la famille et dominait tous les aspects de l'entreprise. La présente espèce ressemble beaucoup à l'affaire Fitzgerald et al. c. M.R.N., C.C.I., no 88-2357(IT), 30 octobre 1991 (92 DTC 1019), dans laquelle le juge Mogan déclarait, à la page 1021 :

Il me semble que les appelants étaient administrateurs en droit (c'est-à-dire que leurs noms figuraient comme ceux des administrateurs dans le livre des procès-verbaux de la compagnie), mais non en fait. Il n'y a jamais eu de réunion du conseil d'administration. Les appelants n'ont jamais agi, seuls ou de concert, en qualité d'administrateurs. Ils ne savaient rien de la gestion et de l'administration des affaires de la compagnie. Ils ne détenaient aucune action de cette dernière. Ils n'avaient aucun moyen d'obliger le cinquième administrateur (Eugene Fitzgerald, actionnaire unique) à leur divulguer des renseignements sur les affaires financières de la compagnie. Ils étaient administrateurs en droit uniquement en raison de leur lien familial avec Eugene Fitzgerald. Ils auraient tous pu démissionner de leurs postes d'administrateurs s'ils y avaient pensé, mais cette démission aurait été une source de tension familiale et, du point de vue des trois fils, l'idée de quitter leurs postes d'administrateurs ne leur serait pas venue avant celle d'abandonner leurs emplois.

Je ne suis pas prêt à déclarer qu'en règle générale, un administrateur passif ou inactif échappe à la responsabilité énoncée au paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par exemple, la personne qui consent à être administrateur d'une corporation par complaisance pour un ami ou un client et qui omet ensuite de participer à titre d'administrateur à la gestion des affaires de la corporation reste, dans une très large mesure, assujettie aux obligations prévues au paragraphe 227.1(1). L'administrateur passif ou inactif n'est pas, en soi, dégagé de la responsabilité que prévoit le paragraphe 227.1(1). Cependant, lorsque l'administrateur passif ou inactif est devenu membre du conseil d'administration dans le cadre d'une entreprise familiale exploitée sous la forme d'une corporation placée sous la férule d'un patriarche inflexible, la responsabilité de préserver l'harmonie au sein de la famille s'entremêle à la responsabilité légale envers les tiers et, dans de telles circonstances, j'estime qu'il n'est pas raisonnable d'imposer la même norme de soin, de diligence et d'habileté à “ l'administrateur familial ” passif qu'à la personne qui est réellement libre de devenir administrateur et choisit de le devenir hors de tout contexte familial.

Si j'applique ce raisonnement aux faits de l'espèce, je conclus que les appelants satisfont au critère énoncé au paragraphe 227.1(3) parce qu'ils ont agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. Je souligne les termes “ dans des circonstances comparables ” parce qu'une personne raisonnablement prudente, dans cette famille de type féodal, préserverait l'harmonie familiale en n'ayant d'administrateur que le titre et en laissant la gestion de l'entreprise entre les mains du patriarche résolu qui gérait cette dernière avec succès depuis 30 ans.

[12] Telle est exactement la situation dans la présente espèce.

[13] L'appel est admis avec dépens et la cotisation est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2000.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.A.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 19e jour d'octobre 2000.

Isabelle Chénard, réviseure

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