Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 19971126

Dossiers: 96-4864-IT-I; 96-4865-IT-I; 96-4866-IT-I

ENTRE :

PAULETTE COUSINS, GREGORY COUSINS, GREG COUSINS CONSTRUCTION LTD.,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Regina (Saskatchewan) le 22 octobre 1997)

Le juge Mogan, C.C.I.

[1]Les appels de Paulette Cousins (“Paulette”), de Gregory Cousins (“Gregory”) et de Greg Cousins Construction Ltd. (la “compagnie”) ont été entendus ensemble sur preuve commune. Les années d'imposition ici en cause sont les années 1993 et 1994 en ce qui concerne Paulette et Gregory ((“la femme et le mari”), et, dans le cas de la compagnie, ce sont les nouvelles cotisations relatives aux années d'imposition qui ont pris fin les 31 janvier 1994 et 1995 qui sont en cause. Le litige porte sur la possibilité pour la compagnie de déduire certains montants qui ont été inscrits comme étant payables aux deux enfants de Paulette et de Gregory, ainsi que sur la question de savoir si pareils montants doivent être ajoutés aux revenus déclarés de Paulette et de Gregory. Les appelants ont demandé que la procédure informelle s'applique à leurs appels.

[2] Paulette et Gregory ont grandi sur une ferme et, vers 1975, ils ont établi une entreprise de construction dans les champs de pétrole. Paulette a été la seule à témoigner. Elle a décrit l'entreprise comme étant une entreprise de construction et de récupération de baux concernant des champs de pétrole, de construction de pipe-lines et d'exploitation de camions-citernes. Apparemment, en 1993 et en 1994, la compagnie possédait trois ou quatre camions-citernes et elle exploitait également des camions de transport de gravier.

[3] Paulette et Gregory habitent à environ trois milles à l'ouest de Carnduff (Saskatchewan), sur un terrain adjacent à la terre que possède la famille de Gregory. À environ un quart de mille de leur maison, il y a une cour et un atelier où il est possible d'assurer l'entretien des véhicules et du matériel de la compagnie; un certain nombre de bâtiments y sont situés. Ces bâtiments n'ont pas été décrits en détail, mais apparemment, ils sont suffisamment gros pour qu'il soit possible d'y effectuer les réparations et l'entretien du matériel.

[4] Les actions de la compagnie appartiennent moitié-moitié à Paulette et à Gregory qui sont les administrateurs, dirigeants et actionnaires de la compagnie; Gregory est le président et Paulette est la secrétaire de la compagnie. Paulette a décrit son travail comme étant celui de chef de bureau. Elle effectue tout le travail administratif pertinent pour la compagnie. De plus, un adjoint qui travaille à plein temps inscrit les dettes et les créances et s'occupe de la paie.

[5] La compagnie était fort rentable. Apparemment, son revenu brut est passé d'environ 500 000 $ en 1992 et en 1993 à près de 4 ou 5 millions de dollars en 1997. De toute évidence, une entreprise de ce genre exige énormément de gestion et il est certain que Paulette et Gregory ont consacré presque tout leur temps à gérer et à exploiter la compagnie et à en assurer l'expansion. Gregory supervise le personnel sur le terrain, celui-ci effectuant divers travaux à l'aide du matériel lourd utilisé aux fins de la construction dans les champs de pétrole et conduisant également les camions-citernes et les camions de transport de gravier.

[6] Les questions ici en litige se rapportent aux montants versés aux deux enfants de Paulette et de Gregory, Lisa, qui est née le 29 août 1984 et Paul, qui est né le 14 avril 1986. Dans l'année d'imposition 1993, chacun des enfants a reçu de la compagnie une rémunération de 6 500 $ et, dans l'année d'imposition 1994, chacun des enfants a reçu de la compagnie une somme de 6 400 $. La compagnie a déduit ces montants dans le calcul de son revenu; ces montants ont été déclarés comme étant payables à Lisa et à Paul.

[7] Dans les cotisations ici en cause, le ministre du Revenu national (le “ministre”) a refusé à la compagnie la déduction d'une somme de 13 000 $ (Paul et Lisa ayant chacun reçu 6 500 $) dans son année d'imposition 1993 et la déduction d'une somme de 12 800 $ (Paul et Lisa ayant chacun reçu 6 400 $) dans son année d'imposition 1994. Le ministre a ajouté ces montants aux revenus déclarés de Paulette et de Gregory (6 500 $ chacun pour l'année d'imposition 1993 et 6 400 $ chacun pour l'année d'imposition 1994) pour le motif que les deux enfants n'avaient pas gagné l'argent et que la compagnie avait effectué les déductions de façon à attribuer des fonds de l'entreprise aux actionnaires, Paulette et Gregory. Il s'agit donc de savoir si ces montants ont été réalisés par les enfants et si cela était raisonnable compte tenu des circonstances.

[8] Paulette Cousins a témoigné passablement en détail au sujet de ce que les enfants faisaient. Elle a souligné qu'il s'agit d'une entreprise familiale et qu'ils faisaient le travail en famille. Elle a dit qu'il y avait un atelier, une cour et un bureau et que les enfants travaillaient dans toutes ces installations. Ils aidaient à nettoyer la cour, ils livraient les colis comme Paulette l'a dit, ils s'occupaient du classement et des photocopies dans le bureau, ils faisaient des courses et ils rangeaient certaines fournitures dans l'atelier. Paulette a dit qu'ils rangeaient les écrous et les boulons dans des casiers de façon qu'on ne perde pas de temps à les chercher. Ils nettoyaient l'atelier et la cour et ils nettoyaient même un peu les camions. Paulette a également dit que si les enfants n'avaient pas fait ce travail, il aurait fallu embaucher quelqu'un d'autre pour le faire.

[9] À l'heure actuelle, la compagnie compte environ 45 employés. Pendant les années ici en cause, Paulette n'a pas pu préciser combien d'employés travaillaient pour la compagnie, mais elle croyait qu'il y en avait plus de 20. Les employés étaient rémunérés à l'heure et ils ne pointaient pas en tant que tels, comme dans une usine, mais ils enregistraient leurs propres heures et remettaient à la fin de chaque semaine un journal indiquant les heures travaillées. Il semble qu'en ce qui concerne le personnel qui travaillait sur le terrain, Gregory ait su si ces heures étaient raisonnables et, au point de vue de la gestion, il pouvait contrôler ces heures. Bien sûr, Paulette savait ce qui se passait dans le bureau. Aucune feuille de temps n'a été établie pour Lisa et Paul en 1993 ou en 1994, et à ce moment-là leur taux de rémunération n'était pas non plus enregistré. Apparemment, après que Revenu Canada eut effectué la vérification qui a donné lieu au présent litige, des feuilles de temps ont été préparées pour Lisa et Paul, non en vue de montrer quelles heures ils avaient réellement effectuées, mais pour montrer les heures auxquelles ils pouvaient avoir travaillé, lorsqu'ils n'allaient pas à l'école, ou en dehors des heures de sommeil ou de repas. Apparemment, ces feuilles de temps, qui n'ont pas été produites en preuve à l'audience, montraient que les enfants pouvaient avoir travaillé deux heures par jour du lundi au vendredi pendant la semaine, lorsqu'ils allaient à l'école, et jusqu'à cinq heures ou plus par jour le samedi et le dimanche. Ces feuilles ont été préparées après la vérification, mais cela nous amènerait à croire que Lisa effectuait peut-être dix heures de travail du lundi au vendredi et au moins dix heures de travail pendant la fin de semaine. Cela correspondrait donc à 20 heures par semaine, à 80 heures par mois et à 960 heures par année. J'arrondirai ce chiffre à 1 000 heures par année. Étant donné que Lisa a reçu 6 500 $ dans l'année d'imposition 1993, elle aurait gagné environ 6,50 $ l'heure. Il en va de même pour Paul.

[10] Paulette a dit que les enfants pouvaient travailler avant et après l'école et chaque fois que les parents travaillaient. Elle a déclaré que les enfants n'avaient pas d'activités à l'extérieur, mais son témoignage a par ailleurs confirmé que Lisa prenait des leçons d'orgue et de patinage artistique et que Paul allait chez les scouts une fois par semaine et s'intéressait aux ordinateurs.

[11] Lisa et Paul n'étaient pas rémunérés sur la même base que les employés réguliers de la compagnie, qui étaient rémunérés toutes les semaines, aux deux semaines ou tous les mois, moyennant un taux horaire. Paulette a dit que les enfants voulaient certaines choses. Ainsi, elle a dit que Lisa voulait jouer de l'orgue. Lisa avait commencé à prendre des leçons et à jouer sur l'orgue que sa mère avait utilisé lorsqu'elle avait appris à jouer, mais à l'ère de la haute technologie et sous l'effet de toute la publicité que l'on fait à l'heure actuelle, Lisa a décidé qu'elle voulait un meilleur orgue. Par conséquent, lorsque Paulette a cru que Lisa avait travaillé suffisamment longtemps pour gagner un montant correspondant au prix de l'orgue, un nouvel orgue a été acheté à l'aide des fonds de la compagnie pour la somme d'environ 5 000 $. Ce montant a été imputé au compte de prêt d'actionnaire de Paulette. À la fin de l'année d'imposition 1993, la compagnie a émis un chèque de 6 500 $ en faveur de Lisa, qui a endossé le chèque en faveur de Paulette, et cette dernière a alors déposé le chèque dans le compte de la compagnie pour qu'il soit crédité à son compte de prêt d'actionnaire. Le solde du compte de prêt d'actionnaire de Paulette, qui avait baissé pendant l'année par suite de l'achat de l'orgue, a donc augmenté une fois le chèque déposé.

[12] Il en allait de même pour Paul. Ainsi, Paulette a dit qu'étant donné que Paul s'intéressait vivement aux ordinateurs, la compagnie avait acheté un ordinateur, une imprimante et un jeu Nintendo sur la même base. Paulette et Gregory encourageaient leurs enfants à exprimer leurs désirs de façon qu'ils travaillent fort et, lorsqu'ils avaient fait des efforts suffisants, la compagnie achetait les choses qu'ils voulaient, en imputant leur coût aux comptes de prêts d'actionnaire. À la fin de l'année, les chèques émis en faveur des enfants étaient endossés en faveur des parents, de façon que ceux-ci puissent les déposer dans les coffres de la compagnie et déposer l'argent dans les comptes de prêts d'actionnaire de Paulette et de Gregory.

[13] Comme je l'ai déjà mentionné, il s'agit en somme de savoir si les montants versés à Lisa et à Paul étaient raisonnables. Je me propose d'examiner chaque année d'imposition séparément. Dans l'année d'imposition 1993, Lisa et Paul ont chacun reçu 6 500 $. Cette année-là, Lisa avait huit ans et en août, elle a eu neuf ans; Paul, âgé de six ans au début de l'année, a eu sept ans en avril. Dans l'année d'imposition 1994, Lisa et Paul ont chacun reçu 6 400 $. Au début de l'année, Lisa avait neuf ans et Paul sept ans. Les montants qui ont été versés à Lisa et à Paul sont si déraisonnables, compte tenu des circonstances dans leur ensemble, que les appels doivent être rejetés.

[14] Je considère ces montants non seulement comme déraisonnables, mais aussi comme exorbitants. Au début de 1993, Lisa avait huit ans, soit à peu près l'âge d'un enfant qui est en deuxième ou en troisième année, et Paul avait six ans, soit à peu près l'âge d'un enfant qui commence à fréquenter l'école; pourtant, on me dit qu'ils s'acquittaient de toutes les tâches susmentionnées. Je dois dire en toute sincérité qu'à mon avis, le témoignage de Paulette est extravagant, déraisonnable et non crédible lorsqu'il s'agit pour des enfants de cet âge de gagner autant d'argent. En 1994, Lisa avait neuf ans et Paul avait sept ans et la même chose s'appliquait cette année-là.

[15] Comme l'a souligné l'avocat de l'intimée, les montants versés à Lisa et à Paul sont presque identiques au montant de base des crédits d'impôt non remboursables dont pouvaient se prévaloir tous les citoyens canadiens en 1993 et en 1994. À mon avis, ce n'est pas un pur hasard. Je dois inférer, compte tenu des circonstances dans leur ensemble, que ces montants ont été fondamentalement “ inscrits ” en tant que montants maximums qu'il était possible de déclarer comme ayant été réalisés par les enfants sans pour autant donner lieu à un impôt entre leurs mains. On a utilisé ces montants dans un contexte familial en vue d'offrir les privilèges personnels auxquels on pourrait s'attendre dans une famille de ce genre, c'est-à-dire pour que Lisa apprenne à jouer de l'orgue et pour que Paul puisse utiliser un ordinateur.

[16] Dans son témoignage, Paulette a fait une remarque à laquelle j'attache énormément d'importance : “ Quant à eux, il ne s'agissait jamais d'un travail parce que c'était du temps que les membres de la famille passaient ensemble. ” Je crois que c'est vrai. Il s'agit d'une entreprise familiale; les parents sont des travailleurs acharnés qui sont fort occupés et obligés de consacrer énormément de temps à leur entreprise. Par conséquent, le temps qu'ils ont avec leurs enfants est intégré à leurs heures de travail, mais ce sont les heures de travail des parents et non celles des enfants. Le fait qu'on confie aux enfants du travail occasionnel à faire, qu'on leur demande de faire des courses, de balayer le plancher, de livrer des colis, de faire des photocopies, fait tout simplement partie, à mon avis, de la vie familiale. Cela fait partie, sur le plan sociologique, de la vie familiale et n'a rien à voir avec le fait d'inscrire des enfants de cet âge dans les livres de paie comme on le ferait pour un autre employé ou de prétendre que les enfants font partie de l'entreprise commerciale dans son ensemble. C'est pourquoi le témoignage de Paulette est à mon avis extravagant. Je ne doute pas que Lisa et Paul sont des enfants responsables comme le sont leurs parents et que la famille travaille probablement en équipe. Les membres de la famille passent énormément de temps ensemble, mais cela ne fait pas des enfants, au point de vue commercial, des participants à l'entreprise exploitée par la compagnie. Le témoignage de la mère est trompeur.

[17] Je conclus que les sommes qui ont été versées à Lisa et à Paul étaient déraisonnables compte tenu des circonstances dans leur ensemble. Les appels sont rejetés pour le motif que la compagnie n'a pas payé les montants en vue de réaliser un revenu. Dans la mesure où pareils montants ont été versés aux enfants, les parents se sont attribués ces montants.

[18] En ce qui concerne les sommes de 6 500 $ qui ont été versées à chaque enfant en 1993 et les sommes de 6 400 $ qui ont été versées à chaque enfant en 1994, les soi-disant heures travaillées et l'incapacité d'enregistrer un salaire horaire, voici ce que Paulette a dit dans son témoignage : “ Je savais tout simplement ce qu'était un montant raisonnable. ” Je ne le crois pas. Je crois que Paulette a bénéficié des savants conseils des comptables qui examinaient les livres et les dossiers de la compagnie et que chaque montant était relié aux crédits d'impôt non remboursables.

[19]Paulette a également fait la remarque suivante : “ J'estime qu'ils ont bien mérité ces montants. ” Il ne s'agit pas de savoir ce qu'elle estimait juste, mais ce que des enfants de cet âge peuvent faire. Dans de nombreuses provinces, il existe des lois qui interdisent de faire travailler des enfants de cet âge. Le fait que ces enfants étaient serviables et qu'ils voulaient aider leurs parents dans l'entreprise familiale ne veut pas pour autant dire qu'ils participaient à l'entreprise sur le plan commercial. Tous les appels sont rejetés.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 28e jour de janvier 1998.

Manon Corriveau, réviseure

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.