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Date : 20000114

Dossiers : 98-2055-IT-G; 98-2057-IT-G

ENTRE :

WILLIAM A. DIGDON, ATLANTIC COMBUSTION PRODUCTS LIMITED,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bell, C.C.I.

[1] Les présents appels ont été entendus simultanément.

[2] QUESTIONS EN LITIGE DANS L'AFFAIRE CONCERNANT ATLANTIC COMBUSTION PRODUCTS LIMITED (“ Atlantic ”)

1. Les montants qui suivent :

1993 13 200 $

1994 13 200 $

1995 18 200 $

et qui ont été versés au cours des années susmentionnées à Willoughby Digdon, père de William A. Digdon, pouvaient-ils être déduits par Atlantic?

2. Les pénalités imposées en application du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) à l'égard des sommes qui précèdent l'ont-elles été à juste titre?

3. Les montants suivants :

1993 1 917 $

1994 10 139 $

1995 13 161 $

correspondant à la portion des indemnités de transport versée à William A. Digdon par Atlantic et dépassant les montants admis par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) pouvaient-ils être déduits par Atlantic?

[3] QUESTIONS EN LITIGE DANS L'AFFAIRE CONCERNANT WILLIAM A. DIGDON

1. William A. Digdon a-t-il reçu un avantage, au sens du paragraphe 15(1) de la Loi, d'une valeur de 15 845 $ par suite de l'achat, au cours de l'année d'imposition 1992, d'une automobile appartenant à Atlantic? Il suffit, pour disposer de cette question, de souligner que la nouvelle cotisation pour l'année en question était prescrite, compte tenu du fait qu'elle a été établie plus de trois années après la date de la cotisation initiale et que, contrairement à ce qu'a prétendu l'intimée, William A. Digdon n'a pas fait de présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire lorsqu'il a produit sa déclaration (paragraphe 152(4) de la Loi).

2. Les montants qui suivent :

1993 13 200 $

1994 13 200 $

1995 18 200 $

et qui ont été versés par Atlantic à Willoughby Digdon, tel qu'il est mentionné ci-dessus, devraient-ils être inclus dans le calcul du revenu de William A. Digdon aux termes du paragraphe 56(2) de la Loi?

3. Les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi à l'égard des montants mentionnés au point précédent l'ont-elles été à juste titre?

LES FAITS

[4] William A. Digdon, président d'Atlantic, a indiqué, lors de son témoignage, que son entreprise avait débuté ses activités en 1975. Atlantic desservait alors le marché du chauffage résidentiel au bois avec un appareil de nettoyage de cheminées appelé Co-Mate Chimney Cleaner. Pour assurer la survie de l'entreprise, il fut décidé de s'attaquer au marché industriel. Afin de mettre au point un système d'alimentation de chaudières répondant aux besoins d'entreprises appartenant, entre autres, à l'industrie des pâtes et papiers, Atlantic a retenu les services de Willoughby Digdon, qui comptait plusieurs années d'expérience dans le secteur de la construction.

[5] Dans le cadre de son témoignage, William A. Digdon a expliqué en détail les problèmes liés à la mise au point d'un équipement fonctionnel. Willoughby Digdon s'est consacré à cette tâche tandis que William A. Digdon s'occupait de la promotion du produit. William A. Digdon a déclaré que Willoughby Digdon avait travaillé pendant 500 heures en 1975, qu'à partir de 1976 jusqu'à 1986 inclusivement il avait travaillé à plein temps, qu'il avait travaillé à temps partiel en 1987 et en 1988 puis à plein temps en 1989. Willoughby Digdon avait vendu sa propre entreprise avant 1975 et, par conséquent, était en mesure de contribuer activement au développement de l'entreprise. William A. Digdon a témoigné que c'est pour permettre à l'entreprise de démarrer que son père a travaillé aussi fort. Il a déclaré qu'il avait demandé à son père de l'aider en lui disant que l'entreprise ne pouvait le rémunérer pour l'instant mais qu'elle le ferait plus tard. Il a affirmé avoir eu cette conversation avec son père au milieu ou vers la fin de l'année 1975. Il a également déclaré qu'en raison du manque d'argent, il conduisait une voiture peu coûteuse, logeait dans les motels les plus économiques, transportait sa nourriture dans une glacière et utilisait un réchaud pour la préparer, lors de ses déplacements visant à stimuler les ventes.

[6] Selon les dires de William A. Digdon, l'équipement mis au point et qui se trouve actuellement dans une centaine d'établissements industriels n'a pas son pareil en Amérique du Nord.

[7] William A. Digdon a témoigné que lorsque les ressources financières d'Atlantic lui ont permis de payer Willoughby Digdon, elle lui a versé les montants suivants :

a) 3 000 $ en 1987;

b) 13 200 $, à savoir 1100 $ par mois en 1988 de même qu'au cours des années d'imposition subséquentes;

c) 18 200 $ en 1995.

[8] Il a en outre précisé que son père était malade et qu'il ne vivrait pas suffisamment longtemps pour que William A. Digdon fasse en sorte qu'Atlantic lui verse une somme équivalant à la valeur des services fournis.

[9] En contre interrogatoire, William A. Digdon a indiqué que c'est suivant ses instructions que les paiements ont été faits en 1993, 1994 et 1995 à Willoughby Digdon par Atlantic. Il a témoigné que son père ne l'a jamais facturé, qu'Atlantic n'a jamais inscrit dans son passif les montants dus à celui-ci et que durant la période allant de 1975 à 1987, aucun état ne faisait clairement référence à ces montants. Lors de ses échanges avec la vérificatrice de Revenu Canada, Mme Léonard, William A. Digdon a demandé de quelle façon il pourrait [TRADUCTION] “ établir une pension pour son père ”. Il a enjoint Mme Léonard de ne pas communiquer avec ce dernier, étant donné son état de santé. Mme Léonard a indiqué que la déduction, par Atlantic, de ces montants avait été refusée en raison de l'absence de documentation. À de nombreuses reprises au cours de son témoignage, elle a mentionné qu'il n'y avait [TRADUCTION] “ pas de document ” et [TRADUCTION] “ pas de documentation ”. Les sommes versées au père de William étaient décrites, dans les livres de l'entreprise, comme étant des honoraires d'expertise.

[10] En ce qui a trait à la première question en litige relative à William A. Digdon, ce dernier a indiqué qu'Atlantic avait acheté le 25 avril 1990 une voiture de l'année de marque Jaguar pour la somme de 58 500 $. Il a ajouté qu'il avait racheté cette voiture à Atlantic au mois de décembre 1992 parce que les frais pour droit d'usage prévus par la Loi lui paraissaient excessifs. Cette vente a été enregistrée dans les livres d'Atlantic. Il semble que l'automobile n'ait pas été immatriculée au nom de William A. Digdon. L'avocat des appelants a déposé plusieurs pièces en preuve. Il s'agit, pour l'essentiel, de lettres échangées avec Chapman Motors Limited (“ Chapman ”) — le concessionnaire qui avait, à l'origine, vendu la voiture — et avec Jaguar Inc. Toutes ces lettres ont trait aux multiples problèmes causés par la voiture. En réalité, celle-ci avait un très grand nombre de défectuosités, lesquelles n'ont pas toutes été réglées à la date d'expiration de la garantie.

[11] William A. Digdon a obtenu d'O'Regan Motors Limited une lettre d'opinion datée du 21 décembre 1992. L'on y estimait à 16 500 $ la valeur de l'automobile. Le signataire de la lettre travaille dans l'industrie de l'automobile depuis un grand nombre d'années et sa compétence à titre d'expert en matière d'évaluation d'automobiles a été établie. Quoiqu'il ait été incapable de se souvenir de certains événements relatifs à ce qu'il avait fait dans le cadre de son évaluation, les défauts de la voiture l'ont frappé à un point tel que, pour protéger son entreprise, il a ajouté dans sa lettre d'opinion la phrase suivante :

[TRADUCTION]

La présente ne constitue pas une offre d'achat.

[12] L'intimée n'a pas soumis de preuve d'évaluation. Le prix de vente de la voiture - 16 500 $ plus les taxes - s'élevait à 19 421 $ et est décrit, dans les états financiers d'Atlantic pour l'année 1993, de la manière suivante :

[TRADUCTION]

Un prêt sans intérêt à un actionnaire afin d'acheter un véhicule, remboursable au moyen de versements annuels égaux de 3 885 $.

Le solde dû, inscrit pour l'année 1994, était de 15 536 $. Mme Léonard a déclaré que “ nous ” étions d'avis que la juste valeur du véhicule était supérieure à 16 500 $. Elle a reconnu que Revenu Canada n'avait pas fait évaluer la voiture. Elle a également admis qu'elle n'avait pas la compétence requise pour donner une opinion quant à la valeur d'une automobile.

La troisième question en litige relative à Atlantic

[13] William A. Digdon a également déclaré, au cours de son témoignage, qu'il avait utilisé son véhicule personnel lors de plusieurs voyages dans des régions où des entreprises avec lesquelles Atlantic était associée, tentaient de s'implanter. Bien que ces projets aient apparemment été menés au nom des entreprises en question, William A. Digdon a affirmé que tous les déplacements consignés dans le registre qu'il avait préparé à cette fin, avaient été effectués pour le compte d'Atlantic. Il a indiqué que tous les milles parcourus l'avaient été dans le cadre des activités d'Atlantic. Il a ajouté qu'Atlantic avait l'intention d'acquérir une partie de ces entreprises après que celles-ci soient devenues prospères.

[14] La vérificatrice, Mme Léonard, a témoigné que les déplacements effectués pour le compte de ces autres entreprises représentaient, à son avis, des dépenses engagées par ces dernières. Elle a déclaré avoir examiné les registres où étaient inscrits les milles parcourus pour chacune des entreprises et avoir constaté que tous les montants avaient été déduits par Atlantic, à titre de dépenses. Elle a témoigné que tous les déplacements effectués pour le compte d'Atlantic avaient été admis. Les montants déclarés et la portion de ceux-ci dont le ministre a refusé la déduction, sont les suivants :

Année

Montant total déclaré

Montant refusé par le ministre

1993

6 182 $

1917 $

1994

17 229 $

10 139 $

1995

17 981 $

13 161 $

ARGUMENTS, ANALYSE ET CONCLUSION

Première question en litige relative à William A. Digdon

[15] En ce qui a trait à l'omission de William A. Digdon d'inclure dans son revenu pour l'année d'imposition 1992 la somme de 15 845 $ à titre d'avantage conféré par Atlantic, je suis d'accord avec l'argument de l'avocat des appelants selon lequel il n'y a pas eu, au sens du paragraphe 152(4), de :

[...] présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire [...]

Le transfert de la voiture d'Atlantic à William A. Digdon, au cours de l'année en question, a été effectué à partir de l'évaluation d'une personne avertie, oeuvrant dans ce secteur d'activité. Bien que cette personne n'ait pas été rémunérée pour ce service, l'intimée n'a, pour sa part, obtenu aucune évaluation avant d'établir la nouvelle cotisation ni même depuis que celle-ci a été établie. William A. Digdon a fait faire cette évaluation après avoir reçu un avis en ce sens de son comptable. Que pouvait-on raisonnablement lui demander de plus? Outre le fait que l'évaluation n'a pas été contredite, il n'y a pas eu de présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire. La nouvelle cotisation établie à l'égard de William A. Digdon pour l'année d'imposition 1992 est, par conséquent, sans effet, ayant été établie plus de trois ans[1] après la date de la cotisation initiale.

Première et deuxième questions en litige relatives à Atlantic; deuxième et troisième questions en litige relatives à William A. Digdon

[16] En ce qui a trait à la première question en litige relative à Atlantic et à la seconde question en litige relative à William A. Digdon, il s'agit de déterminer si les montants versés à Willoughby Digdon par Atlantic peuvent être déduits par Atlantic et si ces montants doivent être inclus dans le calcul du revenu de William A. Digdon aux termes du paragraphe 56(2), pour les années correspondantes.

[17] L'avocat des appelants a fait valoir que Willoughby Digdon avait fourni, pendant une longue période, des services sans recevoir de rémunération pour ceux-ci et qu'Atlantic avait commencé à le payer lorsqu'elle en avait la capacité. Il a cité l'arrêt Bartlett v. M.N.R., 83 DTC 461. M. Bartlett avait créé, en 1912, une entreprise manufacturant des produits chimiques agricoles. Il s'agissait, au départ, d'une entreprise individuelle, qui a été constituée en personne morale vers 1950. En 1972, la compagnie a versé une somme de 17 150 $ à la veuve de M. Bartlett, Lydia. La même somme lui a été versée en 1973 puis, de nouveau, en 1974. Ces sommes ont été déduites par la compagnie. Le ministre a refusé ces déductions au motif que l'alinéa 18(1)a) de la Loi[2] prohibait celles-ci. Il a invoqué à cet égard le fait que Lydia Bartlett n'était pas employée par la compagnie au cours de ces années et qu'elle n'avait fourni aucun service à celle-ci. La preuve indiquait clairement que Mme Bartlett avait, par le passé, contribué de façon importante à la bonne marche de l'entreprise. L'un de ses fils a déclaré qu'elle était [TRADUCTION] “ véritablement associée ” avec son père. Il a indiqué qu'elle n'avait jamais reçu de rémunération, en dépit de sa présence continuelle au bureau, dans les débuts. Une description des services qu'elle avait fournis suivait.

[18] La Commission de révision de l'impôt a fait observer ce qui suit :

[TRADUCTION]

De toute évidence, l'appelante et les témoins qu'elle a fait entendre ont employé le mot “ salaire ” à mauvais escient pour qualifier les sommes versées à Lydia Bartlett. Il s'agissait tout simplement de paiements faits de bonne grâce, pouvant être assimilés à une pension accordée à la veuve de l'ancien directeur général de l'appelante qui avait, en outre, contribué personnellement et de façon significative à la réussite de l'entreprise. Il semble évident que l'alinéa 18 (1)a) de la Loi ne peut être invoqué pour interdire la déduction de ce type de paiements lorsqu'il n'existe pas de lien de dépendance entre le payeur et le bénéficiaire. Le fait qu'il y ait, en l'espèce, un tel lien n'affecte en rien notre conclusion quant à l'effet de l'alinéa 18(1)a). La société appelante obtient par conséquent gain de cause sur ce point.

[19] Prévoyant que l'intimée allait invoquer le principe du rattachement des services et du paiement de ceux-ci au cours d'une année donnée, l'avocat des appelants a allégué que l'alinéa 18(1)a) ne fait mention ni de l'année au cours de laquelle la dépense a été engagée ni du principe du rattachement.

[20] L'avocat des appelants a ensuite cité l'extrait suivant des motifs rédigés par le juge Iacobucci dans l'arrêt Canderel Ltd. v. R., 98 DTC 6100, à la p. 6108 :

[...] Par contre, si une autre méthode convient, si elle est permise en vertu des principes commerciaux reconnus et si elle n'est pas interdite par la Loi ou par quelque autre règle de droit précise, il n'existe alors aucun principe autorisant le ministre à insister pour que ce soit le principe du rattachement -- ou d'ailleurs quelque autre méthode -- qui soit utilisé. [...]

[21] Le savant juge a fait cette déclaration après avoir précisé que le critère juridique du “bénéfice” devrait viser à déterminer quelle méthode comptable dépeint le mieux la situation financière du contribuable concerné. L'arrêt Canderel porte en fait sur la question de savoir si une somme versée à titre de paiement d'incitation à la location peut être déduite dans l'année où elle a été versée ou si elle devrait être amortie sur la durée du bail. Le juge Iacobucci s'est penché sur le choix d'une méthode de présentation du bénéfice de l'appelante et a tranché la question en litige à partir de la prémisse suivante :

[...] où aucune méthode ne se révèle clairement supérieure ou plus nettement applicable qu'une autre, le contribuable devrait conserver la faculté d'organiser ses affaires conformément à toute méthode compatible avec les principes commerciaux reconnus et acceptable compte tenu des réalités de son entreprise. En d'autres mots, le seul fait qu'une tactique particulière soit acceptable en vertu des principes commerciaux reconnus ne justifiera pas nécessairement son application dans un contexte donné si elle ne concorde pas avec la manière dont le contribuable conduit concrètement ses affaires.

(Je souligne.)

[22] Plus loin, dans le dernier paragraphe de ses conclusions, le savant juge a affirmé :

[...] rien ne justifie de traiter le principe du rattachement comme une “règle de droit” [...]

[23] Dans l'affaire Hassanali Estate v. R., 97 DTC 905, le juge Sarchuk de la Cour a permis à un contribuable de déduire des dépenses correspondant au salaire versé pour services rendus dans le passé. Le comte Sajan Hassanali (le “ comte ”) qui exploitait une maison à logements à titre d'entreprise commerciale, cohabitait avec son amie, Helga Georg. Après une quinzaine d'années, leur relation s'est détériorée et ils se sont séparés. Durant cette période, Mme Georg avait travaillé pour l'entreprise sans recevoir de rémunération. La Cour suprême de l'Ontario a ordonné au comte de verser à Mme Georg la somme de 725 000$. Le comte demandait que ce montant soit déduit à titre de dépense d'entreprise. Le savant juge a disposé comme suit de sa demande, à la p. 908 :

Je suis plutôt convaincu que le montant que le juge Walsh a accordé représentait l'indemnité qu'il convenait selon lui d'accorder à Mme Georg sur la base de la valeur reçue ou du quantum meruit à l'égard des services qu'elle avait fournis, au motif qu'une obligation implicite de payer avait pris naissance par suite de la nécessité de remédier à l'enrichissement sans cause. Les motifs du jugement ne sont pas précis en ce qui concerne la base sur laquelle le montant de 725 000 $ a été calculé, mais les transcriptions des témoignages qui ont été présentés devant le juge Walsh montrent que la preuve présentée par Mme Georg mettait l'accent sur les services qu'elle avait fournis, et je remarque que le seul témoignage d'expert qui a été présenté se rapportait principalement à la valeur de ces services. Il n'est pas possible dans les cas de ce genre de calculer la valeur des services que le comte a reçus sur une base strictement comptable, mais l'indemnité était à peu près égale à la valeur de l'attente raisonnable qu'avait Mme Georg à l'égard des services qu'elle avait fournis en sa qualité de gérante de l'immeuble et de concierge ainsi que relativement à l'entretien et aux réparations.

Puisque j'ai conclu que le montant en question représente le paiement quantum meruit pour les services fournis par Mme Georg, je dois me demander comment le qualifier aux fins de l'impôt sur le revenu. Les motifs du jugement du juge Walsh montrent d'une façon évidente que la plupart des services fournis par Mme Georg se rapportaient à la gestion des tours Kennedy. En outre, il est incontestable que Mme Georg n'avait aucune obligation, que ce soit en common law ou en equity ou aux termes d'un texte législatif, d'exercer les fonctions de gérante de l'immeuble ou de concierge ou de fournir des services d'entretien et de conciergerie à l'égard de l'immeuble du comte. L'indemnité pécuniaire accordée à Mme Georg pour les services fournis, lorsqu'elle est considérée dans le contexte de la preuve dont disposait le juge Walsh, peut très aisément être considérée comme représentant la valeur commerciale de ces services. Somme toute, j'ai conclu que les services fournis étaient d'une nature telle que s'ils avaient été fournis moyennant une rémunération immédiate dans le cadre ordinaire des affaires, le paiement aurait donné lieu à un revenu imposable entre les mains de Mme Georg. De même, du point de vue de la présente appelante, le coût de ces services, s'il avait été assumé au moment où ils avaient été fournis, aurait représenté des dépenses engagées par le comte dans l'exploitation de l'immeuble locatif. Par conséquent, les montants que le comte a payés conformément à l'ordonnance du juge Walsh sont visés par l'alinéa 18(1)a) de la Loi et le comte peut les déduire.

[24] Atlantic ne disposait pas des ressources financières lui permettant de payer les services de Willoughby Digdon au cours des années durant lesquelles ceux-ci ont été rendus. Bien qu'aucun montant n'ait été enregistré, pendant ces années, comme étant dû à Willoughby Digdon, le témoignage non contredit de William A. Digdon était à l'effet qu'il avait informé son père que l'entreprise le paierait lorsqu'elle en aurait les moyens. Dans ces circonstances, la suggestion de l'avocat de l'intimée selon laquelle les montants payables à Willoughby Digdon par Atlantic auraient pu être inscrits dans les livres d'Atlantic en vertu du mécanisme prévu par l'article 78 de la Loi, n'a aucun sens. L'article 78 prévoit tout simplement une formule pour le traitement des sommes engagées à titre de dépenses déductibles, dues par un contribuable à une personne et qui n'ont pas été payées au cours de l'année durant laquelle ces déductions sont applicables. L'on a eu recours à cette disposition dans le cas d'un employeur qui souhaitait diminuer le revenu imposable pour une année d'imposition donnée en soustrayant de celui-ci un montant qui pouvait être versé à l'employé au cours d'une année subséquente. Cette situation n'est en rien comparable à la présente. Atlantic, qui n'avait pas les moyens de payer Willoughby Digdon au cours des années durant lesquelles celui-ci a fourni ses services, n'avait pas besoin de demander pareille déduction. Le principe comptable du “ rattachement ”[3] ne peut s'appliquer à une entreprise qui a profité de services fournis pendant une période au cours de laquelle elle était tout à fait incapable de payer ceux-ci. Dans une société démocratique et axée sur les affaires, il serait tout à fait inopportun de conclure que les montants payés postérieurement par un contribuable à une personne qui lui a fourni des services de qualité et dont elle a tiré profit alors qu'il n'était pas en mesure de verser une rémunération pour ceux-ci, ne pourraient pas être déduits. J'en arrive à cette conclusion “ compte tenu des réalités de [l'] entreprise [Atlantic] ”.

[25] Dans l'arrêt Canderel ainsi que dans d'autres décisions traitant du “ principe du rattachement ”, les entreprises en cause étaient rentables et les tribunaux devaient déterminer quels étaient les bénéfices produits. Comme on l'a déjà souligné, les circonstances de l'espèce diffèrent complètement. Le raisonnement appliqué dans les décisions Bartlett et Hassanali prévaut en l'espèce. Conséquemment, les montants susmentionnés versés par Atlantic au cours des trois années à l'étude pourront être déduits par celle-ci. Il va sans dire que les pénalités imposées à Atlantic seront supprimées.

[26] Dans ces circonstances, ces montants ont été versés par Atlantic à Willoughby Digdon en raison des services rendus et, par conséquent, il ne s'agit pas de paiements faits “ suivant les instructions ou avec l'accord ” de William A. Digdon au profit de son père. Ceux-ci ne peuvent donc être inclus dans le revenu de William A. Digdon.[4] Le paragraphe 56(2) n'étant pas applicable à l'égard de William A. Digdon, les pénalités qui lui ont été imposées à cet égard seront supprimées.

Troisième question en litige relative à Atlantic

[27] Je suis arrivé à la conclusion que c'est à bon droit que le ministre a refusé la déduction des dépenses relatives à l'automobile que demandait Atlantic. L'appelante ne m'a pas convaincu que les montants refusés par le ministre avaient été engagés aux fins de l'entreprise d'Atlantic. D'après le témoignage de William A. Digdon, des voyages ont été effectués dans le but d'implanter de nouvelles entreprises, lesquelles devaient être ultérieurement acquises en partie par Atlantic après être devenues rentables. Ceci ne constitue tout simplement pas un fondement suffisant pour assurer la validité de cette demande de déduction d'Atlantic.

[28] Pour conclure, les appels sont admis en partie, la Cour statuant que :

a) les montants de 13 200 $, 13 200 $ et 18 200 $, versés respectivement par Atlantic en 1993, 1994 et 1995 à Willoughby Digdon peuvent être déduits par Atlantic;

b) les pénalités imposées à Atlantic seront supprimées;

c) les montants versés à titre d'indemnités de transport — à savoir 1 917 $ en 1993, 10 139 $ en 1994 et 13 161 $ en 1995 — ne peuvent être déduits par Atlantic;

d) le ministre n'avait pas le pouvoir d'établir une nouvelle cotisation à l'égard de William A. Digdon pour l'année d'imposition 1992;

e) les montants de 13 200 $, 13 200 $ et 18 200 $, ont été inclus à tort, par une cotisation établie en application du paragraphe 56(2) de la Loi, dans le calcul du revenu de William A. Digdon pour les années 1993, 1994 et 1995, respectivement;

f) les pénalités imposées à William A. Digdon relativement à ces montants seront supprimées.

[29] Les appelants ont droit aux dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de janvier 2000.

“ R. D. Bell ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 8e jour d'août 2000.

Benoît Charron, réviseur



[1]                Paragraphe 152(4).

[2]         Cette disposition prévoit que les dépenses ne sont pas déductibles, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien.

[3]               Expliqué simplement, il s'agit du paiement, par un contribuable, des services au cours de l'année pendant laquelle ceux-ci ont été rendus par le bénéficiaire du paiement.

[4]               Le paragraphe 56(2) prévoit que tout paiement fait, suivant les instructions ou avec l'accord d'un contribuable, à toute autre personne à titre d'avantage que le contribuable désirait voir accorder à l'autre personne sera inclu dans le revenu du contribuable comme il le serait si ce paiement avait été fait au contribuable.

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